Les mutations du cognitif

Un nouvel « Entretien autour de l’informatique ». Serge Abiteboul et Gilles Dowek interviewent Michel Serres, philosophe, historien des sciences et homme de lettres, membre de l’Académie française. Michel Serres revient sur un thème qui lui est cher, les mutations du cognitif, qu’il a déjà par exemple développé dans Petite Poucette, un immense succès d’édition (Le Pommier, 2012). Cet article est publié en collaboration avec TheConversation.

Michel Serres, professeur, auteur, membre de l’Académie Française, © Manuel Cohen

B : Vous avez écrit sur la transformation de l’individu par l’informatique. C’est un sujet qui intéresse particulièrement Binaire.

MS : Cette transformation se situe dans un mouvement très ancien. Avec l’écriture et l’imprimerie, la mémoire s’est externalisée, objectivée. L’informatique a poursuivi ce mouvement. Chaque étape a été accompagnée de bouleversements des sciences. L’informatique ne fait pas exception. Pour la connaissance, nous avons maintenant un accès universel et immédiat à une somme considérable d’information. Mais l’information, ce n’est pas encore la connaissance. C’est un pont qui n’est pas encore bâti. La connaissance est le prochain défi pour l’informatique. À côté de la mémoire, une autre faculté se transforme : l’imagination, c’est-à-dire la capacité à former des images. Perdons-nous la faculté d’imaginer avec toutes les images auxquelles nous avons accès sur le réseau ? Ou découvrons-nous un autre rapport à l’image ? Quant au raisonnement, certains logiciels résolvent des problèmes qui nous dépassent. Mémoire, imagination, raisonnement, nous voyons bien que toute notre organisation cognitive est transformée.

B : Au-delà de l’individu, l’informatique transforme toute la société.

MS : Je commencerais volontiers par les métiers. L’organisation sociale précédente, était fondée sur la communication et sur la concentration. Pour la communication, pensons aux métiers d’intermédiaires, de la « demoiselle du téléphone » au commerçant. Pour la concentration, pensons aux villes – concentrations de personnes et de pouvoir –, aux bibliothèques – concentration de livres, etc. L’informatique transforme ces deux éléments fondamentaux de nos sociétés. Pour la communication, nous assistons à la disparition des intermédiaires. Quant à la concentration, elle cède la place à la distribution. Par exemple, la monnaie émise par les banques centrales, concentration, sont remplacées par les crypto-monnaies, distribution.

Le lien social a également été profondément transformé. Par exemple, le nombre d’appel le plus important sur un téléphone portable, sont les appels des mères aux enfants. Cela bouleverse les relations familiales. Ce qui a changé également c’est que nous pouvons contacter n’importe qui, n’importe quand, la distance est donc abolie et nous sommes passés d’un espace métrique à un espace topologique. Nous interagissions avant avec les gens qui vivaient près de chez nous. Nous sommes devenus les voisins de tous ceux que nous retrouvons sur le réseau, même s’ils sont au bout du monde. Ça change toute la société qui est bâtie sur des relations.

Des habitants de Westchester en route vers la ville de New York, 1955. Photo de Guy Gillette

B : Est-ce que vous y voyez une intensification des liens sociaux ?

MS : Quantitativement c’est certain. On dit que les gens sont isolés, collés à leur téléphone portable. Quand j’étais jeune et que je prenais le métro, je n’étais pas en relation avec mes voisins. Maintenant, je suis au téléphone, je suis en relation avec quelqu’un. Contrairement à ce qu’on dit, je suis moins seul… Je parlais de solitude. Il faut distinguer entre la solitude et le sentiment d’appartenance. Avant l’informatique, on se disait français, chinois, gascon, breton, chrétien, etc.  C’étaient nos appartenances, qui se sont construites dans un monde qui ne connaissait pas l’informatique. Par exemple, nous vivons encore dans des départements découpés pour que nous puissions aller du chef-lieu n’importe où en une journée de cheval. Cela n’a plus aucun sens.

Ces groupes se sont presque tous effondrés. L’informatique nous oblige à construire de nouvelles appartenances. C’est ce qui fait le succès des réseaux sociaux. Nous cherchons aveuglément de nouveaux groupes.

B : Le réseau social d’une personne était naguère déterminé par son voisinage. Aujourd’hui, on peut choisir des gens qui nous ressemblent. N’existe-t-il pas un risque de s’enfermer dans des appartenances ?

MS : Oui. Mais cela augmente nos libertés. Les aristocrates qui se rencontraient disaient « Bonjour, mon frère », ou « mon cousin ». Un aristocrate s’est adressé à Napoléon en lui disant, « Bonjour, mon ami », pour insister sur le fait que Napoléon ne faisait pas partie de l’aristocratie. Napoléon lui a répondu : « On subit sa famille, on choisit ses amis. »

Non, le risque principal des réseaux sociaux aujourd’hui, ce n’est pas l’enfermement, ce sont les bobards, les rumeurs, les fausses nouvelles. Nous avons vu les dangers énormes de rumeurs, de haine. Voilà, nous avons un problème sérieux.

Nous ne savons pas encore mesurer les effets de ces bobards. Les bobards ont-ils déterminé l’élection de Donald Trump ? Mais la question est plus générale. Ce que nous  savons, c’est qu’il y a eu Trump, le Brexit, Poutine, Erdogan, etc. La cause de cette vague vient de la peur que les gens ont du monde qui nous arrive. Et cela est en partie la faute de l’informatique. Nous autres, héritiers des lumières du XVIIIe siècle, nous avions une confiance presque absolue, trop forte peut-être, dans le progrès. Ces événements nous rappellent que tout progrès a un coût. C’est le prix à payer pour l’accès universel à toute l’information. Tout moyen de communication est à la fois la meilleure et la pire des choses. Il faut vivre avec cela.

Cela donne une idée de la morale nouvelle. Monsieur Bush a parlé de l’axe du mal comme s’il y avait Saint-Georges d’un côté et de l’autre le dragon. Mais, dès que l’on combat le mal, on devient le mal et Saint-Georges se transforme en dragon. Le mal est intimement mélangé au bien. Cela donne une sorte de philosophie du mélange. Leibniz a un mot là-dessus : un accord de septième, une dissonance bien placée peut donner à une composition quelque chose de bien supérieur à l’accord parfait.

Michel Serres © Plantu (Merci Michel et Plantu)

B : Dans cette société qui se transforme, ne faut-il pas également que la politique se transforme ?

MS : vous avez raison. Nous avons connu une bascule de culture énorme du fait des sciences dures, de la physique, la chimie, la médecine, etc. et de l’informatique bien sûr. Ces transformations ont été conditionnées par les sciences dures, moins par les sciences humaines. Pourtant ceux qui nous gouvernent sont surtout formés aux sciences humaines. C’est une catastrophe dont on ne mesure pas l’ampleur. Le décideur, le journaliste… ceux qui ont la parole, en savent peu sur les sciences dures. C’est très dangereux du fait que la politique doit être repensée en fonction du monde contemporain. Ils ne peuvent pas continuer à décider de choses qu’ils ne comprennent plus.

On le voit tous les jours. Dernièrement, Laurent Fabius m’a invité pour La nuit du droit, avec une très grande partie réservée à l’environnement. Il y avait des juristes, des philosophes, des sociologues, etc., pas un savant. J’ai dit à Fabius : nous allons décider de choses que nous ne comprenons pas. Oh, nous avons des informations, me répondit-il. Vous avez des informations, mais vous n’avez pas la connaissance !

B : Et le citoyen qui vit ces crises ?

MS : Le citoyen vit un monde tout à fait nouveau, mais il est dirigé par des gens qui viennent de mondes complètement anciens. Donc, même s’il ne comprend pas ce qu’il vit, le citoyen est déchiré. Les crises politiques que nous traversons viennent de là. Elles sont fondamentalement épistémologiques. On construit, au nord de Paris, un Campus Condorcet exclusivement consacré aux sciences humaines. L’université de Saclay, au Sud, est principalement consacrée aux sciences dures. On met des dizaines de kilomètres entre les deux. Cultivés ignorants ou savants incultes. La tradition philosophique était exactement l’inverse.

B : Cette séparation nous désespère autant que vous. Mais il semble qu’il y ait une prise de conscience, qu’on commence à ressentir le besoin de faire sauter ces frontières ?

En période de crise, les problèmes majeurs sont tous interdisciplinaires. Le gouvernement est partagé en spécialités. Prenez le chômage. Il touche le travail, l’éducation, l’agriculture… Un gouvernement en petits morceaux ne peut plus résoudre ces problèmes interdisciplinaires.

