Podcast : loi et vie privée

Le numérique, la loi et notre vie privée

La collecte massive de données modifie-t-elle la notion de « vie privée » ? Le droit doit-il s’adapter à une société devenue numérique ? Pourquoi et comment expliquer les résultats d’un algorithme ? L’articulation entre droit et techniques pose autant de questions de droit, société, éthique auxquelles tout citoyen doit être sensible…

Cette vidéo est un des grains de culture scientifique et technique du MOOC sur l’Informatique et la Création Numérique. La vidéo a été réalisée par Manhattan Studio Production.

Spécialiste en protection de la vie privée, Daniel Le Métayer est directeur de recherche au centre de recherche Inria Grenoble – Rhône-Alpes et membre de l’équipe de recherche Privatics. Jusqu’en juin 2016, il a été responsable de l’Inria Project Labs Cappris qui regroupait les équipes de recherche actives dans le domaine de la protection de la vie privée.

Ses activités de recherche tournent autour des interactions entre le droit et les nouvelles technologies. Il lui arrive également d’alerter le public sur les limites et les dangers de certains projets comme ce fut le cas lors de la loi sur le renseignement (2015) et du décret instituant le fichier TES (2016).

Pour aller plus loin

Dans la peau d’un robot

Amira Chalbi, doctorante au sein de l’équipe Mjolnir dans le centre Inria Lille – Nord Europe, a été sélectionnée comme étudiante bénévole à la plus prestigieuse conférence dans le domaine de l’Interaction Homme-Machine, CHI 2017, à Denver aux Etats-Unis. Empêchée de s’y rendre pour une stupide histoire de restriction d’accès aux Etats-Unis, elle y a assisté comme… robot, en téléprésence. Plusieurs jours à Denver sans quitter Lille. Vous avez dit bizarre ? Elle nous raconte. Marie-Agnès Enard

Amira Chalbi – crédit photo M. Blasquez

En décembre 2016, j’ai eu la chance d’être sélectionnée comme étudiante bénévole pour la conférence CHI 17, du 6 au 11 mai 2017, à Denver aux Etats-Unis. Les étudiants bénévoles bénéficient d’une inscription gratuite à la conférence et se voient confier diverses missions d’organisations, de coordinations ou d’informations auprès des 2800 visiteurs inscrits. C’est une chance incroyable. J’allais rencontrer les spécialistes mondiaux de mon sujet de thèse, à l’intersection des domaines de l’interaction Homme-machine et de la visualisation d’information.

En mars 2017, suite aux annonces de restrictions pour entrer aux Etats-Unis de l’administration Trump, j’ai préparé avec soin tous les documents nécessaires et même au-delà afin d’obtenir ma demande de visa. Ce qui ne devait qu’être une formalité un peu lourde s’est transformée en une immense déception. Le jour du rendez-vous à l’ambassade, après seulement quelques questions évasives et sans aucune vérification des justificatifs que j’apportais, ma demande a été refusée sans explications claires. Mon pays d’origine ne figure même pas sur la liste des nationalités interdites d’entrer aux Etats-Unis !

J’allais rater la formidable opportunité de rencontrer les membres de ma communauté, de développer mon réseau et d’échanger sur mes projets de recherche. Après la colère, l’incompréhension et la déception, et avec les encouragements de mes encadrants de thèse et l’accord des responsables de la conférence, j’ai décidé de vivre l’expérience en téléprésence et prouver ainsi que les limitations politiques discriminatoires n’empêcheront jamais la communauté scientifique d’interagir et de partager la connaissance et les valeurs humaines.

Depuis 2016, la conférence CHI expérimente un système de téléprésence dont le but était essentiellement de permettre aux personnes à mobilité réduite d’avoir la chance d’assister à la conférence à distance via un robot appelé Beam (par référence à la marque qui le commercialise). Le Beam est un robot mobile qui se pilote à distance. Il est doté d’un écran, d’un microphone, d’un haut parleur et de deux caméras : une pour la vue générale et l’autre pour assister la conduite du robot.

En 2017, à cause de la loi d’interdiction de voyage (Travel Ban) et ses répercussions sur la politique générale de visa, des chercheurs de plusieurs pays du monde se sont vus dans l’impossibilité d’assister à la conférence. Les responsables de CHI 17 ont adapté le programme de téléprésence pour leur permettre d’être télé-présent et même de pouvoir présenter leurs travaux.

