Mardi 13 décembre 2022, le tribunal administratif de Nice a été saisi par deux gérantes de la librairie Les Parleuses, après que leurs collages féministes en vitrine soient censurés lors d’une visite du ministre de l’Intérieur Gérald DARMANIN vendredi 9 décembre, à appris Mediapart.

Leur avocate Me Lorraine Questiaux a déposé une requête d'une quinzaine de pages dans la matinée pour dénoncer "l’illégalité" de ce "détournement de pouvoir", a-t-elle expliqué au journal d’investigation.

L'accusation de viol contre Gérald Darmanin évoquée

Alors que le membre du gouvernement était invité à inaugurer le futur hôtel de police de la ville, des CRS et agents de la police nationale ont recouvert d’un rideau noir des mots comme "Qui sème l’impunité récolte la colère" ou encore "Sophie ont te croit", placardés en vitrine de la libraire niçoise. Les gérantes avaient autorisé le collectif de collages féministe de Nice a écrire ces affichettes sur leur devanture située à côté de la visite du ministre.

Anouck Aubert, l'une des libraires, justifie sa démarche auprès de France Bleu : "Quand nous avons appris que le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin venait en visite juste en face de notre librairie, et seulement quelques jours après avoir reçu Hélène Devinck, auteur d'Impunité, un ouvrage consacré au combat des femmes qui auraient été victimes, comme elle, d’agressions sexuelles de la part de Patrick Poivre d’Arvor, nous avons décidé de coller des affiches et d'écrire en gros justement impunité."

Avec leur message, reprenant le mode opératoire des collages féministes fleurissant dans les villes françaises depuis quelques années, les gérantes voulaient faire référence à l’accusation de viol contre Gérald Darmanin, mais pour laquelle la justice a prononcé un non lieu le 8 juillet 2022. L’appel de cette décision, demandé par la plaignante Sophie Patterson-Spatz, était justement étudié par la justice mardi 13 décembre.

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Celle-ci affirme ensuite que l'ancien maire de Tourcoing lui aurait promis d'intervenir pour faire réviser l'une de ses condamnations en justice, en échange de faveurs sexuelles. Elle aurait accepté, sans rien obtenir en retour finalement. L'intéressé avait porté plainte pour dénonciation calomnieuse.

La librairie fermée par la police pendant quelques heures

Anouck Aubert raconte au média régional que les forces de l'ordre sont venues recouvrir leur devanture "vers 8h30" soit peu avant l’arrivée du ministre. À Mediapart, elle explique que les agents leur ont demandé leur pièce d'identité lorsqu'elles ont voulu pénétrer dans leur commerce, leur disant : "Vous devez imaginer ce qui pose problème". 

Quand elles demandent ce qu'elles ont fait d'illégal, l'un d'eux botte en touche : "Il a dit qu’il ne pouvait pas nous répondre, qu’il ne faisait qu’obéir aux ordres." Un autre aurait également demandé si la "Sophie" citée dans le collage était "quelqu'un de connu".

"C'est clairement de la censure", s'est indignée la gérante dans France Bleu.

L’avocate des libraires, Me Lorraine Questiaux, espère l’annulation de la décision ayant mené à cette opération de police administrative. Dans sa requête consultée par Mediapart, elle dénonce l'atteinte pour la librairie "à l’exercice de sa liberté d’expression" et "à l’exercice de sa liberté de commerce". En effet, note le conseil, l'établissement a été fermé plusieurs heures pendant le déplacement de Gérald Darmanin.

"Les forces de l’ordre ont été détournées de leur mission d’intérêt général à des fins privées" estime Me Lorraine Questiaux qui voit là une façon d’"étouffer l'affaire judiciaire personnelle" du ministre de l'Intérieur mis en cause. L'avocate réclame également des "excuses publiques" pour ses clientes, de la part du maire de Nice ou de Gérald Darmanin.