Nous sommes des scientifiques qui continuons une route qui a conduit à l’informatique avec Turing. Nous avons l’idée d’une histoire, d’un progrès. Gouverner, ça veut dire tenir le gouvernail, savoir où on est, d’où on vient, où on va. Aujourd’hui, il n’y a plus de cap, uniquement de la gestion. Il n’y plus de gouvernement parce qu’il n’y a plus d’histoire. Et il n’y a plus d’histoire parce qu’il n’y a plus de connaissance des sciences. Ce sont les sciences dures qui ont fait le monde moderne, pas l’histoire dont parlent les spécialistes de sciences humaines. Il faut conjuguer les deux. L’informatique a un rôle essentiel à jouer, y compris pour transformer les sciences humaines.

Des informaticiens doivent apprendre à devenir un peu sociologues, un peu économistes, etc. Et les chercheurs en sciences humaines doivent devenir un peu informaticiens. C’est indispensable d’avoir les deux points de vue pour plonger dans le vrai monde.

B : Peut-être pourrions-nous conclure sur votre vision de cette société en devenir ?

C’était mieux avant; Le Pommier

MS : La dernière révolution industrielle a généré des gâchis considérables. Par exemple, on a construit des masses considérables de voitures qui sont utilisées moins d’une heure par jour. Je ne partage pas le point de vue de Jeremy Rifkin qui parle de l’informatique comme d’une nouvelle révolution industrielle. La révolution industrielle accélère l’entropie, quand la révolution informatique accélère l’information. C’est très différent.

Une autre différence avec une révolution industrielle tient du travail. À chaque révolution industrielle, des métiers ont disparu, et d’autres ont été inventés. Les paysans, par exemple, sont devenus ouvriers. Il est probable que l’informatique détruira beaucoup plus d’emplois qu’elle n’en créera. Nous n’avons pas les chiffres parce que la révolution est en marche, mais il faut s’y préparer. Dans la société d’hier, un homme normal était un ouvrier, un travailleur. Ce ne sera plus le cas dans celle de demain. C’est aussi en cela que nous ne sommes pas dans une révolution industrielle.

Le travail était une valeur essentielle. Dans la société de demain, peut-être dans cinquante ans, le travail sera une activité rare. Il nous faut imaginer une société avec d’autres valeurs. Le plus grand philosophe de notre siècle sera celui qui concevra cette nouvelle société, la société de l’otium, de l’oisiveté. Qu’allons-nous faire de tout le temps dont nous disposerons ?

Serge Abiteboul, Inria & ENS, Paris, Gilles Dowek, Inria & ENS Paris Saclay

Pour aller plus loin, nous ne pouvons que vous conseiller la lecture de Michel Serres, et notamment de Petite Poucette, Le Pommier. Vous pouvez aussi écouter la conférence lumineuse qu’il a donnée pour les 40 ans d’Inria.

#ScienceInfoStream

Parce que la science peut aussi être ludique, parce que parler de science avec des mots simples permet à un plus grand nombre de s’approprier des connaissances, la Société informatique de France (SIF) a initié cette année un concours vidéo valorisant des réalisations courtes et mettant en scène l’informatique. L’objectif est de montrer que l’on peut, en quelques minutes (moins de 28 secondes !), expliquer en langage simple un point de science informatique, traiter d’enjeux sociétaux, voire susciter des vocations et ce dès le plus jeune âge. Les organisateurs nous racontent. Faites-vous plaisir en regardant les vidéos. Serge Abiteboul
Ressources humaines, Premier prix

1er prix : « Ressources humaines »

Accessits :

Mention spéciale pour l’implication des enfants dans une action de sensibilisation auprès du jeune public. à :« Programmation manuelle des thymio »

Comment inventer un algorithme efficace pour résoudre un puzzle ? Quel langage comprend votre machine à café ? Pourquoi ne pas construire votre propre ordinateur en lego ? Telles sont les trois questions de science et technique informatique que les vidéos primées par le concours #ScienceInfoStream ont choisi d’aborder. Mais l’informatique n’est pas seulement une science et technique, elle est aussi un terrain fertile pour le travail en équipe et une source (inépuisable) d’amusements. Aussi le sens du collectif, un certain humour ainsi qu’une pincée de suspens pimentent-ils les vidéos lauréates du concours.

Toujours dans cet esprit, une belle aventure humaine, de partage et transmission nous est contée par une vidéo proposée par un groupe d’élèves de CE2 et CM1, orchestrée par une étudiante de Master 2 sous la supervision de l’enseignante de la classe. Cette vidéo s’est vu décerner une mention spéciale du jury.

Alors si, vous aussi, vous aimez l’informatique, si vous avez entre 5 et 105 ans (il est possible de demander des dérogations 🙂 ), guettez la prochaine édition de #ScienceInfoStream pour partager vos pépites de science informatique. Les soumissions seront, cette année, attendues à l’automne et le concours s’ouvrira également à de nouveaux supports… Il vous faudra un peu de patience pour découvrir les détails de cette nouvelle édition.

En attendant, régalez-vous avec le Palmarès 2018 de ce concours parrainé et dont les résultats ont été proclamés par Mounir Mahjoubi, Secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé du Numérique.

Sylvie Alayrangues, Univ. de Poitiers, Christine Froidevaux, Univ. Paris-Saclay, Fabian Tarissan, CNRS

Merci au jury 2018 composé de :

  • Sylvie ALAYRANGUES, Présidente du jury, vice-présidente médiation SIF, Maître de conférences en informatique – Université de Poitiers
  • Philippe AIGOUY, Réalisateur, Video Sud Production
  • Fred COURANT, Cofondateur, Rédacteur en chef de l’Esprit Sorcier
  • Marie DUFLOT-KREMER, Maître de conférences en informatique – Université de Lorraine
  • Stéphane FAY, Responsable Unité informatique et sciences du numérique, Palais de la découverte
  • Christine FROIDEVAUX, Professeur en informatique – Université Paris Sud / Paris-Saclay, vice-présidente SIF
  • Fabien TARISSAN, Chargé de recherche CNRS – ENS Paris-Saclay – vice-président adjoint médiation SIF
  • Stéphane VIALETTE, Directeur de recherche CNRS – Chargé de mission INS2I CNRS – LIGM – Université Paris-Est Marne-la-Vallée

Et les robots binaient…

On entend de plus en plus souvent parler de robotique, et dans la plupart des cas, elle est mise en œuvre dans des environnements industriels ou médicaux. Et pourtant, il existe beaucoup d’autres secteurs où les robots sont désormais réalités. Dans cet article, nous vous présentons un exemple dans le domaine de l’agriculture. Serge Abiteboul & Tom Morisse

De l’asperge aux vignes

L’aventure de Naïo Technologies commence en 2010, pendant la Fête de l’asperge de Pontonx-sur-l’Adour, dans les Landes, ça ne s’invente pas ! Gaëtan Séverac, l’un des deux cofondateurs, discute avec un agriculteur. Ce dernier est confronté à un épineux dilemme lors des récoltes : soit faire appel à une main d’œuvre saisonnière conséquente, mais difficile à trouver, soit utiliser des machines qui ramassent tout, mûr ou pas.

Gaëtan fait part de cette rencontre à Aymeric Barthes, un camarade de l’IMERIR, une école d’ingénieurs de Perpignan justement spécialisée dans la robotique. Ils se prennent de passion pour ce défi technique pas évident à l’époque, car le lien entre robotique et agriculture pouvait alors paraître bien lointain. On ne connaissait pas encore les tracteurs bourrés de capteurs, d’électronique, et de programmes informatiques.

OZ2, Naïo Technology

En parallèle de leurs fins d’études respectives, un apprentissage pour Aymeric et une thèse sur la communication des robots dans l’espace à l’ONERA pour Gaëtan, ils conçoivent leurs premiers prototypes. Le projet prend de l’ampleur et en novembre 2011, ils créent la société Naïo Technologies. Ils ont légèrement transformé le projet : comme réaliser un robot récolteur d’asperges nécessiterait un budget trop conséquent, ils se concentrent sur le désherbage, en visant d’abord de petits maraîchers diversifiés, surtout présents en circuits courts. Aboutissement de leurs efforts, le robot désherbeur Oz est commercialisé en 2013.

