Le mot du président de la SIF

Nous avons crée en janvier 2014 binaire en partie à l’initiative de la Société Informatique de France. Depuis, si le blog est indépendant, il a gardé des liens étroits avec la SIF,  des convergences d’intérêts, d’objectifs, des liens d’amitiés. Un de ses anciens présidents, Colin, a été éditeur de binaire, un autre, Pierre, est éditeur en ce moment. Donc, nous sommes toujours particulièrement heureux quand la SIF, aujourd’hui avec son président Yves Bertrand, prend la parole dans binaire. Yves est professeur en informatique à l’Université de Poitiers. L’équipe de binaire.
Informatique : Yves Bertrand élu président de la SIF, le conseil d'administration...
Yves Bertrand, président de la SIF

Février 2021… c’est en ce début d’année frappée comme la précédente du sceau de la pandémie mondiale, et entre deux périodes de confinement, que j’ai eu le plaisir et l’honneur de succéder à Colin de la Higuera, Jean-Marc Petit et Pierre Paradinas à la présidence de la Société informatique de France (SIF).

L’histoire de certaines sociétés savantes s’inscrit dans un temps long : par exemple, les Sociétés physique, mathématique, chimique de France sont respectivement nées en 1873, 1872 et en 1857, et les disciplines qui les fondent sont au minimum multi-séculaires. Une vision positive de ces sociétés suggère qu’elles naquirent à une époque où les disciplines qui les portent avaient déjà acquis une certaine forme d’indépendance, de visibilité, de reconnaissance en tant que telles dans la société, et vis-à-vis des autres disciplines en particulier.

En serait-il de même pour l’informatique et la Société informatique de France ? Soyons optimistes : gageons que oui. La SIF n’aura que 10 ans en 2022.

Le premier texte du Conseil Scientifique de la SIF : L’informatique : la science au cœur du numérique, est publié dans binaire. Si vous souhaitez comprendre ce qu’est réellement cette science et cette technologie, lisez ce texte, qui devrait tenir lieu de prolégomène à toute initiation à l’informatique. Parions que, même si son propos a maintenant près de 10 ans, les définitions de l’informatique qu’il propose resteront pour longtemps.

Cette époque qui voit la naissance de la SIF est également celle de la rédaction du rapport de l’Académie des sciences paru en mai 2013 sur l’enseignement de l’informatique en France. La plupart des attentes qu’il exprimait pour l’enseignement de l’informatique dans le secondaire peuvent être considérées comme satisfaites. En effet, depuis 2019, l’enseignement « Sciences numériques et technologies » (SNT) est suivi par tous les élèves de seconde générale. La réforme du baccalauréat, parmi ses 13 spécialités, inclut « Numérique et sciences informatiques » (NSI) au même niveau et volume horaire que les autres spécialités, notamment scientifiques. Début 2019, le CAPES du même nom est créé. En 2020, naissent 26 classes préparatoires « Mathématiques, physique, ingénierie et informatique » (MP2I) qui ouvrent en 2021. Et, point d’orgue aux yeux de certains pour la reconnaissance d’une discipline, Jean-Michel Blanquer annonce la création de l’agrégation d’informatique le 9 mars 2021. N’en jetez plus !

Mes prédécesseurs et leurs équipes, les membres du conseil d’administration et du conseil scientifique de la SIF, et nombre de ses adhérents peuvent se féliciter à juste titre de ces avancées majeures pour l’informatique : ils ont œuvré sans relâche, et certains d’entre eux depuis plusieurs décennies (voir l’article de J. Baudé dans Binaire, 30 novembre 2021), pour qu’elles voient le jour. Ils ont pu s’appuyer sur le travail de nombreux enseignants du second degré et n’ont compté ni leur temps ni leur énergie pour se former à l’informatique puis pour l’enseigner au lycée à chaque fois que l’institution leur en a laissé l’opportunité.

1024 raisons de comprendre l'informatique – binaire

Le paysage de l’informatique s’est enrichi avec des sites comme Interstices, la revue 1024, le programme de formation Class’Code, la Fondation Blaise Pascal, Software Heritage, etc.

Et maintenant ? Le travail de la SIF serait-il achevé ? Les combats qu’elle mène seraient-ils sans objet ? Que nenni. Pour l’agrégation 2022, seuls 20 postes sur les 2620 disponibles sont dévolus à l’informatique. Même si les effectifs de la spécialité « NSI » du lycée semblent prometteurs et en hausse d’une année à l’autre, ils demeurent confidentiels par rapport aux autres spécialités scientifiques. Et cette spécialité n’attire que 13% de filles. En terminale, elles ne sont plus qu’environ 2500 à la suivre sur toute la France. Le contenu effectif de l’enseignement SNT fait débat, pour le moins. Le second « i » de « MPII » devra faire du chemin en termes de volume horaire et de visibilité pour devenir un « i » réellement majuscule.

