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Pauline de Tarragon signe Minuscule folle sauvage, le roman graphique qui réconcilie avec la solitude

Alors qu'elle vient de publier son livre Minuscule folle sauvage, la musicienne, autrice et illustratrice Pauline de Tarragon nous ouvre les portes de son univers poétique et réconfortant.
Livre Pauline de Tarragon Minuscule folle sauvage
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La première fois que l'on rencontre Pauline de Tarragon, connue sous le nom de scène Pi Ja Ma, c'est à l'occasion de la publication du livre pour enfants Sous les paupières, imaginé avec son amie Claire Pommet et sorti aux éditions de La ville brûle. Déjà à l'époque, sa douceur nous frappait. Architecte de mondes rêvés, la jeune femme avait habillé l'ouvrage de ses dessins profondément joyeux, presque utopistes. Une tendresse créative que l'on retrouve aujourd'hui dans Minuscule folle sauvage, le tout premier roman graphique qu'elle écrit en plus d'illustrer. Un projet inédit, qui lui permet de poser des mots sur son intimité et ses émotions. “La seule règle que je me suis imposée, c'était de faire quelque chose d'intéressant et de sincère”, nous explique-elle. “Je me suis toujours adressée aux enfants dans mes livres, en me disant que les sujets plus lourds, je les garderais pour plus tard. En fait, je crois que je ne savais pas vraiment comment les aborder.”

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Si elle parle relativement facilement de ses angoisses au gré des croquis qu'elle égrène sur son compte Instagram, Pauline est plus frileuse à l'idée de les tatouer sur les pages d'un livre. Très sensible, elle a depuis longtemps pris l'habitude de se protéger derrière l'humour ou ses dessins. “Je me suis longtemps cachée dans la fiction et les personnages que j'inventais”, ajoute-t-elle. “Quand j'ai commencé à écrire mes chansons, j'ai compris que ce n'était pas ridicule de parler de sujets sérieux. C'était même courageux. Il y a plein de gens qui le font très bien d'ailleurs. Mais c'est vrai que j'ai toujours été un peu complexée, je me disais que je ne savais pas bien écrire, que j'en faisais trop, ou pas assez, et je me rappelais que je n'avais pas de bonnes notes en français à l'école… Mais j'ai fini par comprendre que l'on n'était pas obligé d'être Victor Hugo pour écrire des livres. L'écriture, c'est comme un muscle. Ça se travaille.” Alors, elle se lance.

Cette exigence envers elle-même, Pauline de Tarragon l'a depuis un moment. Depuis ses 16 ans, pour être exacte. À cet âge, elle s'embarque dans le concours télévisé de la Nouvelle Star sous les conseils et encouragements d'une amie. Une aventure musicale impressionnante, et dont elle ne connaissait que très peu de choses avant d'y mettre les pieds. “On peut dire que j'aimais déjà me mettre des challenges !”, s'amuse-t-elle. Cela lui réussit puisqu'elle se hisse jusqu'au podium. En sortant de l'émission, Pauline décide de se consacrer à l'illustration, son autre passion. Là encore, il fallait être la meilleure. Consciente que la compétition est rude dans le secteur, elle cherche une école digne de ce nom pour y faire ses armes. “Il a des gens si excellents… Je me dis en permanence que je ne peux pas me permettre de rajouter un projet médiocre à tout ce qui existe déjà. Ce serait du gaspillage de papier, d'encre, d'énergie. J'ai envie d'être à la hauteur de toutes les opportunités qui s'offrent à moi.” On peut dire qu'à ce sujet, elle y est une fois de plus parvenue.

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Minuscule folle sauvage : une exploration intime

Dans son livre Minuscule folle sauvage, Pauline de Tarragon glisse une citation d'Isabelle Sorente issue du Complexe de la Sorcière en guise de préface, et invite tout un chacun à “chercher la sorcière qui est en soi”. “Je peux comprendre que l'idée […] ne fasse pas rêver tout le monde, qu'il y ait des gens pour qui ce genre de démarche ne soit pas nécessaire. Mais qu'ils n'empêchent pas les autres de descendre aux enfers pour eux. Je suis persuadée que chaque fois que nous descendons dans nos propres cachots pour y faire un peu de lumière, chaque fois que nous réparons les offenses, lavons les blessures, reprisons les robes déchirées des spectres, nous aidons les autres d'une façon mystérieuse” écrit l'écrivaine française dans son récit d'enquête. Un propos qui entre parfaitement en résonance avec le tout premier dessin posé dans le roman graphique de Pauline, où l'on voit une silhouette - ressemblant à une drôle de petite fée - sauter dans un trou. Ce trou, c'est la tête de Pauline, qui s'avère être la protagoniste de son propre récit. On comprend alors l'objet de la quête : partir à la découverte de son esprit.

L'aventure commence en enfance. L'autrice se rappelle ne jamais vouloir se mélanger aux autres tant cela pouvait l'effrayer. “Ma maman m'excusait en disant ‘Elle est un peu sauvage’”, écrit-elle dès les premières pages de l'album. “J'ai la chance d'avoir des parents qui ont filmé et pris des photos même avant que les smartphones existent. Aussi, j'ai commencé très tôt à écrire des journaux intimes. Donc ça m'aide à me souvenir”, nous confie-t-elle au sujet de cette période. En discutant avec eux, elle se rend compte qu'ils ne partagent pas tout à fait les mêmes souvenirs : là où ils la décrivent sensible, Pauline, elle, se souvient plutôt avoir été en difficulté.“Tout le monde romantisait ma personne : on disait que j'étais spéciale, rigolote, créative… Jamais on a évoqué avec moi le besoin d'aller voir un psy, de se renseigner sur de potentiels troubles mentaux. Et en même temps, je comprends car c'est tellement tabou.”, se remémore-t-elle. En grandissant, Pauline de Tarragon accumule beaucoup de colère. Colère qui vient sournoisement se mêler à de l'anxiété. Un ami lui donne le numéro de sa psy, elle s'y rend. En sortant de la séance, elle se dit : “si ça se trouve, faudrait que je vivre en autarcie. Que je devienne la sorcière de la forêt ou la folle du village.”

