Quand le Tour s’arrête à Colombey-les-Deux-Églises

On était samedi à l’arrivée du Tour de France. On a vu le Général, Pogacar, Evenepoel, monsieur Piot et quelques politiques. Nos brèves de pèlerinage.

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Le Maillot jaune Tadej Pogacar pose près de la statue du général de Gaulle à l'arrivée de l'étape à Colombey-les-Deux-Églises, le 6 juillet 2024.  
Le Maillot jaune Tadej Pogacar pose près de la statue du général de Gaulle à l'arrivée de l'étape à Colombey-les-Deux-Églises, le 6 juillet 2024.   © Stéphane Mahé / REUTERS

Temps de lecture : 8 min

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D'ordinaire, quand on se rend à Colombey-les-Deux-Églises, c'est en pèlerinage. Pour le Général. Cela fait longtemps qu'il n'y a plus deux églises à Colombey – il en reste quand même une – mais à la place, on a une chapelle ardente, La Boisserie, un temple pédagogique, le Mémorial, et une grande croix, celle de Lorraine qui coiffe le tout et que les coureurs, s'ils avaient levé le nez de leur guidon, auraient aperçue dix kilomètres avant l'arrivée comme on aperçoit la tour Eiffel. La géographie a bien fait les choses, avec cette colline. Les lieux de culte sont toujours sur une colline ou une butte.

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Pèlerinage

Samedi, c'était jour d'un autre pèlerinage, celui de la Grande Boucle, venue bénir son histoire à l'onction du génie du lieu, sans savoir que l'hommage tomberait la veille d'un vote qui pourrait sonner le glas de sa République. Un homme était heureux : Jean-Paul Ollivier, qui un jour a déclaré au Point que le Tour n'était ni de gauche ni de droite. Ce samedi, il a croisé ses deux passions auxquelles il a dédié une vingtaine de livres, le Tour et le Général. Mais à 80 ans passés, il a la passion tranquille, Paulo la Science, l'air serein de l'homme qui en sait assez pour ne pas douter que jamais un scrutin n'abolira la Grande Boucle.

Déroutes

Sur la ligne d'arrivée où ils ont posé en rang d'oignons, ils n'avaient pas vraiment la tête à la course, les présidents de départements qui venaient de descendre des voitures officielles. Ce qu'on appelle une photo souvenir. Le souvenir d'un monde sur le point d'être englouti. Certains, dimanche dernier, avaient essuyé une très sévère défaillance, un vrai coup de bambou, largement décramponnés par un coureur RN qui leur avait flanqué 20 ou 28 points dans la vue. Jérôme Dumont, le président du conseil de la Meuse, battu dans son propre village, désavoué par des électeurs qui lui avaient confié, un peu ennuyés : « Jérôme, on n'a rien contre toi, mais là, on n'en peut plus. » Décidément, il n'y a plus de régional de l'étape.

Nicolas Lacroix, président du conseil de la Haute-Marne, hôte de notre arrivée. Même à Colombey, il s'est fait coiffer sur le fil. Alors qu'il s'était battu pour avoir enfin le Tour dans le département après une longue période de vaches maigres. Alors qu'il avait obtenu la flamme olympique venue éclairer, il y a une semaine, l'auguste tombe dans le petit cimetière qu'un sympathique gendarme surveillait, ce samedi, à distance respectueuse, sous une pluie fine. La politique, école de l'ingratitude ? On lui doit ces larges photos d'un Général qui trône à nouveau dans les rues du village, pris en flagrant délit de sport.

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Indifférence

Dans la tente à l'accès très réservé qui voisine avec la ligne d'arrivée, il y avait donc de la préfète, du président de région – le Grand Est – ou d'autres départements – Doubs, Hautes-Alpes… Bien arrivés certes, sur la ligne, mais pas vraiment vainqueurs, sous l'œil indifférent de la foule massée de l'autre côté. À l'applaudimètre, zéro. Au sifflomètre, zéro aussi. L'indifférence. On ne les avait sans doute pas reconnus. Les seuls applaudissements sont allés au patron de la course, Christian Prudhomme. Tout un symbole !

Sous cette tente VIP, une petite télé relayait les images de la course et de France Télévisions. La même image était diffusée sur grand écran au-dessus de la ligne, mais à deux kilomètres, coupure pub, place à Continental ou Leclerc, au grand désappointement des badauds, tandis que les invités continuaient à regarder sur le petit écran de l'autre côté de la rue.

