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Commerce triangulaire

Le commerce triangulaire est une route commerciale qui reliait autrefois la France, la Nouvelle-France et les Antilles. Instauré par le contrôleur des finances françaises Jean-Baptiste Colbert et appliqué au Canada en 1667 par Jean Talon, l’intendant de la Nouvelle-France, le commerce triangulaire va permette à la colonie de diversifier son économie et de se positionner dans les grands réseaux de commerce internationaux.

Mise en place d’un système économique

Pendant une bonne partie du 17e siècle, la production alimentaire du Canada est insuffisante pour nourrir sa propre population. La colonie est largement dépendante des importations françaises en blé pour assurer sa survie. Le ministre français Jean-Baptiste Colbert écrit que « jusqu'ici il a fallu porter en ce pays des draps pour habiller les habitans et mesme des souliers pour les chausser [sic]». En 1665, la situation change avec l’arrivée de deux personnages : l’intendant Jean Talon et le lieutenant général de l’Amérique Alexandre de Prouville, marquis de Tracy.

Si les explorateurs comme Jacques Cartier et Samuel de Champlain ont décrit avec émerveillement les richesses du Canada, c’est à l’intendant Jean Talon que revient le mérite d’avoir tenté une exploitation systématique du territoire. Dès son arrivée, il va déployer une énergie considérable à augmenter et à diversifier la production de la colonie, notamment la production alimentaire : il distribue une soixante de nouveaux fiefs, émet des lois forçant les censitaires à défricher leurs terres, fait construire des dizaines de nouvelles habitations chaque année et fait planter de nouvelles cultures, comme le houblon et le chanvre, qui alimentent ensuite l’industrie de la bière, des textiles et de cordages de navires. (Voir aussi Régime seigneurial; Industrie brassicole au Canada). Les résultats ne se font pas attendre. En 1667, pour la première fois de son histoire, le Canada produit plus de nourriture qu’il n’en consomme.

Le lieutenant général de l’Amérique française, Alexandre de Prouville de Tracy, commande les forces militaires du roi en Nouvelle-France, dont le régiment de Carignan-Salières, alors en guerre contre les Haudenosaunee (Iroquois). En juillet 1667, la paix est négociée et la colonie peut de nouveau entrer dans une période de croissance et de prospérité. Le marquis de Tracy connaît fort bien les Antilles, pour y avoir mené une récente expédition militaire avec un succès retentissant. Ses connaissances seront précieuses à Jean Talon.

En France, le contrôleur général des finances du royaume Jean-Baptiste Colbert désire doter la Nouvelle-France d’une structure économique complémentaire aux autres établissements de l’empire colonial français à travers le monde. Il incite Jean Talon à développer des chantiers maritimes, lui fait exploiter des mines et des forêts. Surtout, il l’encourage à s’intéresser à l’agriculture et aux pêcheries (voir Histoire de la pêche commerciale). Rien n’est laissé au hasard pour faire de la Nouvelle-France une colonie autosuffisante et compétitive sur le plan commercial.

Débuts prometteurs

Jean-Baptiste Colbert organise le commerce triangulaire, un type de commerce dit « circuiteux », entre la France, les possessions françaises des Antilles et la Nouvelle-France. Le principe est simple : plus les navires marchands fréquentent de relais pendant leur voyage, plus grand est le profit. Il faut donc créer un réseau où chaque port pourra importer des marchandises, et en exporter à son tour. Les denrées alimentaires seront la pierre angulaire des exportations du Canada. Avec cette politique en tête, Louis XIV ordonne à Jean Talon d'encourager les marchands « avec tout le soin et l'application possible à commencer le commerce par mer, ce qu'ils peuvent faire avec beaucoup d'avantage pour eux en portant aux Isles françaises de l'Amérique, du bois, du poisson salé, des farines, et autres vivres et marchandises du crû du pays, chargeant pour le royaume dans lesdites Isles les sucres, tabacs et autres marchandises nécessaires pour le Canada. »

À l’automne 1667, un vaisseau de la Compagnie des Indes occidentales part de Québec en direction des Îles du Vent (Antilles). Jean Talon en profite pour envoyer du saumon, de l’anguille, de la morue sèche et de la morue verte, des pois, des barils d’huile de loup-marin, des planches, du merrain et des petits mâts de navire fabriqués au Canada (voir aussi Chasse au phoque; Construction navale et réparation de navires). Les marchandises sont vendues aux Antilles, et les bénéfices servent à acheter du rhum, du sucre, de la mélasse, du tabac et du café, à destination de la France. Là encore, les denrées sont écoulées et les profits sont investis pour charger les navires de produits manufacturés, comme du tissu, des armes, du sel et de l’alcool. C’est le début du commerce triangulaire. Dans les années qui suivent, Jean Talon s’affaire à combler les cales des navires partant du port de Québec vers la Martinique avec de la bière, du poisson et, bien sûr, des fourrures (voir Traite des fourrures au Canada).

Age d’or révolu

Jean Talon a été l’intendant de la Nouvelle-France seulement lors de deux courtes périodes: de 1665 à 1668 et de 1670 à 1672. Après son départ, la colonie demeure trois ans sans intendant. Sans les efforts d’un homme capable de porter des projets d’une telle ampleur, la Couronne refuse d’investir dans le développement colonial. Bien que le commerce triangulaire se poursuive en Nouvelle-France, le Canada ne connaît plus le même succès qu’autrefois. En 1739, la colonie ne participe plus que faiblement au commerce triangulaire: la France demeure de loin son principal acheteur. À cette date, 79.9 % des exportations sont destinées à la France, 12.5 % à l’Acadie et à Louisbourg et 7.5 % seulement aux Antilles.

Une autre forme de commerce triangulaire se poursuit toutefois activement en France. Jean-Baptiste Colbert est l’initiateur de l’Édit de mars 1685 sur la police des îles de l’Amérique française, connu plus tard sous le nom de Code noir, un texte juridique de 60 principes réglementant l’esclavagisme dans les Antilles. Progressivement, les réseaux du commerce triangulaire se réorganisent de la France aux Antilles en passant par le continent africain, afin d’exploiter au maximum les profits engendrés par le commerce des esclaves. Le Canada ne constitue pas, dans ce réseau économique, un arrêt obligatoire, bien que le pays importe tout de même des esclaves (voir aussi Esclavage des Noirs au Canada). Ce commerce lucratif se poursuit jusqu’en 1834, où il est officiellement aboli dans tout l’empire britannique, y compris au Canada (voir aussi Abolition de l’esclavage, loi de 1833). Avec l’abolition de la traite des esclaves africains, c’est véritablement la fin du commerce triangulaire au Canada, et ce bien que ce commerce va perdurer ailleurs dans le monde.

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