Du tailoring et des slips avec un trou désormais signature. Louis Gabriel Nouchi s’en amuse, que deux pièces si différentes soient devenues ses hits. Mais le jeune créateur a l’habitude des grands écarts : subversifs mais désirables, audacieux mais accessibles… LGN Louis Gabriel Nouchi, c'est tout ça à la fois ! Avec son inclusivité au sexy assumé, portée par une pléiade d’hommes aux masculinités variées, le label a gagné une solide réputation, aussi bien lors des Fashion Weeks masculines, où le créateur est un rendez-vous incontournable, qu’auprès d’une communauté fidèle de clients et clientes. Après cinq ans d’existence, la marque qui compte déjà une boutique, continue une ascension couronnée d’une récompense de taille, le prestigieux grand prix de l’Andam, en 2023. Une validation que le designer de 36 ans, formé à La Cambre, entend comme la confirmation qu’il est sur la bonne voie. Ce 18 janvier, il présente sa collection automne-hiver 2024, inspirée par Bel Ami de Maupassant, un ouvrage littéraire point de départ, comme à chaque fois. Quelques semaines avant, au début de cette nouvelle année, il nous recevait dans son atelier pour nous exposer sa vision, une dont on risque encore d’entendre beaucoup parler.

Notre interview de Louis Gabriel Nouchi

Ta marque est un label menswear. Comment tu es arrivé sur ce créneau ?

Parce que je pouvais essayer ce que je faisais. Je me suis toujours dit : ‘Écoute, tu n’es peut être pas un génie mais au moins, ce que tu fais, ce sera bien fait”. Ce qui est très satisfaisant en mode, c’est que c’est un métier manuel où tu vois tes progrès : tu vois que, plus tu fais, mieux tu patronnes, mieux tu montes les pièces… Pour moi, c’est naturel de me dire que, même si je suis toujours dans le fantasme, je peux vérifier que tout est ok en essayant les modèles. Même si on est très engagé et qu’on porte des valeurs fortes, je tiens à ce qu'on fasse des vêtements destinés à être portés.

Mais tu ne négliges pas le côté artistique…

On a un propos qui est très cérébral avec un postulat de marque qui est très particulier. On parle de littérature, chaque collection est un livre…

Comment est venue cette idée ?

Ça a toujours été là parce que je lis énormément. Ce que j’aime bien, c’est de me donner des références qui sont personnelles. Tu peux partir d’un film mais forcément, ça t’indique des choses puisque tu as un cadre visuel. Quand tu lis un livre, tu imagines les personnages, les scènes… Le livre permet de me donner un cadre mais un cadre qui est cool. Le vêtements a toujours été là. Il y a des pièces qui sont présentes depuis les débuts, comme le trou à l’encolure. On a eu du permanent très tôt pour une marque très jeune. L'enjeu a ensuite été d’être clair en communication et de trouver le bon ton. Étrangement, c’est l’underwear qui nous a permis de le faire.

Les sous-vêtements ?

Oui ! Déjà parce que c’est une pièce que je n’aurais jamais pensé faire, moi qui ait plutôt été formé en tailoring. Ça a commencé au printemps-été 2021, la collection Covid sur "L’Etranger" d’Albert Camus, qui me tenait beaucoup à cœur. Il y a un film de Visconti avec Mastroianni où il porte des maillots de bain années 1930. On s’est dit : on va les couper en deux et mettre notre trou signature sur le débardeur et sur le slip. On a fait ça un peu comme une blague au début. Ce n’était pas proposé en vente mais les gens ont trouvé ça super. On a décidé de le sortir et de le sortir bien. Quand est venu le moment du shooting, j'ai réalisé que je n'allais avoir rien d’autre sur l’image qu’un mec en slip. Ça parait bête mais c’est beaucoup plus dur à faire bien qu’un lookbook. On se dit : “C’est quoi le ton ? Veut-on être commercial, être niche…” Ce qu’on a sorti était vraiment assez juste. C’est grâce à ce produit que j’ai commencé à réaliser l’obsession du corps, c’est pour ça qu’on a eu de l’inclusivité très tôt. Naturellement, j’ai fait juste des looks avec juste de l’underwear, porté par des clients. La marque a commencé à beaucoup vendre en ligne pendant le Covid et les gens nous ont naturellement envoyé des photos d’eux avec les pièces. C’est grâce à eux que l’on fait tout ce que l'on peut faire. Tout cela a été très naturel.