Avec moi, c’était la première fois que les responsables de la conférence et du programme de téléprésence ont été confrontés au cas d’une étudiante bénévole en Beam. Ils ont réfléchi aux tâches que je pouvais accomplir à distance. J’ai ainsi eu pour mission de déambuler avec mon Beam pendant les pauses café afin d’annoncer les sessions à venir en partageant les informations sur l’écran de mon robot. Nous étions au total 11 scientifiques à vivre l’expérience de téléprésence et 3 journalistes.

Comment rentre-t-on dans la peau d’un robot ?

Le processus est plutôt simple. Après avoir créé un compte sur la plate-forme qui gère la connexion aux Beams, j’ai reçu un guide assez complet incluant toutes les informations pratiques pour se localiser dans le centre de congrès (cartes des lieux, temps estimés pour atteindre certains espaces, emplacements et instructions pour garer son Beam dans les salles de présentations) ainsi que le planning des autres Beams avec les tâches de chacun. J’avais aussi la possibilité de personnaliser mon Beam (T-shirt, jupe, casquette, etc…), ce que j’ai bien sûr fait sans hésitation avec l’aide de mes homologues sur place.

Amira Chalbi et Gabriela Villalobos – Photo A. Chalbi

Même si le pilotage du robot se fait via un ordinateur ou un smartphone avec une connexion WIFI, un Beam a parfois besoin d’une assistance humaine pour palier aux situations impromptues comme par exemple quand le robot perd la connexion au réseau, quand l’image devient floue (un coup de lingette sur la caméra est le bienvenu), lorsque l’on souhaite prendre l’ascenseur ou tout simplement quand on a un problème d’orientation dans le vaste centre de la conférence.

Ce sont les responsables de téléprésence, à l’aide d’une équipe d’étudiants bénévoles (mes homologues à Denver), qui ont assuré efficacement cette présence physique. Nous étions connectés avec l’ensemble des bénévoles via une chaîne Slack (une plate-forme de communication collaborative qui fonctionne comme une messagerie instantanée) tout au long de la journée de conférence qui s’étalait en moyenne de 8h30 à 18h, heure locale de Denver. Les huit heures de décalage horaire avec Lille ont été parfois difficiles à gérer. Cela a présenté une forte contrainte qui m’a empêché de pouvoir assister à toutes les présentations mais je suis plutôt fière d’avoir pu être présente quatre jours complets à la conférence.

Quelles interactions entre les humains et les robots ?

Pendant ma tâche quotidienne d’étudiante volontaire et mes trajets dans le centre de la conférence, j’ai eu la chance de rencontrer et de pouvoir parler à beaucoup de gens.

Quelques personnes ont interagi avec moi comme avec un objet ou un élément de décoration. Imaginez-vous en train de faire votre annonce lors d’une pause-café lorsqu’une personne vient se poser à côté de vous pour prendre un selfie sans vous adresser la moindre parole. Mais la plupart des gens étaient au contraire très aimables. Beaucoup d’entre eux venaient spontanément vers mon Beam pour m’aborder. Ils se présentaient souvent en me montrant leurs badges devant la caméra, une façon assez efficace d’ailleurs de rentrer en contact. Les discussions étaient relativement courtes, principalement pour des raisons de nuisances sonores qui sont souvent très perturbantes dans la peau d’un Beam mais aussi pour la personne qui vous adresse la parole. Clairement le problème acoustique était une limitation majeure de la téléprésence que ce soit pendant les échanges directs ou pendant les présentations.

D’un point de vue relationnel, participer à CHI dans la peau d’un robot a présenté pour moi une expérience humaine et sociale très riche. Faire de nouvelles connaissances et entendre les gens exprimer leur joie sur la chance de pouvoir assister par téléprésence étaient très agréable et encourageant. D’un tempérament plutôt réservé, j’ai gagné énormément en confiance en moi et en assurance en déambulant parmi les milliers de visiteurs avec mes 13 autres homologues robots. Je pense qu’un grand nombre de visiteurs se souviendra de moi, ce qui dans le cadre de mes activités de recherche est évidemment une très bonne chose.

J’ai réalisé une expérience personnelle que je recommande à tous ceux qui peuvent en avoir l’opportunité. Pourtant, cela ne remplace pas les rencontres réelles. J’espère retourner un jour à CHI présenter mes travaux de recherche. J’aurais toujours une attention particulière pour celles et ceux qui auront choisi d’y participer en téléprésence.

Amira Chalbi, Inria Lille – Nord Europe
@amira_chalbi

Cet article est co-publié avec le centre Inria Lille – Nord Europe.

