Dit-on ordinatorus et ἰνφορμάτι��α ?

Le débat sur le collège ne peut pas se résumer à ce qu’on enlève. Il convient également de voir ce qui va arriver. Colin de la Higuera nous en parle ici en prenant un peu de hauteur et en regardant au delà de nos frontières. Thierry Viéville.

La très sérieuse Chaîne Parlementaire nous résume les clés du débat sur la réforme du collège et distingue en première position la question du latin. Les autres sujets essentiels sont ensuite discutés, et, surprise, la question de la place de l’informatique, et de façon plus générale la formation aux nouvelles technologies ne semble intéresser personne, ni du côté des politiques, ni de celui des journalistes. Ces gens n’ont-ils pas le problème de tous les parents, c’est-à-dire celui de se demander si l’école ne pourrait pas contribuer à ce que nos enfants trouvent un emploi plus tard et apprennent à bien vivre dans la future société ?

En effet, tout laisse penser que notre société est en pleine mutation, que les digital natives (qu’il convient d’appeler aujourd’hui les enfants du numérique) ne sont en aucun cas des surdoués qui savent tout de façon innée. La numérisation de tous les métiers et de tous les aspects de notre vie n’est pas sur le point de s’arrêter. Il ne s’agit pas simplement de savoir utiliser ses deux pouces pour taper un message : il s’agit d’avoir eu la formation adéquate permettant de comprendre les concepts et de pouvoir ainsi, sur la base d’acquis solides, s’adapter aux technologies sans cesse mouvantes et devenir un acteur de la société de demain.

C’est d’ailleurs pour cette raison qu’autour de nous tous les pays prennent la question à bras le corps et introduisent l’informatique en tant que discipline, qu’elle s’appelle Computer Science, Informatik ou Informática [1].

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/11/Pompeii-couple.jpgFemme tenant des tablettes et un stylet (Pompéi, Ier siècle)
http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pompeii-couple.jpg#/media/File:Pompeii-couple.jpg

En France, le Conseil Supérieur des Programmes a également choisi d’introduire, à différents endroits, l’enseignement de l’informatique : celle-ci serait bientôt enseignée dès le collège, avec une initiation à certains aspects dès le primaire et l’opportunité de découvrir le codage dans le cadre périscolaire. Un enseignement d’une vraie discipline. Mais d’une discipline qui est elle-même pluridisciplinaire.

Si tout n’est pas parfait [2], il parait important de ne pas résumer la réforme du collège à la baisse du niveau en latin ou à un débat concernant la préservation du programme de telle ou telle discipline. Cette réforme pourrait être celle par laquelle nos enfants se prépareront au monde numérique, à en devenir acteurs plutôt qu’à le subir et pourront aspirer aux emplois de demain et à devenir des citoyennes et citoyens éclairés sur ces sujets.

Colin de la Higuera.

[1] La PEEP, fédération de parents d’élèves, vient justement de prendre fermement position sur cette question

Voir aussi : Françoise en Angleterre , Françoise en Inde , Françoise en Israël , Françoise en Bavière, où comment Binaire nous fait découvrir comment les jeunes des autres pays se forment au monde de demain.

[2] Pourquoi regretter l’absence d’une discipline informatique ?  Uniquement parce que les enseignants ne seront pas complètement formés à ce nouveau domaine, comme on forme aujourd’hui les enseignants des autres matières.

50 nuances de robots mous !

À l’occasion de la sortie du dernier film animé des studios Disney « les nouveaux héros », nous avons demandé à Christian Duriez, responsable d’une équipe de recherche d’Inria Lille – Nord Europe, de nous parler des technologies innovantes qui sont en train d’émerger en matière de robotique et plus particulièrement de nous expliquer si le robot mou de Baymax est une fiction ou si la recherche en la matière est une réalité. Partons à la découverte de ces robots mous (ou « soft-robot » en anglais). Cet article est une co-publication avec )i(nterstices, la revue de culture scientifique en ligne, créée par des chercheurs pour vous inviter à explorer les sciences du numérique.  Marie-Agnès Enard.

Baymax – ©Disney

Dans son dernier long métrage, Disney nous invite à nous plonger dans San Fransokyo, ville futuriste inspirée des deux rivages du pacifique, et capitale de la robotique. Dans cette ville, les habitants ont une passion frénétique pour les robots, et plus particulièrement pour les combats de robots. Les acteurs économiques sont prêts à lancer des intrigues pour récupérer les dernières inventions. Hiro, un petit génie exclu des parcours scolaires, s’amuse à construire des robots de combats avec son frère tout en réalisant des recherches dans un laboratoire sur Baymax, un robot infirmier qui sera le héros de ce film. Or la particularité de Baymax… c’est qu’il est mou ! Une sorte de bonhomme Michelin gonflable, programmé pour prévenir les problèmes de santé des humains qui l’entourent. Disney rejoint là des technologies très innovantes en train d’émerger en robotique, ces fameux robots mous (ou « soft-robot » en anglais).