En un mot, en formation, l’informatique vient d’acquérir plusieurs lettres de noblesse. Mais ces lettres sont pour l’heure écrites d’un trait politique hésitant, et d’une encre bien loin de conférer à l’informatique le triple statut de science, de technique et d’industrie, comme celui qui caractérise par exemple la chimie sans que cela fasse débat. Tant est fait depuis quelques années en termes institutionnels, mais tout reste à faire…

En effet :

– l’informatique se heurte d’abord à un souci d’appellation. Elle est tour à tour confondue, remplacée par de faux synonymes, tels que « numérique » (ou, pire, « digital »), « information », « TIC », ou associée, rarement avec bonheur, à ces mêmes vocables ;

– d’une part, le caractère de discipline scientifique à part entière de l’informatique est contesté par de nombreux scientifiques, d’autant plus qu’ils sont eux-mêmes ignorants d’une science bien plus jeune que celle qu’ils pratiquent. Il est d’autre part largement méconnu du grand public qui confond en toute bonne foi la discipline avec les objets matériels qui la réifient et les usages qui envahissent le quotidien ;

– non seulement la part des femmes dans les formations et les métiers en informatique est dramatiquement bas, mais depuis 30 ans au moins aucune initiative en faveur de la féminisation de notre secteur ne semble porter ses fruits.

En formation, la spécialité « NSI » reste à ouvrir, au bon vouloir des politiques publiques nationale et académiques, dans la moitié des lycées généraux. Les générations de capésiens et d’agrégés restent à former et à recruter, en harmonie avec les enseignants déjà en charge de l’informatique au lycée. Mais surtout, l’effort d’information et de communication doit se porter bien en amont du lycée, là où les stéréotypes de genre peuvent encore se déconstruire : dès l’école primaire, et vis-à-vis du grand public et des familles.

Cet effort peut se traduire par des actions de médiation scientifique en informatique visant à expliciter en termes accessibles à tous ce que cachent des termes utilisés inconsidérément comme « intelligence artificielle », « big data », « algorithmes », « numérique » qui ont en commun d’être aussi largement répandus que méconnus quant à leur acception précise. L’informatique « débranchée », ou sans ordinateur, peut faire merveille chez les plus jeunes, et le corps enseignant fourmille de vrais talents en matière de médiation. Le rôle de la SIF est de promouvoir et de mener de telles actions, en particulier avec la fondation Blaise Pascal dont le rôle est de financer des projets de médiation en mathématiques et en informatique. Il est aussi primordial de faire preuve d’ouverture en collaborant avec les sociétés savantes d’autres disciplines dont certaines sont rompues depuis longtemps à la médiation scientifique de haute qualité.

Mais la SIF ne doit ni ne peut limiter son action à la formation et à la médiation, aussi importants ces champs soient-ils. Elle a le devoir d’éclairer le citoyen, l’usager et le décideur sur les impacts sociétaux des usages positifs ou négatifs de l’informatique tant ces impacts sont majeurs dans la plupart des activités humaines. Sommes-nous, informaticiennes et informaticiens, des professionnels de ces impacts sociétaux ? Assurément non. Mais nous sommes producteurs des « algorithmes » qui semblent aussi magiques qu’ils sont obscurs aux non-informaticien(ne)s, des logiciels qui en découlent, des « intelligences artificielles » qui traitent des « datas », plus abstruses encore. C’est pourquoi nous nous devons d’expliquer inlassablement ce que fait ou ne fait pas un algorithme, un logiciel, comment agissent les paramètres qui modifient son comportement, quelles sont leur puissance et leurs limites, et comprendre le plus objectivement qu’il nous sera possible le champ sociétal impacté pour expliciter son entrelacement avec l’informatique.

En particulier, à l’heure ou le politique s’empare des concepts informatiques à la mode pour s’ériger en contempteur ou thuriféraire de telle ou telle évolution sociétale, comme s’il venait à l’esprit d’un juriste de s’emparer de l’art de concevoir et fabriquer des couteaux en tant qu’argutie pour ou contre la peine de mort, la SIF se doit non pas de prendre parti pour ou contre telle option de société, mais de démythifier l’informatique pour la démystifier, déconstruire pour le citoyen, l’usager, le décideur et au besoin contre le politique quand ce dernier oscille entre raccourci abusif et contrevérité patente, afin qu’en conscience parce qu’en connaissance, il recouvre la possibilité de statuer sur l’usage qu’il en fera. Le devoir d’éclairer de façon non partisane de celles et ceux qui « font » l’informatique est grand : contrairement à l’usager du couteau qui peut légitimement se targuer d’une compréhension « objective » de ce à quoi il peut servir parce qu’il y a un accès tactile et visuel « direct », l’usager de l’informatique n’a aucun accès direct à un logiciel, et moins encore aux algorithmes qui le sous-tendent, tant ils sont immatériels et complexes.