6 ans plus tard, la jeune pousse a bien grandi : l’équipe compte aujourd’hui une trentaine de personnes. La moitié se concentre sur la R&D logicielle et matérielle, un quart sur le support client, et le reste sur l’administration et la production. Naïo Technologies s’occupe de la conception et de l’assemblage dans son propre atelier. On pourrait s’attendre à des prestataires en Chine, mais ils choisissent le made in France plutôt local ; ils ont bien raison : comment résister au charme de villes telles que Montauban, Castres, ou encore Nantes ?

Dino, Naïo Technology

Si Naïo Technologies est toujours focalisée sur le désherbage, la gamme s’est élargie pour apporter des solutions à d’autres pans de l’agriculture. Ainsi, aux côtés d’Oz, on trouve  aujourd’hui Dino, robot enjambeur pour des exploitations légumières de plus grande taille, et Ted, qui accomplit son office au cœur des vignes. La startup compte à ce jour une centaine de robots en circulation, essentiellement des modèles Oz et quelques Dino, dont, cocorico oblige, déjà 15% du parc à l’international.

Sous le capot

Leurs robots sont équipés de nombreux capteurs : centrale inertielle (équivalent de l’oreille interne chez les humains), un LIDAR (qui, à la manière d’un radar mais cette fois-ci via un laser, sonde son environnement avec une ouverture de vision à plus de 200°), deux caméras en stéréo, pour détecter les couleurs et percevoir le monde en 3D, et enfin un GPS précis à 3 cm près.

Fort de ses 1m50 x 50cm d’envergure et de ses 100 kilos, Oz est spécialisé dans le binage. Ce qui, pour le néophyte, signifie retourner la terre sur 2 à 3 cm, pour désherber. Paradoxalement, Oz est incapable de reconnaître les mauvaises herbes : on bine précisément pour ne pas leur laisser le temps de sortir du sol. Ce que Oz perçoit en revanche, ce sont les cultures dont il passe entre les rangées. En fait, chaque robot construit sa propre carte de l’exploitation au fur et à mesure. Et si la culture n’a pas encore émergé, restant du coup indistincte de la terre à désherber, l’agriculteur doit passer en guidage manuel.

Tien Tran, Naïo Technology

Il faut savoir gérer les situations difficiles et imprévues. D’abord, le robot doit détecter la présence d’obstacle(s). Il peut soit l’éviter si la place le permet, soit s’avancer jusqu’au contact. S’il détecte que l’obstacle est rigide, il bippe très fort, pour faire fuir l’animal au cas où. Ensuite, il doit gérer sa propre « désorientation ». Si la centrale inertielle décèle un problème, par exemple après un choc en roulant sur une pierre ou si les caméras détectent que le robot se trouve dans la culture, Oz s’arrête et il prévient son patron (l’agriculteur) par SMS.

Si un problème est survenu, Naïo Technologies peut récupérer les données d’observation (en informatique, on parle de logs) de la dernière heure d’usage du robot, pour mieux la rejouer sur simulateur. L’analyse de ces données pourrait permettre d’ajouter de nombreuses fonctionnalités, notamment en s’appuyant sur des techniques d’apprentissage automatique. Mais ce n’est pas encore à l’ordre du jour…

Malgré tous les garde-fous prévus, des situations cocasses peuvent tout de même se produire. Aymeric raconte avec le sourire : « L’exploitation d’un client était entourée de fossés, et on se disait que le pire qui puisse arriver au robot, c’était de se retrouver dedans. Pas de bol. Le robot a fini sur la route. » Il s’est trouvé dans la rangée de culture qui menait vers le seul pont qui y conduisait. Le robot a cru qu’il était juste dans un trou de culture et il a donc continué son bonhomme de chemin pour retrouver cette culture. Il a bien fini par reconnaître qu’il n’y avait plus rien à biner mais il était déjà au beau milieu de la chaussée. Si vous croisez un robot bineur sur une départementale, dites-vous qu’il ne se balade pas ; il est juste perdu !

Une écologie pragmatiste

Trois avantages sont avancés pour convaincre les agriculteurs de faire appel à leurs robots : l’amélioration des conditions de travail, l’accroissement de la rentabilité et l’impact vertueux sur l’environnement par réduction de l’utilisation des herbicides. En fait, les clients de Naïo Technologies recherchent surtout jusqu’ici un gain de temps ou une réduction de la pénibilité de leur travail… justement parce que nombre d’entre eux sont déjà installés dans l’agriculture bio ou raisonnée.

Les dirigeants de la startup nous ont paru soucieux des impacts écologiques et sociétaux de leur technologie. Nous avons cuisiné Aymeric Barthes car les sorties de route potentielles ne manquent pas : les robots peuvent être utilisés pour répandre des produits chimiques,  la mécanisation peut conduire à la disparition d’emplois, et favoriser une concentration toujours plus forte des exploitations dans les mains de ceux qui possèdent des machines. Naïo Technologies ne risque-t-elle pas de vendre son âme au diable ?

9504, Naïo Technology

Réponse d’Aymeric : « Nous croyons à une agriculture plus saine. Lorsque nous avons commencé, nous nous sommes posés la question de savoir si nous ne faisions pas que déplacer le problème. Notre vision est que la marche du progrès est inéluctable  alors autant y participer, en promouvant nos valeurs, et en proposant aux agriculteurs une alternative aux produits chimiques. Et jusqu’à maintenant, aucun de nos clients n’a licencié qui que ce soit. »

Il faut reconnaître que Naïo Technologies fait vivre ses valeurs : management consultatif, maintien d’une version pédagogique de leurs robots, ouverture de leur capital lors de campagnes de financement participatif sur Wiseed, ou encore organisation du Forum international de la robotique agricole, en donnant également de la visibilité à ses concurrents.

Perspectives

Plusieurs axes de développement s’offrent aujourd’hui à la société. Tout d’abord la création de robots adaptés à d’autres cultures, par exemple d’autres cultures spécialisées. Ensuite, il faudrait permettre la collaboration entre plusieurs robots, un besoin qui n’existait pas chez les premiers clients, des petites exploitations, mais qui se fait de plus en plus ressentir. D’autres secteurs pourraient être intéressés par leur expertise robotique comme le désherbage de parc électrique ou, plus inattendu, le carottage pour des stations de ski. Dans ce dernier cas, les résultats ont été pour le moins mitigés, le robot dévalait les pentes tout schuss malgré ses chenilles. On pourrait citer d’autres sollicitations surprenantes auxquelles ils n’ont pas donné suite : un robot-ramasseur de balles de golf, ou encore un robot-carreleur. Nous aimerions aussi disposer de robot qui s’occupe des plantes du balcon ; pensons aussi aux agriculteurs-citadins.

SpaceX Falcon 9 FLT-002 101208

S’il y a bien une application qui fait rêver les deux fondateurs, c’est la conquête spatiale. Les deux fondateurs ont tenté de contacter Elon Musk, mais sans succès. Ils ne désespèrent pas d’envoyer un jour leurs robots dans l’espace. Après tout, le comble serait bien pour eux de se débiner.

Serge Abiteboul, Inria & ENS et Tom Morisse, Fabernovel

(a voté) Euh non : a cliqué

Vous devez organiser un vote, pourquoi ne pas le réaliser de manière électronique ? Malheureusement, les systèmes proposés aujourd’hui  ne sont pas sûrs et c’est compliqué… Alors, pourquoi ne pas prendre une plateforme libre proposée par des chercheurs et éviter ainsi plusieurs écueils liés au vote électronique. 3 chercheurs spécialistes de ce domaine qui travaillent au LORIA à Nancy nous parlent du sujet. Pierre Paradinas

Voter électroniquement avec Belenios

L’objet de ce billet est d’annoncer un nouveau-venu dans le monde du vote électronique : la plateforme de vote Belenios. Cette plateforme, libre et gratuite, permet d’organiser une élection en quelques clics. Lancée il y a un peu plus d’un an, elle a déjà permis d’organiser environ 200 élections, essentiellement dans le milieu académique : élection des membres d’un conseil de laboratoire, d’un centre de recherche, d’un comité universitaire, élection de responsables d’un groupe de travail, etc.

Nous évoquons ci-dessous quelques éléments de contexte pour comprendre le positionnement de Belenios et encourager les lecteurs non seulement à l’utiliser mais surtout à se poser des questions lors des élections dématérialisées auxquelles ils sont invités à participer.

