C’est la fin de la seconde ère McQueen. La première s'est clôturée en 2010, au décès tragique du fondateur, Lee Alexander McQueen, génie de la mode à jamais inscrit dans l’Histoire comme l’un des plus brillants, toute génération confondue. Le créateur s'est donné la mort, laissant la mode endeuillée. Reste que dans une industrie aux allures d'instoppable machine, il faut continuer. La tristesse fait place à l’interrogation ultime sur qui aura les épaules pour passer après le maître. C’est Sarah Burton qui est choisie, dans l’indifférence du grand public, pas des proches de la maison. Depuis 1996 et son entrée comme assistante au sein de la maison, elle n’a jamais quitté le fantasque mais torturé couturier. Le choix est celui de la continuité et surtout celui de la légitimité. Burton doit porter la torche et le fera avec succès.
Sarah Burton, la relève incarnée
La tâche du premier défilé de l’après semblait insurmontable. On sera pourtant sur du brio. Au sol, les planches sont celles d’un cercueil où, entre, l'herbe a poussé. Avant le début du défilé, la bande son reprend des bruits de corde, une référence macabre à la pendaison du fondateur que lui-même aurait adorée. La presse encense la vision poétique d’une Sarah Burton qui ne cessera d’ajouter de la féminité à l’univers onirique et cauchemardesque de cette désormais institution britannique. En 2011, elle reçoit l’honneur suprême d’inscrire son nom et celui de la maison dans les livres d’Histoire en dessinant la robe de mariée de Kate Middleton : la consécration est ultime.
Burton poursuit sa vision tout en revisitant l’héritage. Les derniers défilés ne font peut-être pas le bruit des œuvres XXL du défunt désigner, les changements de ville pour montrer les collections laissent parfois perplexe mais Burton montre et démonte toujours une perfection dans la construction couplée à un sens du drame, récompensée par de nombreux prix. Les détracteurs s’en donnent à coeur joie, vilipendant des baskets à plateforme devenues it-shoes (comme si, avec son foulard à têtes de mort, McQueen aussi ne s’était pas adonné aux joies de l’accessoire commercial) ou une ligne parfois répétitrice plutôt qu’à une réinvention totale saison après saison. En 2023 et à l’heure d’une surconsommation effrénée - déjà décriée par McQueen lui-même dans son show de 2009 “Horn of Plenty” - ce choix mérite pourtant d’être considérée. Reste que le travail de Sarah Burton est celui d’une rare précision et d’une grande beauté, de quoi rendre encore plus surprenante l’annonce, ce 11 septembre, de son départ par le groupe Keyring.
La créatrice Sarah Burton fait ses adieux à McQueen
Décision commune, choix marketing, le mystère plane. Dans le communiqué, François Henri Pinault remercie personnellement la créatrice qui déclare, elle : “Je suis très fière de tout ce que j'ai fait et de mon incroyable équipe chez Alexander McQueen. Ils sont ma famille, et c'est ici que j'ai vécu ces 26 dernières années. (...) Je tiens avant tout à remercier Lee McQueen. Il m'a tant appris et je lui en serai éternellement reconnaissante.” Quant à la suite, elle sera étudiée de près par l’industrie. Sarah Burton est tellement synonyme de McQueen qu’on l’imagine mal autre part mais qui sait… D’autres marques attendent désespérément un âme qui pourrait leur redonner de la splendeur. Chez McQueen aussi, le destin est plein d'incertitudes. “La nouvelle organisation créative de la maison sera annoncée en temps voulu”, nous explique-t-on. On murmure des noms, dont celui d’Alessandro Michele, récemment remercié de Gucci, autre joyaux du même groupe de luxe en pleine mutation (comme le rappelle la journaliste Vanessa Friedman dans un tweet). Ce qui est sûr, c’est que faire rentrer un nouveau visage à la tête de la création sera périlleux. Le designer a ses adeptes, ses fidèles et ses admirateurs, mais entre penser pouvoir faire du McQueen et savoir le faire, il y a un monde. En attendant, Sarah Burton présentera son ultime vision le 30 septembre prochain à 18h30 durant la Fashion Week de Paris où, on l’espère, elle recevra l’ovation qu’elle mérite.