L’avenir de la réalité virtuelle sera hybride et physiologique

Réalité virtuelle, réalité augmentée, interfaces cerveau-ordinateur (BCI en anglais), autant de domaines relativement peu connus du grand public et qui sont appelés à se développer dans un futur proche. Pour mieux comprendre quelles questions ils soulèvent, nous nous sommes entretenus avec Anatole LECUYER (Directeur de recherches Inria à Rennes).  Pascal Guitton 

Binaire : pourrais-tu commencer par nous expliquer ton parcours de formation ?

Anatole Lecuyer : Après un bac scientifique et des classes préparatoires, j’ai intégré l’école Centrale de Lille. La formation généraliste m’a globalement intéressé mais je me suis surtout amusé pendant mon stage de 3ème année. Je suis allé à l’université Simon Fraser à Vancouver où j’ai développé un outil de simulation visuelle pour une main robotisée. Ce fut une révélation : avec ce type de recherches je pouvais enfin faire dialoguer mes intérêts pour la science et pour les expressions  graphiques voire artistiques. Je ne m’en rendais pas compte à cette époque (été 1996) mais j’avais la chance de participer à l’émergence de la réalité virtuelle qui était encore balbutiante et pratiquement inexistante en France.

Anatole LECUYER – Copyright Innovaxiom

Après ce stage, j’ai travaillé pendant deux ans dans l’industrie aéronautique mais avec comme objectif de préparer une thèse et tout d’abord de composer le sujet qui m’intéressait. En 1998, j’ai démarré une thèse à Orsay sous la direction de Sabine Coquillart (Inria) et Philippe Coiffet (CNRS) sur l’utilisation des retours haptiques et visuels pour la simulation aéronautique en lien avec Aérospatiale (devenue EADS par la suite). C’était un sujet très précis, « délimité » comme je l’avais souhaité, mais je dois dire qu’un grain de sable s’y est introduit : le dispositif haptique que j’utilisais est tombé en panne et a été indisponible pendant 6 mois. Il a donc fallu « réinventer » une nouvelle approche et m’est alors venu l’idée du pseudo-haptique : comment produire des sensations haptiques sans utiliser aucun dispositif mécanique (ce que faisait le bras robotisé en panne) et en les remplaçant par des stimuli visuels. Comment donc générer des « illusions haptiques » exploitant un autre sens : la vision. Il est amusant de constater avec le recul que ce travail a été couronné de succès alors qu’il n’était absolument pas planifié mais résultait d’un accident de parcours ! A la fin de ma thèse soutenue en 2001, j’avais trouvé ma voie : je voulais faire de la recherche en réalité virtuelle mon métier.

B : parle-nous de ce début de carrière

AL : Après un an passé au CEA, j’ai été recruté en 2002 comme chargé de recherche Inria dans l’équipe SIAMES à Rennes. La première chose que je retiens est le décalage entre d’une part, l’impression d’avoir enfin réussi à atteindre un objectif préparé de façon intensive depuis plusieurs années et après un processus de sélection assez complexe et puis, d’autre part, le démarrage d’une nouvelle vie scientifique qui était totalement à construire. Cela n’a pas été simple ! Parmi beaucoup d’autres choses, je suis gré à Bruno Arnaldi, le responsable de SIAMES, de m’avoir proposé de travailler immédiatement avec un stagiaire pour en quelque sorte relancer la machine, explorer de nouvelles voies et finalement rebâtir un projet scientifique. C’est en tout cas, une expérience qui me sert quand, à mon tour, j’accueille aujourd’hui un nouveau chercheur dans l’équipe.

binaire : tu as travaillé sur beaucoup de sujets, quel domaine te semble central dans ton activité

AL : sans nul doute, c’est la réalité virtuelle (RV) qui est au cœur de toutes mes recherches, que ce soit pour l’interaction, les équipements technologiques, la perception humaine… Je la définirais comme « la mise en œuvre de technologies immersives qui permettent de restituer en temps réel et d’interagir avec des univers synthétiques via des interfaces sensorielles permettant de procurer un sentiment de « présence » aux utilisateurs ». Je tiens à rappeler que même si beaucoup la découvrent depuis peu, elle existe depuis plus d’une quarantaine d’années avec une communauté très active de chercheurs et d’ingénieurs, des concepts éprouvés, des revues/conférences…. Située à l’intersection de domaines variés comme l’interaction hommes-machine, le traitement du signal, l’intelligence artificielle, l’électronique, la mécatronique sans oublier les facteurs humains (perception, sciences cognitives), cette technologie permet de simuler la plupart des activités humaines, ce qui ouvre notre travail à des collaborations interdisciplinaires extrêmement variées et enrichissantes.