En complément : Emily Dreyfuss, journaliste à WIRED, a publié un article sur son expérience et évoque sa rencontre avec Amira Chalbi.

 

Podcast : Interaction humain machine

Découvrir ce que sont les interfaces humain-machine

Comment les humains interagissent avec les machines (ordinateur, smartphone, etc.) ? Comment concevoir des systèmes efficaces, efficients et satisfaisants pour leurs utilisateurs ? Voici les questions qui se posent dans ce domaine particulier qu’est l’IHM, et qui s’intéresse à la conception de systèmes, comme son nom l’indique, à l’interface entre les humains et les machines…

Cette vidéo est un des grains de culture scientifique et technique du MOOC sur l’Informatique et la Création Numérique. La vidéo a été réalisée par Manhattan Studio Production.

Anke Brock est chargée de recherche au sein de l’équipe-projet Potioc au centre de recherche Inria Bordeaux – Sud-Ouest. Née en Allemagne, elle a travaillé 5 ans dans un département de recherche et développement dans l’industrie automobile avant de rejoindre la France. Chez Inria, elle œuvre dans le domaine de l’interaction Homme-Machine, et travaille désormais au développement de son propre projet de recherche : l’interaction avec les cartes géographiques.

Pour aller plus loin

 

La science, une histoire d’humour !

La deuxième édition du forum sur les Nouvelles Initiatives en Médiation Scientifique (NIMS), organisé par le CNRS et la CPU (Conférence des Présidents d’Université) s’est déroulée à Paris le 14 juin dernier. Nous vous avions déjà raconté l’édition 2016. Nous ne résistons pas à l’envie de partager l’un des temps forts de cette journée avec la table ronde dédiée à l’humour dans les sciences. Chez binaire, nous adorons les sciences mais nous aimons tout autant rire !  

NIMS c’est quoi ? Une journée où des professionnels de la médiation et de la communication scientifique et des chercheur.e.s se retrouvent pour échanger sur les bonnes pratiques, découvrir des idées originales et parfois décalées ou réfléchir à la meilleure façon de parler de sciences au grand public. Un maître mot : attirer, surprendre, informer différents publics sur la richesse du monde de la recherche toutes disciplines confondues.

Le programme de cette édition 2017 était une fois de plus très varié. En introduction, on a parlé de la place de la science à la télé. Pas la peine de vous creuser la tête ; une seule émission en France (Xenius sur Arte) pour plus d’une trentaine en Allemagne. Puis les sessions se sont enchainées pour parler de dispositifs numériques dans les expositions, de concerts ou comédies musicales scientifiques (totalement décoiffant), de pépites de médiation dans les sciences humaines et sociales ou bien encore de sciences participatives. La session coup de cœur de cette année était celle dédiée à la rigolade (mais version scientifiquement approuvée).

Quand l’humour déride les sciences

Tweet @GaelleHeron

Les quatre intervenants ont présenté chacun leurs projets et abordé plusieurs approches de l’humour. Le public a beaucoup réagit sur Twitter (#ForumNIMS) sur l’importance de l’humour mais surtout sur le bien fondé d’une telle démarche. L’humour ne nuit-il pas au message ? À quoi sert-il ? Peut-ton rire de tout ? Les points de vue sont nombreux, les formats et les styles aussi. Clairement affaire de personnalités (L’humour est un art !), il est perçu avec plus ou moins de succès selon le public.

Pour vous faire une opinion, je vous propose une liste (non exhaustive) de liens sur différents formats de médiation scientifique humoristique qui ont été évoqués durant le forum mais aussi proposés spontanément par les Twittos. De quoi prendre quelques petites doses d’humour !

Il existe un nombre grandissant de sites, blogs, évènements, concours, BD sur la médiation par l’humour. Impossible de tous les citer. Mais, faites comme nous. Installez-vous confortablement, peut-être avec des amis, peut-être avec un verre de bon vin. Tapez les mots clés « Sciences Humour »  dans votre navigateur web favori. Faites-vous plaisir !