Écouter le client, c’est nécessaire ?

Évidemment. Par exemple, on a toujours eu des femmes qui sont venues chez nous, même si on ne faisait pas de womenswear. C’est pour cela qu’on a d’abord commencé à faire du XS. Là, sur le show automne-hiver 2024, on a décidé d’introduire des pièces femmes. Elles sont pensées pour rendre exactement pareil que sur les silhouettes masculines : un vrai casse-tête de patronage.

Dans tes collections, il y a une véritable sensualité, même une sexualité, d’abord quelque chose d’assez rare dans le monde du menswear. Comment ça t’es venu, toi, d’intégrer cela dans tes collections ?

Au début, on parlait plutôt de sexualité, car dans le milieu de la mode, on est tellement habitué à avoir une ouverture d’esprit qu’on a tendance à oublier que ce n’est pas le cas pour 95% des gens. Il faut rappeler que parfois, tu te fais insulter dans la rue, que tu as peur parfois de tenir la main de ton mari, que tes potes trans se font agresser, ou même juste qu’on a toujours pas l’égalité des salaires. Je pense que c’est important d’en parler. Si le corps de la femme a toujours été sexualisé pendant des millénaires, pourquoi pas celui de l’homme ? C’est ça aussi l’égalité. Moi, je ne me retrouvais pas du tout dans la représentativité des corps dans la mode homme. Déjà, pourquoi tu ne peux pas simplement mettre des hommes avec des poils ? Je voulais faire appel à des personnes qui fassent envie en tant que clients, qu’on puisse se projeter. (...) J’ai vu que ça provoquait quelque chose, que juste montrer des torses poilus, de la sueur, des corps pas anorexiques, ça me plaisait, ça ouvrait des conversations ! (...) Puis, on a décidé de s’intéresser à la sensualité. C’est plus difficile de trouver comment communiquer ce sentiment là à l’homme. C’est aussi venu aussi parce qu’on a toujours eu des mains très fluides sur les tissus, de la transparence… On continue à explorer cette facette et en somme, toutes les facettes de la masculinité.

Pour finir, on est obligé de parler du prix de l’Andam que tu as gagné…

Oui ! Déjà, j’étais juste super heureux de pouvoir présenter le travail que l’on fait avec mon équipe depuis cinq ans devant un tel jury. C’est quand même un prix assez fou, qui est en plus public, ce qui est très important pour moi. C’est une vraie institution. J’étais très fier d’avoir un tel jury . Rien que d’avoir un feedback c’était déjà fou, alors être soutenu… (...) Les mentorats qu’on a avec ce prix sont vraiment dingues. C’est un soutien et une reconnaissance mais en même temps, si ça te booste et dit qu’on est sur la bonne voie, ça rappelle qu’il ne faut pas se disperser. C’est des encouragements mais il faut rester encore plus sérieux !

Le futur, tu l’imagines comment ?

On a plein de challenges. On est en expansion, c’est le moment de faire plein de choses. Pas forcément des sujets très glamour que tu dis en presse, sur de la logistique par exemple… On est l’incarnation du système capitalisme, alors c’est à nous, en tant que jeune marque, d’allier ça avec des intentions sincères en termes de sustainability, mais pas pour le marketing. C’est des sujets sur le packaging, le marketing, comment tu es en circuit court, comment tu envisages ta boite avec des valeurs sociales. Je suis peut-être naïf sur le sujet mais je crois vraiment que c'est possible.