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Biographie de langue française

La biographie est l'étude d'une vie. Elle se veut une mise en lumière d'une personnalité et l'analyse d'une oeuvre individuelle en relation avec l'époque à laquelle elle se rattache. Au Canada français, la biographie a toujours joui de la faveur populaire.

Biographie de langue française

La biographie est l'étude d'une vie. Elle se veut une mise en lumière d'une personnalité et l'analyse d'une oeuvre individuelle en relation avec l'époque à laquelle elle se rattache. Au Canada français, la biographie a toujours joui de la faveur populaire. Pour un peuple d'instruction limitée et dont le niveau de vie était peu élevé jusqu'à tout récemment, ce genre littéraire a longtemps été, sous sa forme la plus élémentaire, le seul à trouver place dans les maigres bibliothèques privées et publiques.

Au sein de l'élite québécoise, et particulièrement chez les historiens, la biographie connaît des moments de faveur et de disgrâce. Son histoire va de pair avec celle des idéologies. En traçant le cours de son évolution, on peut donc retrouver les grands courants qui ont marqué la société canadienne-française depuis deux siècles. Avant de s'engager dans la voie du souci de la rigueur scientifique et de la fidélité aux événements, la biographie s'est prêtée à la démonstration des vertus et à la diffusion de messages idéologiques, dont la défense de la cause nationaliste.

Les premières biographies

Les « vies édifiantes », vulgarisées ou nettement déformées, constituent la première production biographique au Canada français et tiennent une place importante dans l'histoire de la littérature québécoise. Jusqu'en 1880 environ, la biographie se rapproche davantage de l'hagiographie médiévale que de la biographie proprement dite. À partir de 1840, l'Église catholique québécoise entreprend l'ascension qui lui donnera la main haute sur la société pendant au moins un siècle. Elle cherche ainsi à consolider ses assises sur deux fronts.

D'abord, sur le plan intérieur, elle cherche à augmenter son pouvoir et à inculquer à la population un système de valeurs conforme à sa vision de la société. Sur le plan extérieur, elle tente de démontrer sa force et sa crédibilité auprès de Rome. Dans cette optique, la reconnaissance, officielle ou non, de la sainteté de certains personnages ne peut que renforcer sa position, d'où l'intérêt des clercs pour la biographie des fondateurs de l'Église canadienne.

Ce n'est sans doute pas un hasard si La Vie de Mme d'Youville (1852) d'Étienne Michel Faillon paraît au moment où la béatification de cette dernière est à l'étude à Rome. Cela se produit de nouveau lorsque Faillon publie les biographies de Soeur Bourgeoys (1853), de Jeanne Mance (1854) et de Jeanne Le Ber (1860).

Dans la plus pure tradition médiévale, les biographies de Faillon mettent en relief Dieu et son oeuvre en Nouvelle-France beaucoup plus que le personnage historique lui-même et son rôle créateur. Faillon fait sienne la conception qu'a le clergé de l'histoire, à savoir que celle-ci doit rappeler le souvenir des « bons », de ceux qui se sont conformés aux valeurs sociales et chrétiennes, et qui peuvent servir de modèles.

Avec un peu plus de talent, Henri-Raymond CASGRAIN s'inscrit dans la même lignée que celle de Faillon, et son Histoire de mère Marie de l'Incarnation (1864) constitue le plus grand succès de librairie au Canada français à la fin du XIXe siècle. Quant à la Vie de Mgr Laval (1890), écrite par Auguste Gosselin, elle vise avant tout à défendre la cause de l'ULTRAMONTANISME en soulignant les droits acquis, réels ou supposés, de l'Église du Québec et en insistant sur l'importance de ses liens avec Rome. Elle nourrit une pensée déjà très conservatrice.

Même si une faible proportion de la population peut lire ces biographies, leur influence dépasse largement leurs lecteurs. Par le biais des sermons et de l'enseignement, elles finissent par atteindre la masse et favorisent le recrutement des prêtres et la création de nombreuses communautés religieuses. Les diverses biographies publiées au XIXe siècle sont donc un moyen d'exercer une emprise sur la société, qui rejoint le peuple par l'entremise de l'élite.

La fin du XIXe siècle

La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle voient apparaître et foisonner les premières biographies proprement dites. Désormais bien établie, l'Église du Québec, associée à l'élite bourgeoise, s'attache à préserver les assises économiques, culturelles et sociales du Canada français. À cette fin, l'idéalisation d'un passé glorieux et d'un mode de vie exemplaire renforce l'idéologie de la survivance. Apparaissent alors les héros nationaux et les biographies de laïques, d'hommes politiques, d'explorateurs et de militaires qui viennent enrichir une littérature qui déjà amplifiait le patrimoine historique. L'histoire canadienne-française se veut alors une suite de vies de héros, illustres ou obscurs, qui ont tous pratiqué les vertus de leurs ancêtres, jugés exceptionnels.

