Les ongles longs et flashy, nouveau terrain d'expression

Par Vicky Chahine
Ongles Extravagants Affirmation de soi
Ultra-longs, siglés, ornés de couleurs flashy, de stickers ou de cristaux, ils ne sont plus la marque d’excentricité des seules stars de la culture pop mais séduisent de plus en plus de femmes. Pour qui ces manucures extravagantes, autrefois jugées "vulgaires", sont devenues un symbole de féminité assumée et de pouvoir reconquis. Décryptage.

Vous êtes plutôt Louis Vuitton ou Nike ? Fan d'Hello Kitty ou de la télé-réalité Les Marseillais ? Écailles de tortue ou effet marbré ? Dégradé baby-boomer ou "accent nail" (un seul ongle décoré, souvent l'annulaire) ? Forme stiletto ou "coffin" ? Alors que certaines passent dix minutes à se décider entre deux nuances de rose pâle, d'autres explorent le champ des possibles du "nail art", ces manucures créatives où (presque) tout est permis.

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Est-ce le résultat du retour du bling des années 2000 avec ses tailles basses, sa lingerie portée dessus-dessous et ses mules fuchsia ? Un deuxième effet "kiss cool" de la (re)naissance de cette féminité assurément et volontairement sexy, désormais synonyme de pouvoir ? Une conséquence de la pandémie qui, en masquant une partie de nos visages, nous a fait (sur)investir nos mains ? Sûrement un peu des trois. Longtemps cataloguées comme trop extravagantes (pour ne pas dire vulgaires), les fantaisies ongulaires séduisent désormais les chanteuses comme les comptables, les influenceuses comme les agentes SNCF.

Se faire les ongles, un moyen de se réapproprier sa féminité

Pour décrocher un rendez-vous dans le Salon de Lili Creuk, l'une des "nail artists" les plus réputées de Paris, il faut ainsi patienter cinq semaines. Après avoir un temps reçu ses clientes à domicile, la trentenaire diplômée des Beaux-Arts de Caen a ouvert son espace il y a un an au cœur du 2e arrondissement, logo en lettres gothiques sur la devanture et néon coloré "It's Not Just Nails, It's Art Bitch !" ("Je fais des gros ongles de pétasse"), déclare-t-elle, un grand sourire aux lèvres, avant de se tourner vers sa prochaine cliente : "Prête à blinguer ?" Devant elle, sa palette d'outils : une bonne dizaine de pinceaux, des brosses, un embout silicone pour poser les pigments, un crayon de cire pour attraper les strass, sa pince pour les piercings…

La jeune femme questionne les envies du moment de chaque cliente pour imaginer un nail art sur mesure (à partir de 25 euros pour les dix doigts, difficulté niveau 1). Souvent, les clientes viennent avec des captures d'écran d'Instagram (près de cent millions d'occurrences pour #nailart) ou des photos de célébrités : Billie Eilish et ses ongles monogrammés Gucci, Jennifer Lopez et ses cristaux Swarovski, les griffes envoûtantes du clip Démons d'Angèle (feat. Damso), Katy Perry et ses ongles aux couleurs du drapeau américain, la "pokémonmania" de Louane…

"Dans cette époque où les grandes villes comptent des nail bars à tous les coins de rue, les clientes ont envie de plus d'originalité, d'excentricité et recherchent parfois même une certaine surenchère, observe Lili Creuk. Une cliente avocate a plaidé avec des ongles à l'effigie de Bob L'Éponge, et sur ceux d'une clerc de notaire, j'avais inscrit le "Sucepute" d'Alkpote. Derrière ces choix, des femmes fortes, "badass", qui affirment leur personnalité. C'est aussi un moyen de se réapproprier sa féminité."

Et une façon d'exprimer son individualité, en s'affranchissant des canons minimalistes de la beauté occidentale. "Avant, on allait chez le coiffeur une fois par mois, désormais certaines femmes dédient 100 euros de leur budget pour s'offrir du nail art, comme elles investiraient dans un accessoire de mode", constate Élise Pallon, qui représente The GelBottle en France.

Avec ses cinq cent cinquante couleurs de vernis nourries de collections ponctuelles, la marque anglaise, vegan et "cruelty free" a explosé ces deux dernières années. Très prisée des nail artists, elle possède quelques références qui ont enflammé les réseaux sociaux dont l'Ivy, un vert métallisé porté par Kylie Jenner et le Jet Black popularisé par Kourtney Kardarshian.