Les souverainetés numériques de l’État, de l’entreprise, du citoyen (peut-on être souverain sans être souverainiste ?), la protection des données (quelles données protège-t-on de qui / quoi, pour qui / pourquoi ?), le climat, l’écologie, l’énergie (l’informatique peut-elle prétendre à un bilan carbone neutre ?), l’orientation scolaire (Parcoursup est-il soluble dans le parti socialiste ?), le vote électronique (est-il définitivement non sécurisable ?) : ce ne sont que quelques-unes des innombrables questions de société dont la SIF, en collaboration avec l’ensemble de ceux qui font l’informatique et notamment les industries et leurs représentants, doit s’emparer. Avec pour unique souci de déconstruire pour faire comprendre, d’expliquer pour maîtriser, de diffuser pour permettre aux libertés individuelles et collectives de s’exercer plus et mieux quant à l’usage d’une science et des technologies qu’elle engendre.

Si sous la houlette de mes prédécesseurs et de la mienne, la SIF a pu et peut s’enorgueillir dans les domaines précités d’avancées dont on pourra un jour affirmer qu’elles ont fait progresser – même très peu – le libre-arbitre, le vivre-ensemble de celles et ceux qui sont impactés par l’informatique en ayant fait progresser leur connaissance de ce domaine, nous pourrons alors, immodestement sans doute, conjecturer que nos efforts n’auront pas été totalement vains.

Yves Bertrand, président de la SIF.

SIF Logo

Les avatars peuvent-ils remplacer notre corps ?

En réalité virtuelle, se pose notamment la question de notre représentation à l’aide d’avatars dans ces mondes virtuels : préférons-nous  choisir une copie conforme de ce que nous sommes ou au contraire une apparence très différente ? Et que devient cette interrogation dans un contexte de réalité augmentée ? C’est le le sujet de la thèse que prépare Adélaïde Genay et que nous vous proposons de découvrir grâce à un  article publié par The Conversation à l’occasion de la Fête de la science. Pascal Guitton.

Utiliser notre corps semble si naturel : il suffit d’avoir l’intention de faire un mouvement pour que celui-ci se produise. Cette capacité cache pourtant de nombreux processus complexes qui occupent encore de nombreux neuroscientifiques, psychologues et philosophes en quête d’explications sur ce qui cause le sentiment d’avoir un corps.

Cette sensation, appelée « sentiment d’incarnation », est décrite par Kilteni et al. comme composée de trois dimensions :

  • l’agentivité, c’est-à-dire la sensation d’être l’auteur des mouvements du corps ;
  • la propriété corporelle, soit le sentiment que le corps est la source des sensations éprouvées ;
  • l’autolocalisation, c’est-à-dire la sensation d’être situé à l’intérieur du corps.

Si ces trois sens semblent empêcher la dissociation de notre corps et de notre « esprit », il est pourtant possible de créer l’illusion d’avoir un autre corps. En effet, aussi étrange que cela puisse paraître, réaliser cette expérience est aujourd’hui un jeu d’enfant grâce à la Réalité Virtuelle (RV). La plupart d’entre nous connaissent cette technologie pour son aptitude à nous transporter dans un endroit différent, mais celle-ci nous permet également d’incarner un corps différent.

Cette illusion est rendue possible grâce aux multiples stimuli sensoriels que nous procurent les casques de RV et qui modifient notre perception du monde. Immergé dans un environnement 3D, l’utilisateur prend le point de vue d’un avatar qui répond à ses faits et gestes comme s’il s’agissait de son propre corps, produisant ainsi l’impression qu’il lui appartient.

« Effet de Protée »

La possibilité d’incarner un autre corps intéresse de nombreux chercheurs qui se voient ouvrir des portes vers des expérimentations autrement impossibles. L’objectif de ma thèse, c��est de comprendre comment nous percevons les avatars pour rendre leur utilisation plus naturelle. Un sujet qui me fascine particulièrement est celui de l’influence de l’image de soi sur notre perception du monde : changeons-nous notre façon de voir les choses en changeant notre représentation de nous-mêmes ? Si cette question semble être philosophique, elle se révèle être d’une importance grandissante pour les chercheurs en Interactions Homme-Machine.

Au début de ma thèse, j’ai commencé par me renseigner sur les travaux en réalité virtuelle qui se sont attardés sur ce sujet avant moi. Certains ont obtenu des résultats très étonnants associés à un phénomène appelé « Effet de Protée » : changer virtuellement la couleur de peau d’une personne conduirait à une baisse de biais ethniques à moyen terme.

