interview

Past Lives va vous briser le cœur (et vous allez aimer ça)

Past Lives sort ce mercredi 13 décembre sur les écrans français, juste après avoir été nommé à plusieurs reprises aux Golden Globes. Rencontre avec Celine Song, sa réalisatrice, qui signe un bouleversant premier film.
PAST LIVES
© Courtesy of Twenty Years Rights / A24 Films

Dans notre classement des meilleurs films de l'année 2023, Past Lives atteint des sommets. Avec une sortie prévue ce mercredi 13 décembre dans les salles françaises, le premier film de Celine Song, dramaturge new-yorkaise, s'inspire d'une histoire vécue il y a des années, entre elle, son mari (écrivain lui aussi), et son premier amour, venu de Séoul pour la retrouver. Si ce long-métrage aurait pu tomber dans les schémas les plus vus et revus du triangle amoureux, il en évite tous les pièges pour épouser une forme résolument pure et touchante, qui arracherait les larmes des cœurs les plus arides.

Avec les géniaux Greta Lee et Teo Yoo dans les rôles principaux, Celine Song se fait la cheffe d'orchestre d'une œuvre douce, sublimée par la photographie de Shabier Kirchner. Après avoir remporté le Gotham Awards du meilleur film en novembre dernier, il vient tout juste de se voir nommé dans la même catégorie à la prestigieuse cérémonie des Golden Globes, notamment réputée pour être l'anti-chambre des Oscars. Celine Song est également nommé meilleure réalisatrice, et le scénario pourrait également remporter un prix.

C'est bien le scénario, couplé à une mise en scène pudique, qui fait toute la beauté et la tension de Past Lives. Inspirée par son expérience de près de dix ans dans le théâtre, Celine Song offre à son récit de grands moments de respiration, sublimés par des silences où presque tout se joue. Dans Past Lives, les regards, les gestes (et les non-gestes), en disent presque autant, voire plus, que les dialogues parfois impossibles. À l'occasion de son passage dans la capitale française, quelques jours après son triomphe aux Gotham Awards, Vogue a pu échanger avec la cinéaste américaine.

© Jon Pack

Rencontre avec Celine Song pour Past Lives, son premier film

Vogue. Vous venez du théâtre, et Past Lives est votre premier film. Pourquoi cette histoire particulièrement avait-elle besoin d'être portée sur grand écran ? Ne pouvait-elle pas être une pièce ?

Celine Song. Cette histoire s'étend sur plusieurs décennies, et plusieurs continents. Et le grand méchant de ce récit, ce n'est pas une personne, mais ce sont ces années qui s'écoulent, sans qu'on ne puisse les rattraper, et cet océan, impossible à traverser. Je voulais donc que l'on voit cet espace-temps de manière littérale. La contradiction entre les personnages enfants, puis adultes, entre Séoul et New York. Toutes ces choses devaient être vues de manière tangible. Au théâtre, où j'ai travaillé pendant dix ans, l'espace-temps est une notion figurative. Ça relève presque de la magie, ce que j'adore. Mais pour cette histoire, je sentais le besoin de littéralité.

Pourtant, vous gardez les mêmes acteurs qui jouent les personnages de Nora Moon et Hae Sung, de leur 20 ans à leurs 30 ans passés.

Oh, c'est vrai ! J'aurais pu changer…

Mais j'ai cru comprendre que vous avez un attachement très fort à vos comédiens.

Oui, et je savais que c'était un problème que nous pouvions surmonter par la performance. Quand on est plus jeunes, nos émotions sont plus immédiates. Ainsi, quand Nora et Hae Sung se voient pour la première fois en dix ans par Skype, ils se sourient presque instantanément. Et puis dix ans plus tard, quand ils se voient pour la première fois en vrai, leurs sourires se font plus lents, comme un coucher de soleil. Ils ont vieilli, et ne savent pas vraiment s'ils ont le droit de se sourire ainsi.

L'un des éléments les plus frappants du films, ce sont ses silences. Était-ce écrit ainsi dans le scénario ?

Bien sûr ! Tous les silences et tous les bruits sont dans le scénario. Les acteurs les honorent à merveille. C'est dû à mon passé dans le monde du théâtre. Dans cet univers, je dois avoir une foi inébranlable dans mon public, et dans sa volonté de rester assis en silence. Il faut donc donner de l'enjeu à ces silences ! Si le spectateur est assis en tension sur son fauteuil, dans l'attention la plus totale, en se demandant ce qu'il va se passer dans la seconde qui arrive, mon silence peut durer pour toujours.

À d'autres moments, ces moments de silence sont illustrés par des corps qui pourraient se toucher, mais qui ne franchissent jamais le vide, pourtant infime, qui les sépare.

Oh oui ! Tout est une question de distance quand vous parlez d'intimité, ou d'alchimie. Ce n'est pas lorsque vos personnages se touchent que ces éléments se construisent, mais plutôt selon la distance à laquelle ils se tiennent l'un de l'autre. Le plus proche ils sont, le plus vous aurez envie qu'ils se touchent ! C'est notamment criant lorsque Nora et Hae Sung prennent le métro ensemble, car cela ajoute à la scène une sorte de houle. La distance entre eux s'agrandit et s'amenuise avec les mouvements de la rame.

© Jon Pack

Malgré l'origine autobiographique de cette histoire, vous semblez prendre beaucoup de plaisir à torturer votre audience et ses désirs !

