Liste

Les plus mémorables élections

Elles suscitent à la fois la passion et la haine.

Elles font ressortir ce qu’il y a de meilleur et de pire en nous.

Elles nous divisent souvent, et parfois – comme ce fut le cas lors de la fracassante victoire de John Diefenbaker en 1958 – les élections fédérales parviennent à unir le pays derrière une seule force ou une seule voix.

Une chose est sûre : parmi tous les changements qui ont façonné le Canada depuis la Confédération, un processus demeure indéfectible : le droit de chaque citoyen de choisir collectivement, à quelques années d’intervalle, ceux qui gouvernent le pays. Aujourd’hui, des milliards de personnes dans le monde ne jouissent pas de ce privilège. Quelle chance que notre démocratie soit pérenne!

Lorsque nous retournerons aux urnes, nous allons bien sûr voter, mais nous allons aussi écrire un nouveau chapitre de la riche histoire électorale du Canada. C’est une histoire fascinante, faite de grands enjeux, ponctuée de nombreuses facéties et souvent enflammée par la passion des protagonistes et des politiciens au tempérament souvent très marqué.

Jetons un coup d’œil sur les dix élections les plus mémorables du Canada, et sur la manière dont elles ont changé le pays.

1891

« Notre avenir me décourage profondément, écrit un jour John A. Macdonald. Non pas parce que notre pays est allé ou va à l’encontre de nos intérêts, mais plutôt parce que notre gouvernement est trop vieux et qu’il est resté trop longtemps au pouvoir ».

En 1890, les conservateurs, derrière Macdonald, ont déjà occupé le pouvoir pendant 18 ans sur les 23 années que compte au total l’histoire du Canada, et le premier ministre – le « vieux chef » – a alors 75 ans. Mais c’est moins l’usure de l’âge que le bruit du scandale – qui a également provoqué la chute du gouvernement conservateur en 1873 – qui pousse Macdonald à dissoudre le Parlement et à déclencher des élections anticipées en 1891.

Lors de sa première campagne en tant que chef des libéraux, Wilfrid Laurier se positionne contre la Politique nationale, prônée de longue date par Macdonald, qui consiste à prélever des droits de douane sur les marchandises importées afin de protéger les fabricants canadiens contre leurs concurrents américains. Laurier présente un programme basé sur la réciprocité totale (libre-échange) avec les États-Unis.

Politicien rusé, Macdonald parvient à associer la plateforme des libéraux à une question de survie pour la nation, expliquant que proposer le libre-échange avec les Américains constitue par définition une trahison qui ne peut qu’aboutir à la liquidation du pays. Il maintient cette position tout au long d’une campagne sans merci, appelant les électeurs à se rallier à lui pour conserver « Le vieux drapeau, la veille politique, le vieux chef » et parvient à obtenir une majorité de sièges à la Chambre des communes.

Ce n’est pas la dernière fois qu’une élection va se jouer sur la question du libre-échange, mais c’est par contre la dernière aventure politique de Macdonald. Sa mort, en juin, met fin à toute une époque et en annonce une nouvelle.

La réciprocité ou la Politique nationale?

En 1891, John A. Macdonald convainc l’électorat que la réciprocité totale que Wilfrid Laurier propose de conclure avec les Américains risque de compromettre la souveraineté canadienne. Il présente la position de Laurier et des libéraux comme une capitulation économique et se couronne, lui-même, défenseur du Canada. Et cela a fonctionné.

1896

Sir Wilfrid Laurier

L’élection de 1896 divise le pays, cette fois le long des frontières linguistiques. Elle met également fin à 18 années de règne des conservateurs et permet à Wilfrid Laurier de prendre le pouvoir.

Au cours des quatre années qui suivent la mort de sir John A. Macdonald, les conservateurs au pouvoir voient passer trois chefs avant l’arrivée à leur tête de sir Charles Tupper. Héritant d’un parti en miettes et de la controverse liée à la question des écoles du Manitoba, qui porte sur le droit des minorités linguistiques et religieuses à l’éducation, Tupper a beaucoup de travail devant lui.

Sûr de lui et charismatique, Laurier est parvenu à réformer le Parti libéral durant les années de déclin des conservateurs. Lors de la campagne de 1896, il profite de la position avantageuse dont bénéficient tous les chefs d’opposition : nul besoin d’articuler sa position concernant la question des écoles du Manitoba. Il lui suffit d’attaquer la politique du gouvernement en faisant ressortir les faiblesses de celle-ci.

Les libéraux obtiennent un gouvernement majoritaire à l’issue de l’élection, grâce à la province de Laurier. Au Québec, les résultats affichent en effet 49 à 16 en faveur des libéraux.

Laurier conservera la tête du gouvernement pour les 15 années à venir, le mandat le plus long jamais effectué par un premier ministre canadien. Tupper détient lui aussi un record : avec à peine 68 jours, son mandat de premier ministre a été le plus court de toute l’histoire de notre pays.

1917

Élection de 1917

L’élection de 1917 est la pire de toute l’histoire du Canada. Elle s’est décidée sur la question de la conscription.

Le premier ministre conservateur Robert Borden est à l’époque convaincu que seule la conscription peut permettre au Canada de poursuivre son engagement dans la Première Guerre mondiale. Sachant que la question va scinder le pays en deux et lui coûter le soutien du Québec, Borden met en place le Gouvernement d’union. Au sein d’une coalition de conservateurs, de libéraux et d’indépendants aux vues similaires, les unionistes font passer une législation partisane qui accorde le droit de vote aux soldats et aux femmes de leur famille – étendant ainsi les bases de l’union – tout en retirant ce droit aux immigrés qui sont arrivés au Canada depuis 1902 en provenance de nations ennemies, et aux objecteurs de conscience.

La campagne électorale est rude. Les unionistes s’en prennent au patriotisme des libéraux, tandis que les journaux en faveur de la conscription martèlent que « chaque vote en faveur d’un candidat fidèle à Laurier est un vote en faveur de l’empereur [allemand] ». Pendant ce temps, au Québec, le Gouvernement d’union peine à recruter des candidats et les quelques courageux qui se présentent sous la bannière de la conscription sont menacés et attaqués.

Les unionistes de Borden font le plein dans les régions anglophones et reviennent au Parlement avec une majorité de 153 sièges, dont trois seulement issus du Québec. Cette élection allait avoir pour conséquence durable l’isolement politique ressenti par le Québec, un sentiment qui va nuire aux conservateurs dans cette province et faire de l’ombre à l’unité canadienne pendant plusieurs générations.