Clap de fin pour Scilogs.fr

La bataille pour une science accessible et gratuite n’est pas simple: elle nécessite de la passion, des bénévoles, des équipes, des infrastructures, des lecteurs et tout simplement des moyens. Celle de Scilogs.fr arrive à son terme. Ceci est le clap de fin d’une aventure de 10 ans. Laissons la parole à Philippe Ribeau-Gésippe, Responsable numérique du magazine PourlaScience.fr. Ikram Chraibi Kaadoud.
Le blog « intelligence-mecanique » blog compagnon de https://www.lemonde.fr/blog/binaire
  accessible ici :

https://scilogs.fr/intelligence-mecanique/intelligence-mecanique-de-quoi-parle-ton/
est archivé là https://files.inria.fr/mecsci/scilogs.fr/intelligence-mecanique/
pour garder les contenus accessibles.

Chère Lectrice, Lecteurs,

Cette année, cela fera 10 ans que Scilogs.fr existe. Cette plateforme de blogs avait été lancée en 2013 par Pour la Science avec l’idée de fédérer une communauté de blogueurs issus du monde de la recherche et réunis par l’envie de vulgariser leurs travaux avec l’exigence de rigueur qui fait la marque des magazines Pour la Science et Cerveau & Psycho.

Depuis lors, près de 30 blogs, dont Intelligence Mécanique, ont ainsi été ouverts sur Scilogs.fr, et près de 3000 articles publiés, souvent passionnants.

Mais proposer une plateforme telle que Scilogs.fr a un coût. Des coûts d’hébergement et de maintenance, d’une part, nécessaires pour mettre à jour les versions du système et intervenir en cas de panne ou d’attaque informatique. Et des ressources humaines, d’autre part, pour gérer les problèmes, recruter de nouveaux blogueurs, aider les auteurs ou promouvoir les nouveaux articles sur les réseaux sociaux.

Nous avons consacré à Scilogs.fr autant de temps et d’investissements qu’il nous était raisonnablement possible de le faire, car nous étions convaincus que c’était un beau projet. Hélas, le succès n’a pas été à la hauteur de nos espérances, et, Scilogs.fr n’a jamais réussi à trouver un modèle économique viable.

Nous sommes donc au regret d’annoncer que Scilogs.fr est arrêté  mais reste disponible

Merci à toutes et tous,

Philippe Ribeau-Gésippe

Un exercice avec ChatGPT

Un exercice obligé en ce moment est de rédiger un texte avec ChatGPT pour illustrer ce que ce logiciel peut faire. Cela peut être une dissertation de philo pour le bac. Ici, Claire Mathieu, une amie et grande contributrice de binaire, demande à ChatGPT de rédiger le rapport de la mission Gillet au sujet de l’évolution de l’écosystème de la recherche en France.  Serge Abiteboul
Cet article est repris de  Academia.hypotheses.org hébergé par la plateforme Hypothèses, une plateforme d’OpenEdition pour les blogs de recherche en sciences humaines et sociales.
Sa version en pdf :  UtiliserChatGPT.

Introduction

Pour explorer le potentiel de ChatGPT comme assistant1, essayons la tâche de rédaction d’un rapport. Ici, nous avons pris pour exemple la mission confiée fin 2022 à Philippe Gillet par Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, lui demandant un rapport au sujet de l’évolution de l’écosystème de la recherche en France.

https://www.flickr.com/photos/192902634@N05/52878130124/in/photolist-2oyEeQG-2ood7q4-2oo8aXS-2ooccEy-2oqTj89-2o89QAj-2oiMPXZ-2oq9UPn-2owVA36-2oespQo-2ob4nys-2oqs5pY-2ood3rc-2od9s9g-2owCwum-2oob2w1-2ovTvJf-2ocFAkw-2oAsvpm-2omMX5s-2oaKYyK-2om8AJR-2ooaR4H-2oo7Zdf-2obE6Pa-2ooaTzj-2oyScUy-2oqgFcH-2oi1iJR-2oAJXYt-2ocxZ7B-2ooc8uE-2o6m5bA-2oocfKb-2otrA6x-2ooccc9-2oo83WH-2oyfTds-2owANwt-2oigrZ4-2owV4pq-2odnFMW-2owouv8-2oyiwiL-2oq95Ge-2ousxEP-2kUcD6i-2ovtwKn-2oC8pJM-2o53ad8

Crédit: Focal Foto,2023

Conversation avec ChatGPT

Prompt #1: Voici une lettre de mission de la ministre de l’enseignement superieur et de la recherche: Les deux dernières décennies ont été marquées par des transformations majeures qui ont conduit à l’émergence d’acteurs plus autonomes et maîtres de leur stratégie de recherche, à des politiques de site renforcées. a ministre, Madame Retailleau, a missionné Philippe Gillet sur « les évolutions de l’écosystème national de la recherche et de l’innovation », il s’agit justement de « poursuivre et renforcer ce qui a été mis en place à travers les PEPR ». Et dans cette logique la lettre de mission met en avant la « notion d’agences de programmes ». Que contiendra le rapport écrit en réponse à la lettre de mission?

ChatGPT

Le rapport écrit en réponse à la lettre de mission abordera les différentes dimensions de l’écosystème national de la recherche et de l’innovation, en se concentrant sur les évolutions et les améliorations possibles. Voici quelques éléments clés que le rapport pourrait inclure :

  1. Analyse de l’écosystème actuel : Le rapport dressera un état des lieux de l’écosystème national de la recherche et de l’innovation, en examinant les acteurs impliqués, les politiques en place et les résultats obtenus au cours des dernières décennies. Il identifiera les forces et les faiblesses de l’écosystème existant.
  2. Renforcement des acteurs autonomes : Le rapport mettra en avant l’émergence d’acteurs plus autonomes et maîtres de leur stratégie de recherche. Il proposera des mesures pour renforcer cette autonomie, en favorisant la collaboration entre les institutions de recherche, les universités, les entreprises et les organismes publics.
  3. Politiques de site renforcées : Le rapport examinera les politiques de site mises en place et évaluera leur efficacité. Il formulera des recommandations pour renforcer ces politiques, notamment en encourageant la spécialisation et la complémentarité des sites de recherche, en favorisant les synergies entre les acteurs locaux et en renforçant les partenariats public-privé.
  4. Les Plans d’Ensemble Pluriannuels de la Recherche (PEPR) : Le rapport évaluera l’impact des PEPR et proposera des mesures pour poursuivre et renforcer ce qui a été mis en place à travers ces plans. Il examinera la pertinence des priorités fixées, l’allocation des ressources et les mécanismes de suivi et d’évaluation.
  5. Notion d’agences de programmes : Le rapport explorera la notion d’agences de programmes dans le contexte de l’écosystème national de la recherche et de l’innovation. Il analysera les avantages potentiels de la création de telles agences, en termes de coordination, de financement ciblé et de promotion de la recherche de pointe. Il proposera des recommandations sur la manière de mettre en place ces agences et de les intégrer efficacement dans le paysage de la recherche et de l’innovation.

