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Trafic d’influence pour LVMH : l’ex-patron du renseignement intérieur Bernard Squarcini renvoyé en procès

Soupçonné d’avoir profité de ses réseaux policiers pour servir des intérêts privés, l’ex-patron du renseignement intérieur Bernard Squarcini sera jugé en correctionnelle.
publié le 5 septembre 2023 à 20h20

Le «Squale» est pris dans les filets de la justice. L’ex-patron du renseignement intérieur Bernard Squarcini sera jugé en correctionnelle à Paris, soupçonné d’avoir profité de ses réseaux policiers pour obtenir informations confidentielles et privilèges au bénéfice d’intérêts privés, notamment du patron de LVMH Bernard Arnault.

Dans une ordonnance du 1er septembre dont on prend connaissance ce mardi 5 septembre, deux magistrates financières ont décidé de ce procès pour celui que l’on surnomme «le Squale», 67 ans, et qui devrait avoir pour fil rouge ses liens avec le groupe de luxe LVMH. Mis en examen dès 2016, l’ex-directeur central du renseignement intérieur (DCRI, devenue DGSI) entre 2008 et 2012 sera jugé pour onze infractions.

Parmi elles, trafic d’influence passif, détournement de fonds publics, compromission du secret de la défense nationale, abus de confiance, faux en écriture publique ou encore complicité et recel de violation du secret professionnel et de l’instruction.

«Bernard Squarcini conteste les griefs formulés à son encontre et nous continuerons à les contester devant le tribunal», a réagi auprès de l’AFP l’un de ses avocats, Patrick Maisonneuve. «C’est une décision malheureusement sans surprise et surtout sans considération aucune des nombreux moyens soulevés et des plus élémentaires explications données par Bernard Squarcini durant ces douze années d’instruction», a réagi une autre de ses conseils, Marie-Alix Canu-Bernard.

400 documents classifiés retrouvés

«Si j’ai pu enfreindre certains textes, je n’y ai pas vu l’infraction mais une certaine continuité avec mes activités au service de la République», s’était défendu l’intéressé lors d’un interrogatoire. Lors des perquisitions à son domicile, plus de 400 documents classifiés ont été retrouvés.

A ses côtés sur le banc des prévenus devraient apparaître dix autres personnes, dont de grands serviteurs de l’Etat : le préfet Pierre Lieutaud, à l’époque numéro 2 du Coordinateur national du renseignement, Laurent Marcadier, ancien magistrat de la cour d’appel de Paris, les anciens grands flics Charles Pellegrini, Hervé Seveno et Jean-François Lelièvre, mais aussi des consultants.

Ils sont soupçonnés d’avoir répondu à des demandes de Bernard Squarcini et contestent les accusations. L’ex-numéro 2 de LVMH, Pierre Godé, présenté par plusieurs mis en cause comme l’un des protagonistes, est décédé début 2018.

«Ce procès va être emblématique du dévoiement par des hauts fonctionnaires, et au premier chef Bernard Squarcini, de leur mission dans leur intérêt strictement personnel et au prix d’une atteinte au crédit de l’Etat», ont réagi William Bourdon et Vincent Brengarth, avocats de Franck Alioui, un policier qui s’est porté partie civile.

Les investigations se sont penchées aussi bien sur la période où Bernard Squarcini était patron de la DCRI (2008-2012) que sur sa reconversion ultérieure dans le privé après son éviction en 2012 par François Hollande qui le jugeait trop proche de Nicolas Sarkozy. L’ancien maître-espion était alors devenu patron d’une société de conseil en intelligence économique baptisée Kyrnos qui a contracté avec LVMH.

Chantage privé

L’enquête s’est centrée sur quatre volets, dont la tentative d’identification en 2008, par les policiers de la DCRI, de l’auteur d’une tentative de chantage privé «au préjudice de Bernard Arnault et du groupe LVMH» et le rocambolesque «espionnage» de François Ruffin et de son journal Fakir entre 2013 et 2016.

Les juges estiment que «l’argument en défense consistant à soutenir que la protection des intérêts purement privés de Bernard Arnault est celle du patrimoine économique (français)», ce qui aurait relevé des missions habituelles de la DCRI, «est une erreur d’analyse manifeste» : la DCRI n’aurait pas dû «intervenir dans ce cadre».

Pour elles, «au-delà de la fourniture d’informations, c’est bien l’influence réelle ou supposée de Bernard Squarcini pour débloquer des situations administratives qui a été payée par LVMH», avec plusieurs petits services qui auraient été rendus à des proches du milliardaire. Bernard Arnault, témoin au cours de l’instruction, avait assuré «ne rien savoir des informations collectées», soulignent les magistrates, et n’est pas mis en cause.

LVMH n’est plus concerné par la procédure après avoir payé 10 millions d’euros d’amende fin 2021 pour éviter des poursuites, principalement pour l’espionnage de François Ruffin et de Fakir. L’ancien directeur de la police judiciaire parisienne, Christian Flaesch, a été condamné définitivement en février à une amende avec sursis. Il avait échangé par écrit en 2013 avec Bernard Squarcini, notamment sur une procédure intentée par Hermès contre LVMH.

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