Éditorial

Les balbutiements du droit de vote au Canada

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

Avant la Confédération, le droit de vote aux élections était réservé à une petite élite fortunée et formée de propriétaires. Comme les votes étaient déclarés publiquement, les élections étaient bruyantes, hautement compétitives et même violentes. Le vote par bulletin secret a été introduit au Nouveau-Brunswick en 1855, et à l’échelle fédérale en 1874.

Conférence de Québec de 1864, La

La démocratie, un processus chaotique

Au début de la démocratie, le droit de vote est réservé à quelques privilégiés (ceux qui possèdent des propriétés ou de l’argent), et les votes sont déclarés publiquement. La description d’une élection tenue à Montréal en 1820 qui suit est typique de cette époque :

« Les passions étaient si exacerbées qu’une terrible bagarre a éclaté. Les coups de poing et toutes les autres tactiques offensives et défensives ont été employés. En un clin d’œil, les pieds de table ont été transformés en épées et le reste, en boucliers. Les combattants se sont attaqués sans ménagement aux nez, aux cheveux et à d’autres parties accessibles du corps les uns des autres, les tirant sans pitié… Les visages de plusieurs et les corps de tous ont attesté de l’acharnement des combats. »

L’idée que le peuple doive voter pour ses représentants est une idée puissante. Comme pour la plupart des mouvements historiques, elle est résolue de manière désordonnée durant de nombreuses années. Au Canada, il faut presque 150 ans pour en venir à bout. L’idée suscite toujours un grand malaise, et pas seulement parmi les éléments puissants de la société. Un grand nombre de gens croit que la démocratie mène à des troubles sociaux et à la « voyoucratie ».

À l’époque, tout comme aujourd’hui, ceux qui sont déjà au pouvoir cherchent à influencer le résultat. Avant le vote à bulletin secret, les possibilités d’influencer ou d’intimider les électeurs lorsqu’ils déclarent publiquement leur choix à un représentant officiel sont nombreuses. L’intimidation économique est un autre outil tout aussi brutal. Quel homme peut prendre le risque de voter ouvertement contre les souhaits de son employeur ou de son propriétaire? Les vagues qualifications relatives à la propriété qui sont nécessaires pour toute personne souhaitant voter ou se présenter à une élection laissent également le système vulnérable aux différends et aux abus.

Corruption et intimidation

Une série d’élections dans le Bas-Canada (Québec actuel) illustrent la nature désordonnée des premières élections. Dans la circonscription de Montarville, les 11 et 12 octobre 1858, Alexandre-Édouard Kierzkowski, un ingénieur civil né en Pologne, remporte les élections. Il obtient 2056 voix, alors que John Fraser n’en recueille que 1809 et que Marc-Amable Girard n’en reçoit que 404. À la fermeture des bureaux de vote, John Fraser dépose une plainte accusant Alexandre-Édouard Kierzkowski de ne pas répondre aux critères de propriété pour être titulaire d’un poste. Alexandre-Édouard Kierzkowski contre-accuse John Fraser d’être coupable de pots-de-vin et de corruption après avoir incité les électeurs à boire. Après une enquête qui dure un an, les deux hommes sont disqualifiés; Alexandre-Édouard Kierzkowski est disqualifié pour ne pas avoir répondu aux critères d’admissibilité, et John Fraser, pour son inconduite.

Lors d’une élection partielle subséquente, Alexandre-Édouard Kierzkowski perd contre Louis Lacoste par 29 voix, et il dépose ensuite une plainte. Le persistant Alexandre-Édouard Kierzkowski accepte alors une nomination dans la circonscription de Verchères. Le vote a lieu les 8 et 9 juillet 1861. Le directeur du scrutin annonce les résultats suivants : Alexandre-Édouard Kierzkowski remporte 858 voix, Charles Painchaud obtient 856 voix, et John Fraser remporte une voix. Charles Painchaud dépose l’inévitable contestation et Alexandre-Édouard Kierzkowski est à nouveau déclaré non qualifié pour siéger. Charles Painchaud ne célèbre sa victoire que durant peu de temps, puisque la législature est dissoute 12 jours plus tard.

Ces différends sur les qualifications de propriété et les irrégularités sont courants avant que le droit de vote ne soit accordé à tous les adultes. Par exemple, en 1793, dans le comté de Kings en Nouvelle-Écosse, le député en place obtient des votes en vendant des terres aux électeurs pour 5 £. En 1850, dans le comté de Saint John au Nouveau-Brunswick, un candidat obtient 250 votes en divisant un marais en 250 propriétés frauduleuses. Même les morts sont sollicités. En 1858, le Journal de Québec rapporte que des votes ont été obtenus « au nom des vivants et des morts de toutes les nations ».

Vote à bulletin secret

Les réformateurs concentrent leurs efforts sur des questions comme le droit de vote et l’amélioration des listes et des registres d’électeurs. Mais, ils savent également que de vraies élections démocratiques exigent un scrutin secret et non pas une déclaration publique faite à un représentant officiel. La première utilisation d’un bulletin de vote secret au Canada est effectuée au Nouveau-Brunswick en 1855. La Grande-Bretagne résiste au changement pendant encore plus de 15 ans, mais la corruption ne diminue pas. Le Parlement britannique adopte finalement le Ballot Act en 1872.

La Colombie-Britannique, la plus récente province du Canada, adopte la loi sur le scrutin secret en février 1873. L’Ontario et le gouvernement fédéral la suivent en 1874, suivis ensuite par le Québec et la Nouvelle-Écosse en 1875. L’Île-du-Prince-Édouard introduit le bulletin de vote secret en 1877, l’annule en 1879, et ne l’adopte définitivement qu’en 1913.

Un vieux cliché dit : « la démocratie est le pire des systèmes politiques, à l’exception de tous les autres ». Même si le bulletin de vote secret élimine l’intimidation dans les bureaux de vote, les électeurs d’aujourd’hui se demandent s’ils sont réellement moins manipulés par les attaques publicitaires, la fabrication de l’image et les fausses promesses.

Voir aussi Droit de vote au Canada; Comportement électoral au Canada; Droit de vote des Noirs au Canada; Participation politique au Canada; Droit de vote des femmes au Canada; Système électoral canadien; Réforme électorale au Canada.

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