Le rapport fournira également des données statistiques, des exemples de bonnes pratiques nationales et internationales, ainsi que des propositions concrètes pour améliorer l’écosystème de la recherche et de l’innovation en réponse aux orientations de la lettre de mission.

Commentaire : Dans cette première réponse, ChatGPT utilise les bons éléments de langage, mais il se contente de rappeler des définitions de termes (tout en se trompant sur la signification de l’acronyme PEPR) et fait beaucoup de recommandations génériques (analyser, explorer, examiner, faire un état des lieux, faire des recommandations) qui valent pour n’importe quel rapport sur n’importe quoi. Ce n’est pas cela que doit contenir le rapport. Il faut lui demander de creuser.
Prompt #2: que pourraient être ces propositions concrètes ?

ChatGPT

Voici quelques exemples de propositions concrètes qui pourraient être incluses dans le rapport :

  1. Renforcement de la coopération interinstitutionnelle : Encourager les collaborations entre les institutions de recherche, les universités et les entreprises en facilitant l’échange d’expertise, de ressources et de bonnes pratiques. Mettre en place des incitations et des mécanismes de soutien financier pour promouvoir les partenariats public-privé.
  2. Développement de pôles d’excellence : Identifier et soutenir les domaines de recherche où la nation peut se positionner en tant que leader mondial. Investir dans ces pôles d’excellence en fournissant des ressources supplémentaires, en favorisant le recrutement de talents et en établissant des infrastructures de pointe.
  3. Accroissement des financements compétitifs : Augmenter les financements alloués à la recherche et à l’innovation par le biais de programmes compétitifs. Encourager les chercheurs et les institutions à participer à des appels à projets, en mettant l’accent sur l’excellence scientifique, l’impact socio-économique et la collaboration internationale.
  4. Renforcement du transfert de technologie : Mettre en place des mécanismes pour faciliter le transfert des connaissances et des technologies issues de la recherche vers le secteur privé. Encourager les partenariats entre les chercheurs et les entreprises, promouvoir la création d’entreprises innovantes et simplifier les procédures de valorisation de la recherche.
  5. Promotion de la recherche interdisciplinaire : Encourager la collaboration entre les différentes disciplines scientifiques en soutenant la recherche interdisciplinaire. Créer des incitations pour les chercheurs à travailler ensemble sur des projets transversaux et favoriser l’émergence de nouvelles approches et découvertes grâce à cette synergie.
  6. Renforcement des mécanismes d’évaluation et de suivi : Améliorer les processus d’évaluation et de suivi de la recherche et de l’innovation. Mettre en place des critères clairs pour évaluer l’impact et la qualité des projets de recherche, et utiliser ces évaluations pour allouer les financements de manièr plus efficace.
  7. Promotion de la mobilité des chercheurs : Encourager la mobilité internationale des chercheurs en facilitant les échanges, les collaborations et les séjours de recherche à l’étranger. Mettre en place des programmes de bourses et des infrastructures de soutien pour promouvoir la mobilité et l’échange d’idées.

Ces propositions sont données à titre d’exemples et peuvent varier en fonction des besoins et des spécificités de chaque pays. Le rapport pourrait également inclure des recommandations sur les modalités de mise en œuvre de ces propositions, les ressources nécessaires et les indicateurs de suivi et d’évaluation.

Commentaire : cette fois-ci, ChatGPT a fait des recommandations qui pourraient effectivement être mises dans le rapport. Cependant, les mots “ces propositions..  peuvent varier en fonction… des spécificités de chaque pays” montrent que ce serait un rapport avec des recommandations génériques pour la recherche, mais pas spécialement en France. Voyons si on peut obtenir quelque chose de plus précis.
Prompt #3: Ce serait spécifiquement pour la France.

ChatGPT

Bien sûr, en prenant en compte le contexte français, voici quelques propositions concrètes spécifiques à l’écosystème de recherche et d’innovation en France :

  1. Renforcement du financement de la recherche : Accroître les investissements publics dans la recherche et l’innovation afin d’atteindre les objectifs fixés, notamment en augmentant les budgets alloués aux organismes de recherche tels que le CNRS, l’INSERM, et le CEA.
  2. Simplification des procédures administratives : Réduire la bureaucratie et simplifier les procédures administratives liées aux demandes de financement et aux projets de recherche, afin de libérer plus de temps et de ressources pour la recherche effective.
  3. Promotion de la recherche collaborative : Encourager les collaborations entre les organismes de recherche, les universités et les entreprises en facilitant les partenariats et en mettant en place des incitations pour les projets de recherche collaborative. Favoriser la création de consortiums de recherche public-privé
    pour stimuler l’innovation.
  4. Renforcement de la recherche fondamentale : Reconnaître l’importance de la recherche fondamentale en tant que socle de l’innovation et de la découverte scientifique. Allouer des ressources supplémentaires aux laboratoires de recherche fondamentale et favoriser la liberté académique des chercheurs.
  5. Développement de structures de soutien à l’innovation : Mettre en place des structures dédiées au soutien à l’innovation, telles que des incubateurs et des accélérateurs, pour accompagner les chercheurs et les entrepreneurs dans le processus de transfert de technologie et de création d’entreprises.
  6. Renforcement de l’attractivité des carrières scientifiques : Mettre en œuvre des mesures visant à attirer et à retenir les talents scientifiques, tels que l’augmentation des salaires des chercheurs, l’amélioration des conditions de travail et la création de perspectives de carrière attractives.
  7. Internationalisation de la recherche : Favoriser la participation des chercheurs français à des collaborations internationales, en encourageant les échanges, les partenariats et la mobilité des chercheurs à l’échelle mondiale. Développer des programmes spécifiques pour attirer des chercheurs étrangers de haut niveau en France.

Ces propositions sont des exemples qui pourraient être envisagés pour renforcer l’écosystème national de la recherche et de l’innovation en France. Elles nécessitent une analyse plus approfondie et une évaluation de leur faisabilité et de leur impact potentiel, ainsi que des discussions plus larges avec les parties prenantes concernées pour définir les mesures les plus adaptées à la situation spécifique du pays.

Commentaire : cette fois-ci c’est spécifique à la France. On voit apparaître les noms des trois plus grands organismes de recherche français (CNRS, CEA, INSERM), la bureaucratie est identifiée comme un problème, etc. Il est intéressant de comparer dans ses grandes lignes cette réponse avec la précédente ! Mais en fait c’est plus un plan de rapport qu’un rapport complet, et il faudrait développer chaque partie. (Je note cependant que la dernière phrase est obsolète car des programmes spécifiques pour attirer des chercheurs étrangers ont été développés depuis quelques années.) Je choisis le point 2 (simplification des procédures administratives, un sujet dont nous avons discuté au CS du CNRS) et lui demande de le développer.
Prompt #4: Concrètement comment simplifier les procédures administratives ?