"Le nail art exprime un individualisme créatif et ludique, avec une dimension démocratique puisque c'est une parure corporelle accessible." Saveria Mendella, doctorante à l'École des hautes études en sciences sociales

Mais le crew Kardashian-Jenner n'a pas la primeur. Certain.es se souviennent encore des ongles XXL ornés du drapeau américain de la sprinteuse afro-américaine Florence Griffith-Joyner, grande gagnante des Jeux olympiques de 1988, ou au début des années 90, des ongles dollars de la chanteuse Lil' Kim, si fameux qu'ils ont terminé au Museum of Modern Art de New York pour l'exposition "Items: Is Fashion Modern ?" en 2017.

"Aujourd'hui, des figures comme Cardi B et Nicki Minaj rejouent les stéréotypes vulgaires et détournent l'image des mains vernies, historiquement symboles de l'oisiveté. Ce phénomène du nail art évoque aussi l'influence de la K-pop et l'exploration actuelle des genres, avec des figures comme Harry Styles, Fedez, le mari de Chiara Ferragni, ou encore Machine Gun Kelly qui ont adopté le vernis, observe Saveria Mendella, doctorante à l'École des hautes études en sciences sociales. C'est devenu une façon d'exprimer un individualisme créatif et ludique, avec une dimension démocratique puisque c'est une parure corporelle accessible." 

Des nails artists stars

Et une industrie en pleine expansion : le marché mondial des vernis à ongles devrait atteindre 15,8 milliards de dollars d'ici 2027, avec une croissance annuelle de 9,40 %, selon Data Bridge Market Research. En France, on compte 1 336 bars à ongles (source : CNEP/UPB, 2019). L'engouement pour cet art créatif a fait fleurir de nouvelles initiatives, à l'image des stickers arty de TheNailsAngels, lancés par deux Français.es en 2020. "C'est très à la mode sur le marché asiatique, surtout en Corée, mais ici, il n'y avait pas de produits fiables. Nous avons trouvé un modèle avec une base de PVC et une couche de colle de qualité médicale, waterproof, facile à poser avec une lime à ongles et qui tient deux semaines", expliquent les fondateurs Héléna et Benoît.

Avec ses collections bimestrielles, leur site a explosé pendant le confinement, séduisant des nageuses pros, des professeures ou encore des coiffeuses qui avaient envie de s'offrir un nail art rapide et résistant. Leur dernier best-seller, épuisé 24 heures après sa mise en ligne ? Le modèle Madagascar, avec ses pingouins emmitouflés (7,95 euros la plaquette de seize stickers). À l'image des tatoueurs stars, les nail artists connaissent aussi leur heure de gloire.

Kim Truong (@kimkimnails) est derrière les ongles métallisés, écailles ou nude de Kim Kardarshian, les gouttes de sang de Katy Perry ou encore le tie and dye de Dua Lipa ; Tom Bachik (@tombachik) travaille avec Jennifer Lopez, Petra Collins et Selena Gomez ; Chaun (@chaunlegend) a signé les papillons de Dua Lipa et la version crème de la french manucure, un autre revival des années 2000, de Khloé Kardashian. Les transformations ongulaires de cette dernière lui ont d'ailleurs valu une polémique sur l'incompatibilité de la longueur de ses griffes avec son rôle de mère. "J'en ai assez qu'on me parle de mes ongles. Je me débrouille très bien. De la même façon que je prends soin de moi, je m'occupe de mon bébé. Il y a des sujets plus sérieux. Enfin j'ose espérer", a-t-elle déclaré sur son compte Twitter.

Des formations de nail art en ligne

Lili Creuk en a, elle aussi, un peu marre qu'on l'arrête à la caisse du supermarché pour lui demander comment "elle s'essuie", même si elle constate moins de regards insistants quand elle agrippe la barre du métro. Un effet de la démocratisation du nail art ? En tout cas, la jeune entrepreneuse reçoit de plus en plus de demandes de formation. "Pendant le confinement, les pros se sont ouverts à de nouvelles techniques. Beaucoup ont commencé le nail art comme une seconde activité, par passion, et ont fini par suivre des initiations en ligne", confirme Élise Pallon. L'une des prothésistes ongulaires les plus connues ? Serena Williams, tellement fan du nail art qu'elle s'y est formée en 2010 en parallèle de sa carrière de joueuse de tennis.

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