Promouvoir plus de transparence

Le vote électronique, de manière générale, mais de façon encore plus criante en France, n’est pas assez transparent. Quand on vote par Internet, comme cela se fait de plus en plus souvent, on n’a aucune information sur les algorithmes utilisés. Tout au plus a-t-on les noms des expert·e·s ayant étudié et validé la solution. Sans remettre en cause ce nécessaire travail d’expertise par un tiers, nous considérons que le secret de l’algorithme utilisé va à l’encontre d’une des propriétés fondamentales du vote électronique : la vérifiabilité. Chaque votant doit pouvoir vérifier que son bulletin est bien présent dans l’urne et chacun doit pouvoir vérifier que le résultat de l’élection correspond aux bulletins dans l’urne. On souhaite ainsi reproduire la situation d’un vote traditionnel, même si dans le cas du vote électronique, certaines vérifications ne peuvent provenir que de preuves mathématiques difficiles à lire pour le commun des mortels. Cette propriété de vérifiabilité, ainsi que d’autres propriétés requises ou souhaitables d’un système de vote électronique ont déjà été décrites dans un précédent billet. Belenios est un exemple parmi d’autres (comme Helios dont il est une variante) d’un système vérifiable dont la spécification est publique. Nous souhaitons ainsi convaincre les acteurs du vote électronique (vendeurs de solutions, donneurs d’ordre, voire la CNIL) que la transparence n’est pas trop demander : on a largement atteint le stade où c’est techniquement faisable sans mettre en danger le secret du vote, au contraire.

Du vote électronique aux présidentielles ?

Non. Ce n’est pas une bonne idée d’utiliser le vote électronique pour les grands rendez-vous politiques. Le vote électronique a fait des progrès, mais à l’heure actuelle il n’offre pas d’aussi bonnes garanties de sécurité qu’un scrutin papier à l’urne, tel qu’il est organisé en France pour les grandes élections. Parmi les propriétés très délicates à mettre en œuvre dans le cas du vote électronique figure la résistance à la coercition. Comment garantir le libre-choix du vote lorsque l’isoloir devient virtuel et que le vote s’effectue depuis chez soi ? Des solutions académiques existent mais elles restent incomplètes ou difficilement mises en pratique. Toujours dans le même précédent billet se trouve une discussion plus détaillée sur les limites du vote électronique. Le protocole Belenios n’échappe pas à ce constat. Il n’y a pas de protection contre la coercition ou la vente de vote (il suffit de vendre son matériel électoral). Il n’en reste pas moins que Belenios et le vote électronique en général est une alternative intéressante en remplacement du vote par correspondance qui n’offre souvent que de piètres garanties de sécurité.

La plateforme publique Belenios

Dans l’isoloir…

La sécurité a un prix. Un élément incontournable est de répartir la confiance entre plusieurs personnes : donner trop de pouvoir à une unique personne (par exemple celle qui administre le serveur) signifie qu’on offre la possibilité à un·e attaquant·e de faire pression sur celle-ci pour changer le résultat, voire dévoiler les votes de chacun. Utiliser Belenios nécessite donc l’implication de plusieurs personnes distinctes qui vont se partager les rôles. Ainsi, la clef de déchiffrement sera répartie entre plusieurs assesseur·e·s, et il faudra les corrompre tou·te·s pour déchiffrer les votes individuels. Nous encourageons d’ailleurs les lecteurs à se poser la question à chaque scrutin électronique auquel ils sont confrontés : qui possède les clefs de déchiffrement, comment ont-elles été générées, et comment sont-elles utilisées lors du dépouillement ?

Pour finir, nous insistons sur le fait que la plateforme Belenios, hébergée au laboratoire LORIA de Nancy, n’est qu’une plateforme de démonstration fournie « en l’état », sans garantie de disponibilité de fonctionnement, même si nous faisons de notre mieux. Dans le même esprit, chaque élection est limitée à 1000 électeurs. Cependant, tout le code est libre, et il est tout à fait possible de déployer sa propre instance chez une société d’hébergement offrant des garanties de disponibilité 24/7 et des services de résistance au déni de service.

Dans bien des contextes à enjeu modéré et où le report de l’élection n’est pas dramatique en cas d’indisponibilité imprévue du serveur, notre plateforme peut rendre service, et offrir une solution à l’état de l’art, en remplacement notamment du vote par correspondance ou de systèmes non prévus pour le vote (LimeSurvey, pour ne citer qu’un seul exemple). Les remarques et les contributions sont les bienvenues !

 Véronique Cortier (Directrice de recherche au CNRS) Pierrick Gaudry (chercheur au CNRS) et Stéphane Glondu (Ingénieur de recherche Inria).

Prédire l’humeur des populations

En provenance de Bruxelles, Charles Cuvelliez (École Polytechnique de Bruxelles, Université de Bruxelles) et Jean-Jacques Quisquater (Ecole Polytechnique de Louvain, Université de Louvain) nous apportent un éclairage sur un article publié dans Nature et qui apporte une réponse à une vielle question de biologie humaine : « pourquoi les pics de naissance apparaissent-ils toujours en septembre ? « . Des chercheurs montrent aussi qu’il est possible de détecter l’humeur du moment d’un pays, d’une communauté ; une pratique sans doute déjà à l’œuvre dans les agences de com politique. Pierre Paradinas

Qui eût cru que Google et Twitter et la prestigieuse revue Nature allaient donner une réponse à une question vieille comme le monde : les variations cycliques des naissances, avec un pic en septembre pour l’hémisphère nord, sont-elles dues à un facteur biologique ou culturel ? C’est souvent le facteur biologique qui est mis en avant ; en effet, septembre correspond, 9 mois plus tôt, à Noël, une période propice à cette explication : ce sont les jours les plus courts et notre horloge biologique nous inciterait à la reproduction comme beaucoup d’animaux à la même période. Si cette hypothèse est vraie, les pics de naissance ne devraient pas avoir lieu à la même époque dans l’hémisphère nord et dans l’hémisphère sud. Et ces pics ne devraient pas se manifester à l’équateur. Si l’hypothèse biologique prévaut, c’est qu’elle se base sur des statistiques facilement disponibles et fiables dans l’hémisphère nord : taux de naissance, bien sûr, mais aussi taux de transmission des maladies sexuellement transmissibles, vente de préservatifs, etc.

Source Wikimedia – Pereslavl – CC BY-SA 3.0

Avec Google et Twitter, on peut accéder à des données vraiment mondiales prêtes à l’emploi. Il fallait y penser. Une coopération internationale menée par l’école d’informatique de l’université d’Indiana aux états-unis a eu recours à Google Trends, site qui établit une cartographie des recherches faites sur Internet. Cette équipe a pris comme mot clé, le mot « sexe » comme indication d’un état d’esprit nous amenant à une attitude propice à la reproduction (et… au reste). Que constatent les chercheurs ? Sur les 10 ans de retour en arrière possible avec Google Trends, le pic de recherches avec le mot « sexe » se produit à la Noël. Ce n’est pas dû, expliquent les chercheurs, au temps libre supplémentaire que cette période offre puisqu’ils ont normalisé les statistiques sur le volume de recherche plus grand à cette époque de l’année. Ce pic n’existe pas non plus sur d’autres périodes de vacances comme Thanksgiving ou Pâques. Plus intéressant : tant l’hémisphère sud que l’hémisphère nord montrent ce pic à la même période. Il n’y aurait donc pas d’effet biologique lié à la saison qui aurait alors engendré un tel pic aux alentours du 21 juin en Australie.

Les chercheurs ont alors étudié le même pic dans les recherches Google pour des pays non chrétiens. Ils ont découvert qu’il apparaissait lors de deux fêtes culturellement importantes dans d’autres communautés : Eid al Fitr (la fête de la fin du Ramadan) et Eid al Adha (la fête du sacrifice). Et comme ces fêtes n’ont pas un calendrier fixe, ces chercheurs ont constaté que les pics les suivaient. C’est donc clair : les pics de recherche liés au mot clé sexe sont reliés tant chez les chrétiens que chez les musulmans à des fêtes culturelles d’origine religieuse. Pour les chrétiens, c’est d’autant plus frappant que la corrélation augmente lorsqu’on exclut les 10 pays chrétiens qui fêtent Noël à une autre date que le 25 décembre (pays orthodoxes).