B : tu pourrais nous fournir un exemple ?

AL : en 2005, nous avons imaginé de combiner la RV avec les technologies d’interfaces cerveau-ordinateur (ICO, ou BCI pour Brain Computer Interface en anglais) et le traitement des signaux cérébraux issus d’électro-encéphalogrammes (EEG) ouvrant ainsi une voie nouvelle d’hybridation technologique. A cette époque, l’objectif principal était d’interagir avec des environnements virtuels ; on parlait alors de commande « par la pensée », ce qui était un abus de langage. Aujourd’hui on parle plutôt de commande « par l’activité cérébrale », ce qui est plus précis. Concrètement, il s’agit de détecter l’activité cérébrale et d’interpréter les signaux recueillis comme des entrées pour piloter un ordinateur ou modifier un environnement virtuel. En 4 ans, nous avons développé un logiciel baptisé OpenViBE qui s’est vite imposé comme une plate-forme de référence dans le domaine. Chaque nouvelle version est téléchargée environ 5000 fois et l’article le présentant a été cité environ 800 fois. Mais le plus intéressant est de constater qu’il réunit des communautés très diverses : neurosciences bien entendu mais aussi RV, arts, jeux vidéo, robotique… Avec Yann Renard et Fabien Lotte les co-créateurs d’OpenViBE, nous sommes toujours aussi émerveillés de cette réussite.

Jeu vidéo « multi-joueur » contrôlé directement par l’activité cérébrale. Les deux utilisateurs équipés de casques EEG jouent ensemble ou l’un contre l’autre dans un jeu de football simplifié où il faut marquer des buts à droite (ou à gauche) de l’écran en imaginant des mouvements de la main droite (ou gauche) – © Inria / Photo Kaksonen

 B : et si maintenant nous parlions d’Hybrid l’équipe de recherche que tu animes à Rennes ?

AL : si je devais résumer la ligne directrice d’Hybrid, je dirais que nous explorons l’interface entre les technologies immersives et d’autres approches scientifiques notamment en termes d’exploitation de signaux physiologiques. Ce qui était un pari il y a 10 ans s’est progressivement imposé comme une évidence. On peut par exemple remarquer qu’une des évolutions des casques RV est d’y intégrer de plus en plus de capteurs physiologiques, ce qui réalise notre hypothèse initiale.

Pour illustrer cette démarche, je peux évoquer des travaux réalisés pendant la thèse de Hakim Si-Mohammed et qui ont été publiés en 2018. C’était la première fois que l’on utilisait conjointement un casque de Réalité Augmentée (Microsoft Hololens) et un casque EEG. Nous avons d’abord montré qu’il était possible d’utiliser simultanément ces deux technologies, sans risque et avec des bonnes performances. Puis, nous avons proposé plusieurs cas d’usage, par exemple pour piloter à distance un robot mobile, ou encore pour contrôler des objets intelligents dans une maison connectée (collaboration avec Orange Labs) permettant notamment d’allumer une lampe ou d’augmenter le volume de la télévision sans bouger, en se concentrant simplement sur des menus clignotants affichés dans les lunettes de réalité augmentée.

Utilisation conjointe de lunettes de réalité augmentée et d’une interface neuronale (casque électro-encéphalographique) pour piloter à distance et sans bouger un robot mobile

 binaire : en 10 ans, comment observes-tu l’évolution de l’équipe ?

AL : au démarrage, nous avons beaucoup travaillé sur le plan scientifique pour jeter les bases de notre projet. Au fil des rencontres que nous avons eues la chance de réaliser dans nos différents projets, la question des impacts sociétaux est devenue de plus en plus centrale dans nos activités. Je pense notamment au domaine médical, d’abord grâce à OpenViBE qui était initialement conçu pour pouvoir assister des personnes en situation de handicap privées de capacité d’interagir.

On peut ensuite évoquer le projet HEMISFER initié avec Christian Barillot pour contribuer à la rééducation de personnes dépressives chroniques ou dont le cerveau a subi des lésions post-AVC en développant des outils combinant EEG et IRM en temps réel. Bien que lancé en 2012, nous n’obtiendrons les résultats définitifs de ce travail que cette année en raison de la complexité des technologies mais aussi des essais cliniques. Mais les premiers résultats à notre disposition sont déjà très positifs. Dans cette dynamique, nous avons mené plusieurs sous-projets autour du NeuroFeedback, c’est-à-dire des techniques permettant à un utilisateur équipé d’un casque EEG d’apprendre progressivement à contrôler son activité cérébrale, grâce à des retours sensoriels explicites. Une des tâches les plus employées pour les tester consiste à demander à l’utilisateur de faire monter une jauge visuelle en essayant de modifier activement ses signaux EEG. On observe qu’il est parfois difficile, voire même impossible pour certaines personnes, de maîtriser leur activité cérébrale pour générer les signaux utiles pour interfacer un tel système informatique. Nous travaillons pour tenter de comprendre ces difficultés : sont-elles liées à des traits de personnalité ? Sont-elles amplifiées par un déficit d’accompagnement du système ? C’est un sujet passionnant. Et les perspectives d’applications thérapeutiques, notamment pour la réhabilitation, sont très riches.

