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Exercice Tocsin B

Tocsin B est un exercice national de préparation à une attaque nucléaire, d’une durée de 24 heures, qui s’est déroulé du 13 au 14 novembre 1961. Il était le dernier de trois exercices de survie nationaux baptisés Tocsin en 1960 et 1961. Il s’agit aussi de l’exercice de défense civile le plus important et le plus largement publicisé jamais tenu au Canada. Cet exercice organisé par l’armée canadienne durant la Guerre froide simulait les effets d’un affrontement thermonucléaire au Canada. Ses objectifs étaient de voir comment l’État alerterait la population canadienne d’une telle attaque, et comment le gouvernement continuerait à fonctionner pendant la crise. En sensibilisant la population au potentiel de dévastation d’une attaque nucléaire, Tocsin B a fait découvrir aux Canadiens et Canadiennes les enjeux de la Guerre froide.

Scénario

L’exercice Tocsin B est basé sur une attaque imaginaire de bombardiers et de missiles par un ennemi non identifié. Les effets immédiats d’une explosion nucléaire tueraient plus de deux millions de Canadiens et en blesseraient un autre million, ou plus. Selon ce scénario, des bombes atomiques de cinq mégatonnes frapperaient 14 des plus grandes villes du Canada et détruiraient six bases de l’Aviation royale canadienne. Windsor, en Ontario, serait anéantie par une bombe de 10 mégatonnes lancée sur Detroit.

La population a été prévenue de la tenue de Tocsin B, mais ignorait le moment exact où l’exercice allait être déclenché. Le son des sirènes antiaériennes à 7 h, heure normale de l’Est, le lundi 13 novembre 1961, est une surprise pour la plupart des Canadiens. 

Le saviez-vous?
Le mot tocsin, qui remonte au 16e siècle, désigne une alarme lancée en faisant sonner les cloches de l’église pour prévenir d’une attaque imminente.

Continuité du gouvernement

La survivance publique est l’objectif ultime de la défense civile durant l’exercice Tocsin B, mais le but immédiat est d’assurer la « continuité du gouvernement ». En effet, un gouvernement efficace est considéré comme vital pour la survivance publique. Afin de pouvoir continuer à gouverner après un holocauste nucléaire, les ministres du cabinet et les hauts responsables de tous niveaux doivent évacuer les villes cibles. Durant l’exercice, ils doivent s’installer dans des quartiers généraux d’urgence en régions éloignées. C’est à partir de ceux-ci qu’ils doivent diriger les opérations de survivance.

Le cabinet et les députés fédéraux quittent Ottawa pour s’installer à Petawawa. Cette base militaire devient la capitale du Canada pour les prochaines 24 heures. Chaque gouvernement provincial déplace également sa capitale vers un quartier général sécuritaire. Par exemple, le premier ministre John Parmenter Robarts et le cabinet du gouvernement de l’Ontario quittent Queen’s Park pour s’installer à Camp Borden. Tout au long de l’exercice, les gouvernements fédéral et provinciaux ainsi que les municipalités de tout le Canada demeurent actifs. Ils tentent de gouverner le pays et de maintenir le fonctionnement des services essentiels à partir de leurs quartiers généraux éloignés. Ils doivent également faire face à des pertes humaines massives et à la destruction des édifices et des infrastructures de transport et de communication par les explosions nucléaires.

Survivance publique

En 1961, la méthode d’attaque nucléaire la plus probable est l’utilisation de missiles balistiques. Ceux-ci seraient lancés depuis des sous-marins ou des bases terrestres. Contrairement aux bombardiers que l’on craignait dans les années 1950, les missiles pourraient arriver avec très peu de préavis. En conséquence, les plans d’évacuation des années 1950 sont remplacés par des abris contre les explosions et les retombées nucléaires. Une réponse rapide des civils est essentielle à la préparation contre les attaques nucléaires.

Dans ce contexte, la stratégie de Tocsin B pour assurer la survivance publique consiste à transmettre un avertissement urgent à l’ensemble du pays. Cet avertissement doit rejoindre toutes les collectivités, grandes ou petites, urbaines ou rurales. Il comporte trois composantes : des sirènes antiaériennes, des messages radiodiffusés et des initiatives locales.

Pour alerter toutes les personnes à portée d’oreille, quelque 500 sirènes antiaériennes, d’un bout à l’autre du pays, doivent sonner au même moment. Les résultats de cette partie de l’exercice ne sont pas excellents. Le personnel de la défense civile est pris au dépourvu par le nombre de personnes effrayées par les sirènes. À Toronto, la police et le personnel de l’organisation des mesures d’urgence reçoivent des centaines d’appels téléphoniques affolés de citoyens qui n’étaient pas au courant de l’exercice. Certaines sirènes, dont celle d’Oshawa, ne démarrent pas. Celle de West Vancouver prend feu à cause d’un court-circuit. Des collectivités moins importantes, comme Portage la Prairie, n’ont pas encore de sirènes. À Montréal, beaucoup se plaignent que les sirènes étaient inaudibles.

Illustration montrant une sirène antiaérienne, un homme diffusant un message à la radio, et des personnes qui écoutent la radio tout en se mettant à l’abri dans une maison.

