C'est une fuite sans précédent dans l'Histoire des États-Unis, et elle concerne un droit majeur. D'après un document révélé par Politico dans la nuit du 2 au 3 mai 2022, la Cour suprême des États-Unis menace d'annuler l'arrêt Roe v. Wade, qui assure le droit à l'avortement depuis 1973.

Une attaque frontale et très inquiétante contre la liberté des femmes à disposer de leur corps dans tout le pays.

Menace réelle sur une jurisprudence historique

Cet avant-projet long de 98 pages a été rédigé par le juge conservateur Samuel Alito le 10 février dernier. "[L'arrêt Roe v. Wade] était erroné de façon flagrante depuis son origine. Son raisonnement était incroyablement faible, et la décision a eu des conséquences très dommageables", estime le rédacteur.

Samuel Alito justifie cette potentielle révision du droit à l'avortement par le fait que, de toute façon, l'arrêt historique n'est pas protégé par la Constitution américaine. Ainsi, assure-t-il, le droit à l'IVG n'est pas "profondément enraciné dans l’histoire et les traditions de la nation". Le juge conservateur poursuit : "Loin d’aboutir à un règlement national de la question de l’avortement, [les arrêts, ndlr] Roe et Casey ont enflammé le débat et creusé la division."

Pour rappel, en 1992, la Cour a donné aux états le pouvoir de restreindre l'accès à l'avortement à l'occasion de l’arrêt Planned Parenthood v. Casey. Mais elle a maintenu le seuil de viabilité du fœtus à six semaines de grossesse, empêchant ainsi les législateurs des états fédérés de proscrire l'avortement avant ce délai.

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"Cette opinion qui a fuité est horrible et sans précédent, et elle confirme nos pires craintes... (...) C'est dévastateur. Nous continuerons à nous battre comme jamais pour protéger le droit d'accéder à un avortement sûr et légal", a réagi Alexis McGill Johnson, président de Planned Parenthood, Planning familial américain.

De son côté, le Centre national des droits des femmes aux USA dénonce les mots utilisés dans le texte révélé dans la presse : "le langage scandaleux, irresponsable et choquant. Hillary Clinton, elle, estime que c'est une "attaque directe contre la dignité, les droits et les vies des femmes". L'ancienne candidate à l'élection présidentielle craint que cette décision ne "tue et soumette les femmes alors même que la majorité des Américains pensent que l'avortement doit être légal."

Des frondes anti-IVG dans les états sudistes

Ce que vise cet avant-projet, c'est que l'avortement soit pleinement légiféré état par état, à leur guise. Une telle décision serait catastrophique puisque depuis plusieurs années, des états conservateurs tels que le Texas ou l'Oklahoma multiplient les frondes anti-IVG.
 
"Les Américains continuent d’avoir des points de vue passionnés et largement divergents sur l’avortement, et les législatures des États ont agi en conséquence", peut-on lire dans le texte dévoilé par Politico.
 
En septembre 2021, avec sa "loi SB8", le Texas avait purement et simplement interdit le recours à l'IVG au-delà de six semaines, sans exception prévue en cas d'inceste ou de viol, alors que beaucoup de femmes n'ont même pas encore conscience d'être enceintes. Ce qui inquiétait déjà à l'époque, c'est que la Cour suprême avait validé cette décision, ouvrant la voie à une pluie d'autres restrictions émanant de différents états du pays.
 
Le 14 mars 2022, c'est l'Idaho qui suivait le mouvement, interdisant à son tour l'avortement après six semaines de grossesses, soit après qu'un premier battement de cœur ait été détecté, et prévoyant même une récompense pour les proches qui dénoncent les médecins pratiquant l'IVG passé ce délai. Cette législation ne s'applique pas aux cas de viol et d’inceste, mais seulement si les victimes ont rapporté les faits aux forces de l'ordre.
 
Plus récemment, jeudi 28 avril, les membres de la chambre basse du parlement de l'Oklahoma, dont l’État était devenu le refuge des Texanes souhaitant avorter, ont eux aussi décidé de criminaliser l'avortement après six semaines. Le texte n'a pas encore été définitivement approuvé.
 

La Cour suprême dominée par les conservateurs

Le projet de la Cour suprême peut être négocié jusqu'au 30 juin, puis les neufs magistrats de la cour doivent rendre leur décision au début du mois de juillet. Comme le rappelle un correspondant du Monde, seuls trois juges sont clairement opposés à la révision de Roe v. Wade. Il s'agit de Stephen Breyer, Sonia Sotomayor et Elena Kagan.

En face, six autres magistrats conservateurs, en majorité donc. Trois d'entre eux ont été introduits par l'ancien président Donald Trump, dont la volonté d'une domination conservatrice à la Cour suprême était claire. Tous sont plus susceptibles d'être en faveur d'une juridiction anti-avortement. Un doute persiste concernant John Roberts, président de la Cour suprême et conservateur modéré, dont la position est toujours inconnue.

En 1973, même la majorité des juges conservateurs de la plus haute juridiction américaine s'étaient prononcés en faveur de Roe v. Wade, adoptant l'arrêt à sept voix contre deux. Aujourd'hui, celui-ci est bien en passe d'être balayé.