Immergé dans un environnement 3D, l’utilisateur prend le point de vue d’un avatar qui répond à ses faits et gestes. Shutterstock

D’autres études vont encore plus loin et encouragent le changement de comportement dans des objectifs thérapeutiques (troubles alimentaires, traitement de douleurs…). Plus surprenant encore, des chercheurs ont réussi à montrer qu’il est possible d’améliorer momentanément notre faculté à résoudre des problèmes en faisant incarner Albert Einstein à des participants. Incroyable ! Et pourquoi ne pas utiliser Michel-Ange comme avatar pour booster nos talents de peintre, ou Jimi Hendrix pour de meilleures improvisations à la guitare ?

Inspirée par tous ces résultats, j’ai décidé de me lancer dans l’étude du sentiment d’incarnation. En particulier, j’ai voulu explorer comment mettre en place un tel sentiment sans avoir à s’immerger dans un monde virtuel. De précédentes études ont montré qu’il est effectivement possible d’évoquer ce type de sensations envers un mannequin ou une prothèse. Cependant, les possibilités d’expérimentation avec des objets réels sont limitées et difficiles à mettre en place.

Sentiment de propriété corporelle

C’est pourquoi je me suis intéressée à la Réalité Augmentée (RA) : en effet, cette technologie permet de voir et d’interagir avec des hologrammes dynamiques intégrés à notre environnement réel, et notamment avec des avatars 3D animés. Peu de choses sont connues sur la perception des avatars dans ce contexte. Si celle-ci s’avère être similaire à celle en RV, alors cela voudrait dire que les changements de comportement observés en milieu virtuels pourraient être reproduits et exploités directement au sein de notre environnement quotidien.

Une étude menée par Škola et Lliarokapis semble encourager cette hypothèse. Dans leur article, les auteurs comparent le sentiment d’incarnation dans différents contextes en reproduisant la célèbre illusion de la main en caoutchouc. Cette illusion consiste à donner l’impression au participant que la main en caoutchouc posée devant lui fait partie de son corps.

Pour créer cette illusion, un expérimentateur caresse la main en caoutchouc exactement en même temps que la vraie main du participant, cachée sous un drap. Si le participant réagit physiquement à une menace, par exemple en retirant sa vraie main suite à la chute d’un couteau sur la fausse main, alors cela confirme qu’il s’est fortement approprié la main.

La réalité augmentée permet d’insérer des éléments virtuels dans notre perception du monde qui nous entoure. Shutterstock

Dans l’étude de Škola et Lliarokapis, l’expérience de cette main en caoutchouc est comparée à celle de mains virtuelles visionnées en réalité augmentée et en réalité virtuelle. Leurs résultats ne semblent pas montrer de différence significative entre la perception globale des trois conditions. Cependant, les auteurs constatent un plus fort sentiment de propriété corporelle dans le cas de la main en caoutchouc que dans celui de la main virtuelle en réalité augmentée, mais pas en réalité virtuelle.

Malgré qu’aucune différence notable entre les conditions n’ait été conclue, ce dernier résultat m’a particulièrement intriguée. Se pourrait-il que le mélange d’éléments réels et virtuels en réalité augmentée soit à l’origine de cette variation subtile du sentiment de propriété ? Cela expliquerait pourquoi aucune différence de ressenti ne fut observée entre la main en caoutchouc et la main virtuelle en réalité virtuelle puisque dans ces deux conditions, le visuel est homogène. Si cela s’avère vrai, alors le contexte environnemental serait un facteur d’influence du sentiment d’incarnation qui n’a encore jamais été identifié.

Enjeux éthiques et médicaux

Ma première expérience a consisté à étudier cette question. À l’aide d’un dispositif de RA, j’ai comparé le sentiment d’incarnation de mains virtuelles face à des quantités progressives d’objets virtuels intégrés dans le monde réel. Chaque session, les participants voyaient devant leurs mains virtuelles 1) des objets virtuels, 2) des objets réels ou 3) les deux types mélangés.

Les mesures obtenues au travers des questionnaires indiquent une légère variation du sentiment d’incarnation. Les mains en condition 3 (objets mélangés) semblent avoir suscité un sentiment de propriété corporelle plus fort qu’en condition 2 (objets réels). Des corrélations ont également été observées d’une part entre l’appropriation des mains de l’avatar et l’immersion de l’utilisateur, et d’autre part, entre l’appropriation et la perception de la cohérence du contenu virtuel. Ces résultats suggèrent que la cohérence perçue du contenu virtuel est subjective et joue un rôle dans le sentiment d’incarner un autre corps.