ChatGPT

Pour simplifier les procédures administratives dans le domaine de la recherche et de l’innovation, voici quelques mesures concrètes qui pourraient être prises en compte en France :

  1. Rationalisation des formulaires et des demandes de financement : Simplifier et harmoniser les formulaires de demande de financement afin de réduire la charge
    administrative pour les chercheurs et les équipes de recherche. Éviter les redondances et les exigences excessives en matière de documentation.
  2.  Centralisation des processus administratifs : Mettre en place des structures centrales ou des guichets uniques chargés de la gestion administrative des projets de recherche. Cela permettrait de regrouper les demandes, les rapports et les procédures de suivi au sein d’une seule entité, réduisant ainsi les démarches pour les chercheurs.
  3. Utilisation des technologies numériques : Développer des plateformes umériques conviviales et intuitives pour la soumission en ligne des demandes de financement, le suivi des projets et la communication avec les organismes de recherche. Automatiser les processus lorsque cela est possible pour réduire les délais et les erreurs.
  4. Simplification des règles de gestion financière : Clarifier et simplifier les règles de  gestion financière applicables aux projets de recherche, en tenant compte des  spécificités de la recherche scientifique. Réduire les contraintes administratives  iées à la justification des dépenses et faciliter la gestion des budgets alloués.
  5. Formation et assistance aux chercheurs : Fournir une formation et un soutien adéquats aux chercheurs sur les procédures administratives, les règles de  financement et les exigences documentaires. Mettre à leur disposition des ressources en ligne, des guides pratiques et des personnes-ressources pour les accompagner dans leurs démarches administratives.
  6. Évaluation des pratiques administratives : Réaliser des évaluations régulières des pratiques administratives en place pour identifier les points de blocage et les sources de complexité. Réviser et adapter les procédures en fonction des retours d’expérience des chercheurs et des gestionnaires de projet.
  7. Coordination interinstitutionnelle : Promouvoir la coordination et la coopération la gestion des projets de recherche. Faciliter les échanges d’informations et la mutualisation des bonnes pratiques pour harmoniser les procédures administratives.

Ces mesures visent à réduire la bureaucratie et à simplifier les procédures administratives pour les chercheurs et les équipes de recherche, afin de leur permettre de se concentrer davantage sur leurs travaux scientifiques. Il est important de mener une analyse approfondie des processus existants et de travailler en étroite collaboration avec les parties prenantes pour mettre en œuvre ces mesures de simplification de manière efficace.

Commentaire : tout ceci semble de bon sens. Pour voir s’il est capable de remplir ces sections en les développant de façon plus détaillée, je choisis une de ses propositions, la réduction des contraintes administratives liées à la justification des dépenses (car je sais que des collègues ne se font pas rembourser certaines choses simplement parce que c’est administrativement trop compliqué) et lui demande de la développer.
Prompt #5: Peux-tu donner un exemple de réduction des contraintes administratives liées à la justification des dépenses ?

ChatGPT

Certainement ! Voici un exemple concret de réduction des contraintes administratives liées à la justification des dépenses dans le contexte de la recherche :

Actuellement, les chercheurs doivent souvent fournir de nombreuses pièces ustificatives détaillées pour chaque dépense effectuée dans le cadre d’un projet de recherche. Cela peut inclure des factures, des reçus, des rapports de dépenses détaillés, des autorisations spécifiques, etc. Cette procédure peut être chronophage et complexe, entraînant une charge administrative supplémentaire pour les chercheurs  Pour simplifier cette procédure, une approche pourrait consister à mettre en place une méthode simplifiée de justification des dépenses basée sur des seuils prédéfinis. Par exemple :

  1. Seuils de dépenses : Établir des seuils de dépenses en fonction de la nature des dépenses et de leur montant. Par exemple, un seuil de 100 euros pour les petites dépenses courantes et un seuil de 500 euros pour les dépenses plus importantes
  2.  Justification simplifiée pour les petites dépenses : Pour les dépenses en dessous du seuil prédéfini (par exemple, 100 euros), les chercheurs pourraient être dispensés de fournir des pièces justificatives détaillées. Ils pourraient simplement déclarer la nature générale de la dépense et son montant total dans un rapport de dépenses global.
  3. Justification allégée pour les dépenses intermédiaires : Pour les dépenses situées entre les seuils prédéfinis (par exemple, entre 100 et 500 euros), une justification simplifiée pourrait être demandée. Il pourrait s’agir de fournir un justificatif de paiement, tel qu’un relevé de carte de crédit, une facture récapitulative ou une note de frais résumée.
  4. Justification complète pour les grandes dépenses : Les dépenses dépassant le seuil prédéfini le plus élevé (par exemple, 500 euros) pourraient nécessiter une justification complète et détaillée, conformément aux procédures existantes. Cette approche permettrait de réduire la charge administrative liée à la justification des dépenses de faible montant, tout en conservant des mécanismes de contrôle pour les dépenses plus importantes. Cela permettrait aux chercheurs de consacrer plus de temps à leurs travaux de recherche et de réduire la complexité administrative associée à chaque dépense.

Il est important de noter que la mise en place d’une telle approche nécessite une évaluation minutieuse des risques et des implications financières, ainsi qu’une adaptation des politiques et des procédures existantes en matière de justification  des
dépenses.

Commentaire : Alors là, je suis bluffée. C’est concret, pertinent, réaliste. Rien à dire. Il n’y aurait plus qu’à faire le même travail de prompts qui demandent des détails sur chacun des points, en le guidant lorsque ses suggestions ne me plaisent pas ou ne correspondent pas aux orientations suggérées par la lettre de mission (que pour bien faire j’aurais du recopier en entier), et j’ai l’impression que cela mènerait à un rapport complet et utilisable.

Conclusion

Comment a-t-on pu arriver à une telle qualité ? Pour répondre à mes demandes, ChatGPT se promène dans un espace mathématique dont les liens ont été préalablement construits par l’analyse d’un très grand nombre de documents.

Dans ma première question, j’ai essayé de donner un contexte qui lui ferait se positionner dans une région particulière de l’espace mathématique : la région qui, à ce que j’imagine, est occupée par des bouts de textes de documents et rapport administratifs sur la recherche française. Les deux questions suivantes ont permis de préciser le contexte pour mieux le positionner.

Une fois cela réussi, ChatGPT s’est mis à construire ses réponses en s’inspirant de bouts de phrases qui se trouvent dans cette zone de l’espace. C’est un peu comme si j’avais lu tout un ensemble de rapports, projets, propositions sur l’évolution de la recherche en France, et que j’en eusse extrait un texte synthétisant une partie de ce qui s’y trouvait. Mais au lieu de passer des semaines ou des mois à ce travail de collecte et d’analyse de l’information, j’ai laissé ChatGPT s’en charger.

