Ghada Hatem, du concret pour prévenir les féminicides

Rhada Hatem
Gynécologue, médecin chef et fondatrice de la Maison des femmes au sein de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis, Ghada Hatem participe au Grenelle des violences faites aux femmes. Ses propositions aux pouvoirs publics, pour prévenir les féminicides et la violence sexuelle.

Gynécologue et fondatrice de la Maison des femmes de Saint-Denis, lauréate du prix Simone Veil de la région Île-de-France, Ghada Hatem soigne obstinément celles que la société des hommes a meurtries : victimes d'excision, de violences conjugales et sexuelles. Elle participe actuellement à la commission santé du Grenelle des violences faites aux femmes. Forte de son expérience elle propose des mesures concrètes aux pouvoirs publics, en relation avec l’Education nationale, la Santé publique, des psychologues, policiers et  avocats.

Le 30 août dernier, vous avez cosigné une tribune dans Libé pour dire que l’action publique peut faire bien plus contre les violences contre les femmes…

Ghada Hatem : C'est surtout le président du département, Stéphane Troussel, qui souhaitait cette tribune et il a raison parce que la Seine Saint-Denis est un département pilote. Beaucoup de choses ont été testées ici avant d'être diffusées ailleurs. Comme le téléphone grave danger (TGD).

Quel sera votre rôle dans le Grenelle contre les violences faites aux femmes (qui dure jusqu’au 25 novembre, journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, ndlr) ?

Nous avons une structure entièrement dédiée aux femmes victimes de violences qui fonctionne depuis 2016, et c’est à ce titre que nous avons été invitées à présenter notre expérience de soignants, et ce que nous faisons en matière de prévention. Il vaut mieux détecter les violences avant l’irréversible. Divers groupes de travail ont été mis en place au Grenelle, justice, police, hébergement, santé etc. Il est évident que la santé des femmes est dégradée par les violences qu'elles subissent. Et par le fait de ne pas avoir d'hébergement d'urgence.

Que proposez –vous, forte de votre expérience en Seine Saint-Denis ?

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Notre modèle est flexible, on n'est pas obligé de nous copier-coller. Mais l’idéal serait qu’il y ait des endroits où des soignants s'occupent de femmes victimes de violences, entourés de psychologues, d’assistantes sociales... Chacun en fonction de ses ressources et des besoins de son territoire peut inventer une maison des femmes avec un modèle adapté. Donc nous demandons une mission d'intérêt général - ou MIG pour les intimes- destinée à financer toutes les structures qui veulent bien s'occuper de la violence contre les femmes. Avec l'argent du ministère de la Santé.

Il est évident que la santé des femmes est dégradée par les violences qu'elles subissent.

Vous proposez aussi la présence éventuelle d'un policier pour prendre les plaintes dans l'hôpital même. Comment se passe comment cette prise de plainte, entre les femmes et les policiers volontaires chez vous?

Tous les mercredis, un policier volontaire et formé, issu des commissariats de Saint-Denis, passe la journée avec nous et accueille les femmes qui veulent porter plainte. S’il s’agit d’une femme qui mûrit son histoire, - par exemple elle a déjà déposé quatre mains courantes, a cinq certificats de coups et blessures- , mais n'a toujours pas sauté le pas, nous faisons le pari suivant : accompagnée par une structure comme la nôtre, ayant discuté avec des professionnels de santé ou du social, des psys, des policiers bénévoles, des avocates qui travaillent avec nous, eh bien ces femmes-là sont beaucoup plus prêtes à porter plainte. Avoir un vrai rendez-vous chez nous, savoir que le policier qui les reçoit n'a pas une affaire urgente de drogue ou de voiture volée à gérer en même temps, qu'il n'est là que pour elle, dans un endroit agréable qu'elle connaît, ça change la donne.

Il y a en effet des femmes qui n'iraient pas au commissariat pour porter plainte…

Oui, alors qu’à la Maison des femmes, elles disent : "Je me sens en confiance Je n’ai pas peur." Même s’il n’y a pas de coups et blessures, mais qu’elle est victime de violences depuis longtemps, elle se sent prête. Parce que ce n'est pas au premier coup qu'on porte plainte. A la limite on va déposer une main courante contre l’agresseur pour se protéger, puis on lui trouve des excuses : "Oui mais il était énervé." Et le policier est lui-même rassuré parce qu'il est dans un endroit où il n'y a que des vraies victimes. Il n’est pas dans une situation où il ne sait pas trop si la femme ne se plaint pas juste pour se venger de son mari. Les policiers sont très heureux d’être là, parce que les conditions et la qualité de l'accueil des femmes sont nettement meilleures qu’au commissariat.

