Front national, 1972. Naissance d’un parti d'extrême droite : épisode • 4/4 du podcast Histoire de l’extrême droite, des ligues au Front national

7 novembre 1972, premier meeting du FN à La Mutualité à Paris. À la tribune : P. Durand, P. Bousquet, F. Brigneau, J.-M. Le Pen, R. Holeindre et A. Robert. ©Getty - Alain Nogues/Sygma/Sygma via Getty Images
7 novembre 1972, premier meeting du FN à La Mutualité à Paris. À la tribune : P. Durand, P. Bousquet, F. Brigneau, J.-M. Le Pen, R. Holeindre et A. Robert. ©Getty - Alain Nogues/Sygma/Sygma via Getty Images
7 novembre 1972, premier meeting du FN à La Mutualité à Paris. À la tribune : P. Durand, P. Bousquet, F. Brigneau, J.-M. Le Pen, R. Holeindre et A. Robert. ©Getty - Alain Nogues/Sygma/Sygma via Getty Images
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Fondé en 1972, le Front national rassemble divers courants de l'extrême droite parmi lesquels un ancien SS, un ancien de l'OAS et d'anciens poujadistes qui désirent conquérir les foules et s'offrir une vitrine présentable. Son président et candidat Jean-Marie Le Pen en prend rapidement les rênes.

Avec
  • Magali Balent Docteure en science politique, maître de conférences à Sciences Po Paris, spécialiste des extrémismes et des nationalismes en Europe
  • Valérie Igounet Historienne, co-directrice de Conspiracy Watch

Que sont devenus les gens de l’extrême droite après la Seconde Guerre mondiale ? La défaite du fascisme et la sinistre collaboration les avaient poussés à la discrétion (toute relative). Dans les années 1970, trente ans ont passé, et certains se retrouvent, c’est un peu Copains d’avant : ancien Waffen-SS, anciens collaborationnistes, anciens miliciens, anciens poujadistes, anciens de l’OAS, mais aussi anciens résistants (oui, mais quelle résistance ?). Front national, 1972. Généalogie d’un parti d’extrême droite.

Le Front national, la stratégie de l'union des extrêmes droites

Le Front national (FN) est l'émanation du mouvement Ordre nouveau, créé en 1969, qui compte des anciens de la collaboration, de l'Organisation armée secrète (OAS), du mouvement poujadiste, de l'Action française, habitués à pratiquer un activisme violent. "On parle toujours de l'extrême droite au singulier, mais je pense que c'est une erreur parce que cette extrême droite est plurielle. C'est ce qu'on pourrait appeler une forme de nébuleuse", précise Magali Balent, maître de conférences à Sciences Po Paris. La politiste distingue deux courants dans l'extrême droite : "Celui des nationaux rassemble des pétainistes, d'anciens poujadistes, des partisans de l'Algérie française. [C'est] une forme d'extrême droite ultraconservatrice, traditionaliste et attachée à la nation, [qui] véhicule une très forte xénophobie." En parallèle, "le courant du nationalisme révolutionnaire est beaucoup plus proche du fascisme, du nazisme, et véhicule une forme de nationalisme biologique, où la pureté du sang est fondat[rice] et un axe structurant. On [y] retrouve plutôt des mouvements activistes qui ne souhaitent pas participer aux élections." On peut y classer le mouvement Occident ainsi que François Duprat, aux idées antisémites et négationnistes, nostalgique du IIIe Reich et membre d'Ordre nouveau.

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"On était vraiment dans une violence verbale totalement désinhibée. On voulait 'tuer les métèques', 'assassiner les communistes'...", rappelle l'historienne Valérie Igounet à propos de l'activisme de l'Ordre nouveau. Alors que l'extrême droite reste discréditée dans les années 1970, "il [lui] fallait trouver un représentant, une structure politique qui accueille ces groupuscules et qui puissent trouver des slogans, un langage plus propre, plus approprié, [afin de] faire [l']union de [l']extrême droite." Inspirés du parti néofasciste Mouvement social italien, ces mouvements choisissent au tournant de la décennie de présenter un visage plus policé au travers d'un parti et donnent naissance au Front national en 1972.

Le Temps du débat
37 min

Jean-Marie Le Pen, nouveau visage de l'extrême droite

Jugé plus modéré, Jean-Marie Le Pen est choisi comme président et candidat du Front national. Il bénéficie également d'une légitimité électorale, comme le fait observer Magali Balent : "Il a été plusieurs fois député et a participé à l'élection présidentielle de 1965 [en faisant] la campagne de Jean-Louis Tixier-Vignacour." Le Pen, ancien député poujadiste, militant de l'Algérie française et directeur d'une maison de disques qui réédite des chants du IIIe Reich, doit être le représentant d'un projet qui, déjà, est celui de la dédiabolisation.

Dans les premières années du Front national, l'immigration n'est pas un thème central du parti, dont la ligne est bien plus européiste que lors des décennies suivantes. "Dans les années 1960-1970, en pleine guerre froide, toutes [l]es familles idéologiques d'extrême droite se rassemblent dans un violent anticommunisme", note Magali Balent. "Le mot d'ordre de l'extrême droite des nationalistes révolutionnaires, notamment d'Occident, est de défendre l'Occident partout où il se bat. [...] Ces groupuscules sont très favorables à l'Union européenne et même à [une] Europe civilisationnelle. Ils poussent à ce que la nation – ce qui n'est pas le cas de Jean-Marie Le Pen – soit quasiment diluée dans ce vaste empire européen."

Le "coût social" de l'immigration comme ligne politique

Au sein du jeune parti, différents courants parviennent à cohabiter brièvement, mais l'échec du FN aux élections législatives de 1973 et la dissolution d'Ordre nouveau provoquent une scission qui laisse à Jean-Marie Le Pen les rênes d'un parti dont il devient le représentant emblématique. Après un nouvel échec à la présidentielle de 1974, sa ligne politique, insufflée par François Duprat, insiste davantage sur le "coût social" de l'immigration, lui offrant un angle d'attaque qui participe de son succès croissant au fil des scrutins.

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Pour en savoir plus

Magali Balent est docteure en science politique, maître de conférences à Sciences Po Paris, directrice adjointe à la direction académique du Groupe IGS. Elle est spécialiste des extrémismes et des nationalismes en Europe.
Elle est l'autrice d'une thèse intitulée "Les « Français d’abord ». Le discours du Front national sur les relations internationales de sa naissance à nos jours", sous la direction de Philippe Burrin, Institut des hautes études internationales et du développement, 2008.

Valérie Igounet est historienne, co-directrice de Conspiracy Watch.
Elle a notamment publié :

  • (avec Guy Le Besneray), Crayon noir. Samuel Paty, histoire d'un prof, StudioFact éditions, 2023
  • Le Front national : de 1972 à nos jours : le parti, les hommes, les idées, Seuil, 2014

Références sonores

  • Archive de Pierre Poujade, RTF, 1er septembre 1955
  • Archive de Jean-Marie Le Pen, RTF, 29 décembre 1955
  • Archive de Jean-Louis Tixier-Vignancour, ORTF, 19 novembre 1965
  • Archive de Maître Jean-François Galvaire, porte-parole d'Ordre nouveau, RTF, 14 mai 1970
  • Archive d'un reportage sur l'Ordre nouveau réuni à La Mutualité, avec un discours de Claude Joubert, France Inter, 14 mai 1970
  • Archive de François Duprat, 11 juin 1972
  • Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020

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