Il y a 3 ans, grâce à l’arrivée dans notre équipe de Mélanie Cogné qui est également médecin au CHU de Rennes, nous avons franchi un pas supplémentaire en pouvant dorénavant tester et évaluer nos systèmes au sein d’un hôpital avec des patients. Cette démarche que nous n’imaginions pas il y une quinzaine d’années s’est progressivement imposée et aujourd’hui, nous ressentons au moins autant de plaisir à voir nos travaux utilisés dans ce contexte qu’à obtenir un beau résultat scientifique et à le voir publié.

Je pense par exemple au projet VERARE que nous avons lancé pendant la crise COVID avec le CHU Rennes. Nous étions isolés chacun de notre côté et il a fallu coordonner à distance le travail de plus d’une dizaine de personnes ; ce fut très complexe mais nous avons réussi à le faire. Le projet visait à faciliter la récupération des patients se réveillant d’un coma profond et qui incapables de se nourrir ou de se déplacer. Notre hypothèse était qu’une expérience immersive dans laquelle l’avatar associé au patient se déplacerait chaque jour pendant 9 minutes 10 jours de suite dans un environnement virtuel agréable (une allée boisée dans un parc par exemple) contribuerait à préserver, voire rétablir des circuits cérébraux afin de déclencher un processus de rééducation avant même de quitter leur lit. Nous avons donc équipé des patients avec un casque de RV dès leur réveil au sein du service de réanimation, ce qui n’avait encore jamais été réalisé. Pour évaluer de façon rigoureuse cette expérimentation, les médecins réalisent actuellement une étude clinique qui n’est pas encore terminée, mais d’ores et déjà, nous savons que les soignants et les patients qui utilisent notre dispositif en sont très satisfaits.

binaire : comment souhaites-tu conclure ?

AL : Eh bien, en évoquant l’avenir, et le chemin qu’il reste à parcourir. Car même si la communauté des chercheurs a fait avancer les connaissances de façon spectaculaire ces 20 dernières années, il reste encore des défis majeurs et très complexes à relever.  Tellement complexes, qu’il est indispensable de travailler de façon interdisciplinaire autour de plusieurs axes, pour espérer améliorer à l’avenir et entre autres : les dispositifs immersifs (optique, mécatronique), les logiciels (réseaux, architectures), les algorithmes  (modélisation, simulation d’environnements toujours plus complexes), les interactions humain-machine 3D (notamment pour les déplacements ou les sensations tactiles) ou encore la compréhension de la perception des mondes virtuels et ses mécanismes sous-jacents.

Tous ces défis laissent espérer des perspectives d’application très intéressantes dans des domaines variés : la médecine, le sport, la formation, l’éducation, le patrimoine culturel, les processus industriels, etc… s

Mais en parallèle à ces questionnements scientifiques riches et variés, apparaissent d’autres enjeux très importants liés à la diffusion à grande échelle de ces technologies, avec des réflexions à mener sur les aspects éthiques, juridiques, économiques, et bien-sûr environnementaux. Tous ces sujets sont passionnants, et toutes les bonnes volontés sont les bienvenues !

Pascal Guitton

Références

Apprends à ranger ton sac à dos pour que les trains soient moins en retard

Épisode 2 de la série « Henri Potier à l’école de la complexité » : Quand on conçoit un algorithme, une question est : « est-ce qu’il fait bien le boulot ? » Une autre est : « combien de temps il va prendre ?» Si ça met deux plombes pour me dire où trouver une pizza, ça m’intéresse moins. Le domaine qui traite du temps que va prendre un algorithme (ou de la quantité de mémoire dont il va avoir besoin) s’appelle « la complexité algorithmique ». Un premier article de la série « Henri Potier à l’école de la complexité » avait expliqué comment compter le temps de calcul d’un algorithme. Dans ce deuxième article, nous allons explorer des problèmes importants pour lesquels aucun algorithme efficace n’est connu, et on ignore même s’il en existe. Serge Abiteboul et Charlotte Truchet

Hermine et Renaud ont enfin trouvé une carte qui localise l’emplacement de tous les horcruxes, ces objets renfermant une partie de l’âme de l’infect Vous-Savez-Qui et qu’il faut absolument détruire pour espérer vaincre le seigneur des ténèbres.