[Rires] Oui, tout a commencé à partir de ce moment de ma vie, où je me suis retrouvée assise entre mon mari et mon premier amour. Mais de ce souvenir, j'ai construit un film entier avec des personnages fictifs, définis par le jeu des acteurs que j'avais choisi. Par exemple, je n'ai pas demandé à Greta Lee de jouer une personne réelle. Je voulais que chacun trouve son personnage en lui-même.

Était-ce un long processus de transformer ce souvenir, très personnel, en une sorte d'auto-fiction ?

Je ne sais pas, le temps est une notion si subjective… Ce que je sais, c'est que tout s'est fait à partir du scénario. Tous les gens qui ont travaillé sur ce film sont venus grâce à ce texte. C'était mon premier film, donc c'était tout ce que j'avais ! Mes collaborateurs n'avaient même pas de courts-métrages à regarder : seulement ces mots.

Votre film est beaucoup rapproché de la trilogie Before de Richard Linklater, et encore davantage de son second volet, Before Sunset. Était-ce l'une de vos références ?

Il existe un tas d'histoires d'amour qui ne peuvent être vécues dans la vie que nous vivons actuellement, mais qui peuvent être vécues dans d'autres univers, dans d'autres espaces-temps. Mais il s'agit de mon premier film : cela me tenait à cœur de développer un langage qui lui serait propre. Trouver ma propre voix, finalement. Évidemment, j'avais des références en tête. Prenez la scène du bar, à la fin : je pensais à My Dinner with Andre, de Louis Malle, et je l'ai montré à mon équipe, dans l'espoir que l'on capture la même ambiance. La scène d'ouverture est quant à elle inspirée de Breaking the Waves de Lars Von Trier, notamment dans la manière dont Greta Lee se tourne vers la caméra.

Greta Lee évoque notamment Marina Abramović dans certaines interviews…

Oui, pour The Artist is Present. C'est moi qui lui en ai parlé.

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Il paraît que vous avez demandé à vos acteurs de ne pas se croiser physiquement avant leur première scène ensemble.

Tout à fait. Avant la scène du parc, j'avais interdit à Greta Lee et Teo Yoo de s'approcher. On en revient à cette question de distance. Si vous interdisez à deux personnes de s'approcher, elles vont en redoubler d'envie. Suggérer cette idée, selon laquelle ils ne pouvaient s'approcher l'un de l'autre, j'ai l'impression que ça a aidé à construire un désir lancinant, étalé sur des semaines de tournage.

Avez-vous réussi à capturer cette scène dès la première prise ?

Non, je l'avoue… En revanche, nous avons gardé la première prise de la rencontre entre Arthur, le mari de Nora, et Hae Sung. J'ai utilisé le même procédé : les deux acteurs ne s'étaient jamais rencontrés avant que nous tournions cette scène.

Votre père est cinéaste. A-t-il été un soutien lors de cette aventure ?

Une chose est certaine : il est sacrement fier. C'est l'un des grands privilèges d'avoir grandi dans une famille très artistique. Mes deux parents sont artistes. On m'a d'ailleurs demandé s'ils étaient de bon conseils, mais je ne le formulerai pas ainsi. J'ai grandi en observant une certaine manière de vivre, et de créer. C'est moins scolaire que ce que l'on peut penser, plus organique.

© Jin Young Kim / Twenty Years Rights / A24 Films

Aviez-vous envie de vous lancer dans le cinéma depuis longtemps ?

J'en ai beaucoup rêvé, mais je n'ai jamais su comment m'y prendre. Ça m'a toujours semblé impossible. Et puis finalement, ça a été une formidable première expérience . Comme je vous le disais tout à l'heure, tous les membres présents sur le tournage ont adoré le scénario. Et puis, quelques semaines après le début de ce fameux tournage, j'ai réalisé que j'avais rencontré l'amour de ma vie : faire du cinéma ! C'était clairement une révélation pour moi, que d'assumer : “Oui, je suis une réalisatrice”.

À quoi ressemblent les premiers jours du tournage d'un premier film, en tant que réalisatrice ?

C'est génial ! Je n'y connaissais rien. Mais en même temps, je connaissais tout. Et puis c'est très rassurant de avoir que les gens avec qui vous travaillez ont fait ça des centaines de fois. Face à eux, mon rôle de réalisatrice me rendait détentrice d'un savoir que personne ne pouvait partager : le cœur du récit. Qui sont les personnages. C'était, au départ, la seule chose que je savais. Heureusement, j'ai appris au fur et à mesure.

Quel regard portez-vous sur cette expérience que vous avez vécue, de vous retrouver dans un bar entre votre mari et votre premier amour, maintenant qu'elle est devenue une œuvre de fiction ?

Le film s'apprête à sortir en France, il est déjà sorti dans de nombreux pays. Mon histoire, si intime et personnelle, devient universelle. Je ne prétends pas que nous vivons tous les mêmes expériences, mais je pense que chacun connaît la sensation de se trouver coincé entre son passé, son présent et son futur. Et puis, je commence à recevoir des retours du public. Une adolescente m'a dit que le film lui avait donné envie de tomber amoureuse, ce qui ne lui est encore jamais arrivé. Une femme de 60 ans m'a confié qu'elle se rappelait de certains amours de sa vie devant le film. Selon où vous êtes dans votre vie, Past Lives peut vous donner envie de rentrer auprès de votre partenaire et l'enlacer, comme il peut vous faire réaliser que vous êtes dans une relation nocive. On m'a aussi dit : “Votre film m'a aidé à oublier mon ex” !

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