Éditorial

Henry Larsen et le St. Roch

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

Même si l'Arctique apparaît à certains comme un désert, pour Henry Larsen, ce pays regorge de défis personnels et de gratifications. Il voit le jour et grandit au bord de la mer, à Hvaler dans le sud-est de la Norvège, une région constamment balayée par les embruns salés où, justement, il était facile de sauter dans un bateau pour aller profiter de l'air du large. Pendant sa jeunesse, Larsen lit les récits des héros de son pays - les Nansen, Amundsen et Sverdrup. C'est à l'âge de quinze ans qu'il s'embarque pour la première fois. Il découvrira de nombreux ports du monde entier. Cependant, l'appel du Nord canadien est puissant et devient l'unique motivation qui trace son avenir. Il est décidé à se bâtir une carrière dans l'Arctique.

Henry Larsen traverse le passage du Nord-Ouest à bord du St. Roch, il est le premier à accomplir la traversée d'ouest en est (avec la permission du Maritime Museum de Vancouver).

En 1927, Larsen apprend que la Royale Gendarmerie à cheval du Canada (la RGCC, qui deviendra plus tard la GRC) fait construire à Vancouver un petit patrouilleur destiné au service en Arctique. Il est déterminé à naviguer à son bord. Première étape : il devient citoyen canadien cette même année. Puis, il pose sa candidature à la RGCC et y est admis le 16 avril 1928. Larsen a mis le cap sur son objectif de carrière. Il n'en déviera jamais pendant toute la durée de son service.

Le navire de la RGCC est baptisé le St. Roch; il est gréé comme goélette, mesure 104 pi, et est spécialement construit pour résister à l'extrême pression des glaces destructrices de l'océan Arctique. Il peut être propulsé par le vent ou par un moteur diesel de 150 HP.

Les compétences que Larsen a acquises pendant ses nombreuses années passées en mer lui donnent une bonne longueur d'avance sur les autres candidats au moment où la RGCC doit doter le St. Roch d'un capitaine. C'est donc lui qui est choisi. Pendant vingt ans, jusqu'en 1948, il ne se passera pas une année sans que Larsen et son bateau s'en aillent protéger la souveraineté du Canada en Arctique. Pendant cette période, il effectue dix voyages, dont deux valent une mention particulière.

Henry Larsen (avec la permission du Maritime Museum de Vancouver).

Jusque-là, une seule personne avait franchi le passage du Nord-Ouest : il s'agit du Norvégien Roald Amundsen, qui l'a fait entre 1903 et 1906, de l'est vers l'ouest. En 1940, Larsen est le premier à le franchir d'ouest en est, en voyageant de Vancouver à Halifax. Plus d'une fois au cours du périple, il s'en faut de peu pour que le St. Roch ne succombe aux ravages de cette mer de glaces mouvantes et fracassantes. À un moment donné, Larsen se demande " s'ils ont fait tout ce chemin simplement pour s'écraser sur un écueil comme une coquille de noix avant d'être ensevelis sous la glace. " Le St. Roch et son équipage passent l'hiver sur la péninsule de Booth, ne perdant qu'un seul homme, le plus solide des marins, Albert (Frenchy) Chartrand, qui meurt d'une crise cardiaque.

Le printemps suivant, il semble que les glaces ne relâcheront jamais le navire, mais quand elles finissent par desserrer leur emprise, le St. Roch manque de se faire broyer par l'étau de glace que Larsen redoutait tant, se faisant ballotter d'un floe (glace flottante) à l'autre au milieu des remous et enfin rejeter dans des eaux plus calmes, à l'extrémité est du détroit de Bellot. Bientôt, Larsen et ses hommes feront voile dans les eaux plus tranquilles de la baie de Baffin, du détroit de Davis, puis le long de la côte du Labrador pour finalement accoster au port d'Halifax le 11 octobre 1942. Chacun des hommes du voyage reçoit du roi George VI une médaille en reconnaissance de cette prouesse remarquable de navigation dans l'Arctique.

Pendant la saison de navigation de 1943, Larsen et le St. Roch quittent Halifax pour patrouiller et inspecter les détachements de la RGCC de l'est de l'Arctique. L'hiver suivant, il reçoit l'ordre de ramener le St. Roch à Vancouver par le passage du Nord-Ouest. Cette fois-ci, il emprunte le trajet du chenal Parry, situé un peu plus au nord, c'est-à-dire les détroits de Lancaster, de Barrows et du Vicomte de Melville. Il apparaît alors évident que la route située plus au sud qu'il avait utilisée, comme l'avait fait Amundsen avant lui, ne sera jamais rentable pour la circulation maritime commerciale.

Même si le voyage de retour vers Vancouver pose certaines difficultés à la navigation, celles-ci sont beaucoup moins menaçantes que celles éprouvées antérieurement sur l'autre chemin. Il ne faut à Larsen que 86 jours pour effectuer le trajet d'Halifax à Vancouver. La route empruntée, par le chenal Parry puis par l'extrémité ouest du détroit de Prince-de-Galles, sera sans doute bientôt un itinéraire de choix pour la navigation commerciale, à l'heure où le réchauffement de la planète accélère l'amincissement de la couverture de glace de l'Arctique.