Sous la glycine de cette ancienne cour de ferme, avec Thésée et une Amazone patinés par le lichen comme témoins vigilants, David, héros aux muscles ciselés et prêt à bondir, défie un Goliath qui n’est pas encore vaincu, mais dont le regard trahit l’inquiétude et la vacillation imminente. “La mythologie grecque, scandinave, ainsi que les fabuleux dieux celtes « cornus » aux bois de cerf, que chacun peut s’approprier, avec leurs figures puissantes qui nous relient à nos histoires personnelles et à notre condition universelle, a beaucoup de sens pour moi”, confie le sculpteur Christophe Charbonnel. Nous avons tous besoin de combats à mener et de « croire » – en soi, en les autres, en un idéal.” 

Capturer les jeux d’ombre et de lumière

De son expérience d’ancien dessinateur pour les studios Disney et d’élève du sculpteur Philippe Seené, il a acquis l’art du mouvement, des postures et des lignes de force qui confèrent à ses sculptures un caractère “narratif”, comme il le décrit, et cette tension intérieure dans la lignée d’un Jean-Baptiste Carpeaux, l’un de ses maîtres à modeler. Dans son atelier situé dans la vallée de Chevreuse, le sculpteur, à l’allure d’un bonze ascétique, avec une douce intranquillité dans le regard, sculpte sans modèle, mais “entouré de beauté” – ici un dessin de l’homme de Vitruve, là un écorché de Caudron, une tête de cheval de Sélène… – et avec l’obsession de capturer les jeux d’ombre et de lumière, ainsi que la “mécanique humaine et animale”.

Vidéo du jour

La nature comme écrin 

Qu’elles soient monumentales – comme “Oros”, ce héros montagnard imaginaire créé pour Moncler – ou lilliputiennes – un bijou pour la joaillière Alix de la Tour d’Auvergne –, toutes ses sculptures sont une aventure humaine, “un travail d’équipe avec mes artisans fondeurs”, insiste-t-il, alliant technicité et poésie, où la nature joue le rôle d’écrin. Tel son colossal “Poséidon”, immergé dans le musée subaquatique de l’Anse des Catalans à Marseille, visible en plongée avec masque et tuba ! Ou son “Ulysse” de 3 mètres qui sera caressé par la mer aux Sables d’Olonne à l’été 2024. “Je rêve aussi d’un parcours de sculptures dans les bois”, sourit Christophe Charbonnel, fidèle à son ambition : “Sculpter ce qui traverse le coeur d’un homme… et me dépasse.” 

Exposition d'œuvres dans le parc du château de Fontainebleau.

Beauté grave. “Thésée et l’Amazone.” Le lichen donne sa patine naturelle aux sculptures en composite de fer rouge. 

L’esprit d’un cabinet de curiosités. “Mon atelier, raconte Christophe Charbonnel, est un lieu intime, à l’écart du monde, où même ma femme Godeleine, qui m’épaule au quotidien, frappe avant d’entrer !”

Classique et contemporain. “Goliath.” “La forme vient de dedans, tout se passe à l’intérieur.” 

Sculpteur instinctif. Élève devenu enseignant, Christophe Charbonnel fait sienne cette devise ancienne : “Le maître apprend, l’élève enseigne.”

Idéal antique. “Orphée.” “Le fragment éveille chez moi ce qui est encore à construire.” 

Recherche d’équilibre. “On a tous appris à « lire » dans les postures des uns et des autres, je joue sur ce registre et ces moments.” 

Comme en apesanteur. “Avec des pièces qui m’écrasent et me dépassent, je nourris mon âme d’enfant !”

État de grâce. Tête de Persée monumentale. “La nature apporte une charge poétique.”

Mythologie réinventée. “On apprend aussi en regardant l’art des anciens.”

Reportage issu du Marie Claire Maison n°543 - Septembre 2023

Texte : Isabelle Soing

Photos : Benoit Linero