Peu de lien avec le sexe

Pourtant ces fêtes religieuses n’ont aucune connotation sexuelle. C’est même contre-intuitif. Les chercheurs ont alors tenté de relier ces fêtes à un état d’esprit collectif, apaisé, qui amènerait à des bonnes dispositions en la matière, une sorte de vérification de l’adage : faites l’amour pas la guerre. Ils ont eu recours, autre originalité de leurs travaux, à Twitter et à l’analyse des messages dans 7 pays : Australie, Argentine, Brésil, Chili, Indonésie, Turquie et les USA. Ce ne sont sans doute pas les mêmes populations qui auront fait les recherches sur Google et qui auront twitté, mais l’échantillon des deux côtés est suffisamment vaste. Sur Twitter, les chercheurs ont examiné la présence de mots appartenant au lexique ANEW, Affective Norms for English Words : il s’agit de 1034 mots réputés porteurs de sentiments affectifs forts suivant trois dimensions qui permettent d’identifier si l’auteur du message est triste ou heureux, calme ou excité, sous contrôle. Le lexique ANEW a notamment été traduit en portugais et en espagnol. Bref, une analyse ANEW des messages Twitter est capable de donner l’humeur générale d’une population. Et bien, elle change pendant les vacances : il ne faut pas être grand savant pour comprendre que l’état général d’humeur puisse évoluer vers « heureux » à ces périodes. Encore fallait-il le prouver, ce qu’ils ont fait.

Cette figure représente un nuage de mots décrivant des émotions : heureux, amoureux, libre, etc.
Que l’intérêt pour le sexe soit relié à un facteur culturel est une chose, mais nous restons tout de même des entités biologiques. Il doit donc y avoir un facteur biologique sous-jacent. Et les auteurs d’avancer finalement ce que nous savons tous : un état dépressif ne nous amène pas vraiment à une attirance pour le sexe. Une nourriture plus abondante, typique de cette période, a l’effet inverse, d’après plusieurs études sauf que d’autres fêtes d’abondance comme Thanksgiving ne montrent pas de tels pics. Non, il faut se dire que Noël et Eid al Fitr sont porteurs de seuils psychologiques et symboliques particuliers.

Prédire, oui, contrôler, non

Au-delà du sujet de l’étude, l’utilisation de Twitter pour décrire l’humeur générale des masses, sa corrélation avec des comportements de population ont de quoi faire peur. Il serait donc possible de prédire les révolutions ou le meilleur tempo pour faire passer des réformes impopulaires, bref à défaut, d’assujettir les masses, en tout cas, les connaitre. Il se murmure que des agences de communication spécialisée pour les hommes et femmes politiques n’ont pas attendu. Finalement pourquoi pas ? L’importance de certaines réformes, certaines décisions cruciales ne valent-elles pas qu’elles soient prises indépendamment de mouvements d’humeur passagers. Les influencer serait plus condamnable. Un scénario pour black mirror ?

Charles Cuvelliez (École Polytechnique de Bruxelles, Université de Bruxelles) et Jean-Jacques Quisquater (École Polytechnique de Louvain, Université de Louvain)

Pour en savoir plus :

Human Sexual Cycles are Driven by Culture and Match Collective MoodsIan B. Wood, Pedro L. Varela, Johan Bollen, Luis M. Rocha & Joana Gonçalves-Sá, Nature, 21 décembre 2017

L’IA est–elle sexiste, elle aussi ?

A l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes, nous nous intéressons cette année non aux informaticiennes, mais aux usagères des technologies d’Intelligence Artificielle : devront-elles, ici comme ailleurs, affronter un sexisme malveillant ? Comme d’habitude, plus, moins ? Et surtout, pourquoi ? Au détour de cette question certes un peu bateau, Anne-Marie Kermarrec nous offre à la fois un panorama des différentes sources de biais qu’on trouve dans les technologies informatiques et une réflexion sur l’IA, miroir de nos propres sexismes et autres déplorables habitudes. Binaire

 

L’Intelligence Artificielle (IA pour les intimes) a le vent en poupe et est partout : elle traduit vos documents, guide vos recherches, vous recommande des films, vous suggère quoi manger, quand courir, nourrit votre fil d’actualité, vous aide à trouver un job, à vous garer, à vous marier, à vous soigner, à vous informer et ce n’est que le début. Avec tout cela, l’IA est autant un sujet de fantasme que d’incertitude, d’optimisme que d’inquiétude, le monde oscille entre admiration et crainte, s’épate de voir un programme apprendre « tout seul » comment gagner aux échecs, s’inquiète de savoir quels métiers vont disparaître et à quel point nous allons être manipulés, aidés, augmentés et j’en passe.

Dans cet enchevêtrement de questionnements et de doutes, d’aucun peut s’interroger sur la capacité de l’IA à corriger les maux de notre société. Ou est-ce qu’au contraire, elle reproduit voire amplifie les travers d’un monde rongé par les inégalités en tous genres ? Si ces biais potentiels peuvent concerner de multiples volets de notre société, inégalités sociales, raciales, que sais-je, je ne m’intéresse en cette journée internationale du droit des femmes 2018 qu’aux inégalités hommes/femmes que peut continuer à colporter l’IA. Est ce que nos dernières inventions numériques continuent bien gentiment de véhiculer le sexisme ou est ce qu’au contraire tenons nous là un puissant remède aux stéréotypes de genre ?

L’IA est-elle neutre ?

L’IA est un « vieux » domaine académique, à l’échelle temporelle de l’informatique, qui doit son succès récent à la présence de données massives combinées à des capacités de calcul gigantesques. Plus précisément, l’IA repose sur trois éléments essentiels : des algorithmes, des données et des ordinateurs. On peut accorder aux ordinateurs, dont la taille a diminué au fil des années à mesure que leur puissance de calcul a augmenté qu’ils adoptent un principe « matériel » intrinsèque de neutralité et ne peuvent être taxés de biais. Qu’en est-il des algorithmes et des données ? Les deux peuvent être biaisés à des degrés arbitraires. Et si on parle tant de la transparence des algorithmes aujourd’hui, c’est que justement on craint ces biais, pour une large part parce qu’ils sont algorithmiques. La plate-forme APB en est un excellent exemple, qui a été jugée beaucoup plus sévèrement qu’un autre algorithme, plus ancien, mais mis en œuvre par les humains qui consistait à faire la queue et à accepter les étudiants sur la base du premier arrivé premier servi. Pas tellement plus juste qu’une sélection aléatoire algorithmique en dernier recours pourtant.

Transparence des algorithmes

Les données sont-elles biaisées ?

Mais il est aussi tout aussi légitime de parler de besoin de transparence des données. Rappelez vous Tay, un bot, planqué derrière une image de jeune fille, lancé par Microsoft en 2016, qui imitant un millenial se retrouve après quelques tweets à tenir des propos sexistes comme gamergate is good and women are inferior, alors même que la promesse du géant américain était que, plus Tay s’entretiendrait avec des humains sur les réseaux sociaux, plus son « intelligence » s’aiguiserait. Même si Tay a été manipulée (et ça n’a pas été très difficile du reste), ce comportement est simplement dû au fait que les données sur lesquelles elle avait été entrainée sont juste un reflet navrant de la société. Comme souvent, les algorithmes ont juste un peu accéléré le mouvement.

Plus récemment la jeune doctorante du MediaLab du MIT, Joy Buolamwini, en étudiant plusieurs algorithmes de reconnaissance faciale a constaté qu’ils marchaient très bien sur… les hommes blancs. Pourquoi ? Simplement parce que ceux-ci sont beaucoup plus représentés dans les banques de données utilisées par l’apprentissage d’une part et que d’autre part, les benchmarks pour les évaluer, c’est à dire les ensembles de tests, sont tout aussi biaisés. Pour simplifier, un algorithme de reconnaissance faciale est considéré comme bon par la communauté, s’il obtient de bonnes performances sur ces benchmarks, c’est-à-dire qu’il est capable de reconnaître des hommes blancs avec une forte probabilité.

Ainsi, on peut assez facilement imaginer qu’un algorithme qui guide dans le choix des formations proposera plus naturellement à une jeune fille de faire médecine ou du droit et à un jeune homme de tenter une prépa scientifique s’il repose uniquement sur les statistiques et corrélations des dix dernières années. On comprend aussi pourquoi une femme négociera moins bien son salaire qu’un homme à poste équivalent car si elle interroge  son application favorite sur le sujet, les statistiques sont claires et donc les données utilisées pour rendre l’algorithme intelligent sont  évidemment biaisées. De fait les résultats de l’algorithme aussi.