Cependant, comment expliquer la différence de propriété corporelle entre les conditions 2 et 3, et surtout, l’absence de différence entre les autres paires de conditions ? Il est impossible à ce jour de répondre avec certitude et d’autres études seront nécessaires pour quantifier ce biais. Approfondir la recherche à ce sujet semble crucial pour vérifier si l’« Effet de Protée » peut avoir lieu dans de telles conditions.

Le travail sur le sentiment d’incarnation peut avoir des applications thérapeutiques, notamment dans le cas de l’anorexie. Shutterstock

Les enjeux liés à la reproduction de ce phénomène sont considérables, en particulier dans le domaine médical : la réalité augmentée étant plus facilement acceptée que la réalité virtuelle dans son utilisation journalière, l’« Effet de Protée » rendrait possible l’intégration de prothèses virtuelles au quotidien de personnes amputées pour soulager leurs douleurs fantômes. Il pourrait également servir lors de la rééducation post-AVC de patients, ou encore lors de l’élaboration de stratégies de traitement de troubles psychiques comme l’anorexie.

De nombreux autres exemples dans le domaine de l’éducation, du cinéma interactif, de l’art de scène, des jeux vidéos ou encore du sport pourraient bénéficier de l’incarnation d’avatars en RA. Plus généralement, un utilisateur pourrait intégrer les illusions d’incarnation à son quotidien pour accomplir des tâches plus efficacement en choisissant l’apparence de son avatar en fonction de celles-ci.

Mais à l’heure où les rendus graphiques en RA sont de plus en plus réalistes, de nombreuses questions éthiques voient le jour : à quel point est-il acceptable de modifier le comportement et la perception d’un individu ?

Si l’incarnation virtuelle peut apporter beaucoup d’avantages, il est de la responsabilité des chercheurs, des créateurs de contenu et des distributeurs de systèmes de RA d’élaborer un code de conduite pour prévenir les dérives inévitables et implications psychologiques et sociales de l’incarnation virtuelle. Ainsi, dans la suite de ma thèse, ma mission sera non seulement d’agrandir notre compréhension de ce phénomène fascinant, mais également de discuter des possibilités pour l’encadrer.

Adélaïde GENAY (doctorante Inria, Equipe-projet Potioc, Bordeaux)

Que se passe-t-il dans les cerveaux des cons ?

binaire s’adresse aussi aux jeunes de tous âges que le numérique laisse parfois perplexes. Avec « Petit binaire », osons ici expliquer de manière simple et accessible … comment les mots prennent du sens dans notre cerveau et ainsi�� mieux comprendre la différence entre l’intelligence naturelle et algorithmique.
Marie-Agnès Enard, Pascal Guitton  et Thierry Viéville.

– Alors y’a des gens tu parles avec eux, tu crois qu’ils te comprennent, et tout d’un coup, comme un voile qui se déchire, ils te lâchent une énormité … et tu réalises qu’en fait ils n’ont rien compris depuis le début. 

 – Ok, si je te suis bien, ta définition de la connerie, ce serait une personne avec qui tu discutes, mais finalement les mots ne font pas vraiment sens pour elle ?

Dans le film «Diner de con » de Francis Veber, le personnage de François Pignon n’est pas dénué d’intelligence, loin de là, c’est d’ailleurs  le ressort de cette comédie pour … inverser les rôles, mais beaucoup d’éléments incarnés dans nos rapports sociaux ne font pas de sens pour lui ©EFVE

– Oui, c’est ça : quelqu’un qui a appris à manipuler les symboles du langage, qui peut donner l’illusion un moment, mais en fait ces symboles ne font pas vraiment sens pour lui, leur signification n’est pas enracinée dans son intelligence humaine. 

– Ah oui, c’est pas con. Et tu sais quoi ? Tu viens de soulever le problème du fondement des symboles, c’est à dire comprendre comment un signe (un mot, un geste, un son, …) acquiert son sens dans notre cerveau humain.

– Et on a compris ça ? 

– En partie oui. On sait par exemple que quand les mots font référence à une personne ou une chose, par exemple en utilisant une description physique “l’objet en bois muni d’un tuyau avec un embout noir et un fourneau marron” ou une description par son usage “le truc où on met du tabac qu’on allume pour aspirer la fumée”, ces mots prennent du sens. C’est une étape nécessaire de trouver un tel lien pour décider quelle chose on désigne. D’ailleurs dans le cerveau les zones qui correspondent à la perception de cet objet s’activent quand le mot qui le désigne prend du sens. Et selon certaines théories, le cerveau comprendrait ces descriptions car il ferait une « simulation » physique de la description, et c’est pour ça qu’elle serait « grounded » même si c’est pas une expérience vécue. 