Marie-Agnès Enard

Podcast : Système d’exploitation

Le système d’exploitation en trois idées clé

Lorsque je lance une application de lecture d’une vidéo, les images apparaissent à l’écran et du son sort des haut-parleurs. Et en même temps mon lecteur de mail me prévient de l’arrivée d’un nouveau message auquel je peux répondre, en entrant du texte au clavier, sans avoir à quitter mon lecteur vidéo (ce qui m’obligerait peut-être à recommencer la lecture depuis le début alors que je vais enfin savoir comment le héros va s’en sortir !?). Comment une application peut-elle interagir avec les périphériques matériels ? Comment deux applications peuvent-elles tourner en même temps sur un seul processeur ? C’est grâce au système d’exploitation, une couche logicielle intermédiaire entre la couche applicative et la couche matérielle, que nous vous proposons de découvrir en trois concepts clé…

Cette vidéo est un des grains de culture scientifique et technique du MOOC sur l’Informatique et la Création Numérique. La vidéo a été réalisée par Manhattan Studio Production.

Damien Saucez est Chargé de Recherches Inria dans l’équipe DIANA. Sa recherche porte sur les réseaux information-centrés (information-centric networking (ICN) (par exemple, les problèmes de routage et de contrôle de la congestion), les réseaux définis par logiciel (Software Defined Networking (SDN) (par exemple, les questions de résilience et de robustesse), et les expérimentations à large échelle. Il est un contributeur actif à IETF et IRTF.

Pour aller plus loin

Quelques aspects historiques

Apprendre Linux

Vous voulez écrire votre propre OS ?

La Chaire de Colin

« Former 300 000 éducateurs, animateurs, enseignants pour que ceux-ci puissent demain utiliser le code informatique dans leurs activités devant les enfants et les adolescents… ». Cela vous rappelle-t-il quelque chose ?  C’est la mission Class’Code, qui mêle formation à distance et temps de rencontre, apprivoisement de la machine et découverte de la pensée informatique sans ordinateur, apprenants et facilitateurs.  Cela vous avait paru un peu fou ? Pourtant, l’UNESCO (oui, oui, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation la science et la culture, elle-même) a été conquise au point d’attribuer à l’Université de Nantes une chaire* « en technologies pour la formation des enseignants par ressources éducatives libres ». Binaire a demandé à Sylvie Alayrangues de nous parler de cette chaire.  Serge Abiteboul.

À l’origine de cette chaire, on trouve Colin de la Higuera, professeur des universités à Nantes, ex-président de la société informatique de France, ex-éditeur de binaire, déjà à l’origine de Class’Code.

Colin de la Higuera au Congrés de la SIF à Poitiers, 2017, Photo Jean-François Billaud

L’ambition de cette chaire est claire : donner une nouvelle dimension au projet Class’Code en travaillant non seulement à son amélioration et à sa pérennisation mais aussi à son extension à l’international et pourquoi pas à d’autres disciplines.

Pour l’améliorer, des recherches sont d’ores et déjà menées, par exemple, pour évaluer le subtil équilibre entre formation à distance et temps de rencontre. L’extension vers les mathématiques est envisagée, bénéficiant de collaborations déjà existantes, liant la société informatique de France et Inria, les partenaires initiaux du projet, aux sociétés savantes des disciplines concernées. Enfin, dès son lancement, cette nouvelle aventure a également pris une envergure internationale en embarquant parmi ses premiers partenaires la « Knowledge for All Fondation« .

Et la science informatique ? Elle n’est pas oubliée ! La chaire émarge déjà sur un premier projet européen, X5gon,  où il s’agit justement d’utiliser des techniques d’intelligence artificielle pour naviguer plus facilement et de manière plus pertinente dans un ensemble riche et complexe de ressources éducatives.

Que dire de plus ? Et bien, que nous souhaitons à Colin de réussir à regrouper autour de lui, comme il a su le faire pour Class’Code, une dream team d’universitaires, de chercheurs, d’entreprises, d’acteurs de l’éducation populaire, de créateurs et de diffuseurs de ressources éducatives, de collectivités… Et peut-être, souhaitons-lui également que cette chaire porte bien haut les valeurs éthiques (communes à l’aventure Class’Code) qui la fondent, dans la vision d’une société solidaire où l’éducation de tous et à tout âge passe aussi par le partage et l’entraide.

Sylvie Alayrangues, Maitre de Conférence à l’Université de Poitiers

(*) Une chaire UNESCO lie un établissement d’enseignement supérieur à l’UNESCO autour d’un programme d’une durée initiale de 4 ans. L’objectif de ces programmes est de faire progresser l’enseignement, l’apprentissage ou la recherche dans un des domaines prioritaires de l’UNESCO. Une chaire permet, notamment, de développer des activités au niveau international en bénéficiant des réseaux et de la renommée de l’UNESCO.

