« Je me suis effondrée » : le difficile retour au travail pour les malades du cancer

Beaucoup de femmes, guéries ou en rémission, mettent du temps avant de reprendre une activité professionnelle « comme avant ». Un accompagnement par l’employeur est essentiel.

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En 2023, la prévalence du cancer du sein s'élevait à près d'une femme sur 1 000.
En 2023, la prévalence du cancer du sein s'élevait à près d'une femme sur 1 000. © Pexels

Temps de lecture : 4 min

En mars 2022, Hélène, alors âgée de 44 ans, a été diagnostiquée d'un cancer du sein. Directrice de projet dans une mutuelle de santé, cette cadre vivant en région parisienne a temporairement quitté son poste afin de subir un « intense » cycle d'analyses et de traitements quotidiens.

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« J'ai été mise en arrêt de travail pendant six mois, le temps que je sois opérée et que je suive une radiothérapie », se remémore Hélène. Au bout de ces six mois, conformément à son souhait, elle a décidé de reprendre son travail. « J'avais notifié à mon employeur la raison de mon arrêt dès l'annonce de mon diagnostic. Pendant ces six mois de traitement, j'étais en permanence en contact avec mes manageurs, pour pouvoir préparer au mieux mon retour. Mais voilà, le jour venu, je me suis effondrée à la médecine du travail. »

21 % de ces femmes attendent deux ans avant de retravailler

En France, d'après les travaux de Gwenn Menvielle, directrice de recherche Inserm et épidémiologiste à l'institut Gustave-Roussy (Villejuif), d'Ines Vaz Luis, oncologue dans la même équipe, et d'Agnès Dumas, sociologue et chercheuse Inserm, 21 % des femmes qui ont eu un cancer du sein ne travaillent pas deux ans après leur diagnostic.

Les raisons sont multifactorielles et ne dépendent pas uniquement de leur état de santé. « Nous avons observé que les femmes plus âgées, dans des situations sociales plus défavorisées, dans des emplois physiquement plus difficiles, mais également qui ont eu des traitements plus lourds et des séquelles, ont davantage de mal à retourner au travail », explique Gwenn Menvielle. Et pour celles qui ont pu réintégrer leur poste, le maintien en emploi dans les conditions préalables n'est pas assuré. En effet, selon la chercheuse, une femme sur quatre ayant repris leur emploi l'année suivant leur traitement déclare avoir subi des discriminations.

À LIRE AUSSI Comment lutter contre les discriminations sur le marché du travailMême si elle est parvenue à reprendre le travail, très fatiguée par ses traitements, Hélène a finalement demandé à son employeur de passer à mi-temps, en changeant temporairement de poste, ses missions étant bien trop stressantes pour sa condition physique et psychologique. « À mon retour, au bout d'une demi-journée, j'étais à plat. Et puis j'avais vraiment peur de ne pas être à la hauteur, je me sentais coupable d'avoir laissé mes collègues gérer mon travail pendant six mois », ajoute-t-elle.

Son employeur, très au fait sur la question du soutien aux salariés en rémission de cancer, lui a alors proposé un accompagnement psychologique via une association appelée Entreprise et cancer, qui œuvre pour favoriser le maintien et le retour au travail des personnes touchées par cette maladie.

Des employeurs trop en retrait

Pendant près de neuf mois, à intervalles réguliers, Hélène a rencontré une coach, ce qui lui a permis de reprendre progressivement le travail et d'accepter sa condition. Pendant un an, elle est restée à mi-temps et, depuis septembre 2023, elle travaille à 80 %. « Ma coach m'a accompagnée lors des démarches avec mon employeur. Je me disais que mes manageurs allaient refuser ma réduction de temps de travail. Mais ils ont accepté. Cet accompagnement a été très bénéfique pour moi, il m'a permis de mieux appréhender mon poste et de mieux gérer ma vie au travail. »

La reprise du travail peut aussi être plus difficile en raison d'une évolution du système de valeurs. « Quand un diagnostic de cancer est posé, même si elle se guérit mieux de nos jours, la maladie renvoie à l'idée de mort. Ces patients sont donc plus enclins à reconsidérer leurs priorités dans la vie et se rendent compte que leur vie personnelle doit occuper une plus grande place dans leur quotidien », explique Gwenn Menvielle.À LIRE AUSSI Comment trouver un tempo à soi, dans l'enfer du quotidien ? D'après une enquête réalisée par l'institut Verian pour le Laboratoire de l'égalité – une association qui œuvre pour une mise en œuvre effective de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes –, 42 % des femmes actives estiment que l'équilibre vie professionnelle-vie personnelle est l'aspect de leur quotidien ayant le plus d'influence sur leur santé.

Mais pour pouvoir penser sa réinsertion professionnelle, cela doit obligatoirement passer par un échange avec son employeur. Or, selon cette même enquête, 47 % des femmes actives estiment que leur santé n'est pas une préoccupation concrète pour leur employeur. Il y a donc une marge de progression pour Marine Darnault, administratrice du Laboratoire de l'égalité.

Plus compliqué dans les PME

« Dans notre étude, nous avons montré qu'il y avait à la fois une identification du problème, mais une demande de la part des salariées. Et il se dégage déjà des pistes pour permettre aux employeurs de devenir de vrais acteurs de la prévention et de la protection des risques professionnels », soutient Marine Darnault. Des aménagements du temps de travail ou la mise en place d'accompagnement comme celui dont a bénéficié Hélène pourraient en inspirer d'autres.
 

Dans leurs travaux, Gwenn Menvielle et ses consœurs sont parvenues à démontrer que ces accompagnements et le soutien des manageurs favorisent le maintien en emploi. « De fait, la mise en place d'aménagement du temps de travail réduit le nombre de sorties de l'emploi », explique l'épidémiologiste.

Toutefois « il reste des efforts à faire », note Gwenn Menvielle, qui précise : « C'est important d'accompagner les manageurs pour leur permettre de proposer ces aménagements. On sait aussi que c'est bien plus compliqué dans une PME de mettre en place ces dispositifs que dans une grosse entreprise. Les pouvoirs publics doivent mieux accompagner les employeurs qui sont dans la demande, mais parfois démunis. » Hélène, elle, en est convaincue : « Si je n'avais pas bénéficié de cet accompagnement et de ce changement temporaire de poste, je n'aurais jamais pu reprendre mon travail aussi tôt. »

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Commentaires (3)

  • mireil

    Une Pme, ou même une Tpe avec un effectif réduit et une rentabilité ric-rac.
    pensez vous jne demi minute qu’elle a les moyens financiers et humains d’accompagner chacun de ses employés en difficulté de cette manière?
    J’ai été indépendante, les 3 fois ou j’ai du être opérée, j’ai repris le travail la semaine suivante...

  • Charme59

    Pour ma part à 27 ans après un cancer j'ai repris, y compris de nuit, le travail au bout de 3 semaines et après un stent cardiaque à 62 ans j'ai repris au bout de 3 jours... Si, si... Mais je ne suis pas salarié...

  • guy bernard

    Les patrons français ont l'habitude de gérer les aléas, et en particulier ceux qui sont dus à la maladie, et encore plus à la maternité.
    Des personnes de l'exterieur, qui n'ont jamais eu de responsabilités, décrivent en réalité ce que serait leur attitude au pouvoir et qui n'est pas celle de ceux qui les assument.