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Face à ce trop plein d'émotions, Pauline de Tarragon finit par passer beaucoup de temps seule. Elle se construit son propre cocon. Mais la solitude n'est pas toujours facile à vivre. “Il y a des moments où c'est urgent que je me retrouve toute seule, et y'en a d'autres où c'est compliqué car je voudrais être avec quelqu'un mais je n'y arrive pas. C'est très frustrant.” nous explique-t-elle. Et elle n'est pas la seule à ressentir ce tiraillement. Tour à tour un besoin pour son bien-être ou quelque chose de désagréable qu'on subit, la solitude semble déstabiliser plus qu'être véritablement appréciée. “C'est toujours sur le fil, dit Pauline. Mais c'est aussi parce que la société et ses infrastructures sont construites pour ne pas être seul·e. Je suis souvent allée au cinéma seule, et on en profitait pour me demander de me décaler. Je me retrouvais à une mauvaise place... Au restaurant, on déplaçait facilement ma table ou on empruntait la chaise d'en face… C'est comme si parce qu'on était seul·e, on devait faire passer nos envies après celles des autres. En même temps, je pense que certains envient cette solitude. C'est un saut dans le vide, souvent terrifiant, mais qui nous permet de mieux nous connaître. Si on reste tout le temps avec des gens, j'ai l'impression qu'on finit par avoir les mêmes opinions, les mêmes goûts, qu'eux. Et quand on se retrouve seul·e, on ne sait plus rien faire, on panique.”

L'art et l'imagination d'apaiser ses angoisses

Au départ, dessiner est avant tout une façon de communiquer pour Pauline de Tarragon. Peut-être pas la seule qu'elle ait trouvée, mais certainement celle avec laquelle elle se sent la plus à l'aise. Et partager ses esquisses, notamment sur les réseaux sociaux, lui permet de rencontrer du monde - sans que cela ne devienne trop envahissant. “Quand j'ai commencé à publier des dessins sur l'anxiété, certaines personnes me répondaient en me disant qu'elles vivaient la même chose. Ça m'a aidée, nous confie-t-elle. C'était à la fois inquiétant car je voyais à quel point les jeunes vont mal, et rassurant car je n'étais pas la seule à galérer.” Aussi, c'est une belle manière d'apaiser ses anxiétés. Elle raconte : “Il y a des jours où je me sens si angoissée que je ne sors pas de chez moi. Et quand je me mets à dessiner, ça va déjà mieux. C'est presque magique.”

Dans le livre, les dessins de Pauline se dispersent aux quatre coins d'une feuille ou s'étendent généreusement sur une double page. Ils sont faits au feutre noir ou colorés de rose, de rouge et de parme. Ils sont l'essentiel ou ce joli détail. Un château de princesse ou un gribouillage. Ils sont partout, discrets ou envahissants, mais toujours divins. On sent que Pauline de Tarragon s'amuse à les crayonner autant qu'on s'en délecte une fois imprimés. Et je ne dis pas ça par hasard. La fantaisie inonde le papier sur lequel danse une Catherine Deneuve dans sa robe argentée de Peau d'âne, une Dalida assise dans le métro, une Jane Campion sous une crinoline ou une Patti Smith fièrement solitaire… On croise aussi une Mona Chollet à la terrasse d'un café, accompagnée des mots de son essai Chez soi, une odyssée de l'espace domestique. Des mots qui nous rappellent par ailleurs que les femmes sont plus douées que les hommes dans l'exercice de la vie solitaire, et ce malgré le poids de la stigmatisation qui les oppresse. Toutes ces figures se donnent la main et se partagent les pages de Minuscule folle sauvage comme elles occupent l'esprit de son autrice. À travers elles, et toutes les situations qu'elles incarnent, Pauline de Tarragon nous raconte un bout de son histoire. Elle nous parle des femmes de sa vie, celles qui l'entourent et celles qui l'inspirent. Elle nomme le panel des douleurs qui les habitent - phobie sociale, dépression nerveuse, SPM, agression sexuelle, côlon irritable, décès, endométriose, trouble obsessionnel - mais n'oublie pas de les sublimer. Une robe à nœuds rouges pour l'une, un dos nu vert pomme ravageur pour l'autre. Avec toutes ses amies fictives ou réelles, Pauline se sent un peu moins seule.

Le reste du temps, elle se repose. “Les monstres ont besoin de beaucoup de sommeil” écrit-elle. Les âmes créatives aussi, quoi qu'on en dise. Surtout, elle apprend à ralentir, à vivre calmement, et dans le silence. Ce qui est loin d'être évident, quand ce n'est pas déjà mal perçu. Elle regarde des films, écoute des musiques, dessine encore et toujours. Par ailleurs, elle nous conseille quelque unes de ses “œuvres doudous” comme elle se plaît à les appeler. Parmi elles : La Cloche de détresse de Sylvia Plath, Fungirl d'Elizabeth Pich ou encore Fleabag de Phoebe Waller-Bridge. De quoi s'apaiser l'âme avec un brin de beauté. À cela, on ajoutera qu'une seule recommandation : Minuscule folle sauvage de Pauline de Tarragon.

Pauline de Tarragon - Minuscule folle sauvage

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