Et les exemples sont nombreux. Ainsi, des expériences lancées à l’université de Boston ont montré que des algorithmes d’intelligence artificielle, entrainés sur des textes issus de Google news, à qui on demandait de compléter la phrase : Man is to computer programmers as woman is to x,  répondaient homemaker [1]. Sans commentaire. Dans une autre étude [2], il est encore montré que les collections d’images utilisées par Microsoft et Facebook pour les algorithmes de reconnaissance d’images associent les femmes aux cuisines et au shopping quand le sport est plutôt relié aux hommes. Et évidemment, les algorithmes, non seulement reproduisent ces biais, mais les amplifient, accentuant au cours du temps ces associations. De même, lorsque les traducteurs automatiques traduisent une phrase d’un langage sans genre à un langage ou le genre doit être explicite, les biais sont évidents. They are programmers sera naturellement traduit en français par « ils sont programmeurs » et They are nurses par « elles sont infirmières ». Essayez vous-même comme je viens de le faire !

Deux visages - sculptureEt si les algorithmes pouvaient rectifier le tir ?

Les exemples précédents sont autant d’exemples où les machines sont neutres, les algorithmes sont neutres et l’IA résultante est biaisée uniquement car les données le sont.

Encore une fois il est difficile de biaiser une machine, mais un algorithme est conçu et développé par des informaticien.ne.s qui peuvent en faire à peu près ce qu’ils en veulent. Si l’IA a été conçue initialement pour imiter l’ « intelligence » humaine, avec des algorithmes qui tentaient de reproduire au plus près les comportements humains, reflétés par les données, son emprise est telle aujourd’hui que l’on peut imaginer saisir cette opportunité pour rationaliser cette « intelligence » et surtout lui éviter de reproduire ces biais dont la société n’arrive pas à se débarrasser naturellement. Ainsi les algorithmes ne représenteraient plus une menace mais pourraient devenir les vrais Zorros du 21ème siècle.

Est-ce si simple quand on compte autant d’obstacles éthiques que techniques ?  Tout d’abord, les industriels aujourd’hui n’ont pas tous accusé réception de ce problème de biais [3]. En fait, détecter les biais est une première étape qui n’est pas complètement naturelle car nous sommes malheureusement très habitués à certains d’entre eux. Quand bien même on observe ces biais, les traiter n’est pas non plus nécessairement évident. Imaginons un algorithme de ressources humaines qui doit sélectionner 10 personnes pour un entretien parmi n candidats à un poste de développeur Web. Il est clair que si on laisse faire un algorithme d’apprentissage classique, compte tenu de la disproportion notoire femmes/hommes de ces filières, il risque de sélectionner 10 hommes. Imaginons maintenant que nous forcions de manière explicite, le nombre de candidates à être supérieur ou égal à 5, ou de manière probabiliste en augmentant la probabilité de retenir une femme, malgré le biais des données. Ceci est alors équivalent à instaurer un quota, stratégie sur laquelle de nombreux comités n’ont pas réussi à converger indépendamment d’une mise en œuvre algorithmique.

Techniquement, il n’est pas simple de garantir la validité des modèles et leur évaluation si on « nettoie » les données pour éviter les biais. En outre le problème de certains algorithmes d’intelligence artificielle aujourd’hui est qu’on a du mal à expliquer leurs résultats, c’est le cas de l’apprentissage profond (Deep Learning), selon les experts du domaine eux-mêmes. On sait et on observe que ces algorithmes fonctionnent plutôt bien, mais sans complètement comprendre pourquoi. C’est d’ailleurs l’un des prochains défis scientifiques du domaine. Quels seraient donc alors les paramètres à ajuster pour que le tout fonctionne de manière non biaisée ?

Un autre problème concerne la détection et la génération des biais : la sous-représentation des femmes dans le domaine est telle que les algorithmes qui ressemblent à leurs concepteurs, véhiculent leur mentalité, leurs biais et donc leur culture masculine à 90%. De là à les taxer de sexisme, c’est peut-être y aller un peu fort mais clairement notre société est si « genrée » aujourd’hui qu’il n’est pas exclu que le manque de diversité dans ce domaine soit un frein à la détection et l’évitement de biais. Ceci ne fait que confirmer le fait que nous avons besoin de plus de femmes en informatique, également pour le bien de nos algorithmes.

Pour conclure, il est assez clair que si l’IA cherche à modéliser le monde au plus près, elle absorbera ses travers et les normes culturelles biaisées de tous cotés et en particulier concernant les inégalités hommes femmes, voire les exacerbera en les renforçant, grâce à ces immenses capacités à calculer des corrélations en tous genres et surtout les plus présentes. Il est donc urgent de saisir cette opportunité algorithmique pour soigner notre société. Ce n’est pas simple mais un grand nombre de scientifiques sont d’ores et déjà sur le front !

Anne-Marie Kermarrec, Mediego, Inria
@AMKermarrec

Pour aller plus loin :

  1. http://www.telegraph.co.uk/news/2017/08/24/ai-robots-sexist-racist-experts-warn/
  2. http://www.newsweek.com/2017/12/22/ai-learns-sexist-racist-742767.html
  3. https://www.technologyreview.com/s/608248/biased-algorithms-are-everywhere-and-no-one-seems-to-care/

 

Orthodontiste numérique

Les progrès effectués dans les domaines de l’intelligence artificielle et des sciences informatiques auront un impact majeur sur la pratique médicale au cours des décennies à venir. Mais qui mieux qu’un professionnel de la médecine pour en parler. Laissons la parole à Masrour Makaremi, qui partage ici sa vision de professionnel sur ce sujet. Thierry Viéville et Pascal Guitton .

Ce constat fait l’objet d’un ample consensus, comme en témoigne par exemple l’investissement de milliards de dollars que les géants du numérique déploient au sein de leurs filiales santé. La précision d’un diagnostic radiologique effectué par un logiciel reposant sur l’apprentissage profond (ou « deep learning », voir par exemple l’article d’Interstices sur ce sujet) se révèle quantitativement supérieure à celle des meilleurs experts en radiologie ; ce qui n’est pas sans rappeler la victoire emportée par le programme AlphaGo sur Lee Sedol, le champion du monde de go.

Notre médecine subordonnée aux algorithmes ?

Cela conduit des personnes comme le docteur Laurent Alexandre a promulguer un courant de pensée qui s’apparente au néo-luddisme [1] prévalant de nos jours parmi le corps médical. Selon ce spécialiste des révolutions technologiques et de leurs enjeux, l’enrichissement incessant des compétences des robots comporte le risque majeur « qu’en 2030 le médecin soit subordonné à l’algorithme, comme l’infirmière l’est aujourd’hui au médecin » [2]. Tout en ayant le mérite d’amener la réflexion sur les enjeux de l’interface homme-machine (IHM) dans les pratiques médicales, les prédictions afférentes aux stratégies d’automatisation que les multinationales du numérique veulent appliquer au domaine de la santé sont génératrices de défiance et d’angoisse chez de nombreux praticiens.

La spécialité médicale que j’exerce, l’orthopédie dento-faciale (orthodontie), est dans l’œil du cyclone : elle serait vouée à mourir à petit feu, aucun praticien n’arrivant « à la cheville » d’un système basé, entre autres, sur l’intelligence artificielle (IA). J’ai donc voulu relever mon regard vers mon futur bourreau et j’ai fait une chose assez rare : après 10 années d’activité professionnelle, je suis retourné sur les bancs de l’université par le biais d’un Master 2 de neurosciences computationnelles. Après cette année d’étude, je n’ai jamais été aussi optimiste quant à la plus-value du clinicien. Aux antipodes du mythe de la singularité technologique [3], je suis persuadé que la bonne symbiose entre la médecine et l’IA est en quête d’une complémentarité [4] mobilisant une stratégie d’augmentation (par le numérique) de l’activité médicale, résolument distincte d’une stratégie d’automatisation, pour reprendre les termes de Davenport et Kirby. Cette dernière « part des tâches de base qui constituent un poste donné, et vient les soustraire à travers le déploiement d’ordinateurs qui reprennent une à une ces tâches effectuées par des humains dès que celles-ci peuvent être codifiées » [5]. Cependant, tout en assurant « des économies en termes de coûts », ce mouvement vers l’automatisation « circonscrit notre pensée dans un cadre délimité par les paramètres du travail tel qu’il est accompli aujourd’hui » [5].  En revanche, l’augmentation « signifie que l’on part de ce que les humains font aujourd’hui pour arriver à comprendre la manière dont ce travail pourrait être approfondi, et non diminué, par une utilisation plus poussée des machines » [5].