Dans ce tableau dit de “la trahison des images” René Magritte nous interpelle sur cette image de pipe qu’on ne peut ni bourrer, ni fumer, comme on le ferait avec une vraie pipe. ©University of Alabama site

– Ah oui .. ça s’allume dans ma tête ! Tu veux dire qu’un objet prend du sens par rapport à son aspect ou l’usage qu’on peut en faire en lien avec les zones cérébrales concernées ? 

– C’est çà, on est capable de choisir des référents des symboles qu’on manipule et pour que ça fonctionne, cela doit se faire consciemment, en lien avec les potentialités (ce qu’on peut faire avec) liées à ce symbole. 

–  En fait, notre intelligence humaine est forcément incarnée en lien avec notre corps, alors ?

– Absolument. Et même quand on fait des maths, ou que l’on développe des pensées abstraites, en fait on “détourne” des mécanismes incarnés pour ses usages plus édulcorés.

John Searle partage une expérience de pensée où un programme informatique, aussi complexe que nécessaire, ou bien une personne dotée de tous les documents idoines, simule une conscience capable de mener un dialogue en chinois sans que cela fasse le moindre sens pour elle. ©wikicommon

– Mais alors, les personnes qui pensent que grâce au numérique on va pouvoir transférer toute notre mémoire et ses mécanismes, y compris notre conscience, dans un ordinateur pour vivre éternellement, c’est du délire ? 

– oui, c’est très con. En fait c’est un fantasme assez courant et ancien : avant on pensait pouvoir prendre possession d’un corps plus jeune et y transférer notre esprit pour une nouvelle vie, mais notre esprit fait corps avec notre corps en quelque sorte.

– Alors si je te suis bien, l’idée qu’on attribue à René Descartes d’une dualité corps-esprit c’est pas trop en phase avec la neurologie cognitive moderne alors ?

– Eh, tu as bien suivi 🙂

– Mais alors, dans un ordinateur, les symboles qui sont manipulés ne font pas de sens, puisqu’il y a pas de corps avec lesquels ils peuvent s’incarner ?

– C’est cela, bien entendu on peut “simuler” c’est à dire reproduire par le calcul, le comportement d’une intelligence naturelle traitant un type de question bien particulier et, qui va “faire comme si”, au point de tromper pendant un temps limité, mais qui peut-être long. Ah oui comme un con qui tente de se comporter de manière pertinente, mais à qui il manque des “bases” et qui va forcément finir par dévoiler que les choses ne font pas de sens pour lui.

– Exactement, Et tu vois en quelques échanges on vient tout simplement de donner  quelques éléments de compréhension de cette notion complexe de  fondement des symboles (« grounding´´ en anglais) qui remet en cause l’idée d’intelligence artificielle désincarnée mais “consciente”.

– Ah ben ouais, j’me sens moins con 🙂

P.S.: Merci à Xavier Hinaut pour sa relecture et un apport.

La Chine et les communs numériques


Stéphane Grumbach est directeur de recherche à Inria et enseignant à Sciences Po. Il a été directeur de l’IXXI, l’institut des systèmes complexes de la Région Auvergne Rhône Alpes. Il a été directeur du Liama, le laboratoire sino-européen en informatique, automatique et mathématiques appliquées de Beijing.  L’essentiel de sa recherche concerne les questions globales, et notamment comment le numérique modifie les rapports entre les nations et oriente les sociétés dans l’adaptation aux changements écosystémiques. Nous l’avons interviewé notamment pour mieux comprendre ce qui se passe en Chine autour du numérique et des communs numériques.

Peux-tu nous parler de ton activité professionnelle actuelle ?

Depuis quelques temps, je fais moins de technique et plus de géopolitique. Je m’intéresse au numérique et pour moi le numérique est un système de pouvoir qui implique de nouveaux rapports de force entre les personnes et les pays. Je reste fasciné par le regard que les Européens portent sur la Chine. Ils ne voient dans la stratégie chinoise que l’aspect surveillance de sa population alors que cette stratégie est fondée sur la souveraineté numérique. Les États-Unis ont aussi un système de surveillance du même type et les Américains ont bien saisi la question de souveraineté numérique.

A l’École Normale Supérieure de Lyon, je travaille avec des gens qui étudient les systèmes complexes, sur la prise de conscience de changements de société causés par la transition numérique, ses imbrications avec la transition écologique. Il y a des anthropologues et des juristes ce qui me permet d’élargir mon horizon.

Où est-ce qu’on publie dans ce domaine ?

Ce n’est pas facile. Sur cet aspect, je regrette le temps où ma recherche était plus technique ; je savais alors précisément où publier. Par exemple, sur les aspects plus politiques du développement durable, il n’est pas facile de trouver le bon support.

Emblème national de la République populaire de Chine

Parle nous d’un de tes sujets de prédilections, la Chine.

Je voudrais en préambule proposer une analyse globale de la situation. Contrairement à la vision qui mettrait la Chine d’un côté et le monde occidental de l’autre, le monde numérique se sépare entre Chine et États-Unis d’un côté et de l’autre l’Europe.