Pour obtenir en quelques heures un rapport complet, il faudra continuer à poser des questions pour développer chaque élément, en corrigeant le tir lorsque la direction prise ne convient pas, et en évitant de remonter à un niveau de généralité qui produirait des recommandations inutiles. Il faudra pour cela acquérir l’art de poser des bonnes questions de façon à obtenir de bonnes réponses.

Cette méthode n’est pas exempte de dangers : d’une part, ChatGPT se base sur les documents produits avant 2021, ce qui peut l’amener à faire des suggestions obsolètes qui ne seraient plus à l’ordre du jour ; d’autre part, même si je peux par mes questions orienter et guider le rapport vers les pistes qui m’intéressent le plus, c’est ChatGPT qui fait les suggestions de recommandations, et il peut très bien ne pas mentionner quelque chose qui se trouve dans l’un ou l’autre des documents et qui m’aurait plu si j’en avais connu l’existence, mais qui est trop marginal pour être facilement repéré par le radar de ChatGPT. (Cela dit, un travail personnel classique risquerait aussi de passer à côté, faute de temps pour tout lire). De plus, il y a un risque de plagiat : par exemple, la dernière suggestion de ChatGPT, avec une procédure à base de seuils, est si précise qu’on peut se demander si elle n’a pas été copiée à partir d’un document particulier.

Étant donné la façon dont ChatGPT procède, il n’y aura probablement pas de création, d’idée complètement nouvelle. Il n’en demeure pas moins qu’il est désormais possible pour moi de court-circuiter le travail de lecture, d’assimilation, de sélection, et de synthèse des travaux existants sur la réforme de la recherche en France, pour obtenir en quelques heures un rapport utilisable et qui, grâce à mes questions qui guident ChatGPT dans son exploration, reflètera cependant jusqu’à un certain point es priorités et ma perspective.

Évidemment, même avec l’aide de ChatGPT, je ne peux pas produire ainsi un rapport intéressant sur n’importe quel sujet : j’utilise ma propre connaissance du domaine pour orienter mes questions et sélectionner parmi les réponses de ChatGPT ce qui me semble le plus pertinent dans la construction du rapport.

En m’appuyant sur ChatGPT pour produire un rapport, je ne me serai pas instruite comme je l’aurais fait par l’approche traditionnelle, mais j’aurai gagné énormément de temps. C’est trop tentant pour ne pas être mis en application partout ce gain de temps est significatif. Ainsi, cet exemple d’utilisation montre que ChatGPT risque de transformer certaines activités professionnelles qui jusqu’à présent étaient à l’abri des transformations technologiques : par exemple, à l’Assemblée Nationale il pourrait être envisageable de réduire le nombre de collaborateurs parlementaires ; et dans les ministères, les onéreux rapports d’experts demandés à des consultants tels que McKinsey pourraient être remplacés par quelques heures de conversation gratuite avec ChatGPT. Cela permettrait de faire des économies substantielles, pour un résultat qui pourrait en moyenne se révéler tout aussi bon ou même supérieur. On ne regrettera pas la disparition des cabinets de conseils.

Claire Mathieu, CNRS

  1. L’autrice a transmis la version complète de l’échange qu’elle a obtenu de ChatGPT, sans en corriger les coquilles ortho-typographiques. Nous reproduisons le document “Utiliser ChatGPT” .pdf en htlm par souci d’accessibilité. [↩]

Robotinationer avec les Pti’Debs c’est le pied !

Les associations des Petits Débrouillards  forment un mouvement associatif international d’éducation populaire à la culture scientifique et technique,  mettant la pédagogie active et la démarche scientifique au centre des méthodes de médiation. Et quand un chercheur Inria va participer à une de ses actions, il revient avec un tel enthousiasme qu’il a envie de partager cette rencontre au sein d’un quartier. Témoignage en images. Marie-Agnès Enard et Pascal Guitton .

Il est 8h30, je suis un chercheur en informatique depuis des années, et ce mercredi je vais aller aider deux animatrices scientifiques qui vont proposer à des enfants de construire des petits robots en carton recyclé pour commencer à comprendre la robotique et la pensée informatique.|

(voir la présentation de l’atelier sur ce lien et le site d’une des animatrices).

Je suis en plein cœur de la vieille ville de Grasse, si jolie, et je cherche le Café des Roses, Place aux Herbes, un peu perdu. Une devanture est ouverte, juste à côté de la fontaine et des maisons de pierre du XIXème, où c’est jour de marché alimentaire. Ce n’est ni un commerce, ni une entreprise, juste un lieu ouvert avec des tables et de quoi s’asseoir, quelques jeux de société, et des jeux pour enfants, et de quoi offrir le café. J’y demande mon chemin, et la jeune femme qui accueille me sourit : en fait, je suis arrivé.

Dans quelques minutes elle saura que je me nomme Thierry et elle Zoulikha; non elle ne connaît ni la chanteuse algérienne, ni la poétesse féministe du même prénom, oui son prénom a une signification (belle et bien portante, me dira le web) comme tous les prénoms de ces parties du monde de la chine aux amériendien·ne·s, mais elle ne s’en est jamais soucié. Elle anime ce lieu pour toutes et tous, de tous âges et de tout milieux, et propose qu’on installe notre atelier de culture scientifique … sur la place, en pleine rue.

Ça on l’avait jamais fait. Aucun boucher d’un marché n’avait eu la gentillesse de pousser son camion de quelques centimètres pour qu’on installe les tables, les kits pédagogiques et les outils à utiliser. On avait pas encore juste attendu que les enfants passent sur la voie publique, jusqu’à être une bonne douzaine, que la petite sœur fasse venir la grande et son frère, qu’une autre maman installe la grand-mère au milieu des enfants pour s’initier avec nous, qu’une gentille dame atypique découvre pouvoir construire un robot et s’amuser comme une enfant de sa réussite, que des touristes finlandais et flamands viennent se faire expliquer l’approche pédagogique (voir cet article de présentation) et saluent que ces kits robotiques soient essentiellement fait de matériel recyclés (à part moins de 3€ de composants électriques), ou qu’une responsable de l’IME local note devoir nous recontacter pour élargir les publics que nous avons le plaisir de toucher, avec ces actions de médiation scientifique ultra simplifiées : à destination des publics qui sauraient moins profiter des ressources plus élaborées, qu’on partage usuellement depuis des années.