Pour illustrer les implications possibles de chacune de ces deux stratégies dans le domaine de l’orthopédie dento-faciale, considérons l’exemple suivant [6]. Une empreinte 3D des maxillaires effectuée au moyen d’un scanner intra-oral est traitée par un algorithme qui, à partir de ce modèle géométrique, va positionner les arcades dentaires dans une position idéale en fonction de l’anatomie dentaire du patient. À partir de ce résultat numérique est ensuite conçu, à l’aide d’un procédé de conception et fabrication par ordinateur, un dispositif orthodontique (par exemple une bague ou une gouttière) parfaitement adapté au patient.  Sa mise en place technique ne demande qu’une compétence clinique limitée. Dans ce schéma thérapeutique, la valeur ajoutée de l’orthodontiste, aussi bien technique qu’intellectuelle, se réduit, de prime abord, à un rôle minime.

Où on voit que ce n’est pas si simple

Pour que tout se déroule parfaitement suivant un procédé calibré au millimètre près, il faut faire abstraction du fait que les déplacements relatifs aux alvéoles dentaires ont lieu au sein de la face, donc au carrefour de nombreux fonctions relatives à la bouche et au visage (respiration, mastication, déglutition, phonation, posture linguale…). Ceci a, en autres, une incidence esthétique majeure dans cet environnement biologique de tissu mou et dur réagissant aux contraintes biomécaniques de façon variable d’un individu à l’autre. À ces paradigmes viennent souvent se rajouter les paramètres de croissance faciale complexes et variables qu’il faut prendre en compte.

Tout bien considéré, au contraire de ce que l’orthodontiste peut parfois être amené à croire de lui-même, sa valeur et celle de ses dix années d’études ne résident pas seulement dans sa capacité à mettre en œuvre une procédure technique parfaitement codifiée et maitrisée, mais aussi dans son aptitude à effectuer un codage des valeurs des différents paramètres faciaux sur une échelle commune (établir une « monnaie commune » des différentes paramètres).

Par exemple, dans deux situations cliniques où le positionnement tridimensionnel des arcades est très similaire, les empreintes 3D seront identiques ; qui plus est, si nous ne faisons que suivre l’algorithme, les outils thérapeutiques individualisés seront également très proches. Or, si l’on se transpose dans le contexte biologique au sein de la face, les situations cliniques pourront s’éloigner l’une de l’autre. À travers son diagnostic, le praticien va placer sur la même échelle de valeur, le potentiel de croissance osseuse de la mandibule, une perception esthétique du profil et son devenir ainsi que l’efficience d’une fonction linguale et respiratoire de sorte qu’il décidera de façon quasiment intuitive (sens clinique), en intégrant ces paramètres cliniques dans une même matrice d’analyse. Selon qu’il prône une forte stimulation de la croissance mandibulaire ou des extractions de prémolaires, la planification et l’outil thérapeutiques seront diamétralement différents.

En l’espèce, l’inefficacité de la machine n’est pas due au fait qu’il lui manque encore les données des différents paramètres faciaux qui sont nécessaires à son algorithme et qui, s’ils lui étaient un jour transmis, lui permettraient de « prendre la bonne décision ». Il s’agit plutôt de son incapacité structurelle à forger une « monnaie commune » entre paramètres étrangers les uns aux autres, par exemple, entre une fonction linguale et une esthétique faciale.

En creusant dans différentes spécialités médicales, on arrive à des conclusions similaires. Une incarnation semble nécessaire à ce type de cognition. Les algorithmes vont pouvoir décrypter et analyser des données : voilà en quoi ils sont supérieurs à notre cerveau. Mais lorsqu’il s’agira de les placer dans le contexte global de l’individu de sorte à créer une « monnaie commune » entre différents paramètres, ils seront dans une impasse : il ne leur est pas possible de créer des connaissances pour modéliser le sens clinique. C’est là que réside la plus-value de nos cerveaux – et pour longtemps encore.

Des propositions pour allier expertise algorithmique et humaine

Différentes pistes peuvent être envisagées dans le cadre de la stratégie d’augmentation dont il a été question, le défi majeur pour le praticien étant d’accepter de sortir de sa zone de confort pour former un tandem avec l’intelligence artificielle et pour le programmeur de concevoir un modèle au service de la cognition humaine et non son supplétif. S’agissant de l’orthopédie dento-faciale, je proposerais les hypothèses suivantes :

– Mieux connecter le praticien à l’environnement numérique. Rechercher des interfaces plus immersives entre la modélisation 3D issue des algorithmes et le praticien, en prenant en compte le fait qu’au-delà d’un degré de complexité de représentation 3D, le cerveau a du mal à maintenir son attention (d’où l’intérêt pour la réalité virtuelle ou augmentée) ; garder aussi à l’esprit que, vu que notre cerveau fonctionne mieux sur un mode non verbal, nous aurons du mal à expliciter nos intuitions cliniques afin de les transmettre aux dispositifs logiciels

– Faire du praticien une interface efficace. Chercher à former des praticiens capables d’offrir une interface efficace entre le patient et les dispositifs logiciels plus que des techniciens performants qui se placeront en concurrence avec lesdits dispositifs. Cet objectif suppose de considérer la formation en internat non pas comme une simple suite de procédés techniques, mais aussi comme un milieu censé nourrir la connaissance et la sensibilité du praticien à parts égales, de sorte que celui-ci soit à même d’évaluer de façon transversale les paramètres dont dépend la réussite de sa thérapeutique.

– Renforcer les réseaux entre praticiens. Utiliser les capacités du « deep learning », notamment dans la reconnaissance des formes, pour identifier des cas cliniques susceptibles de connecter, grâce à cette reconnaissance, deux praticiens confrontés à des cas cliniques similaires en deux endroits distincts du globe. Offrir aussi à chaque praticien la possibilité de mener des recherches thématiques ou des analyses critiques dans sa propre base de données.

Valoriser une stratégie d’augmentation dans les rapports entre l’humain et l’intelligence artificielle, pour la médecine de l’avenir, c’est se souvenir des paroles du prix Nobel de littérature Isaac Bashevis Singer : « plus la technologie progresse, plus les gens s’intéressent aux possibilités du seul esprit humain ».  Face à la révolution technologique à l’œuvre, il importe de faire résonner les mots de l’historien Robert Rosenstone : « La révolution, c’est une tentative pour faire aboutir des rêves ».

Dr Masrour Makaremi AKAREMI,  Spécialiste en Orthopédie dento-faciale (orthodontie).

Références:
1 : Steven EJ, Against Technology: From the Luddites to Neo-luddism, Routledge, 2006.
2 : Alexandre L, La guerre des intelligences, Paris, JC Lattés, 2017.
3 : Ganascia JG, Le mythe de la singularité, Paris, Seuil, 2017.
4: Autor DH, Katz LF, Krueger AB, « Computing Inequality : Have Computers Changed th Labor Market ? », The Quarterly Journal of Economics 113 (4), p. 1169-1213.
5 : Davenport TH, Kirby J, « Au-delà de l’automatisation », , 2016.
6 : Makaremi M, « Optimisation de l’interface entre le praticien et les nouvelles technologies en orthodontie », Revue d’ODF, 2015, p. 335-343.

Notes des éditrices et éditeurs de binaire: nous voulons saluer sur un tout autre sujet l’article de notre invité sur le monde.fr  à propos de tolérance.

Viens : on va apprendre à programmer !

Tout le monde sait faire du Scratch maintenant … euh vous pas vraiment ? Pourtant le professeur de français profite de l’apprentissage du code pour faire réaliser des narrations interactives aux enfants afin de les rendre actifs par rapport à l’apprentissage de la rédaction, la professeure de mathématiques donne des exercices beaucoup plus attrayants, et au centre de loisirs votre fille a créé un jeu et votre fils une petite animation artistique. Bon il faudrait vous y mettre, mais … vous n’avez que peu de temps . Ça tombe bien la solution est par ici … Pascal Guitton et Thierry Viéville.

A – Découvrez Scratch et réalisez une carte postale animé

Action 1 – Créez-vous un compte sur Scratch

Rendez-vous sur scratch.mit.edu pour créer votre compte (je vous conseille d’ouvrir Scratch dans un nouvel onglet, vous allez passer pas mal de temps sur cet outil au cours de ces deux premiers chapitres). Si vous avez un souci, n’hésitez pas à regarder la vidéo pas-à-pas.

Niveau 1 – Premier défi : Il doit arriver quelque chose au chat ! Allez-y, n’ayez pas peur, explorez, jouez avec les blocs.

Maintenant que vous avez créé votre compte sur Scratch et vu à quoi ressemble l’interface, je vous propose un premier défi. Prenez trois minutes pour jouer avec les blocs, votre seul objectif : il doit arriver quelque chose au chat. C’est parti ! Je vous attends pour la suite.