Le temps de nos héros étant limité, il leur faut tous les récupérer en moins de 3 heures 8 minutes et 30 secondes. Renaud planche depuis de longues minutes déjà pour déterminer s’il existe un itinéraire assez rapide permettant de récupérer tous les horcruxes et de revenir au château, lorsqu’un pigeon apporte un message.

2 – 5 – 1 – 3 – 4 – 7 – 6 – 2        S.N.

– Guesguecé ? se demande Renaud, qui s’apprête à le jeter à la poubelle.
– Mais arrête, c’est peut-être un message important, c’est signé Sirius Noir ! s’exclame Hermine. C’est sûrement un indice, on dirait un ordre dans lequel on peut récupérer les horcruxes. Regarde, il y a les mêmes numéros sur la carte !
– Génial, ne traînons pas, prends ton balai, on y va !
– Calme-toi un peu, Renaud, ça pourrait aussi être un piège. C’est peut-être signé par le Serpent Nagini finalement.
– Un serpent ? On est foutus !
– Mais non, peu importe l’auteur du message après tout, il suffit de vérifier qu’il nous donne un parcours assez rapide. Si on essaie de nous induire en erreur avec un chemin trop lent, je m’en apercevrai et on ignorera l’indice quel qu’en soit l’auteur. La carte indique les temps de voyage entre tous les emplacements d’horcruxes, il nous suffit d’additionner les temps du parcours proposé par le message pour le vérifier.

1. Godric’s Hollow 2. Poudlard 3. Pré-au-Lard 4. Orphelinat Wool 5. Chemin de Traverse 6. Azkaban 7. Ministère de la Magie
1. Godric’s Hollow 0 25 25 61 26 66 52
2. Poudlard 25 0 7 42 21 41 29
3. Pré-au-Lard 25 7 0 38 27 42 27
4. Orphelinat Wool 61 42 38 0 63 31 19
5. Chemin de Traverse 26 21 27 63 0 54 47
6. Azkaban 66 41 42 31 54 0 18
7. Ministère de la Magie 52 29 27 19 47 18 0

Tableau des distances :

Sur cette carte, le trajet 2-1-3-6-5-7-4-2 par exemple demande un temps de parcours de 25 + 25 + 42 + 54 + 47 + 19 + 42 = 254 minutes en balai volant, tandis que le chemin 2-5-1-3-4-7-6-2 de Sirius Noir n’en prend que 21 + 26 + 25 + 38 + 19 + 18 + 41 = 188, ce qui est tout juste moins que les 3 heures 8 minutes et 30 secondes.

– Ah ouais, pas bête ! admire Renaud. Trop facile en fait !
– Pas tant que ça… Sans l’indice de Sirius Noir, on était foutus, rappelle-toi. Tu te cassais la tête pour résoudre le problème mais tu étais vraiment très loin du compte ! Ce genre d’indice, on appelle ça un certificat.
– Mais comment est-ce que tu sais tout ça, encore ?
– Si tu passais un peu de temps à la bibliothèque, tu le saurais aussi ! Ici la question était de savoir s’il existait un chemin de moins de 3 heures 8 minutes et 30 secondes. L’indice de Sirius Noir est une preuve que la réponse est oui, puisqu’il nous donne un chemin qui convient. Et si la réponse avait été non, personne n’aurait pu nous fournir un chemin suffisamment court, puisqu’il n’en aurait pas existé. Nous n’aurions donc jamais été convaincus par une fausse information car aucune n’aurait donné un parcours de moins de 3h8min30s.
– Donc un indice c’est un chemin, et on n’a plus qu’à le vérifier !
– C’est un poil plus complexe, Renaud ! Un indice peut effectivement être la solution à un problème qu’on essaie de résoudre, comme c’était le cas pour les horcruxes. Mais dans le cas général, un indice correct doit convaincre que la réponse est oui, même s’il ne fournit pas nécessairement de solution à proprement parler. En fait, il n’y a pas toujours de notion évidente de ce qu’est une « solution » pour certains problèmes, et dans ce cas l’indice doit convaincre autrement. Réfléchis par exemple à un indice pour certifier qu’un nombre est premier… pas évident !

« Al-Khwârizmî (professeur de magie mathématique) : » : comment convaincre votre ami qu’un nombre n’est pas premier ? Facile.

L’entier N n’est pas premier signifie qu’il possède un diviseur propre d. Il suffit alors de donner d comme indice. Pour se convaincre qu’il s’agit d’un indice correct, il suffit de vérifier que d divise bien N.