Aucun angélisme de notre part, dans ce quartier où choukrane (شكرا) veut plus souvent dire merci que thank-you, et où nos animatrices franco-portugaise et d’origine brésilienne ont découvert que le portugais cap-verdien est suffisamment éloigné du leur pour que ce soit, avec bonheur, à travers des gestes et quelques mots-clés que l’activité a pu être partagée. Beaucoup d’autres sont simplement venu·e·s voir, glanant juste une explication ou repartant seulement avec un mini grain de science, surpris que soit facile à piger. Il y a aussi celles et ceux qui ne se sont pas arrêté, parce que la science ne pouvait définitivement pas les concerner, dégoûté peut-être, ou ne pouvant oser essayer, et cet (unique, en une matinée) jeune qui passait et qu’il a fallu gentiment rattraper pour qu’il ne parte pas avec un des outils.

Il est midi, au pied de la fontaine qui, avec sa grosse coupe de fruits sculptée au sommet, surplombe la douzaine de petits robots qui zigzaguent sur le sol pavé en une danse saccadée, dans les rires et les hourras des enfants de tous âges, qui ont toutes et tous réussi l’atelier.

 

 

 

 

 

Tout ça n’était qu’une petite goutte d’eau, il faudrait tellement plus pour que la France, bleue blanc rouge, multi-colore ou arc en ciel, se rassemble pour mieux comprendre le monde numérique auquel personne ne peut échapper, sans juste le consommer ou le subir. Heureusement, demain, et tous les jours à venir, sur place, les Pti’Debs sont là, comme Benoit ou Soledad, au contact pérenne de ces jeunes pour les emmener de la médiathèque à la conviction que la science c’est aussi pour elle et eux dans un monde qu’eils peuvent maîtriser, et y bâtir leur avenir.

Une rencontre avec un lieu et avec des personnages parfois insolites … aux Petits Débrouillards,   Albert Jacquard a développé cette vision de « l’art de la rencontre » avec la diffusion de la culture scientifique comme un partage, une collaboration, comme il en parle ici, à la radio ou comme on lit à travers cet hommage. Une telle rencontre telle qu’il l’a décrite, par le biais des sciences, apporte une dimension supplémentaire qui nous fait découvrir l’autre avec empathie, par le truchement de ce partage d’un bout de sciences.

Benoit de Ricaud, Animateur aux Petits Débrouillards, Thierry Viéville, chercheur Inria.

Le logiciel libre, l’open source et l’Etat. Échange avec Stefano Zacchiroli

Professeur en informatique à l’école Télécom Paris de l’Institut Polytechnique de Paris, Stefano Zacchiroli revient dans cet entretien sur les caractéristiques du logiciel libre qui en font un mouvement social de promotion des libertés numériques des utilisateurs. Nous publions cet entretien dans le cadre de notre collaboration avec le  Conseil national du numérique qui l’a réalisé.

Ce texte est proposé par le Conseil National du Numérique et nous le co-publions conjointement ici, dans le cadre de notre rubrique sur les communs numériques.

Qu’entendons-nous par les termes de logiciel libre et open source ? Quels mouvements portent-ils ?

Le mouvement des logiciels libres vient principalement des sciences et des universités, où l’esprit de partage existe depuis la nuit des temps avant même l’arrivée de l’informatique. Bien avant l’utilisation du terme “logiciel libre”, les scientifiques se sont naturellement mis à partager les codes sources des modifications logicielles qu’ils faisaient sur leur ordinateurs pour les faire fonctionner.

Autour des années 1980, cette pratique a été interprétée comme un mouvement de libération des droits des utilisateurs de logiciels, notamment grâce à Richard Stallman, ingénieur américain, qui a inventé le terme Free Software. L’idée de cette vision éthique et philosophique de pratiques qui existaient déjà est qu’il ne doit pas y avoir d’asymétrie entre les droits qu’ont les producteurs des logiciels (c’est à dire les développeurs aujourd’hui) et les utilisateurs de ces logiciels. Ce mouvement s’articule notamment autour des 4 libertés du logiciel libre promues par la Free Software Foundation fondée par Richard Stallman : la liberté d’utiliser le logiciel, celle de l’étudier, celle de re-distribuer des copies du logiciel et et enfin celle de le modifier et de publier ses versions modifiées. Si l’utilisateur bénéficie de ces libertés, alors il a les mêmes droits, voire le même pouvoir, que leurs créateurs sur les logiciels qu’il utilise.

Quelques années plus tard, un autre mouvement est apparu : celui de l’open source. Ce dernier a la particularité d’adopter une stratégie marketing afin de promouvoir les idées du logiciel libre sous l’angle le plus intéressant aux yeux de l’industrie du logiciel. À l’inverse du mouvement porté par Richard Stallman, l’objectif n’est pas de porter un message de libération des droits des utilisateurs, mais de montrer que le développement de logiciels de manière collaborative, à l’instar du logiciel libre, est économiquement et techniquement plus efficace. En mobilisant des cohortes de développeurs issus des quatre coins du monde, on répond beaucoup plus rapidement aux besoins des utilisateurs. Si le code source d’un logiciel est libre, il sera mis à disposition de tous et tout développeur intéressé peut y contribuer pour tenter de l’améliorer, et ce de façon totalement gratuite. À l’inverse, le code source d’un logiciel propriétaire ne sera accessible qu’à son créateur et seul ce dernier pourra le modifier. Cette stratégie a très bien fonctionné et a été adoptée par les entreprises de l’informatique qui ont donné accès aux parties les moins critiques de leurs logiciels pour permettre à des bénévoles d’y contribuer, gagnant ainsi en souplesse de développement et en efficacité.

D’un côté, on a donc un mouvement axé sur les libertés numériques et de l’autre, une stratégie axée sur l’optimisation et la réduction des coûts. Toutefois, quand bien même ces distinctions idéologiques sont bien présentes, les différences pratiques ne sont pas si nettes. En effet, les listes des licences de logiciels tenues par les organismes de chaque mouvement, la Free Software Foundation pour les logiciels libres, et l’Open Source Initiative pour l’open source, sont quasi identiques.

Quelles sont les différences pratiques entre un logiciel libre et un logiciel propriétaire ?

Les libertés garanties par le logiciel libre existent précisément parce que la plupart des logiciels propriétaires ne les assurent pas. Prenons en exemple 3 des libertés promues par le mouvement du logiciel libre.

À première vue, la liberté de modifier le logiciel ne concerne pas les utilisateurs non aguerris, qui n’ont ni le temps ni les compétences pour le faire, ce qui est non sans lien avec une vision un peu élitiste à l’origine du mouvement. Il s’agit alors de donner les droits aux utilisateurs techniquement compétents pour les appliquer. En général, ce sont de grands utilisateurs comme les entreprises ou les administrations publiques qui trouvent un intérêt à modifier le code des logiciels qu’elles utilisent. C’est même très stratégique pour elles car sans cette liberté, elles ne peuvent pas adapter l’outil à leurs besoins et sont dépendantes des choix de leur fournisseur, voire ne peuvent pas en choisir d’autres. En économie c’est ce qu’on appelle un effet de lock in (verrouillage en français) : un client est bloqué par un fournisseur qui est le seul pouvant fournir un service spécifique. Malgré tout, cette liberté de modifier représente tout de même un intérêt pour les utilisateurs sans compétence technique. S’ils expriment un besoin d’ajustement, un développeur (potentiellement leur prestataire) pourra toujours modifier le code pour l’adapter à leurs besoins. Dans le cas d’un logiciel propriétaire, c’est strictement impossible et l’utilisateur devra attendre que le fournisseur prenne en compte ses demandes.