Action  2 – Découvrez l’interface de Scratch

Niveau 1 – Deuxième défi : Faites avancer le chat tout seul… indéfiniment.

Indice : vous vous dites qu’il existe sûrement un bloc qui permet de faire ça, et vous avez raison ! Avez-vous trouvé lequel ? Et si vous regardiez dans la catégorie “Contrôle” ?

Action 3 – Prenez le contrôle du petit chat.

Et pour être sûr-e de vos connaissances, regardez cette page tutorielle du module de formation Class’´Code d’où cette initiation est extraite.

Niveau 1 – Troisième défi : Créez une petite carte postale animée pour vous présenter.  À vous de faire ce que vous souhaitez créer

Besoin d’aide ? Voici quelques pistes proposées par Magic Makers

Un exemple de portrait ?

Vous avez fini ? Et si vous aussi vous appreniez à partager votre création ?

Action 4 – Partagez votre programme

 

Niveau 1 – Quatrième défi : Partager ! Maintenant il ne vous reste qu’à ajouter votre projet au Studio Class’Code/FTV  https://scratch.mit.edu/studios/1945619 pour le partager et retrouvez ceux des autres !

Ici, on crée un Studio dédié pour les jeunes sur le modèle de https://scratch.mit.edu/studios/1945619

Et voilà ! Vous venez de créer votre premier programme. Pour cela vous avez conçu un algorithme, c’est à dire une suite d’instructions  précises que vous avez codé grâce à un langage, ici les blocs de Scratch, afin que l’ordinateur puisse l’exécuter.

Niveau 1 – Question : Mais au fait, savez-vous d’où vient le mot Algorithme ? Et comment l’expliquer à votre entourage ?

Action 5 – Prendre du recul : l’histoire des algorithmes  

Coder, comme vous venez de le faire avec Scratch, c’est tout simplement le fait de donner des instructions précises à l’ordinateur (avec les différents blocs de Scratch par exemple), qu’il devra ensuite exécuter pour donner le résultat que vous souhaitiez obtenir (votre portrait !). Coder est donc l’activité qui permet de voir se concrétiser ses idées. Mais rien n’empêche ces idées de naître et de mûrir en dehors de toute forme de programmation (et donc même sans ordinateur !), en utilisant simplement le raisonnement comme moteur principal.

Allez … on passe au niveau 2 ?

B – Créez votre histoire interactive

Action 6 – Changez de décor  

 

Niveau 2 – Votre premier défi : Voici mon héros !
Choisissez un héros dans la bibliothèque de lutin ou créez le vôtre et présentez-le sur le modèle de la carte postale animée ;
Maintenant, votre héros part à l’aventure ! Faites-le changer de décor…

Ensuite ? Prenons un deuxième lutin. Après que le premier lutin a fait basculer l’arrière-plan, votre deuxième lutin doit faire une action (provoquée par le changement d’arrière-plan donc).

Avez-vous réussi ? Une manière parmi d’autres de relever le défi se trouve dans la vidéo.

Action 7 – Posez vos conditions

Niveau 2 – Deuxième défi : La rencontre.
En route votre héros rencontre un étrange personnage : Posez un autre lutin sur la scène.
Si votre héros le touche alors quelque chose se produit.  Mais quoi ? A vous de décider ! Et si votre héros ne le touche plus ?

Vous pouvez aussi vous appuyer sur ce tutoriel qui fait découvrir de nouvelles instructions.

Action 8 – Synchronisation

Vous êtes à présent capables de provoquer des interactions entre vos personnages et vos décors, en utilisant des conditions. Allons encore plus loin dans ces interactions, avec la notion de synchronisation.

Niveau 2 – Troisième défi : Le dialogue s’engage.
Il s’ensuit un long dialogue entre le héros et cet étrange personnage et peut être de nouvelles aventures.
À vous de nous raconter en veillant à ce qu’ils ne se coupent pas la parole ;-).

Niveau 2 – Quatrième défi : Partager ! N’hésitez pas à partager votre aventure sur le Studio Class’CodeFTV  https://scratch.mit.edu/studios/1945619

Niveau 2 – Question : Mais au fait, savez-vous qui a écrit le tout premier programme ?
[ ] Alan Turing
[ ] Al Kwarizmi
[ ] Ada Lovelace

Action 9 –  Prendre du recul : Mais qui a écrit le premier programme ?

Cette mathématicienne a vu dans la machine analytique tout le potentiel d’un ordinateur. Non seulement son côté universel, capable d’exécuter tout ce qu’on sera capable de lui décrire, mais aussi l’impact qu’une telle machine pourrait avoir sur la société. Ada Lovelace s’est tellement passionnée pour cette machine et son potentiel, qu’elle sera la première à lui écrire un programme.

Allez, on passe au niveau 3 ?

C – Créez votre premier jeu !

Action 10 –  Contrôler votre héros avec les flèches du clavier

Pour commencer, apprenons à interagir avec le clavier, comme les premiers jeux informatiques avant l’utilisation de la souris 🙂 Nous avons aussi quelques éléments tutoriels sur l’usage du clavier.

Niveau 3 – Premier défi : avancer dans le labyrinthe.
Votre héros est maintenant bloqué au fond d’un labyrinthe, à vous de le dessiner.
Écrivez ensuite un programme pour que vous puissiez l’aider à en sortir avec les flèches du clavier.
Attention, s’il touche un mur, alors il ne peut pas avancer.

Indice : vous pouvez utiliser le bloc “si couleur touchée” pour identifier les murs du labyrinthe.

Un exemple : voici un labyrinthe à jouer et à remixer : https://scratch.mit.edu/projects/98866892

Action 11 –  Ajouter un niveau de labyrinthe

 

Niveau 3 – Deuxième défi : passer au niveau 2 !

Lorsque votre héros arrive à la sortie alors il change de décor et se retrouve dans un nouveau labyrinthe : Niveau 2 !

Vidéo 12 –  Comptez les niveaux du labyrinthe

Une variable, c’est un peu comme une boîte : on peut y ranger des choses du même type à l’intérieur – comme des chaussettes par exemple. Selon la manière dont on va utiliser les objets à l’intérieur de la boîte, il pourra y en avoir plus ou moins – on peut enlever des chaussettes de la boîte le matin, et en remettre en fin de semaine après la lessive. Le nombre à l’intérieur de cette boîte peut donc être modifié tout au long de votre programme et selon les actions provoquées : il est variable.

Niveau 3 – Troisième défi : ajouter un nouveau bloc supplémentaire qui va compter les niveaux pour nous ! 

Niveau 3 – Quatrième défi : Partager ! N’hésitez pas à partager votre labyrinthe sur le Studio Class’CodeFTV https://scratch.mit.edu/studios/1945619

Niveau 3 – Question : Est-il possible d’écrire un programme pour que votre héros sorte de tous les labyrinthes du monde ? C’est une question difficile, cherchez juste une première réponse générale.

Action13 – Comment gagner à tous les coups grâce aux algorithmes ?

Niveau 3 Activité – Et maintenant gagnez !
Matériel : 16 allumettes (ou crayon, caillou, etc) + un adversaire ou si vous n’en avez pas cliquez ici https://scratch.mit.edu/projects/91143670/ – fullscreen
Essayez de mettre au point une stratégie gagnante !

Vous avez pu trouver ? La réponse est donnée ici.

Et ces activités sans ordinateur avec les objets du quotidien, c’est aussi de l’informatique ! Plus de tours de magie sans ordinateur ? Allons  regarder Marie nous en proposer.

D – Conclusion.

Tout le monde sait faire du Scratch maintenant … et vous ? aussi !

S’auto-évaluer. Comment partager des critères liés à la démarche de programmation (planifier, tester et bonifier le programme sous une approche itérative…) ? Voici une grille d’autoévaluation, pourquoi ne pas s’inviter sur le site pour s’autoévaluer pendant ou après nos premières créations ? C ‘est par ici …

Reste maintenant le plus difficile et le plus passionnant … parce que apprendre à coder ne sert à rien … si cela ne sert à rien : alors vous à quoi cela va-t-il vous servir ?

Liliane Khamsay, Florent Masseglia et Claude Terosier autrices du parcours « découvrir la programmation créative » de https://classcode.fr

Note: Toutes ces ressources créées sur la plateforme OpenClassrooms avec la société MagicMakers dans le cadre de ce projet soutenu par le Programme d’Investissement d’Avenir sont librement réutilisables comme on le voit ici (licences Creative-Commons).