Entre la Chine et les États-Unis, une différence est la liberté d’expression. Aux États-Unis, cette liberté fait l’objet du premier amendement de la constitution, c’est dire son importance. En Chine, le sujet n’existe pas. Il y a une forme de possibilité de critiquer, mais la critique doit se faire de biais, jamais directement. L’expression critique reste typiquement métaphorique, mais les Chinois la comprennent bien. Depuis l’ère Trump, les Américains ont essayé de bloquer le développement numérique chinois. Deux idées sont importantes : la souveraineté et l’extension extraterritoriale. Ce sont les bases du conflit États-Unis et Chine.

Actuellement la tension monte de manière inquiétante. Des deux côtés, un processus de désimbrication intellectuelle et technologique est enclenché. C’est une mauvaise nouvelle globalement car c’est le chemin vers des conflits.

La pensée numérique s’est beaucoup développée en Chine, qui est devenue depuis un certain temps précurseur au niveau mondial. Aux États-Unis, les liens entre l’industrie numérique et l’État sont importants, mais se cantonnent principalement à la sécurité. En Chine en revanche, cela va plus loin : le rôle stratégique des plateformes numériques est mieux reconnu et plus large, dans l’économie, le social, au-delà de la simple surveillance. C’est ce qui donne au pays une avance sur le reste du monde.

La Chine est aujourd’hui dans une phase de définition des rapports de force entre les plateformes et l’État. Les États-Unis feront la même chose, mais probablement plus tard. Le dogme dominant aujourd’hui est que la régulation nuirait à l’innovation et à la sécurité nationale. En Chine, la définition de ces rapports est dictée par l’État : c’est une décision politique de l’État.

Par ailleurs, on assiste actuellement à un durcissement politique en Chine, une baisse de la liberté de critique et une moins grande ouverture. L’instabilité sociale potentielle pousse à une politique de redistribution des richesses. Une forte régulation des plateformes a été lancée depuis l’arrêt brutal de l’IPO d’Ant Financial l’année dernière. Ces régulations touchent aussi les plateformes de la EdTech, avec des arguments de justice sociale également.

Comment arrives-tu à t’informer sur la Chine ?

C’est devenu plus difficile parce que malheureusement on ne peut plus y aller à cause de la politique de protection face au Covid. Mais il se publie beaucoup de choses en Chine qui sont accessibles.

Est-ce qu’il y a des sites de données ouvertes en Chine ?

Oui il y a par exemple des équivalents de data.gouv en Chine, beaucoup au niveau des provinces et des villes. En matière de données ouvertes, la politique chinoise est différente de celle que nous connaissons en Europe. Plutôt que d’ouvrir les données et d’attendre que des acteurs s’en saisissent, on procède en ciblant des acteurs précis pour réaliser des services innovants à partir potentiellement d’un cahier des charges, sous contrôle de l’administration publique. L’ouverture se fait dans le cadre d’appels d’offres comme c’est le cas, par exemple, à Shanghai. Bien sûr, comme ailleurs, on assiste à des résistances, des villes qui hésitent à ouvrir leurs données.

Il faut aussi parler des expérimentations mettant en œuvre le social scoring, une notation sociale. Il s’agit de mesurer la “responsabilité citoyenne” de chacun ou de chacune, suivant les bonnes ou les mauvaises actions qu’il ou elle commet. C’est aujourd’hui très expérimental, mais différentes villes l’ont déjà implémenté.

Il faut bien réaliser que la frontière entre espace public et privé est plus floue en Chine que chez nous. Par exemple, la circulation des voitures est monitorée et les PV sont mis automatiquement, ils sont visibles sur un site en ligne. Il faut avoir une vignette qui atteste de sa capacité à conduire et avoir bien payé ses PV. Cette approche est similaire à ce qui se pratique aux États-Unis avec le financial scoring qui est largement utilisé. Les Chinois sont globalement bienveillants face aux développements numériques et ils font preuve d’un “pragmatisme décontracté” à son égard. Les données personnelles ne sont pas accessibles à tous, et une nouvelle législation est entrée en vigueur au mois de novembre 2021, inspirée du RGPD.

Le quartier général de Baidu, Wikipédia

Est-ce qu’il y a des plateformes basées sur les communs numériques comme Wikipedia ou OpenStreetMap ?

Oui des analogues existent. Il y a un équivalent de Wikipédia réalisé par Baidu, et des équivalents locaux d’OpenStreetMap. Sur les pages Wikipédia en chinois les points de vue ne sont pas toujours ceux des autorités. C’est parfois censuré mais les gens savent souvent contourner la censure.

Et pour ce qui est des logiciels libres ?