La liberté d’utilisation existe ensuite pour contrer la tendance des logiciels propriétaires à restreindre l’utilisation à une seule application. Le logiciel n’est alors utilisable que sur une machine prédéfinie et nulle part ailleurs. Quand il est libre, on peut utiliser le logiciel absolument comme on le souhaite, même pour le mettre en concurrence.

La liberté d’étudier les codes est quant à elle importante dans notre société pour des raisons de transparence. Avec un logiciel propriétaire, nous ne pouvons jamais être certains que les données transmises sur son fonctionnement sont actuelles ou complètes. C’est exactement la question qui se pose sur le prélèvement des données personnelles par les grandes entreprises. Avec un logiciel libre, nous avons un accès direct à son code, nous permettant de l’étudier, ou de le faire étudier par un expert de confiance.

Comment et pourquoi les grandes entreprises du numérique sont attachées aux logiciels libres ?

À l’origine, le mouvement du logiciel libre n’était pas vu d’un très bon œil par le monde industriel de l’informatique. En effet, à l’époque se développait toute une industrie du logiciel dont le modèle économique était fondé sur la vente de copies de logiciels propriétaires. La seule manière d’utiliser un logiciel était alors de le charger sur sa machine via une cassette puis une disquette et un CD-Rom que les entreprises vendaient à l’unité. L’écosystème du libre qui promouvait la copie gratuite mettait ainsi à mal ce modèle économique.

La situation a depuis changé. De moins en moins de logiciels sont exploités directement sur nos machines : aujourd’hui, la plupart s’exécute sur des serveurs loin de chez nous, c’est ce qu’on appelle le cloud computing (en français informatique en nuage). L’enjeu n’est désormais plus de garder secret les codes des logiciels installés chez les utilisateurs mais de protéger ceux des serveurs sur lesquels sont stockées les données récoltées. Les entreprises ouvrent alors le code de certaines de leurs technologies qui ne sont plus stratégiques pour leur activité. Par exemple, les entreprises ont pu ouvrir les codes sources de leur navigateur web car elles ne fondent pas leur modèle économique sur leur vente, mais sur la vente des services auxquels on accède via ces navigateurs web.

Il est cependant important de relever que ces grandes entreprises du numérique gardent bien souvent le contrôle sur le développement des projets open source qu’elles lancent. Par exemple, Google a lancé un projet open source appelé Chromium sur lequel s’appuie son navigateur web phare Chrome. Les contributeurs de Chromium sont en réalité en grande majorité des employés de Google. Même si un développeur peut modifier à sa guise sa version de Chromium, en ajoutant plus de modules pour protéger sa vie privée par exemple, il n’y a que très peu de chance que ses changements soient acceptés dans la version officielle. Cela permet à Google de garder la mainmise sur la direction stratégique du projet open source.

On sait aujourd’hui que les logiciels libres ont pu contribuer à l’implémentation des monopoles des grandes entreprises du numérique1 : en libérant le code source de cette technologie, ces entreprises vont chercher à la diffuser au maximum pour la rendre populaire et affirmer un standard sur le marché, pour ensuite vendre un service connexe. Dès lors, pour dépasser ces monopoles, les logiciels libres sont nécessaires mais ne suffisent pas. Même si l’on avait accès à tous les codes sources des services de ces entreprises, il n’est pas sûr que l’on soit capable d’opérer des services de la même qualité et interopérables sans avoir la même masse de données.

L’Etat a-t-il un rôle à jouer pour diffuser l’utilisation des logiciels libres ?

« Il est essentiel que l’Etat investisse cette question pour créer une dynamique économique dans laquelle des entreprises recrutent et rémunèrent les développeurs du logiciel libre. »

La réponse dépend des échelles. Au niveau de logiciels de petite taille, il y a énormément de solutions et de modèles économiques qui utilisent exclusivement du logiciel libre et qui fonctionnent très bien. Par exemple, de nombreuses entreprises en France proposent des cloud privés open source qui hébergent des services de calendrier partagé, partage de fichiers, vidéoconférences, etc ; des outils devenus indispensables pour les entreprises et les administrations. Comme les solutions existent, il faut que l’Etat marque fermement sa volonté politique de choisir un fournisseur de solutions libres plutôt que de se tourner vers des solutions propriétaires. Il est néanmoins nécessaire de s’assurer d’avoir les compétences en interne pour maintenir le logiciel et garantir la pérennité de ses choix. En France, il existe de nombreux exemples d’acteurs ayant franchi le pas : dans mon travail je constate que beaucoup d’universités utilisent des solutions libres, notamment pour leur environnement de travail. Dès qu’on se tourne vers des solutions de plus grande envergure, cela se complique. Nous avons les compétences en termes de qualités qui ne sont toutefois pas suffisantes en termes de quantité pour rivaliser sur des services d’aussi grande échelle que les services de messagerie électronique comme Gmail par exemple. Il nous faut alors renforcer la formation pour fournir plus d’ingénieurs sur le marché.

« Si historiquement les logiciels libres ne concernaient qu’une partie relativement petite de la population, aujourd’hui tout le monde est concerné. »

Finalement, il est essentiel que l’Etat investisse cette question pour créer une dynamique économique dans laquelle des entreprises recrutent et rémunèrent les développeurs du logiciel libre. On ne peut plus faire peser la charge du passage à l’échelle seulement sur des bénévoles. Si l’État insiste dans ses demandes d’achat de service pour n’avoir que des solutions libres, cela va potentiellement créer un marché de fournisseurs de services autour des logiciels libres qui vont recruter dans le domaine.

L’Etat est conscient de l’importance et de la nécessité de sa transition vers le logiciel libre, mais son adoption concrète reste aujourd’hui limitée. En France, nous sommes très avancés sur la réflexion stratégique des problématiques du numérique, mais il faudrait maintenant plus de volonté pour faire passer ces réflexions stratégiques à l’acte. Nous pouvons le faire, cela a déjà été fait dans le passé dans plusieurs secteurs et il s’agit d’un vrai enjeu de souveraineté. Si historiquement les logiciels libres ne concernaient qu’une partie relativement petite de la population, aujourd’hui la totalité de population est concernée. L’Etat doit s’en servir pour guider toute décision technique dans le futur et faire du logiciel libre sa norme.

