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Colin Farrell dans «Sugar», détective prisé

Colin Farrell interprète joliment un héros cinéphile chargé d’enquêter sur la disparition d’une jeune héritière à Los Angeles.
publié le 6 avril 2024 à 8h11

John Sugar est une sorte de discret voyageur du temps, détective privé évoluant dans un Los Angeles contemporain, mais en décapotable vintage et costume-cravate à l’élégance rétro. Spécialisé dans les affaires de personnes disparues, il est engagé pour retrouver la jeune héritière perturbée d’une grande dynastie hollywoodienne et fraie ainsi, exactement comme Bogart dans le Grand Sommeil, avec les intrigues vénéneuses et décadentes des familles fortunées. Comme Bogart toujours (et toute une floppée de détectives de la tradition du film noir), il commente le récit de ses réflexions en voix off, et se présente assez vite comme une sorte de Philip Marlowe nouveau genre flottant dans un espace-temps indéfini.

Mais là n’est pas la seule marque d’appartenance à un genre glorieux de l’âge d’or du cinéma américain revendiquée par Sugar, série créée par Mark Protosevich (scénariste de films de SF tels que The Cell ou I am Legend dans les années 2000). La nouveauté, c’est que ce privé-là a vu les films : nous avons affaire à un héros cinéphile. Non seulement il est abonné aux Cahiers du cinéma et à la revue spécialisée américaine pointue Sight and Sound, mais surtout son esprit mystérieux est régulièrement parasité par des flashs de films, le plus souvent en noir et blanc, qui font irruption dans le récit. C’est ainsi que des éclairs de montage le font vider son shot au bar comme Richard Widmark, ou nager dans sa piscine en repensant au plan inaugural de Sunset Boulevard. L’histoire est parsemée d’images très rapides, presque subliminales, de Bogart évidemment, mais aussi Barbara Stanwyck, Kirk Douglas, Glenn Ford ou Gloria Grahame, comme au temps de la série culte Dream On dans les années 90, mais sur un mode beaucoup plus sérieux et mélancolique, en quête d’un glamour disparu.

Naïveté désarmante

Dans le rôle du détective, Colin Farrell promène un spleen qu’il avait déjà magnifiquement exploré chez Michael Mann dans Miami Vice. Et sa douceur triste est parfaitement en adéquation avec ce personnage qui enquête peut-être avant tout sur un âge perdu du cinéma. Il y a une naïveté désarmante, mais pas désagréable, à croire ainsi que des images du passé peuvent venir à la rescousse de celles du présent. Mais le choix fétichiste des plans, la façon coupante, ultra-rapide et virtuose avec laquelle ils sont insérés, suffisent à rendre la chose vraiment sympathique. Jusqu’à ce qu’une séquence qui n’a l’air de rien élève carrément le débat : dans la cabine de projection d’un cinéma, le héros discute avec un projectionniste de la beauté inégalée de la pellicule 35mm, tout en scrutant sur des écrans de surveillance riquiqui les personnages sur lesquels il enquête. Dos à l’écran majestueux, il explique que regarder des films lui a beaucoup appris. Comprendre : à regarder toutes les images, des plus belles aux plus «ordinaires» en apparence. Malheureusement un dénouement calamiteux viendra gâcher ces beaux effets de style, donc on conseille vivement de s’arrêter avant. Les séries c’est comme les histoires d’amour : il vaut mieux parfois partir un peu avant la fin, pendant que c’est encore beau.

Sugar, sur Apple TV+.
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