Une quinzaine d’appartements, dont la moitié dispersée aux 4 coins de l’Hexagone et une poignée éparpillée dans les villes emblématiques des Etats-Unis tels que New York, Los Angeles ou encore San Francisco : c’est le butin immobilier dont peut se vanter Morgane Sézalory, fondatrice charismatique de la marque Sézane qui depuis 10 ans a su séduire le monde entier.

Celle qui s'est lancée via un site internet en 2013 a donc fini par acquérir des espaces physiques qui présentent toutes les collections de la griffe. 

Matériaux aussi raffinés que chaleureux, mobilier dans l’air du temps, objets chinés aux puces ou dans des brocantes : ces boutiques aux allures d’appartements cosy dans lesquelles on se voit emménager s’extirpent des codes traditionnels du retail pour mieux capter une clientèle en quête d’expériences singulières.

Un lieu dans lequel on a presque moins envie d’acheter que de simplement flâner, traduisant en filigrane une tendance observée chez beaucoup de labels nés sur la toile : celle d’exister dans le monde réel, mais pas n’importe comment.

Les boutiques, des lieux pour faire communauté

Sézane n’est pas la seule marque française à avoir quadrillé le territoire en plus d’inonder nos flux Instagram.

Le Slip Français, Veja, Rouje, Polène, Ysé, Balzac, Monsieur Moustache…. Celles que les professionnels du secteur appellent les Digitally Native Vertical Brands (DNVB) - soit des marques nées et ne proposant leurs produits uniquement sur internet.

Aujourd'hui, elles rivalisent désormais avec les ténors du prêt-à-porter et entendent bien le montrer à grands renforts de boutiques physiques pensées comme de véritables extensions de leurs univers de marque, à la fois impactant et singulier.

Vidéo du jour

"Ces marques ont développé sur le Web des identités fortes, qui leur ont permis de percer. Il ne faut pas décevoir le client dans les points de vente", assurait en 2019, Emmanuel Pradère, actionnaire du Slip Français et de Balibaris, dans le journal Les Echos.

Une manière d’aller à la rencontre de leurs followers Instagram et autres abonnés 2.0, mais aussi de faire office de véritables vitrines de marques.

Un must pour séduire de nouveaux clients, l’e-commerce ne représentant que 12,5% de l’ensemble du commerce de détail.

Selon une étude réalisée par l’agence culturelle Archrival, 78 % des membres de la Gen Z déclarent que les magasins physiques auront toujours une utilité, et 74 % assurent que les expériences IRL sont plus excitantes que celles du digital.

"Les achats ne se font pas que sur le web", insiste sur le site Maddyness le fondateur de l'association France DNVB, Sébastien Tortu,

qui rappelle qu’une boutique permet de toucher une clientèle plus âgée, qui n’est pas encore prête à acheter sans essayer, a fortiori lorsque le prix du panier moyen s’avère relativement élevé.

"Les clients ont en plus besoin d'être rassurés sur la qualité du produit, ce qui est l'un des objectifs d'une boutique physique"conclut-il.

Des boutiques à vocation variable

Que ce soit pour les soutien-gorge, les petites robes d’été ou les souliers, rien de tel que de toucher les matières, d’essayer sous l’oeil expert d’une vendeuse ou encore d’avoir toutes les tailles à disposition pour se laisser séduire par une pièce, et peut-être deux ou trois achats impulsifs que l’on n’aurait pas remarquer sur l’eshop ou sur la page Instagram.

De quoi booster le chiffres d’affaire de la marque, voire même de diversifier son offre ou d’adapter son modèle.

Par exemple, c’est en échangeant avec les clientes de leurs boutiques que le Slip Français a mis au point une ligne de boxers puis de lingerie/maillots de bain pour femmes.

 

Pour d’autres sites de prêt-à-porter, notamment les multi-marques, l’expérience en boutiques permet de créer un sentiment d’exclusivité chez le/la cliente qui sort ainsi de l’anonymat des internets.

C’est ainsi que ModaOperandi, Farfetch ou encore MatchesFashion ont pu inaugurer des espaces confidentiels aux faux airs de nids douillets discrets, dans lesquels se construisent une relation presque intime avec la marque à grands renforts de pré-sélectionnés sur-mesure, grâce à l’historique d’achats.

Une nouvelle forme de relation commerciale en somme, plus humaine, plus familière dont se dégage une loyauté d’autant plus lucrative qu’elle reste difficilement concurrencée par un algorithme aussi performant soit-il.

Loin d'être la fin des boutiques physiques

"Selon moi, il y a eu une sorte d'engouement excessif pour le modèle DNVB, qui laissait penser qu'on pourrait se passer d'intermédiaires."défend Frédéric Maus, CEO de WSN développement (Who’s Next, Impact, Bijorhca, Traffic, Le salon international de la Lingerie, Premiere Classe).

"Cependant, si l'on regarde la réalité, on remplace simplement certains intermédiaires par d'autres, tels que Google, Instagram et Facebook, qui finalement captent une part importante de la valeur et qui sont, disons-le, peu fiables parce qu'ils dépendent d'algorithmes qui peuvent, du jour au lendemain, faire exploser un budget d'investissement." détaille-t-il.

Par ailleurs, toutes les marques n’ont pas le talent d’un retailer, un métier à part qui requiert des compétences et des connaissances spécifiques.

Raconter une histoire, façonner une esthétique ou sublimer un savoir-faire , c'est une chose, trouver un point de vente stratégique, assurer le merchandising et créer un parcours de vente, c’en est une autre, a fortiori après la crise du Covid-19.

 

"Aujourd'hui, on revient à un modèle plus classique. De nombreuses marques qui avaient emprunté cette voie reviennent vers les salons, notamment Who's Next, pour choisir consciencieusement un réseau de revendeurs qui connaissent bien leurs clients et qui partagent avec la marque un certain risque." renchérit Frédéric Maus.

"De plus, ce modèle est très vertueux puisqu’il permet de ne pas surproduire, grâce à une meilleure connaissance de la demande du client final.” argumente-t-il, défendant bec et ongles les revendeurs multi-marques en lieu et place des flagship en nom propre.

En 2019 à San Francisco, Re:Store inaugurait son premier espace à San Francisco, un concept typiquement californien mi-boutique mi-incubateur, dans lequel on pouvait retrouver exclusivement les marques made in Instagram dans l’air du temps.

Pandémie oblige, ce point de vente innovant a depuis définitivement fermé ses portes. Mais pour les experts, le constat est sans appel : le shopping IRL sera l’avenir du retail.