1 Pour aller plus loin : Le pillage de la communauté des logiciels libres, Mathieu O’Neil, Laure Muselli, Fred Pailler & Stefano Zacchiroli, Le Monde diplomatique, janvier 2022

Le CNNum et le blog Binaire explorent ensemble les communs numériques

Partageant l’ambition de questionner et d’éclairer la réflexion autour des enjeux du numérique, le Conseil national du numérique et le blog Binaire du Monde s’associent pour construire une collection d’entretiens sur les communs numériques.

Le Conseil national du numérique étudie depuis plusieurs mois les enjeux liés aux communs numériques, de la philosophie aux modèles économiques, en passant par l’engagement des acteurs et les relais du secteur public. Fidèle à sa méthode ouverte et collective, il réalise dans ce cadre des entretiens avec des experts, disponibles sur ce lien.

Depuis janvier 2021, le blog de vulgarisation sur l’informatique Binaire du Monde consacre de nombreux entretiens aux communs numériques. Académiciens, acteurs publics, militants partagent leur expérience dans des articles aussi instructifs que variés et donnent plusieurs clés pour appréhender au mieux tout le potentiel des communs numériques.

Dans le cadre de cette collaboration, nous publions pour la première fois de manière conjointe un entretien réalisé avec Vincent Bachelet, doctorant en droit privé à l’université Paris-Saclay. Le chercheur nous y livre plusieurs pistes de réflexion sur la façon dont l’économie solidaire et sociale peut participer à la structuration et la valorisation des projets de communs numérique. Profitez de cette lecture sur Binaire ou sur le site du Conseil.

N’hésitez pas à parcourir les différents entretiens publiés :
– dans la rubrique Communs numériques du blog Binaire en cliquant ici !
– sur le site du Conseil national du numérique en cliquant ici !

Vous connaissez des experts et souhaiteriez voir leur parole relayée ? Vous pouvez envoyer des suggestions à info@cnnumerique.fr ou binaire-editeurs@inria.fr.

À propos du Conseil national du numérique : Créé en 2011, le Conseil national du numérique est une instance consultative indépendante chargée de conduire une réflexion ouverte sur la relation complexe des humains au numérique. Son collège interdisciplinaire est composé de membres bénévoles nommés pour deux ans par le Premier ministre aux domaines de compétences variés (sociologue, économiste, philosophe, psychologue, anthropologue, informaticien, avocat, journaliste…) et de parlementaires désignés par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat.

À propos de Binaire : binaire est un blog de vulgarisation sur l’informatique, indépendant, tenu par des académiques, qui parle aussi bien de la technologie que de la science, d’enseignement, de questions industrielles, d’algorithmes rigolos, d’algorithmes pas rigolos, de gentilles data, de méchants bugs, bref, de tous les sujets en lien avec le monde numérique qui nous entoure.

 

Économie sociale et solidaire et communs

Doctorant en droit privé à l’université Paris-Saclay, Vincent Bachelet décrit comment les outils juridiques existants, notamment issus de l’économie sociale et solidaire, peuvent participer à la structuration et la valorisation des projets de communs numériques. Nous publions cet entretien dans le cadre de notre collaboration avec le  Conseil national du numérique qui l’a réalisé.

Ce texte est proposé par le Conseil National du Numérique et nous le co-publions conjointement ici, dans le cadre de notre rubrique sur les communs numériques.

Pourquoi rapprocher le monde des communs numériques avec celui de l’économie sociale et solidaire ?
Le rapprochement entre l’économie sociale et solidaire (ESS) et les communs numériques était presque évident. Déjà parce que les deux poursuivent le même objectif, à savoir repenser l’organisation de la production et sortir de la pure logique capitaliste du marché. Aux côtés des logiciels libres et de l’open source, les communs numériques participent en effet à un mouvement venant repenser notre manière d’entreprendre le numérique. S’ils se rejoignent dans l’ambition de redéfinir le droit d’auteur par l’utilisation de licences inclusives et non exclusives, chacun de ces trois termes désignent des réalités distinctes. Le logiciel libre a été une révolution dans la façon dont il a « retourné » le monopole conféré par les droits d’auteurs pour permettre l’usage et la modification des ressources numériques par toutes et tous. L’open source a proposé une lecture plus pragmatique et « business compatible » de cette nouvelle approche et en a permis la diffusion. Ces deux mouvements n’envisagent cependant pas les aspects économiques de la production des ressources, et c’est cet « impensé » que viennent adresser les communs numériques.

Si aujourd’hui on entend souvent que le logiciel libre a gagné, c’est surtout parce qu’il a été récupéré par les gros acteurs traditionnels du numérique. En consacrant une liberté absolue aux utilisateurs sans questionner les modalités économiques de la production de ces ressources, la philosophie libriste a pu entraîner une réappropriation des logiciels libres par ces entreprises. Par exemple, l’ennemi public historique des libristes, Microsoft, est aujourd’hui l’un des plus gros financeurs de logiciels libres. Conscients des risques de prédation des grandes entreprises, le monde des communs a construit des instruments juridiques pour protéger leurs ressources en repensant la formule des licences libres, ce qui va aboutir à la création des licences dites à réciprocité. Ces licences conditionnent les libertés traditionnellement octroyées à certaines conditions, notamment l’exigence de contribution ou la poursuite d’une certaine finalité.

L’exemple de la fédération coopérative de livraison à vélo Coopcycle – dont je fais partie – est intéressant car par son statut et le type de licence utilisé, il matérialise le rapprochement entre les communs numériques et l’ESS. CoopCycle utilise une licence libre dans laquelle des clauses ont été ajoutées pour réserver l’utilisation commerciale du code source aux seules structures de l’ESS. Le but de ces obligations de réciprocité est ainsi d’empêcher qu’un autre projet récupère le code source pour créer une plateforme de livraison commerciale. Toutefois, cette licence ne suffit pas par elle-même à structurer le projet et garantir sa soutenabilité économique dans le temps. Il a donc fallu réfléchir à un mode d’organisation fonctionnel qui donne la propriété du logiciel aux coursiers qui l’utilisent. Le choix s’est alors porté sur le statut de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) qui intègre les coursiers dans la gouvernance du projet de façon majoritaire.

Au bout du compte, le rapprochement avec l’ESS met à jour des tensions qui touchent tout mouvement réformiste, à savoir celles des moyens à employer pour parvenir à ses fins. Parce que la portée inconditionnelle accordée aux libertés par le mouvement libriste engendrait des limites à la pérennisation de leur projet, les porteurs de projets de communs numériques ont adopté une approche plus rationnelle en mobilisant les outils juridiques de l’ESS.

Comment l’ESS peut-elle permettre la valorisation des communs numériques ?
À l’inverse des communs numériques, l’ESS possède un cadre légal solide, consacré par la loi relative à l’économie sociale et solidaire de 2014, dite loi Hamon.

