Éditorial

Alexander Dunn à la bataille de Balaclava

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

Lord Cardigan prend sa place à la tête de la Brigade légère. Il se tient droit sur sa selle, l'allure fière, le regard bleu saphir étincelant. Son heure est venue, car si tous ceux qui le rencontrent le trouvent particulièrement stupide, personne ne doute de son courage. Parmi les officiers arborant ce jour-là le même uniforme écarlate et bleu royal du 11e régiment des Hussards, figure le jeune Alexander Dunn de Toronto. Alors que la trompette joue la marche du départ, il sent son cœur bondir et ses cheveux se dresser sur sa nuque.

Alexander est le fils cadet de John Henry Dunn, le receveur général du Haut-Canada, dont la fortune lui permet d'offrir à son fils une commission dans le 11e Hussards.

Dunn est le premier Canadien décoré de la Croix de Victoria.

Si la cavalerie britannique se trouve sur la plaine à Balaclava, c'est que la Russie veut devenir une puissance maritime et que la Grande-Bretagne et la France entendent l'en empêcher. Ces deux pays ont envoyé leurs troupes après l'attaque de la Turquie par la Russie.

Après quelques succès, les Britanniques se trouvent en position difficile en Crimée. Leur campement, d'où ils assiègent Sébastopol, surplombe une plaine. En bas, leur accès au port de Balaclava longe une crête exposée qui sert de pont-jetée.

À l'aube du 25 octobre 1854, les Russes attaquent et subjuguent les forces turques campées sur la crête. La cavalerie lourde britannique sauve la situation grâce à une attaque spectaculaire contre des forces beaucoup plus nombreuses, un exploit qui passera inaperçu, occulté par le désastre à venir.

De son point d'observation très au-dessus de la plaine, le commandant des forces britanniques, Lord Raglan, est stupéfait de voir d'autres Russes apparaître subitement sur la crête. Un attelage de chevaux doit les aider à prendre les canons navals qui défendaient la crête. La capture de canons symbolise la victoire, et Lord Raglan est bien décidé à l'empêcher. Il griffonne son célèbre ordre : « Lord Raglan enjoint à la cavalerie de se rendre rapidement au front. » Son aide de camp dévale la pente et remet l'ordre à Lord Lucan qui le trouve confus et absurde. D'où il est, il ne peut voir ni les Russes ni les canons. « Attaquer, Monsieur? Attaquer quoi? Quels canons, Monsieur? », demande-t-il. D'un mouvement frénétique, l'aide pointe furieusement, non pas la crête, mais par-delà la vallée Nord où la cavalerie russe est rassemblée derrière une batterie de canons et une infanterie massive.

C'est un épouvantable dilemme pour Lucan. Il déteste profondément Lord Raglan et ne pense guère mieux de cette forte tête de commandant de la Brigade légère, Lord Cardigan, à qui il finit par transmettre l'ordre.

Alors que Lord Cardigan mène ses hommes dans ce que le poète Alfred Lord Tennyson baptisera la « vallée de la mort », des tirs abondants proviennent des hauteurs de chaque coté. Lord Cardigan avance comme s'il traversait un terrain de parade jusqu'à ce que les hommes n'y tiennent plus. Déchaînés par le massacre de leurs camarades, ils se lancent dans une charge furieuse, pourchassant l'ennemi comme de véritables démons.

Au fur et à mesure que le feu nourri atteint leurs rangs, soldats et chevaux s'écroulent et les encouragements sont étouffés par les cris de mort. Dunn ordonne à ses hommes de « fermer les rangs ».

Par quelque miracle, Lord Cardigan dépasse nonchalamment les canons et fait demi-tour. Il continue sans jamais se retourner, abandonnant ses hommes à leur destin.

Finalement on entend : « Chacun pour soi! » La batterie est une masse pitoyable de morts et de mourants. Ce qu'il reste du 11e Hussards lance une dernière charge désespérée. La conduite héroïque de Dunn inspire tous ceux qui se battent à ses côtés. Il sauve la vie de deux hommes, transperçant leurs assaillants de son sabre.

La charge de la Brigade légère à Balaklava, en 1854.

Sur les 670 cavaliers qui sont entrés dans la vallée, 198 en ressortent vivants.

Le blâme de l'anéantissement de la Brigade légère est largement réparti sur les épaules des responsables, tout particulièrement sur celles de Lord Raglan, dont l'ordre ambigu a tout déclenché. Ni Lucan ni Cardigan n'ont eu la présence d'esprit de s'y opposer. À l'époque, Cardigan est porté aux nues par le public. La veste en laine qu'il portait en Crimée est copiée et baptisée « cardigan ». Plus tard, son indifférence envers ses hommes symbolisera les ratées du système de commandement britannique.

La reine Victoria est tellement émue par le sort de ses hommes en Crimée qu'elle fait don d''une nouvelle médaille à son nom pour reconnaître le courage sur le champ de bataille. Arborant sa Croix de Victoria - la première remise à un Canadien - Dunn est accueilli en héros à son retour. Il mourra plus tard dans un accident de chasse à Senufe, en Éthiopie.