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Un Africain vainqueur

Biniam Girmay a remporté la 8e étape du Tour de France 2024.  
 ©  Stéphane Mahé / REUTERS
Biniam Girmay a remporté la 8e étape du Tour de France 2024.   © Stéphane Mahé / REUTERS
C'est un Africain qui l'a donc emporté chez le Général. Un Érythréen. Biniam Girmay. Là aussi, joli symbole. Sans l'Afrique, sans l'Empire, sans quelques gouverneurs et des milliers de soldats du désert, le Général n'aurait jamais entamé sa remontada. Il aurait apprécié, comme il avait exprimé son respect à l'Algérien Mimoun, « vrai fils de la France ». En 1941, des Français libres se sont battus aussi en Érythrée, aux côtés des Anglais, à Kub-Kub, Keren, Massaouah… Des victoires oubliées, qui ont fait moins de bruit que cette deuxième victoire de Biniam.

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Cimetière

Le tour du village a été vite fait. Après avoir déambulé dans le centre de presse, hébergé par le Mémorial où la voix du Général à l'étage – dans l'exposition – se mêlait aux accents espagnols ou italiens de nos collègues sportifs au rez-de-chaussée, après avoir constaté au cimetière que la tombe d'un petit-fils du Général – lequel ? mystère – est déjà prête en face du grand-père –, après avoir discuté avec un Haut-Marnais qui avait rentré son vélo dans l'église pour se protéger de la pluie – le Bon Dieu aime les cyclistes –, on s'est assez vite ennuyé à attendre les coureurs. Sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?

Le dernier témoin du Général

Alors, on est allé voir M. Piot. On n'avait pas rendez-vous. On a vu la borne Decaux où figure le courrier que le Général lui a adressé le 9 novembre 1970 : « Cher monsieur Piot, je vous demande d'accepter ceci qui tient compte de votre gracieux renoncement à notre bail. » Quel bail ? Et derrière ce « ceci », que fallait-il comprendre ? Monsieur Piot, qui tient avec son épouse une papeterie où les ouvrages sur le Général sont mis à l'honneur, a bien voulu nous ouvrir la boîte aux souvenirs de sa visite à « La Boisserie », quatre heures avant le décès du châtelain. Une histoire de bail à régler pour les trois ou quatre hectares entourant le domaine. Le remembrement venait de prendre fin à Colombey, le Général ne voulait plus de fermier, il a donc demandé à monsieur Piot, paysan, de renoncer à son fermage, de ne plus y mettre des bêtes.

Les porteurs du cercueil

« Il était très causant », se souvient M. Piot, qui aura donc été à la fois son dernier interlocuteur et correspondant. Un simple Français. En matière de sortie, on aurait imaginé sujet plus illustre, mais c'est ainsi. À cheval sur les convenances, le Général les aura jusqu'au dernier instant respectées. Quant au « ceci », c'était la somme de 500 francs, que le lendemain matin, le chauffeur du Général a apportés en même temps que la nouvelle de son décès.

M. Piot, qui tient boutique devant le cimetière, les a tous vus passer depuis 1970, les politiques. Tous sauf Mitterrand et Marine Le Pen, qui a longtemps tenu meeting dans un village voisin. Le RN, ici, nous glisse ce gaulliste historique en secouant la tête, ça n'existait pas. Il n'a pas été l'un des douze jeunes hommes de Colombey qui a porté le cercueil aux obsèques. Il avait 27 ans, trop âgé. Mais son petit frère fut l'un des douze portefaix. Huit sont encore vivants. Un jour, on fera sans doute un article sur le dernier des douze. Ce jour-là, une autre page, (im)portante, du gaullisme sera tournée. Pendant notre discussion, personne n'est venu acheter un livre sur le Général. Les affaires sont plus calmes qu'un peu plus bas, devant les baraques des produits de la Haute-Marne.