Initialement, le réflexe en France pour monter un projet d’innovation sociale est de fonder une association loi 1901. Cette structure répond à un certain nombre de problématiques rencontrées dans l’organisation de projets de communs numériques. Elle dote le projet d’une personnalité juridique, encadre une gouvernance interne, fait participer tout type d’acteurs, etc. Cependant, elle se fonde sur le financement via la cotisation des membres, l’appel au don ou l’octroi de subventions, soit des financements précaires qui ne permettent pas de porter un modèle auto-suffisant et soutenable économiquement.

J’ai constaté que la structure la plus adaptée en droit français pour parvenir à cette soutenabilité est la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Encadrées par une loi de 2001, les SCIC ont « pour objectif la production et la fourniture de biens et de services d’intérêt collectif qui présentent un caractère d’utilité sociale ». Cette structure a ainsi l’avantage d’inscrire une activité commerciale dans les statuts tout en se conformant aux principes fondamentaux de l’ESS, qui correspondent bien à ce que recherchent les porteurs de projets de communs numériques. Ainsi, la gouvernance est ouverte à une diversité de parties prenantes dans laquelle les sociétaires sont à la fois les bénéficiaires et les producteurs du service ou produit, mais aussi des personnes publiques ; tout en suivant la règle 1 personne = 1 voix. Théoriquement, cela renouvelle la façon dont l’acteur public peut soutenir les communs numériques en participant directement à sa gouvernance sans préempter le reste des sociétaires.

Toutefois, il demeure à mon sens trois grandes limites à ce statut. La première tient aux exigences et complexités du cadre juridique des SCIC. À l’inverse du statut des associations qui est assez souple, celui des SCIC impose le respect d’un grand nombre de règles qui peuvent être difficilement compréhensibles pour tout un chacun, car en grande partie issu du droit des sociétés commerciales. Ensuite, l’insertion d’un projet cherchant une lucrativité limitée et un fonctionnement démocratique dans une économie capitaliste et libérale n’est pas des plus évidentes. Enfin, tout en présentant une rigidité qui peut le rendre difficile à manier, le statut de SCIC permet des arrangements institutionnels, comme la constitution de collèges de sociétaires qui viennent pondérer les voix, qui peuvent venir diluer certains principes coopératifs, comme la règle 1 personne = 1 voix.

L’ESS bénéficie-t-elle de l’investissement des communs numériques dans son champ ?
“Si l’ESS vient apporter une structuration juridique au mouvement des communs numériques, ces derniers ont permis l’intégration des questions numériques dans au sein de l’ESS.”

Ces deux mondes se complètent très bien. Si l’ESS vient apporter une structuration juridique au mouvement des communs numériques, ces derniers ont permis l’intégration des questions numériques au sein de l’ESS.

Le recours aux logiciels libres a été une évidence pour les acteurs de l’ESS et ils ont un rôle important, notamment pour l’organisation numérique du travail, aujourd’hui indispensable. Les logiciels libres mettent à disposition tout un tas de ressources pensées pour le travail communautaire de façon gratuite ou du moins à moindre coût. Alternatives aux services proposés par les GAFAM, ils permettent surtout d’être alignés avec la conscience politique des acteurs de l’ESS.

Toutefois, le recours aux logiciels libres dans le cadre de tels projets d’ESS pose des questions quant à la rémunération du travail de production et de maintenance de ces outils. Initialement, les utilisateurs des logiciels libres sont des personnes en capacité de développer et de maintenir ces derniers, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. De plus, au fur et à mesure que les projets libres ont gagné en notoriété, un panel de nouvelles fonctions est apparu aux côtés des enjeux de développements techniques, comme la documentation, l’animation de la communauté, etc. Tout ce travail invisible non technique mais indispensable a alors besoin d’être valorisé, ce qui doit passer par une rémunération du travail effectué.

L’affiliation des projets de communs numérique à l’ESS permet de mettre en valeur ces enjeux de rémunération. Là où les logiciels libres n’envisagent pas systématiquement une rémunération, l’ESS vient poser un cadre juridique prévoyant des mécanismes de valorisation économique de toute contribution. En valorisant ces activités, l’ESS bénéficie réciproquement des nombreux apports venant des logiciels libres et des communs numériques.

Ce rapprochement est-il une réponse pour encourager la participation de l’État dans le développement de communs numériques ?

“Le simple fait que tous les acteurs publics utilisent les solutions libres constituerait un grand pas en avant pour l’écosystème.”

Il est difficile de trouver une bonne réponse sur la participation que l’État doit prendre dans le développement de communs numériques. Cela peut à la fois faciliter le développement du commun numérique en injectant des moyens mais aussi remettre en question le fondement pour lequel il a été créé. Toute implication de l’acteur public dans un projet qui se veut profondément démocratique et horizontal présente un risque. Et cela a déjà été le cas par le passé. La participation d’un acteur public dans la gouvernance d’une SCIC peut entraîner l’échec du projet du commun. Face à des particuliers, et même s’il n’a qu’une voix, l’acteur public peut involontairement prendre le pas sur la gouvernance du projet, et ce, malgré les meilleures intentions du monde. Les contributeurs individuels initiaux peuvent se désengager du projet pensant que leur participation ne vaut rien à côté des moyens de l’acteur public. Dans ce cas, même si le projet perdure, il demeure un échec en tant que commun numérique.

L’avantage de rapprocher l’ESS et les communs numériques est que cela permet de mettre en exergue les blocages existants et de réfléchir à des solutions. Avant d’envisager une potentielle participation d’un acteur public dans un projet de commun numérique, il est nécessaire de penser la structuration du projet. Les SCIC apportent des premiers éléments de réponse, mais il est nécessaire de mettre en place des gardes fous juridiques pour assurer la résilience du commun lors de l’arrivée de l’acteur public, et ainsi éviter que le projet devienne une société classique ou finisse par disparaître.

Plus globalement, là où l’État peut jouer un rôle sans se heurter à la question de la participation, c’est dans son rapport aux logiciels libres. Le simple fait que tous les acteurs publics utilisent les solutions libres constituerait un grand pas en avant pour l’écosystème. Le ministère de l’Éducation nationale est moteur en ce sens : le ministère utilise le logiciel libre de vidéoconférence BigBlueButton et contribue à son amélioration. Toutefois, cette adoption généralisée dans l’administration n’est pas si évidente. Les acteurs vendant des logiciels propriétaires ont adopté des stratégies pour rendre les utilisateurs dépendants de ces solutions. La migration vers des solutions libres ne peut se faire sans un accompagnement continu et une formation des utilisateurs qui ne sont pas forcément à l’aise avec l’outil informatique et qui ont l’habitude de travailler avec un logiciel depuis toujours.

Les communs numériques