Mais maintenant comment convaincre votre ami qu’un nombre est premier ? Il n’est pas si simple de trouver un indice car c’est une propriété de non-existence : « il n’existe pas de diviseur propre ». Il semble donc qu’il faille vérifier tous les diviseurs possibles pour se convaincre. Alors n’y a-t-il pas d’indice concis ? En fait si, mais c’est (beaucoup) plus compliqué, Renaud tu n’es pas obligé de cliquer : Certificats de Pratt (Wikipédia en anglais)

– Ah… Mais il y a d’autres problèmes où Sirius nous envoie des indices ?
– Il y en a toute une ribambelle, Renaud, on les regroupe dans une classe appelée NP. Ce sont tous les problèmes pour lesquels il existe un algorithme efficace pour vérifier des indices : si la réponse à notre problème est oui, il existera au moins un indice qui peut être validé par l’algorithme. Mais si la réponse est non, aucune fausse information ne pourra le duper.
– Par vérification efficace, tu veux dire qu’on peut le vérifier en un nombre polynomial d’opérations comme l’autre fois (* voir épisode 1), c’est-à-dire dans la classe P si je me souviens bien ?
– Parfois tu m’impressionnes Renaud, c’est bien ça. Par exemple pour les chemins, l’algorithme de vérification est le suivant : il suffit juste d’ajouter les temps du parcours, ce qui se fait en un nombre polynomial d’opérations (donc dans P). Avec l’indice de Sirius Noir, il y a 7 durées ce qui nécessite 6 additions, plus une comparaison avec notre limite de temps. Plus généralement, s’il y avait n emplacements d’horcruxes, on aurait besoin de (n-1) additions plus une comparaison finale, la vérification d’une solution peut donc s’effectuer en n opérations c’est donc polynomial.
– Pourquoi on ne cherche pas un algo qui résout le problème directement plutôt que d’attendre un indice ?
– On aimerait bien… mais c’est parfois difficile de trouver un algorithme efficace, on n’en connaît pas toujours. NP n’est rien d’autre qu’un ensemble de problèmes, dont beaucoup sont très intéressants et qu’on aurait envie de résoudre efficacement en pratique. Par exemple, le problème d’ordonnancement des trains (où il s’agit de faire circuler des trains le plus rapidement possible sans qu’il y ait de collision) pour avoir moins de retard sur le Poudlard Express. Les mangemorts, eux, aimeraient savoir rapidement factoriser des nombres pour déverrouiller tous nos systèmes de sécurité basés sur RSA. Et moi j’aimerais réussir à organiser mon sac à dos optimalement pour partir en expédition contre les horecruxes.

Si P=NP ça voudrait dire qu’on peut résoudre tous ces problèmes rapidement.

– Si j’ai bien compris pour montrer cette égalité il suffit de montrer que les problèmes de NP sont dans P, car on sait déjà que tous les problèmes de P sont aussi des problèmes de NP non ?
– Tu as pris de la potion d’intelligence aujourd’hui, Renaud, qu’est-ce qui te fait penser ça ?
– Ben c’est facile si tu prends un problème de P, on peut déjà avoir la réponse avec un algorithme polynomial A. Il suffit alors d’ignorer l’indice qu’on nous donne.
– Exactement, bravo ! Tu as fait l’inclusion facile. Reste l’autre, tu pourrais devenir riche et célèbre. Personne ne sait comment résoudre efficacement les trois problèmes précédents. Mais il y a quelque chose d’extraordinaire car si tu sais organiser ton sac à dos alors les trains seront moins en retard, et tu pourras en fait même résoudre efficacement tous les autres problèmes de NP.
– Hein que quoi ?
– Tu peux reformuler tous les problèmes de NP comme un problème de rangement de sac à dos.
– Reformuler comme un problème de sac à dos ? Je comprends rien à ce que tu racontes Hermine !
– Si tu veux mesurer la distance terre-lune, tu peux juste chronométrer combien de temps la lumière met pour parcourir terre-lune et en déduire la distance (car on connaît la vitesse de la lumière). Tu as reformulé un problème de distance en un problème de temps. C’est la même chose entre n’importe quel problème NP et le problème d’organisation du sac à dos : on peut aussi reformuler tout problème NP comme un problème de sac à dos. Les problèmes comme le sac à dos qui permettent d’exprimer tous les autres de NP, on les appelle des problèmes NP-complets.
– Ça ressemble à de la magie, t’aurais pas un exemple pour que je comprenne bien ?