Illustration tirée d’un dépliant intitulé 11 étapes pour la survivance, publié par l’Organisation des mesures d’urgence du Canada en 1969.

Le caractère inédit du message du premier ministre John Diefenbaker souligne le sérieux de l’exercice. Dans son allocution, il annonce aux Canadiens à quoi ils doivent s’attendre en cas de guerre nucléaire : « Mes chers concitoyens, vous venez d’entendre les sirènes sonner l’alerte nationale. Ceci est un exercice et un test. Nous prions tous pour qu’une alerte réelle ne soit jamais nécessaire. Mais si la guerre éclate, l’alerte signifierait que le système de défense aérienne continental a détecté et identifié une attaque probable sur l’Amérique du Nord. » L’exercice comprend aussi des messages d’urgence diffusés par toutes les stations de radio.

Les municipalités sont chargées de fournir des services de base aux Canadiens. Elles devront assurer, par exemple, la distribution de 2 000 couvertures aux sans-abri de Windsor, en Ontario, et le traitement de l’eau potable de Cold Lake, en Alberta.

Les services du gouvernement fédéral doivent rester en contact avec chaque communauté grâce au réseau des bureaux de poste (voir Postes). Les bureaux de poste disposent de stocks de cartes pour faciliter la coordination des opérations de survie. Des cartes de rationnement serviront à gérer la distribution de nourriture. Des cartes de changement d’adresse bleues permettront aux personnes dont les maisons ont été détruites de continuer à bénéficier des services sociaux comme les chèques d’allocation familiale. Des cartes roses d’avis de survie serviront à rassurer les familles et les amis des personnes blessées.

Réception et impact

Plusieurs observateurs jugent que l’exercice Tocsin B a bien permis de prendre la mesure des énormes défis auxquels le Canada devrait faire face à la suite d’une attaque nucléaire. L’exercice a mis en évidence quelques lacunes dans le réseau des sirènes antiaériennes du Canada. Les membres des gouvernements fédéral et provinciaux et des municipalités ont pu expérimenter concrètement les défis qu’impliquerait le maintien de la coordination intergouvernementale si une attaque nucléaire détruisait la plus grande partie des infrastructures de communication et de transport du pays.

L’exercice demeure controversé et les leçons à en tirer ne font pas l’unanimité. L’objectif de continuité du gouvernement a conduit à prioriser la santé et la sécurité des politiciens et des fonctionnaires. Cette priorité semble intéressée aux yeux des citoyens inquiets pour leur survie à l’occasion d’un holocauste nucléaire.

Quelques jours après l’exercice Tocsin B, la presse rapporte que le premier ministre John Diefenbaker a refusé d’être évacué à Petawawa. En conséquence, les responsables ont modifié le scénario en simulant sa mort. (Le Gouverneur général Georges Vanier a aussi été « tué » durant l’attaque à Ottawa.) À Petawawa, le ministre de la Défense Douglas Harkness devient premier ministre par intérim aux fins de l’exercice. Quelques mois plus tard, Judy LaMarsh, de l’opposition libérale, reprochera à John Diefenbaker d’être resté « assis avec son chien sur les genoux, main dans la main avec son épouse, dans sa propre maison » pendant Tocsin B.

Judy LaMarsh
Ce timbre a été émis en 1997 afin de commémorer l'engagement public de Judy LaMarsh. À titre de ministre de la santé et du bien-être de 1963 à 1965, elle a implanté la Commission royale sur les services de santé.
(Bibliothèque et Archives Canada, e000008900)

Le chef de l’opposition Lester Pearson dénonce les privilèges qui rendent les Canadiens inégaux quant à leurs chances de survivre à un désastre nucléaire. Certains propriétaires font construire leurs propres abris antiatomiques, mais les moins fortunés doivent se contenter d’abris collectifs. Les autorités songent à convertir des structures urbaines (par exemple le métro de Toronto et des garages souterrains) en abris publics. Toutefois, les différents paliers de gouvernement n’arrivent pas à s’entendre à savoir qui doit financer ces projets. En outre, la « mort » de John Diefenbaker dans l’abri anti-bombe qu’il a construit au 24, promenade Sussex entraîne des doutes sur l’efficacité des abris. Les gouvernements arrêtent de préconiser la construction d’abris privés quelques années plus tard.

Le Diefenbunker est complété peu après l’exercice Tocsin B. Il s’agit d’un quartier général d’urgence pour le gouvernement fédéral moins éloigné d’Ottawa que Petawawa. Moins d’un an après l’exercice, la crise des missiles cubains montre que les tensions de la Guerre froide et la possibilité d’une guerre nucléaire sont bien réelles. D’autres exercices de planification et d’administration s’ensuivent, notamment le discret Tocsin ‘66, du 12 au 21 octobre 1966. Toutefois, la défense civile est de moins en moins une priorité nationale. L’exercice Tocsin B demeure un événement important dans la mesure où il s’agit de l’exercice de préparation à une guerre nucléaire qui a été le plus publicisé. C’est à cette occasion que les sirènes antiaériennes ont diffusé pour la dernière fois leur sinistre alerte d’une mer à l’autre.