Podcast : moi je fais mon ordi

Monter un ordinateur

Votre ordinateur est souffreteux ? Il rame, est à bout de souffle, charger la moindre page web vous prend plus de temps que la lire ? Une seule solution : changer votre ordinateur ! Oui, mais l’écran est encore bon, le clavier est comme neuf et la souris toujours aussi véloce. Cette vidéo vous montre comment faire un ordinateur pour seulement 50 €. Une manière simple et peu onéreuse de maintenir à jour un parc d’ordinateurs dans une salle d’informatique. Car le Raspberry Pi est sûrement plus efficace que votre PC qui date de 5 ans…

Cette vidéo est un des grains de culture scientifique et technique du MOOC sur l’Informatique et la Création Numérique. La vidéo a été réalisée par Manhattan Studio Production.

Yves Papegay est chargé de recherche dans l’équipe HEPHAISTOS d’Inria Sophia-Antipolis. Il s’intéresse aux robots à câbles et à la robotique d’assistance. Il est spécialiste des outils de modélisation et de simulation, de calcul symbolique et d’analyse par intervalles.

Pour aller plus loin

Autour du Raspberry Pi

Keecker, robot malgré lui

Pierre Lebeau, PDG et fondateur, décrit la raison d’être de Keecker comme « une solution média pour la maison. » Plus qu’appareil, c’est le mot « robot » qui vient d’abord à l’esprit. Le site web de Keecker ne désigne pourtant le produit que sous le terme de « device ». Alors, robot ou pas ?

Pierre Lebeau, PDG de Keecker  (CC Serge A.)

Il faut remonter aux origines du projet, en 2012, pour saisir toute la nuance. Pierre Lebeau, alors chez Google, a pour habitude comme chef de produit de lister les problèmes qu’il rencontre au quotidien. Et s’il y a un domaine qui les accumule, c’est bien la sphère domestique, en particulier tout ce qui est du divertissement. Rien n’est pleinement satisfaisant dans une installation télévisuelle : les câbles se multiplient et traînent au milieu du salon, on est tributaire de l’emplacement des prises, déplacer le canapé est une entreprise périlleuse. La situation ne fait qu’empirer avec les années et la multiplication des appareils. Le contraste est saisissant avec la convergence que représente le smartphone qui dans sa simplicité d’utilisation remplace toujours plus d’appareils: GPS, radio, appareil photo…

Voici donc l’ambition (inchangée) de Keecker : simplifier l’expérience média dans la maison – films, musique, communication, jeux, surveillance. Keecker est d’abord un concentré de hardware : projecteur vidéo, enceintes et caméra à 360°, nombreux capteurs, par exemple de lumière, un moteur pour se déplacer sur 4 roues, des batteries pour l’autonomie (6 heures en vidéo, 2 jours avec le seul son). C’est également du software pour  s’adapter à l’environnement et guider les déplacements, pour qu’enfin l’expérience s’adapte à la pièce et non l’inverse. L’utilisateur commande le tout via son smartphone, et choisit ce qu’il veut projeter ou diffuser, et où, sur quel mur ou le plafond.

Alors, si chacun est libre d’appeler ça un « robot », et nous ne nous en priverons pas dans cet article, on comprend mieux pourquoi Pierre Lebeau s’est refusé à utiliser ce vocable pendant les 2 premières années de son projet. Tout ce qui compte est d’améliorer l’expérience des utilisateurs, qu’ils puissent se sentir au cinéma partout chez eux. La forme que la solution prend n’a jamais été une finalité ; elle n’est qu’un aboutissement.

Chassez l’anthropomorphisme, il revient au galop. Mais quand même… Cette bouille bien ronde, ça ne vous rappelle pas WALL-E ou R2D2 ? D’ailleurs, en général la première réaction de ceux qui découvrent le �� truc » est apparement de poser la question : c’est quoi son nom ?  Pourtant, Pierre Lebeau insiste : « Il n’est pas là pour être mignon, kawai, cute. Nous avons recherché la pureté, la simplicité ; la référence, c’était un oeuf ». Et puis cette forme est plus fonctionnelle, ses courbes sans coins sont inoffensives pour les enfants, elle a besoin de moins de place au robot pour tourner.

On peut être surpris par l’absence de connectique. Le fondateur commente : « la clé USB, c’est la défaite de l’UX (l’expérience utilisateur) ; tout transfert de fichier doit se faire par les airs. » Pas plus de prise de courant : le robot se recharge en électricité en montant sur une petite borne.