L’open source est relativement présent. La tech peut parfois avoir des accents libertaires qui la mettent en opposition avec les autorités. Mais l’État chinois sait se servir de l’open source en particulier comme outil de souveraineté numérique. Le système d’exploitation Harmony de Huawei (basé sur Android) est bien un enjeu de la lutte entre la Chine et les États-Unis pour la dominance technologique et le découplage des économies numériques.

Plus généralement, que peut-on dire sur les communs numériques en Chine ?

Il n’y aurait aucun sens à ne pas profiter de tels communs en Chine comme en France. D’ailleurs, ces communs sont fortement développés en Chine, plus que dans d’autres pays. Les données accumulées par les plateformes en Occident ne sont utilisées que par celles-ci pour un intérêt mercantile, au-delà de la sécurité. Mais ces données peuvent être vues comme des communs, dont l’usage doit être encadré bien sûr par exemple par l’anonymisation.

Si on regarde bien, Google dispose de données stratégiques pour un grand nombre de sujets au-delà de la sécurité comme la santé, l’économie ou l’éducation. Pourtant aux États-Unis et en Europe, les relations entre l’État et les plateformes sont focalisées sur la sécurité. Cela fait passer à côté de nombreuses opportunités. En Chine, tous les sujets sont abordés en s’appuyant sur les services numériques, y compris par exemple la grogne sociale. Avec ces services, on peut détecter un problème régional et procéder au remplacement d’un responsable.

La Chine construit une société numérique nouvelle, et exploite les données pour la gouvernance. En ce sens, elle est en avance sur le reste du monde.

Et quelle est la place de l’Europe dans tout ça ?

Pour l’Europe, la situation est différente. Contrairement à la Chine ou aux États-Unis, elle n’a ni technologie ni plateforme. Elle est donc dépendante sur ces deux dimensions et essaie de compenser par la régulation. Mais sa régulation est focalisée sur la protection de l’individu, pas du tout sur les communs ou l’intérêt global de la société. L’Europe n’a aucune souveraineté numérique et ses outils et services n’ont pas de portée extraterritoriale, parce qu’elle n’a pas d’outils de taille mondiale.

Pour les Chinois, l’Europe n’existe plus : les cadres chinois voient l’Europe comme nous voyons la Grèce, une région qui a compté dans l’histoire mais qui ne pèse plus au niveau politique et stratégique, sympa pour les vacances. Je ne suis pas sûr que la vision des américains soit très différente de celle des Chinois d’ailleurs.

La stratégie chinoise des routes de la soie, une infrastructure absolument géniale du gouvernement Chinois, contribuera d’ailleurs à augmenter la dépendance de l’Europe vis à vis de la Chine, à long terme peut-être dans un équilibre avec les États-Unis, voire dans une séparation de l’Europe dans deux zones d’influence comme c’était le cas pendant la guerre froide.

Serge Abiteboul, Inria et ENS, Paris, & François Bancilhon, serial entrepreneur

Les communs numériques

Impacts environnementaux du numérique : le Mooc

Impact Num est un MOOC pour se questionner sur les impacts environnementaux du numérique, apprendre à mesurer, décrypter et agir, pour trouver sa place de citoyen dans un monde numérique.

Ce MOOC  se donne pour objectif d’aborder l’impact du numérique sur l’environnement, ses effets positifs et négatifs, les phénomènes observables aujourd’hui et les projections que nous sommes en mesure de faire pour l’avenir. Il est à destination des médiateurs éducatifs et plus largement du grand public.

Co-produit par Inria et Class’Code avec le soutien du Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports et d’Unit, ce cours a ouvert le 22 novembre 2021 ; vous pouvez dès à présent vous inscrire sur la plateforme FUN.

Ce MOOC, c’est une trentaine d’experts du domaine, des vidéos didactiques et ludiques pour poser les enjeux, des activités interactives pour analyser, mesurer et agir, des fiches concept pour approfondir les notions.

L’équipe de Class’Code

Repris de https://pixees.fr/impacts-environnementaux-du-numerique-un-mooc-pour-se-questionner/

Construisez les services publics numériques de demain

Binaire ne reprend pas en général ce genre d’information. Mais la transformation de l’État par le numérique nous parait un sujet suffisamment important pour faire une exception. L’équipe Binaire

Du 29 novembre au 16 décembre 2021, la direction interministérielle du numérique (DINUM) organise la 5e édition du Forum de l’emploi tech de l’État : en ligne du 29 novembre au 15 décembre et à Paris le 16 décembre. L’occasion de faire se rencontrer recruteurs du secteur public (ministères, collectivités territoriales…) et candidats professionnels du numérique, issus du secteur public ou du privé.

Pour en savoir plus sur les startups d’État, consultez beta.gouv.fr.