La première de ces biographies est celle écrite par Joseph-Edmond Roy, Le Premier Colon de Lévis, Guillaume Couture (1884). D'inspiration populiste, elle exalte la rude vie du défricheur et la pureté du monde rural. On y retrouve les deux thèmes que Michel BRUNET mettra en lumière 100 ans plus tard : l'agriculturisme et le messianisme. L'oeuvre est aussi d'avant-garde en ce sens qu'au lieu de valoriser la soumission, elle laisse voir que les Canadiens français peuvent pallier les conséquences de la CONQUÊTE.

Il est intéressant de constater que la plupart des biographies de cette période traitent de personnages antérieurs à la Conquête. Jacques Cartier, Samuel de Champlain, le sieur de Maisonneuve, Louis Jolliet, Jean Talon, le marquis de Montcalm et François Lévis font tous l'objet d'une biographie. Dans chacune, on retrouve le triptyque particulier à la société québécoise de l'époque : la croix, la charrue et l'épée. Se rappeler un passé glorieux par l'intermédiaire de ces héros idéalisés est en quelque sorte une façon de dissimuler la situation réelle d'infériorité des Canadiens français, tout en justifiant la conservation des valeurs léguées par ces hommes illustres.

C'est aussi, d'une certaine façon, une réponse au RAPPORT DURHAM : à défaut d'avenir, les Canadiens français ont une histoire, un passé. D'ailleurs, la parution de ces biographies correspond très souvent à l'érection d'un monument à la mémoire de ces personnages, contribuant ainsi à ancrer cette conviction.

Trois grands auteurs

Parmi les auteurs de ces biographies, trois se détachent nettement tant par la quantité que par la qualité de leurs publications : Henri-Raymond Casgrain avec son Marie de l'Incarnation (1864), Narcisse-Eutrope Dionne avec Samuel Champlain (1891-1906), et Thomas CHAPAIS avec Jean Talon (1904) et Le Marquis de Montcalm (1911). Tous trois sont des ultraconservateurs et des représentants de l'ancienne société rurale aristocratique et cléricalisée. À une époque où s'amorcent des changements économiques et sociaux, leur exaltation du passé se veut aussi le refus de ces transformations.

Même si les biographies de cette période se tournent vers un passé religieux appuyé par une nostalgie du Régime français, quelques biographes orientent leurs analyses vers la politique, deuxième constituante de la pensée canadienne-française traditionnelle. Le mythe du leader inspire les biographies de Laurent-Olivier David sur Les Patriotes de 1837-1838 (1884) et Laurier et son temps (1919), tout comme celles d'Alfred Duclos DeCelles sur LaFontaine (1907), Cartier (1913) et Laurier (1920).

Ces deux biographes endossent des idéologies opposées : David incarne la pensée libérale purifiée du tournant du siècle, tandis que DeCelles appartient au nationalisme conservateur et conciliant avec l'idée de la Confédération. Ils se rejoignent cependant dans leur admiration pour les hommes politiques solides. Ils en font de nouveaux héros, même si une quantité imposante d'archives permettent d'en tracer un portrait plus réaliste et moins idéalisé.

Après la Première Guerre mondiale

Après la Première Guerre mondiale, qui correspond à l'entrée du chanoine Lionel GROULX sur la scène historiographique, la biographie adopte un ton nouveau. Elle reste moralisatrice et romantique, et elle tient peu compte des fondements historiques. Par exemple, Groulx écrit lors d'une polémique sur Dollard des Ormeaux : « Je voue mon admiration et mon culte à ces 17 jeunes gens du Long-Sault, dont le souvenir retrouvé vers 1920 a véritablement exalté une génération et lui a fait une atmosphère de fierté française ».

Ce qui change, c'est l'objet de ce genre littéraire et son orientation. Les héros ne sont plus seulement des hommes pieux et vaillants, soumis à Dieu et à l'autorité, mais des guerriers qui combattent et qui n'acceptent pas passivement le destin. Dollard des Ormeaux, Madeleine de Verchères, d'Iberville et La Vérendrye ne sont d'ailleurs que quelques exemples. Pour Groulx et ses disciples, il ne s'agit plus seulement d'assurer la survivance, mais bien de revendiquer et de reconquérir les droits et la fierté du peuple canadien-français, ébranlée par 150 ans de cohabitation avec le Conquérant.

