Avant même sa sortie, Euphoria, première série de HBO à (Game of Thrones, The Wire, Big Little Lies) à destination des ados, a fait scandale dès les premières critiques tombées, notamment à cause d'une scène de viol dans le premier épisode.  La jour de la diffusion du premier épisode sur HBO, le 16 juin, l'actrice principale, Zendaya, a prévenu sur Twitter : "Ne regardez que si vous vous en sentez capable." Un acteur a quitté la production au début du tournage, à cause de scènes "trop risquées".

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Euphoria, dont la diffusion sur OCS en France a commencé le 17 juin, a pour actrice principale Zendaya, ancienne de l'écurie Disney. L'Américaine de 22 ans incarne Rue, lycéenne toxicomane évoluant en électron libre dans un environnement malsain au sein de son lycée. La série est produite par le rappeur canadien Drake, lui-même ancienne star des ados qui ont regardé Degrassi dans les années 90. Mais entre les violences sexuelles, la vision du sexe comme un gage de "coolitude", et la sublimation occasionnelle de la drogue, Euphoria n'est pas à mettre devant les yeux les moins avertis.

Attention : ce papier contient quelques spoilers

Des ados hypersexualisées

Il faut avoir le coeur bien accroché pour regarder Euphoria. Le pari de la série, compréhensible sur le papier, est de montrer la supposée face cachée des ados d'aujourd'hui. Ceux mis en avant sont accrochés à leur téléphone, s'exposent en permanence, ont une approche trash de la sexualité, puisée dans le porno, utilisent les drogues dures pour échapper à un quotidien fade. Ce qui est sans conteste véridique, cependant, est leur vision d'un monde où l'hétérosexualité est encore la norme, sous des ressorts d'empuissancement féministes vains, car inadaptés à leur jeune âge. Il est normal de voir Beyoncé, Lizzo ou Cardi B réclamer du pouvoir à coup de chorégraphies de feu, de tenues incroyables et de chansons sensuelles. Pas des ados. 

Cela est frappant chez plusieurs personnages féminins d'Euphoria, enfermés dans une performance hyper-sexuelle d'elles-mêmes, aussi bien dans leur look que leur attitude. Avec ces parades, ces ados pensent être de vraies femmes. Mais surtout, elles pensent "bien faire", c'est-à-dire, faire ce qui est attendu d'elles : devenir le plus vite possible des objets de désir, et grimper, alors, plus haut sur l'échelle sociale. Mais elles craignent, aussi, que cela se retourne contre elles, notamment à coup de revenge porn.

Jusqu'à l'écoeurement, Euphoria propose une illustration à l'extrême des injonctions contradictoires qui pèsent sur ces jeunes filles, qu'elles ont complètement intégrées. Les filles croient ainsi détenir une forme de pouvoir sur les garçons. Mais peu importe ce qu'elles font, c'est un jeu dont elles ne sortent, malheureusement, jamais gagnantes. Ainsi, le petit-ami de l'une d'elles lui reproche de tout faire tourner autour du sexe, même quand la situation ne s'y prête pas.

Le cas de Jules est en cela frappant, et profondément dérangeant. Jeune femme trans, elle a des rendez-vous avec des hommes sur une application de rencontres gay. Jouée avec force par Hunter Schafer, seul éclat de la série, l'adolescente accepte d'être désirée par des hommes perturbés, parfois malsains, qui cachent leurs désirs homosexuels. De voitures en chambres d'hôtels, Jules semble résolue au fait qu'elle ne mériterait pas mieux, quitte à subir des violences, remarques affreuses ou viols. Insoutenable.

Suffocant

Montrer l'obscurité de l'adolescence, d'autres séries comme la britannique Skins, à laquelle Euphoria a été comparée, s'y sont très bien attelées. À la différence que Skins réussissait à apporter des moments de respiration, de beauté, de poésie dans la vie de ses ados tourmentés, qui étaient, au fond, pour la plupart, de grands sensibles.

Dans Euphoria, ces moments sont trop peu nombreux, et se concentrent essentiellement autour de scènes où Jules se balade à vélo, ce qui finit par être répétitif. L'une des plus belles scènes illustre pourtant un moment noir : une montée de Rue après avoir pris de la drogue. Rappelant la mise en scène d'Inception, la jeune fille grimpe littéralement au plafond en marchant le long des murs. La caméra la suit dans ses hallucinations, tandis que les personnes autour d'elles n'ont pas bougé du sol. Mais l'on se demande, alors, si sublimer à ce point la drogue dans une série destinée aux ados est une bonne idée. Pourtant, la détresse physique et mentale de Rue, gravement dépendante et instable, survivante d'une overdose et a priori incapable de se sevrer, n'est pas euphémisée, et est très dure à regarder.  

Si l'on suffoque devant Euphoria, c'est parce qu'aucun personnage n'est libre. Ils sont enfermés dans des addictions, une violence plus ou moins tapie, l'envie d'être populaire et admiré, ou des traumatismes remontant à l'enfance. Rien ne semble pouvoir les apaiser, et la série donne, au bout de 4 épisodes enchaînant les pires scénarios possible, la désagréable impression d'être voyeuriste. Le malaise est d'autant plus grand quand la voix de Zendaya, qui narre l'action en continu, commente du même ton monotone une scène de viol et un déjeuner banal à la cafétéria. 

Éléments de réalité

Si Euphoria fait penser à une saison de Black Mirror qui concentrerait le supposé pire de la jeunesse d'aujourd'hui, la série parvient à glaner, ici ou là, des caractéristiques véritables de la vie des ados contemporains.

Par exemple, quand on apprend que Kat, est célèbre sur Tumblr, plateforme de micro-blogging rassemblant de nombreuses communautés d'intérêts culturels, pour ses fan fictions. Des récits mettant en scène des célébrités ou personnages de fiction, très prisés des ados, comme un moyen de s'approprier la réalité, ou une oeuvre de fiction. Pour jouer Kat, la série a eu le bon goût de choisir Barbie Ferreira, mannequin grande taille très populaire de 22 ans, promouvant une vision positive du corps. En 2016, elle figurait dans la liste des 30 adolescents les plus influents du magazine Time.

Autre détail qui fait la différence : un personnage féminin secondaire ne quitte jamais sa cigarette électronique, à une époque où elle est de plus en plus plébiscitée par les jeunes fumeurs. À l'image de Sophie Turner, 23 ans, alias Sansa Stark dans Game of Thrones, souvent papparazzée avec sa e-cigarette à la main.

Autre point positif : si la noirceur de la série plonge le spectateur dans une angoisse parfois insoutenable, le scénario fait en sorte de développer longuement leurs histoires personnelles, pour donner du corps et de la légitimité à leur situation présente, à coup de nombreux flashs commentés par Zendaya. 

Enfin, l'inclusivité d'Euphoria, avec une héroïne métisse à l'orientation sexuelle d'abord indéfinie, dont la meilleure amie est transgenre, et des personnages avec différentes morphologies, est bienvenue et ne paraît pas forcée. Dommage que le point commun à tous ces personnages complémentaires est qu'ils ont intégré des injonctions et "normes" destructrices, jusqu'à, parfois, les revendiquer.