Mais les violences, contre les femmes, ce n’est pas que le mercredi…

Oui, ce que nous souhaitons, c’est que la Maison des femmes, et celles qui seront créées puissent accueillir les femmes 24 heures sur 24. Parce que pour le moment, non seulement ce n’est pas le cas, mais elles doivent aller dans les unités médico judiciaires (UMJ), seuls endroits habilités à conserver des plaintes. Donc nous voudrions que cette possibilité soit étendue aux structures comme la nôtre, qui savent accueillir des femmes. Parce qu’aux UMJ, on est mélangé avec toutes sortes de victimes de violences et on ne se sent pas forcément bien accueillie.

Les médecins sont bien placés pour poser les bonnes questions. Vous avez d'ailleurs été auditionnée par la Haute autorité de santé.

Chaque médecin doit aborder avec ses patients (quelque soir leur sexe) la question de violences dans leur vie (éducatives, sexuelles, conjugales) avec les mots qui lui permettent  de se sentir à l'aise. Par exemple:  Avez-vous vécu des choses difficiles dans votre vie, votre enfance. Comment sont gérées les dissensions dans votre couple? Avez-vous eu une enfance heureuse?

 

Vous proposez aussi une meilleure prise en charge du traumatisme psychologique…

Oui, cela nécessite des psychologues formés. Et malheureusement les consultations des psychologues à l'hôpital, ne génèrent pas de recettes pour l'hôpital. Donc nous voudrions que le ministère de la Santé finance des cures du psycho-traumatisme d’une vingtaine de séances prises en charge à 100% par la Sécurité sociale, pour que les femmes aillent un peu moins mal, et puissent ensuite aller dans d’autres structures. Nous, nous levons des fonds pour payer nos psychologues. Mais c'est pas une solution. 

Nous voudrions que le ministère de la Santé finance des cures du psycho-traumatisme

Vous proposez aussi un brevet contre le sexisme à l’école, c'est à dire ?

C'est une proposition du département que nous soutenons car nous intervenons dans les lycées et les collèges pour l'éducation à la santé sexuelle et c'est l'occasion de parler des violences, des droits, du consentement. Nous pourrions tout à fait participer à cette initiative, et je pense qu'il faut même aller plus loin, et peut-être faire intervenir aussi un avocat et un policier pour que les élèves entendent aussi les conséquences de leurs comportements. Si par exemple ils envoient des sextos, s'ils écrivent des horreurs sur les murs de l'école, s'ils harcèlent des filles, il faut qu'ils sachent ce qu’ils risquent.

Y a-t-il des chances chance que ce que vous faites ici à la Maison des femmes soit effectivement dupliqué ailleurs, notamment dans les grandes villes ?

Je l’espère ! Nous avons fait la preuve que notre modèle est robuste, et nous sommes très sollicitées par d'autres équipes qui veulent faire la même chose. A Strasbourg par exemple, il y a un projet qui est bien parti, à Caen aussi, et la secrétaire d’Etat Marlène Schiappa elle-même, nous cite comme réponse possible à la violence contre les femmes.

Il faudra des moyens...

L'argent est toujours le facteur limitant. Trouver des professionnels qui rêveraient de bosser dans une structure comme la nôtre, n'est pas un problème. Je reçois 10 CV par jour. Mais il faut pouvoir les payer. On estime le coût de fonctionnement à plus ou moins 500 000 euros pour faire vivre une maison des femmes.

Vous êtes plutôt optimiste sur la réalisation de vos propositions ?

A l'issue du Grenelle, tout ne sera pas résolu.  Ainsi nous sommes désemparées face au manque de places d’hébergement d’urgence, et à la sortie de la maternité, beaucoup de femmes n'ont nulle part où aller avec leurs enfants. C'est tellement vulnérable, une femme dans la rue avec un enfant…. Donc globalement, il faut une politique très ambitieuse, certainement coûteuse. Mais il faut accepter de dépenser de l'argent pour que dans dix ans, la nouvelle génération de gamins soit beaucoup moins violente. Ce qui permettra des économies à la société.

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