Où est passé Jérôme Jarre ? L'histoire d'une désillusion

Le documentaire "#LoveArmy : où es-tu Jérôme ?" est composé de cinq épisodes de trente minutes, disponibles sur Amazon Prime. ©AFP - DIMITRIOS KAMBOURIS
Le documentaire "#LoveArmy : où es-tu Jérôme ?" est composé de cinq épisodes de trente minutes, disponibles sur Amazon Prime. ©AFP - DIMITRIOS KAMBOURIS
Le documentaire "#LoveArmy : où es-tu Jérôme ?" est composé de cinq épisodes de trente minutes, disponibles sur Amazon Prime. ©AFP - DIMITRIOS KAMBOURIS
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Deux ans après le lancement de projets humanitaires d'envergure, l'influenceur Jérôme Jarre disparaît. Qu'est-il donc advenu du jeune créateur de contenu ? Charles Villa, dans son documentaire "#LoveArmy : Où es-tu Jérôme ?", a mené l'enquête.

Ce mercredi 20 mars 2024 sort "#LoveArmy : Où es-tu Jérôme ?" sur la plateforme Amazon Prime. Le documentaire qui revient sur l'action humanitaire menée par l'influenceur français Jérôme Jarre, jeune homme star du feu réseau social Vine. Une plateforme qui proposait des vidéos humoristiques de six secondes : un rythme utra-rapide, à l’image de l’ascension du jeune vingtenaire, à l'époque suivi par plus d’un million de personnes. Une folle notoriété qui lui ouvre les portes d’Hollywwod et les plateaux des grands late shows.

Mais en 2017, l’argent et les paillettes ne lui suffisent plus. En quête de sens, il se lance dans une grande opération humanitaire pour lutter contre la famine en Somalie. Il fonde la "Love Army" : une armée de l’amour fédérée grâce à son importante communauté en ligne. Sur Twitter, il initie un hashtag et monte une campagne de dons épaulée par des vedettes comme Ben Stiller. En quelques jours, il récole 2,3 millions d’euros. Une somme colossale qui défie tous les modèles de campagnes humanitaires classiques.

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Il incarne alors la face lumineuse des réseaux sociaux : des outils qui permettent de réunir des gens du monde entier autour d’une noble cause. Quelques mois plus tard, il réitère l'initiative en défendant le sort des Rohingyas, minorité musulmane chassée de Birmanie. Il se rend dans les camps du Bangladesh avec les plus influents créateurs de contenu : Natoo, Mister V ou encore des stars intouchables comme Omar Sy. En très peu de temps, la campagne menée sur les réseaux obtient des millions d’euros.

Le vœu du jeune influenceur : ébranler le milieu humanitaire comme Uber a cassé le marché des taxis, ou Airbnb celui de l’hôtellerie. Animé d'une mission quasi divine, il veut aller vite et résoudre la misère du monde avec son smartphone.

Un dur retour au réel

Seulement, rien ne se passe comme prévu. C'est ce que révèle la série documentaire en dévoilant les dessous de l’épopée numérique. En mai 2018, Jérôme Jarre quitte le terrain et n’y remet jamais les pieds, au grand désespoir des équipes présentes sur place, livrées à elles-mêmes. Les associations locales embauchées par la "Love Army", ne répondent pas à la commande, la construction des écoles ainsi que des maisons est en partie défectueuses, et les chiffres annoncés sont largement gonflés.
La "Love Army" a collaboré avec des organisations internationales telles que IHH, une association turque proche du président Erdogan à la réputation très entachée : on soupçonne la structure de soutenir des groupes terroristes.

De janvier 2020 à mi-2022, Jérôme Jarre disparaît des réseaux. Une coupure qui inquiète ses proches : ils craignent pour sa santé mentale. "Où es-tu Jérôme ?", se demande le réalisateur Charles Villa. En guise de réponse, il n’obtiendra qu’un mail sans explications convaincantes. Entre-temps, Jérôme Jarre a publié le rapport d’activité de son action humanitaire. Un bilan incomplet, proche de la plaquette publicitaire.

Cette histoire fascinante raconte la naïveté d’un jeune homme qui pensait pouvoir acheter une île pour l'offrir aux Rohingyas persécutés. Elle témoigne de la puissance de la mobilisation numérique qui peut, en quelques jours, générer plus d’argent qu’une ONG établie depuis cinq ans. Elle éclaire le sentiment de toute puissance et la fragilité d’un influenceur qui cherche à changer le monde et incarne, à sa manière, les troubles de l’époque.

58 min

Suite à la publication de la chronique, Jerôme Jarre a souhaité réagir

Le créateur de contenu conteste la façon dont le documentaire dépeint ses actions. Il explique que la "Love Army" était une mission de levée de fonds, ensuite délivrés à des associations sur place. "Quand les assos avaient fini d’utiliser les dons, je n’avais plus aucune raison de rester" explique-t-il, pointant une "dramatisation de la réalité". 
"Vous pensez que réellement, j'étais manager d’équipe humanitaire ?", ajoute-t-il. 
"Je suis resté sur place pour identifier les associations à qui nous allions donner. Point. Ces assos savent très bien se manager elles-mêmes. Si nos traducteurs rohingyas se sont sentis à l’abandon dans le camp après la fin de la mission", c’est lié à "leur situation/au camp".

L’influenceur précise aussi que les associations locales embauchées par la "Love Army" ont bien répondu à la commande et qu’il en est "très fier". Quant aux constructions, "évidemment qu’elles étaient imparfaites" s’exclame-t-il. "C’est un camp hardcore de réfugiés. […] Plus grand camp de réfugié du monde. Urgence ultime de 700 000 personnes qui ont besoin d’hébergements dans l’extrême. Avec par-dessus tout un gouvernement bangladeshi qui interdit toute construction durable. On avait que le droit de faire construire avec des matériaux de base, et avec ce qui était disponible. Les assos ont fait du mieux qu’elles pouvaient" dans le "contexte de l’époque".

Pour ce qui est des chiffres, il affirme qu’ils n’ont pas été gonflés, mais que "la stratégie devait souvent être modifiée". "Quand on a par exemple compris que le gouvernement n’autorisait pas réellement les écoles à avoir des vrais cours, on a annulé le plan de construction d’écoles et fait plus de logements à la place. […] C’est grand ce qui a été fait par les associations, et ça excelle de loin les objectifs du départ."

Enfin, s’il a collaboré avec IHH, Jérôme Jarre explique que c’était uniquement parce qu’elle était "la seule association" à pouvoir faire "de très belles maisons dans le camp à ce moment-là."
"C’est la plus grosse association turque." appuie-t-il, "l*'une des plus grosses asso du monde. Les résumer aux rumeurs de mal utilisation de leurs fonds dans des pays/contextes différents, c'est faire un amalgame pour rien. Ils ont fait un super boulot et les humanitaires qu’on a rencontrés étaient de gros bosseurs, très pros. Si je ne devais donner les fonds qu’à des assos parfaites qui n’ont aucune casserole aux fesses, je pense qu’on serait toujours à attendre d’en trouver une*." Le jeune homme plaide pour plus de "réalisme" et précise que son rapport d’activité était complet, à "l’euro près".

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