Imagine qu’à une soirée tu veuilles répartir les gens en trois groupes, de sorte qu’au sein de chaque groupe tout le monde se connaît. On appelle ce problème 3CC (Couverture par 3 Cliques). On peut représenter ça par un graphe : chaque sommet représente une personne, et une arête entre deux sommets signifie que ces deux personnes se connaissent.Pour résoudre ce problème tu peux te ramener à un autre problème : celui de la coloration de graphes en trois couleurs (3col). Le but est de donner une couleur à chaque sommet de sorte que deux sommets reliés par une arête ne soient pas de la même couleur.

Pour reformuler 3CC en 3col, il suffit de transformer le graphe de 3CC en supprimant les arêtes existantes et en ajoutant celles qui n’existaient pas.Après coloration du nouveau graphe, on obtient les groupes en mettant ensemble les sommets d’une couleur identique.On a ainsi transformé la recherche d’une couverture par 3 cliques en la recherche d’une coloration en 3 couleurs.

– Si on peut transformer ainsi tout problème de NP en un problème B (dans NP), on dit que B est NP-complet. Le plus incroyable est non seulement qu’il existe bel et bien de tels problèmes NP-complets, qui capturent donc toute la difficulté et la diversité des problèmes que l’on trouve dans la classe NP, mais en plus c’est le cas de beaucoup de problèmes naturels et importants en pratique.
– Pas mal cette notion de NP-complétude, ça me laisse sans voix.
– Ça tombe bien, parce que tu as assez parlé Renaud, SN nous a laissé l’indice qui va bien. Allons chercher ces fameux horcruxes.

Sylvain Perifel, maître de conférences, Université Paris Cité, et Guillaume Lagarde, chercheur indépendant.

 

Nous sommes les réseaux sociaux, par Abiteboul et Cattan

Cet ouvrage, publié chez Odile Jacob, s’attaque à un serpent de mer, la régulation des réseaux sociaux, ces complexes objets mi-humains mi-machines, qui nous unissent pour le meilleur et pour le pire. Tout le monde a un avis, souvent très tranché, sur la question. L’intérêt, ici, est d’avoir l’avis de deux spécialistes, un informaticien, Serge Abiteboul (*), membre de l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse), et un juriste, Jean Cattan, Secrétaire général du Conseil national du numérique.

 

Mais précisément, ces deux spécialistes s’abstiennent soigneusement dans le livre de donner un cours. En préambule, ils s’appuient sur une remarque évidente et pourtant pas toujours évidente : les réseaux sociaux, c’est nous, nous tous. Nous, mais régulés par les entreprises qui gèrent Facebook, Twitter, Instagram et les autres. Des humains régulés par d’autres humains, finalement. Et donc, c’est à nous, nous tous, de définir ce qui doit être fait. Ils nous proposent une réflexion sur les principes qui devraient être au centre du développement des réseaux sociaux, et surtout, sur une méthode qui permettrait d’intégrer tout le monde, plaidant pour une intervention forte des États dans ce débat.

Dès l’introduction, ils préviennent : tout le monde ne sera pas d’accord. Mais la situation actuelle n’est pas satisfaisante, et ce n’est pas en ignorant nos désaccords qu’on avancera. Faites-vous votre avis, ouvrez le livre, et puis ouvrez le débat !
Charlotte Truchet
(*) Serge Abiteboul est éditeur de binaire.

Critique de l’Esprit Critique

Oui binaire s’adresse aussi aux jeunes de tous âges que le numérique laisse parfois perplexes. Avec « Petit binaire », partageons une approche rendue encore plus indispensable avec le numérique : l’esprit critique. A l’heure des infox (fake news), du renforcement du complotisme, de la guerre qui est aussi devenue informationnelle, ou plus simplement de l’irruption de ChatGPT, l’apprentissage de l’esprit critique est/devrait être une priorité éducative. Mais … comment faire ? Et si nous commencions par regarder ce que les sciences de l’éducation nous proposent à travers ce petit texte issu des échanges tenus lors d’une table ronde. Thierry Vieville et Pascal Guitton.

L’esprit critique est une démarche de questionnement des opinions ou des théories. Je m’intéresse aux arguments utilisés, à ce qui conduit à les exprimer.

Je fais preuve de curiosité pour le point de vue des autres :

« Ce que tu dis m’intéresse ».

J’offre volontiers une écoute sincère et bienveillante. Je me positionne de manière modeste, mais reste lucide sur ce qui est dit et ce que l’on sait :

« Pensons par nous-même, sans préjugé ».

Car les affirmations ne sont à priori, ni vraies, ni fausses, ce sont des hypothèses, que l’on se donne le droit d’examiner, sans porter de jugement, pour retenir celles qui résistent mieux que les autres à la réalité des faits ou à l’examen de notre raison.

