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Mini-série

«Un homme, un vrai» sur Netflix, satire-au-flanc

L’adaptation du ­roman-monde de Tom Wolfe, décevante, pêche par son manque de profondeur et une simplification excessive de son sujet.
publié le 4 mai 2024 à 18h20

A Man in Full est le deuxième et meilleur roman de Tom Wolfe. Un roman-monde au dessein délirant, celui d’embrasser les Etats-Unis à un moment précis (la deuxième moitié des années 90) et où la méthode Wolfe – le récit dédaléen d’une histoire édifiante du capitalisme autodévorant et du multiculturalisme en échec – fait un miracle de satire et de divertissement. Son adaptation en mini-série par l’infatigable David E. Kelley est ostensiblement fidèle dans le ton, caustique à la limite du cartoon, et nettement frustrante, démonstration éclatante de la difficulté d’adapter les épopées romanesques de Wolfe à l’écran. A l’instar du Bûcher des vanités de De Palma, bon film mais adaptation décevante, Un homme, un vrai apparaît rigide et caricatural, limité dans le pamphlet, pas parce qu’il noircirait le trait de la charge (Wolfe, réac fendard mais certainement pas finaud) mais parce qu’il manque de profondeur de champ, et de temps.

Le récit déployé sur seulement six épisodes a d’ailleurs été simplifié. L’intrigue en son centre est à peu près la même, celle de la chute miragineuse du massif Charlie Croker, magnat de l’immobilier si malin, débordant de ressources et de puissance (il est l’homme plein de tout du titre), qu’il s’est persuadé de son insubmersibilité. En revanche, ses ramifications dans le terroir géorgien, le monde des affaires et le milieu politique d’Atlanta, jusqu’à la prison la plus dangereuse de la ville, nous emmènent beaucoup moins loin. Des élections municipales approchent, qui voient s’affronter l’actuel maire afro-américain à un challenger réac et raciste, et vont permettre aux intérêts des uns et des autres de se confondre et s’inverser, mais l’écheveau d’histoires, de profils et de destins qui formaient la pelote inextricable du livre – imaginez The Wire peuplé de clowns défigurés à l’acide – se traduit ici une procession de sous-intrigues simplistes et de personnages fantomatiques, manichéens, insignifiants.

Croker lui-même est foiré, malgré le cœur à l’ouvrage de Jeff Daniels, parce que ridiculisé d’un bout à l’autre du récit quand tout le sel du roman de Wolfe était de tenir jusqu’au bout sa dualité de clown, et de super-héros. Un super-antihéros emblématique, voire métaphorique, de son pays, cette dystopie-utopie miraculeuse que Wolfe aimait qualifier en usant d’un vieux mot franglais, «pell-mell», dont les romans obèses ne cessent d’interroger l’insoluble mystère : comment les Etats-Unis peuvent-ils tenir debout ? Enigme que cette version sérielle, déplacée dans l’Amérique au bord de la sécession de 2024, a l’air d’ignorer royalement, un comble, et un raté agaçant.

Un homme, un vrai de David E. Kelley, six épisodes sur Netflix.
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