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Libération

APRES COUP. Escargots médiatiques.

publié le 24 décembre 1996 à 2h35

Karl Zero, suave: «Jacques, si vous n'aviez pas été prêtre,

qu'auriez vous choisi comme métier?» Jacques Gaillot, délicat: «Barman ou fleuriste.» Karl Zero, encore plus suave: «Vous aimez les fleurs, Jacques?» Jacques Gaillot, encore plus délicat: «Je les trouve belles, les fleurs. Venez avec moi dans la forêt, je vous les montrerai"» Tout ça filmé entre quelques drapeaux du DAL, jaunes comme la cravate de Zero. Quand deux bêtes à bon dieu médiatiques se croisent à l'heure de la messe dans Le vrai journal, sur Canal +, qu'est-ce que ça donne? Une ravissante scène d'amour; quelque chose d'aussi émouvant (ou presque) que l'étreinte des escargots dans le film Microcosmos.

Les comparer à des gastéropodes, bestioles hermaphrodites, n'a rien d'une figure de style. Si une interview de Gaillot par Zero secrète autant d'hormones, c'est bien parce que les deux sont du même genre indéterminé. Par nature, ce sont des ambigus: mi-chèvres mi-choux, mi-sincères mi-joueurs, mi-hommes mi-femmes. Cette nature double est en partie responsable de leur plan d'occupation des sols médiatiques: elle en fait des mollusques d'une rare souplesse cathodique, des contorsionnistes s'adaptant au décor et au discours ambiant à la vitesse instinctive de leurs désirs. Zero et Gaillot vivent dans un doucereux Parthénia, cet évêché fantôme dont Gaillot est l'évêque; un Parthénia audiovisuel. Si leur présence avait une saveur, ce serait celle du sucre.

Le prélat sans-abri a fait de cette nature un statut: son logement désormais, c'est le DAL (pour dormir), ou la télé (pour veiller). L'après-midi même, il pontifie sur un autre ton, avec une autre tête, sur une autre chaîne; son interlocuteur n'est plus Karl Zero, mais, entre autres, le grand Mufti. Gaillot se promène avec sa coquille. Quant à l'animateur, son Vrai Journal suffit à révéler sa vraie nature: le vrai s'y mêle au faux, les images avec trucage aux images sans trucage, les simili-coups de gueule aux authentiques coups de pute. Le tout donne une bave à saveur indéterminée, qui en dit moins sur le monde que sur Zero lui-même.

Comme chez les escargots de Microcosmos, la confrontation de ces deux êtres étranges ne peut que donner un grand moment d'image, car il tourne aussi sec à la fusion narcissique. Malins, ils en ont évidemment conscience, et en jouent. Karl (puisqu'ils décident de s'appeler par leurs prénoms, puis, en fin d'émission, de se tutoyer): «Nous sommes semblables. Nous avons été virés.» Jacques: «Oui. C'est un bon passeport pour ceux qui sont au bord de la route.» Et que je te souris, et que je minaude" Dans cette scène du balcon, la caméra sert de mandoline. Et soudain, dans un cadrage resserré sur sa tête, Zero devient presque Gaillot: non seulement à cause de la calvitie, de la tête sans âge, de ce sourire neutre et courtois, mais aussi parce que Karl a fini par reprendre (malgré lui?) un truc de Jacques: l'esthétique de la tête penchée. L'icône christique. La transmutation est achevée.

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