« Oui, mais tu es d’accord avec moi ou pas ? »

J’ai aussi le droit de ne pas trancher : de prendre un peu de temps pour comprendre comment s’est formée ta façon de penser et quelles en sont les conséquences, de discerner ce qui est un fait établi, de ce qui est un simple exemple ou un avis (que je respecte). Je peux aussi avoir besoin d’en savoir plus, de découvrir que les choses sont peut-être plus complexes qu’on ne pourrait le penser.

Et surtout, dans la démarche de l’esprit critique, on ne cherche pas à convaincre un tiers de se rallier à sa cause ou d’être d’accord avec soi, mais à l’aider à construire sa propre vision d’une vérité.

« Hou là là, les choses sont compliquées avec toi ! »

Il est vrai que ce n’est pas facile de définir l’esprit critique, puisque il s’agit justement de quelque chose d’assez large, qui n’est pas figé. Prenons le risque de partager ici une proposition … à critiquer 🙂 Disons, pour en discuter, que c’est à la fois un état d’esprit et un ensemble de compétences (résumées dans les carrés bleus) :

 

« Est ce que ça te parle ? »

« Oui, mais doit-on utiliser l’esprit critique pour tout du matin au soir ?  »

« Non ! Tu as totalement raison.»

LES LIMITES DE L’ESPRIT CRITIQUE.

L’esprit critique n’a certes pas lieu de s’exercer tout le temps. Dans le métro parisien, quelle surprise, voilà un tigre qui arrive :

« C’est une espèce (elle-même divisée en neuf sous-espèces) de mammifère carnivore de la famille des félidés (Felidae) du genre … »

« Stop ! Ou plutôt : sauve qui peut !! Ce n’est sûrement pas le moment d’exercer son esprit critique mais de … courir. »

« Que dis tu ? Que la probabilité qu’il y ait vraiment un tigre station « Edgard Quinet » est inférieure à celle de … »

« Euh, ça te dérange-pas là qu’on te laisse seul·e confronter ton hypothèse aux faits ? »

Il est clair que ce n’est pas en déployant son esprit critique qu’on a le plus de chance de survivre ici. C’est logique : si je fuis mais que ce n’était pas un vrai tigre, je suis certes un peu ridicule, mais … vivant ! Tandis que sinon …

D’ailleurs, ce que nous comprenons du cerveau montre que ce n’est pas en développant notre esprit critique que notre frêle espèce a survécu, mais plutôt en acquérant des comportements relativement prédéfinis et « opérants » c’est à dire permettant de déclencher une action adaptée à la plupart des situations critiques qui peuvent arriver, et en généralisant à d’autres cas, ce qui a été appris sur des cas particuliers. Cela ne marche pas toujours, et ce n’est pas très scientifique, mais cela a servi à notre espèce humaine d’être encore en vie.

Et puis, lorsque tu es venu·e me dire que tu m’aimes de tout ton être, et que j’étais la personne de ta vie, tu n’attendais pas en réponse que je te dise : « Oh, voici une hypothèse fort intéressante, analysons ensemble les causes socio-culturelles de ce ressenti psycho-somatique pour en faire conjointement l’étude critique 🙂 ».

Bien entendu, en science, l’esprit critique doit prévaloir. Vraiment tout le temps ? Dois-je remettre en cause chaque résultat (par exemple refaire toutes les démonstrations mathématiques pour me forger ma propre certitude), douter de tous les résultats scientifiques puisque Albert Einstein lui-même a commis la « plus grosse » erreur de toute la physique ? Ce ne serait pas très efficace, et le travail collectif de la communauté scientifique repose sur la confiance. Le point clés est de prendre le risque de travailler avec des modèles réfutables.

Cette idée peut paraître surprenante : une hypothèse est scientifique si, sans être (encore) réfutée, on peut concevoir une expérience capable de la réfuter. Ainsi, le fait qu’il y ait des petits elfes magiques invisibles, disons rose fluo, pqui ar exemple, habitent dans la forêt de Brocéliande, n’est pas scientifique, non pas parce que c’est faux (qui peut prouver que non : ils sont totalement invisibles !), mais non réfutable. De plus, qui peut s’arroger le droit de m’empêcher de rêve ?

« Ah ben ça alors !!! Te voilà bien critique sur l’esprit critique que tu veux partager »

« Formidable, j’ai réussi quelque chose : regarde »

 

Comment partager l’esprit critique ?

Oui regarde : je n’ai pas cherché à te convaincre en argumentant de l’intérêt de l’esprit critique, mais j’ai cherché avec sincérité à réfléchir avec toi sur ce sujet, en prenant le risque de remettre en cause mon propre point de vue.

