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A la barre

LVMH, qui dit «vivre dans la peur», poursuit la CGT et des associations pour des banderoles et des chants

Une filière du groupe français du luxe attaque des fédérations CGT et des associations pour une action pacifique dans le grand magasin parisien de la Samaritaine en février. Le groupe souhaite empêcher toute intrusion future.
publié le 27 juin 2023 à 18h33

«Ils avaient de grandes banderoles, madame la présidente [du tribunal], et je ne vous parle pas de petites pancartes, mais bien de celles que l’on voit au Parc de Princes ou au Vélodrome ! Des banderoles de 10 mètres de long avec des flammes !» A écouter l’avocat du groupe LVMH ce mardi 27 juin au tribunal judiciaire de Paris, l’enseigne de luxe a vécu un cauchemar «d’une extrême violence» le 12 février, lorsque la CGT Chômeurs, la CGT Spectacle et les associations Droit au logement (DAL) et Agir ensemble contre le chômage (AC !) ont envahi pacifiquement, pendant vingt-cinq minutes, son grand magasin parisien de la Samaritaine. C’est en tout cas ce qu’espère faire reconnaître par la justice la multinationale de Bernard Arnault, qui exige dans cette audience civile un remboursement 10 000 euros de frais de justice, et plus étonnant : une astreinte (soit une amende) en cas de nouvelle intrusion politique.

«Pardonnez l’expression, mais la Samaritaine se fout de la gueule du peuple», réplique en aparté à Libération Me Matteo Bonaglia, avocat des associations et des syndicats poursuivis. Si le tribunal – qui examine l’affaire en référé, donc en procédure accélérée – donne raison à la filiale DFS, dont LVMH est actionnaire majoritaire et qui exploite la Samaritaine, les deux fédérations CGT, ainsi que le DAL et AC ! écoperont, en cas d’intrusion politique dans le magasin de luxe, même pacifique, d’une astreinte de 2 000 euros par jour et par personne. «Ce type de décision, on n’en voit que dans des cas très particuliers», déplore l’avocat, qui cite «des grèves dures avec occupation, sabotage ou séquestration» ou «des actions qui entravent par exemple la liberté de commerce, lorsqu’elles ont eu lieu quinze fois et que la réitération est prévisible».

«Procédure bâillon»

«On ne voyait pas des poursuites aussi dures il y a dix ans», assure le porte-parole du DAL Jean-Baptiste Eyraud, qui y voit «une procédure bâillon pour étouffer la contestation et protéger les profits à tout prix». Militant historique de la lutte contre le mal-logement, il rembobine : «Dans les années 1990, on occupait la Bourse du commerce pendant des jours et je peux vous dire qu’en repartant, ce n’était pas dans un état… disons intact.» Rien à voir, affirme-t-il, avec l’intrusion dans la Samaritaine, un happening dans le calme en pleine mobilisation contre la réforme des retraites, dans un temple du luxe appartenant à la première fortune française et mondiale en 2023, Bernard Arnault.

C’est peu dire que l’avocat de LVMH n’en a pas la même vision. Dénonçant «des actes de violence par nature, des actions extrêmement dangereuses», celui-ci a opéré un parallèle, tout au long de sa plaidoirie, entre les faits du 12 février, examinés ce mardi, et une action distincte, menée fin décembre 2022 par la CGT Commerce et Services, dans le cadre d’une grève à la Samaritaine. Des agents de sécurité auraient alors été blessés et du matériel brisé, conduisant le magasin à fermer pour une journée en période de Noël. La partie adverse s’est offusquée d’une «confusion savamment entretenue» entre cet événement «plus dur» (pour lequel LVMH poursuit aussi la CGT dans une deuxième procédure) et le happening contre la réforme des retraites. «L’événement est moins grave», concède l’avocat de LVMH, qui souligne néanmoins qu’«à n’importe quel moment, cela aurait pu basculer, [car] tout est possible».

Ainsi, pour le groupe de luxe, «il existe une violence inhérente aux cris, aux porte-voix, aux accoutrements» des militants, «dont beaucoup portent des lunettes de soleil et des écharpes pour masquer leur visage», affirme son avocat, qui pointe dans le même coup un supposé appel à «déchaîner la violence» qui aurait été peint sur l’une des banderoles. Pourtant, sur les images de l’action, tournées par le DAL et que Libé a pu consulter, l’événement de février a une toute autre allure.

Les vidéos montrent une vingtaine de personnes, toutes à visage découvert à l’exception d’une poignée de masques chirurgicaux (et d’une paire de «lunettes de soleil»), chantonner «C’est pas les retraités qui nous coûtent cher, c’est les banquiers et les actionnaires», puis une prise de parole militante au mégaphone, devant des banderoles appelant à «déchaîner notre colère» (et non «notre violence») lors de la manifestation nationale suivante, le 16 février. Avant un départ calme et sous les slogans dans la rue. Suffisant, pourtant, selon l’avocat de LVMH, pour que la multinationale et ses employés de la Samaritaine ressentent «une crainte, chaque semaine [qu’ils reviennent]». «On ne peut pas vivre dans la peur», a-t-il plaidé. La décision a été mise en délibéré au 25 juillet.

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