Dans cet esprit, plusieurs historiens cherchent à faire valoir les ténors des luttes constitutionnelles du XIXe siècle. Louis-Hippolyte LaFontaine, George-Étienne Cartier et Honoré Mercier font l'objet de plusieurs études. C'est ici que trouve place l'oeuvre monumentale de Robert RUMILLY, laquelle comprend de nombreuses biographies, les plus importantes étant Mercier (1935), Mgr Laflèche et son temps (1936), Henri Bourassa (1953) et, en particulier, l'Histoire de la Province de Québec, à laquelle il donne un aspect biographique en attribuant à chaque volume, en guise de titre, le nom d'un personnage marquant de l'époque traitée. Cette série constitue en fait une galerie de personnages, grands ou communs, qui sont jugés à la vigueur de leur nationalisme et de leurs luttes pour les droits du Québec.

Fait symptomatique, au cours des années 20 à 50, on accorde une plus grande attention aux périodes autres que le Régime français, même si les biographies les plus remarquables portent encore sur celle-ci. C'est l'époque où Guy FRÉGAULT, disciple de Groulx et tenant de l'école néonationaliste, publie Iberville le conquérant (1944), François Bigot (1948) et Vaudreuil (1952). Ce sont là des biographies rigoureuses, qui font l'unanimité auprès de la critique et qui auraient pu consolider le genre si elles n'étaient arrivées au moment où les SCIENCES SOCIALES connaissaient une réorientation.

Après la Deuxième Guerre mondiale

En effet, après la Deuxième Guerre mondiale, la biographie connaît au Québec comme en France une période de disgrâce, surtout dans les milieux intellectuels. Les nouveaux courants historiographiques, en mettant l'accent sur l'économie et la sociologie, relèguent les personnages au second plan de l'histoire. De plus, l'approche quantitative inspirée de la sociologie américaine, qui présente comme irrationnel, voire ridicule, l'intérêt porté aux personnalités, influence profondément l'historiographie du Québec et éloigne les historiens du genre biographique. Cette vision négative de la biographie est renforcée par l'antiduplessisme et l'anticléricalisme qui assimilent, non sans raison d'ailleurs, la biographie traditionnelle au nationalisme conservateur et à la domination de l'Église catholique.

À la fin des années 60

Cependant, à la fin des années 60, le genre biographique revient en force au Québec comme dans le monde occidental, mais sous une forme et avec un contenu différents. La biographie fait la preuve qu'elle peut être et qu'elle est devenue une contribution de première importance à la connaissance historique. Depuis lors, de nombreuses biographies, solides et sérieuses, apportent les connaissances et les analyses ponctuelles, essentielles et préalables à l'élaboration de toute synthèse de qualité. C'est une histoire scientifique, mais incarnée, beaucoup plus révélatrice que la froide monographie qui trop souvent simplifie questions et réponses.

Dans cette nouvelle biographie, on met en relief non plus seulement le personnage, mais aussi le groupe, la classe ou l'idéologie qu'il représente, de même que l'esprit du temps qu'il a contribué à bâtir. Ce personnage appartient à un monde économique, social et culturel tout autant que religieux et politique. La nouvelle biographie vient donc au secours de l'histoire globale.

Plusieurs noms sont ici dignes de mention. Il y a, entre autres, Pierre Savard avec Jules-Paul Tardivel (1967), Henri Masson avec Joseph Masson (1972), Robert Rumilly avec Maurice Duplessis et son temps (1973), Nive Voisine avec Louis-François Laflèche (1979), Brian Young avec George-Étienne Cartier (1982), Andrée Désilets avec Hector-Louis Langevin (1969) et Louis-Rodrigue Masson (1985), Réal Bélanger avec Albert Sévigny (1983), Jean-Paul de Lagrave avec Fleury Mesplet (1985), ainsi que les nombreux collaborateurs du DICTIONNAIRE BIOGRAPHIQUE DU CANADA/DICTIONARY OF CANADIAN BIOGRAPHY et du Dictionnaire des Oeuvres littéraires du Québec.

Il est évident qu'après l'avoir délaissé pendant presque un quart de siècle, les historiens redécouvrent les attraits et la valeur réelle du genre biographique. Pour ce qui est du grand public, il n'a jamais été aussi friand de biographies, qu'elles soient scientifiques ou romancées. Le succès foudroyant qu'ont connu au Québec les séries télévisées sur D'Iberville, Riel et Duplessis démontre que la biographie peut répondre tant au goût du public qu'aux exigences de l'histoire.