A quand l’androïde Keecker ? On en est très loin techniquement… et pas sûr que cela apporterait quelque chose à l’expérience. La « doctrine Keecker » rappelle ainsi les mots récents d’Astro Teller, le dirigeant de X (filiale de Google qui explore des innovations de rupture) : il n’est pas du tout évident qu’un humanoïde fasse mieux la vaisselle que le robot que nous avons déjà dans nos cuisines – le lave-vaisselle.

Le futur d’une plateforme en devenir. Le développement de la start-up passe par celui de sa plateforme. En effet, le système d’exploitation du robot est Android (sic), et l’ambition de Keecker n’est pas de créer directement des applications ou contenus spécifiques, mais de laisser d’autres s’en charger via un SDK (software development kit – kit de développement logiciel). Ce dernier offre aux développeurs intéressés la possibilité d’accéder à certaines fonctionnalités et aux capteurs de l’appareil pour enrichir les potentialités de leurs services.

Qui dit plateforme dit généralement cloud, et Keecker s’inscrit bien dans ce mouvement. Le cloud permet à un utilisateur de communiquer avec sa machine, par exemple, de recevoir une notification en cas d’intrusion dans son domicile. Il permet aussi à la machine de faire remonter des données des capteurs des robots pour pouvoir mieux entraîner ses algorithmes. Mais chaque contexte d’utilisation est très différent d’un utilisateur à l’autre, de par la disposition des pièces, la luminosité, la couleur des murs, etc., ce qui limite la pertinence du partage d’information entre unités, et requiert in fine une personnalisation poussée en local.

Mais qui dit plateforme dans un contexte des plus sensibles, son chez-soi, dit aussi craintes légitimes pour le respect de ses données personnelles, de sa vie privée. Pierre Lebeau indique que les « instantanés » remontés des capteurs des robots sont incompréhensibles pour des humains, et que bien sûr l’usage du SDK par les développeurs sera surveillé, pour faire face à d’éventuelles dérives. Comment l’utilisateur choisira-t-il/elle ses applications ? Nous suggérons que Keecker compile une liste d’applications recommandées, tant en termes de sécurité que de qualité d’usage. Ce conséquent travail de curation n’est pour l’heure pas au programme ; la start-up fait confiance à Google pour la validation des applications. Cela sera-t-il suffisant ?

Quelles sont les prochaines étapes de la vie de Keecker ? « Fournir le service, mais en mieux, répond sobrement Pierre Lebeau, rendre le prix (autour de 1700 euros aujourd’hui) beaucoup plus accessible, faire en sorte que le robot soit toujours plus autonome et demain, proactif, ajouter d’autres interfaces de commande, la voix en premier lieu. »

Pour relever ces défis, la société peut compter sur ses 22 employés, dont 15 se consacrent à la R&D. Ces derniers sont répartis au sein de 3 équipes : applicatif, robotique et algorithmique. Et contrairement à ce à quoi le béotien pourrait s’attendre, ce n’est pas la partie robotique qui mobilise le plus de ressources, mais le développement des algorithmes. Car, par exemple, faire en sorte que le robot crée en autonomie la carte 3D de son environnement et s’y repère en permanence, est déjà un problème sérieux, quand on cherche à minimiser le coût des capteurs utilisés.

Et si vous vous posiez la question, le robot est « imaginé en France, fabriqué en Asie ». Un bureau commercial a également été ouvert à San Francisco, car les États-Unis seront sans doute le premier marché de Keecker. Mais la France restera le coeur du réacteur, parce que les ressources qu’une start-up de robotique peut y trouver sont essentielles d’après le fondateur : « en France, nous formons d’excellents ingénieurs en électronique et en mécanique, et nous avons une expertise reconnue dans les domaines prometteurs que sont la data science et le machine learning ».

Rendez-vous cet automne. Ceux que la découverte de Keecker aura intéressés devront être patients : la start-up dévoilera à la rentrée une nouvelle version de son produit, que l’on pourra trouver dans les « bons magasins », selon Pierre Lebeau.

Keecker a pour ambition de faire rapidement croître le parc d’une cinquantaine d’unités aujourd’hui en circulation en France et aux Etats-Unis où, pour l’anecdote, l’épaisseur des moquettes a constitué une difficulté inattendue. Cela nous convaincra que ce robot de divertissement, voire de dépaysement peut, par sa fonction bien plus que par sa forme, devenir un (nouveau) meilleur ami de l’homme.

Serge Abiteboul, Inria et ENS Paris, Tom Morisse, FABERNOVEL

Céline Spillemaecker, Brand manager de Keecker et le « device » (CC Serge A.)