Récupération

Les affaires sont aussi calmes que le protocole du Tour est bien huilé. La bonne santé d'une institution se mesure à son protocole. Derrière le podium, caméras et micros sont aimantés par les porteurs de maillots distinctifs, qui récupèrent après l'étape sur leurs vélos fixes pour faire baisser les toxines. Devant la télé, on oublie ces outils de la diffusion braqués sur les coureurs, à 50 centimètres, comme sur des bêtes curieuses. Sur place, on ne voit que ça, cette promiscuité. C'est vrai qu'ils ont l'air curieux à pédaler encore, alors que l'étape est finie. Mais ils récupèrent mieux que nos politiques. Avec notre veste de ville, on faisait un peu tache parmi cette forêt de techniciens en chasubles qui évoluent dans un ballet bien rodé et un entrelacs de câbles. Evenepoel s'est aperçu de l'anomalie et a braqué sur nous un regard interrogateur : qui c'est celui-là ? Impression de puissance qui se dégageait de ce jeune homme ramassé, le plus aéro du peloton. Le Maillot jaune Pogacar, détendu, avait l'air, comme toujours, de faire de la patinette.

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Le protocole, un parcours

Il n'empêche que ses arrivées de course ont des allures de petit chemin de croix. Sept stations, la moitié du Christ. Changement d'habit dans un petit camion. Séance de récup' sous le nez du monde entier. Quarante pas pour aller sur le podium revêtir un nouveau maillot jaune. Passage sur le siège de France Télévisions dans un coin d'une tente, à deux pas des vélos de récup', pour une première interview. Défilé dans la zone mixte où une trentaine de médias étrangers ont droit à cinq minutes, montre en main, de parlote automatique. Retour dans le camion du début pour une mini-conf' retransmise dans le centre de presse. Puis pipi à dix mètres pour le contrôle antidopage.

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Diable dans les détails

Le chaperon de Sports Ethics, le seul vêtu en fonctionnaire, le marque à la culotte avec une enveloppe dans les mains, les documents qu'il va lui faire signer, la chose faite. Nous non plus, on ne l'a pas quitté d'une semelle, Pogacar. Dans le camion de la conf' de presse, on s'est retrouvé devant lui, avec les trois journalistes qui lui posaient les mêmes questions qu'hier et avant-hier. S'il s'est demandé aussi qui c'est celui-là, il n'en a rien laissé paraître. Très zen, le Pogi. On aurait voulu l'interroger sur le général de Gaulle, les élections législatives, on aurait voulu savoir ce qu'il pensait des extrêmes… Mais Pogacar n'est pas Mbappé. Et puis, qu'est-ce qu'il en a à fiche de notre politique intérieure, le Slovène ? On aimerait avoir sa sérénité.

Le tout lui a pris au moins une demi-heure. Pendant ce temps, son rival Vingegaard était tranquille comme Baptiste, sous la douche ou les mains d'un masseur dans le bus de la Visma. Être leader a de sérieux inconvénients dans bien des domaines. Mais Pogi, cette année, optimise le temps, nous a-t-on confié. Fini la rigolade. Petit détail qui en dit long. Il fait sa récup' sur son vélo de chrono, pour s'y habituer chaque jour. Le diable, et le succès, gît dans les détails. Là aussi, comme partout ailleurs.

Statue

Jadis, on allait à Colombey pour consulter l'oracle. Espérer un miracle comme à Lourdes. En mai 1958, quand la crise a éclaté pour de bon, ils sont quelques-uns à avoir pris le chemin de la Haute-Marne. Hier, ils étaient des milliers, mais pour voir les coureurs. Tels des fidèles redescendus de l'oratoire, les pèlerins ont regagné à pied leurs véhicules garés sur des kilomètres.

Un homme venu de l'Aube a retenu une image qu'il nous confie : Pogacar posant à côté du podium et de la statue en bois du Général qu'on avait sortie du Mémorial. Avec la croix de Lorraine en arrière-plan, ça en jetait. Pogi souriait, de Gaulle, un peu moins. De bois, le Général ? Et si la statue soudain s'était mise à saigner, comme dans un film de Fellini. C'est ce qu'on s'est demandé tout à l'heure devant sa tombe, alors qu'il s'est mis à tomber une petite pluie, triste à se pendre.

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Commentaires (3)

  • Clicoeur

    @ Djill-59 (à 14 h. 29)
    Peut-être qu'il faudrait une troisième Guerre mondiale pour nous amener un Président providentiel tel le Général de Gaulle.

  • agri2

    Souvenons nous également ce fameux jour ou lenpeloton s'arrêtait pour saluer De Gaullebqui venait simplement regarder le tour.

  • Djill-59

    Ah si le Général avait pu avoir, actuellement, un vrai héritier, on en serait pas là...