Te voilà devenu curieux sur ce sujet : c’est l’essentiel. Osons le pluralisme. Discernons ce que nous savons avec une certaine certitude, de ce qui est une interprétation, ou une simple préférence. Soyons curieux de la manière dont se forment les connaissances : débattre de savoir si il y a vraiment des êtres magiques dans la forêt de Brocéliande serait vain, se demander pourquoi j’en suis arrivé à me l’imaginer et à y croire, me serait bien plus utile.

Et si je faisais partie d’une secte délétère, plutôt que de me jeter à la figure, je ne sais quelle argumentation critique qui ne ferait que me braquer dans la justification à outrance de ma posture, tu m’aiderais bien plus en m’acceptant avec ce besoin d’appartenance à un tel groupe, fut-il toxique, et en me proposant d’expliquer la démarche qui m’a conduit à cette extrême, m’offrant alors la chance de prendre du recul.

Ainsi, si on présente l’esprit critique comme allant de pair avec une idéologie « républicaine », non religieuse, forcément objective (voir même positiviste), excluant toute superstition, quoi de pire pour exclure d’emblée un·e croyant·e, ou qui s’est construit sa vision du monde à partir de savoirs traditionnels ? Une personne croyante peut très bien adopter une démarche d’esprit critique, y compris vis à vis de sa croyance, dans le but non pas de l’atténuer ou de la remettre en question mais de l’éclairer, voire de la faire évoluer …

« Ah ouais : en fait tu dis qu’il vaut mieux manipuler son interlocuteur …
… qu’argumenter objectivement, il est joli ton esprit critique !!! »

« Excellente critique, pleine d’esprit ! »

Ta remarque est doublement pertinente : transparence oblige et émotion inflige. Oui, ce qui va convaincre un humain est bien plus souvent du domaine de l’émotion, du sensible, que de la raison. Combien de fois constate-t-on que c’est par son enthousiasme, voir en montrant aussi ses propres limites, qu’un·e scientifique va partager sa passion et la démarche scientifique avec cette nécessité de prendre du recul sur les choses, d’apprendre à évaluer, à s’informer, à questionner, y compris dans notre quotidien. Il n’y a pas de mal à faire appel à tes émotions, c’est même assez sympa, mais il y a un immense « mais ».

Le « mais » est de le faire de manière transparente, de prendre le temps de se retourner sur sa démarche elle-même, de dire regarde « j’ai fait appel à tes émotions » et je te le dis pour ne jamais te tromper en aucune façon. Il faut partager les contenus, avec la démarche de partage de ces contenus : on parle de médiation scientifique participative.

« C’est curieux tu ne m’as pas fait changer d’avis, mais m’a permis de voir les choses autrement, en plus grand …
«mais je ne vois toujours pas l’utilité ! »

À quoi bon développer son esprit critique ?

C’est la question la plus importante, mais aussi la plus facile à résumer. Pourquoi développer son esprit critique ? Pour ne pas se laisser abuser par les fausses nouvelles qui peuvent circuler, oui par certains médias qui -pour survivre commercialement- ont besoin de nous alpaguer par du sensationnel ou sur-communiquer sur des fpas être en phase avec la phrase « Si on présente l’esprit critique … non religieuse…aits divers, pendant que des informations de fond moins vendeuses sont masquées ; pour offrir une alternative à cette société qui semble ne nous offrir qu’être pour ou contre et non penser de manière nouvelle ou alternative, quel que soit le sujet ; pour que moi ou toi nous restions vraiment libres de choisir selon nos aspirations profondes et pas sous l’influence de qui parle beau à défaut de parler vrai ; pour faire des choix éclairés dans notre vie de tous les jours et aussi pour le plaisir : car il y a grand plaisir intellectuel, tu sais, à « faire un usage libre et public de sa raison » comme disait Emmanuel (on parle ici de Emmanuel Kant :) ). Voilà pour quoi il faut de manière critique développer son esprit critique.

« T’as rien à ajouter ? »
« Si : moi aussi je t’aime de tout mon être (imaginaire), c’est toi mon petit elfe rose fluo magique »

Texte de synthèse des propos de Camille VolovitchChristophe MichelElena Pasquinelli et Nicolas Gauvrit lors de la table ronde sur l’esprit critique proposé lors du séminaire de médiation scientifique Inria, de 2018, édités par Sylvie Boldo et Thierry Viéville, repris de https://pixees.fr/critique-de-lesprit-critique.

Pour aller plus loin :

Former l’esprit critique des élèves


Esprit scientifique, esprit critique


Jouer à débattre


Raison et psychologie


Esprit critique


Isoloir : la citoyenneté numérique, c’est possible ?