Je fais partie de cette nouvelle communauté de chercheurs qui s’intéresse à ces robots qui ne sont plus conçus à partir de squelettes rigides articulés et actionnés par des actionneurs placés au niveau des articulations comme nous les connaissons traditionnellement. Au contraire, ces robots sont constitués de matière « molle » : silicone, caoutchouc ou autre matériau souple, et ont donc, naturellement, la possibilité d’adapter leur forme et leur flexibilité à la tâche, à des environnements fragiles et tortueux, et d’interagir en toute sécurité avec l’homme. Ces robots ont typiquement une souplesse semblable aux matières organiques et leur design est souvent inspiré de la nature (trompe d’éléphant, poulpe, vers de terre, limace, etc.). Pour fabriquer ces robots, nous avons naturellement recours à l’impression 3D qui permet déjà d’imprimer des matières déformables ou de fabriquer ces robots par moulage.

La robotique est une science du mouvement. La robotique  classique crée ce mouvement par articulation. Pour les soft-robot, le mouvement est créé par déformation, exactement comme des muscles. On peut le faire en insérant de l’air comprimé dans des cavités placées dans la structure déformable du robot, en injectant des liquides sous pression ou en utilisant des polymères électro actifs qui se déforment sous un champ électrique. Dans mon équipe de recherche, nous utilisons, plus simplement, des câbles reliés à des moteurs pour appliquer des forces sur la structure du robot et venir la déformer, un peu comme les tendons ou les ligaments que l’on trouve dans les organismes vivants.

Christian Duriez – © Inria / Photo H. Raguet

Les domaines d’applications que nous pouvons envisager sont nombreux pour ces soft-robots : En robotique chirurgicale, pour naviguer dans des zones anatomiques fragiles sans appliquer d’efforts importants ; en robotique médicale, pour proposer des exosquelettes ou orthèses actives qui seraient bien plus confortables que les solutions actuelles ;  en robotique sous-marine pour développer des flottes importantes de robots ressemblant à des méduses, peu chères à fabriquer, et capable d’aller explorer les fonds sous-marins ; pour l’industrie, pour fabriquer des robots bon marché et robustes ou des robots capables d’interagir avec les hommes sans aucun danger ; pour l’art et le jeu, avec des robots plus organiques, capables de mouvements plus naturels …

Mais ce qui nous intéresse aussi dans ces travaux est qu’ils sont porteurs de nouveaux défis pour la recherche. En particulier, le fait de revisiter les méthodes de design, de modélisation et de contrôle de ces robots. Nous passons d’un monde où le mouvement se décrit par une dizaine voire une vingtaine d’articulations, au maximum, à une robotique déformable qui a, en théorie, une infinité de degré de liberté. Autrement dit, pour développer l’usage et le potentiel de ces soft-robots, il va falloir totalement revoir nos logiciels . C’est cette mission que s’est confiée notre équipe (équipe Defrost, DEFormable RObotic SofTware, commune avec Inria et l’Université Lille 1) et qui rend ces travaux passionnants et ambitieux.

Nous souhaitons relever le défi de la modélisation et le contrôle des robots déformables : il existe de modèles des théories de la mécaniques des objets déformables (appelée mécanique des milieux continues). Ces modèles n’ont pas de solution analytique dans le cas général et il faut passer par des méthodes numériques souvent complexes et couteuses en temps de calcul, comme la méthode des éléments finis, pour obtenir des solutions approchées. Or, pour le pilotage d’un robot, la solution du modèle doit pouvoir être trouvée à tout instant en temps-réel (autrement dit en quelques millisecondes). Si cela est obtenu depuis longtemps pour les modèles rigides articulés, c’est une autre paire de manche pour les modèles par éléments finis. C’est le premier défi que nous devons affronter dans notre travail de recherche, mais d’autres défis, encore plus complexes, nous attendent. En voici quelques exemples :

Une fois le modèle temps réel obtenu, il faudra l’inverser : en effet le modèle nous donne la déformation de la structure du robot quand on connait les efforts qui s’appliquent sur lui. Mais pour piloter un robot, il faut, au contraire, trouver quels efforts nous devons appliquer par les actionneurs (les moteurs, les pistons, etc.) du robot, pour pouvoir le déformer de la manière que l’on souhaite. Or s’il est déjà complexe d’obtenir un modèle éléments finis en temps-réel, obtenir son inverse en temps-réel est un bien plus complexe encore !

Autre challenge : l’environnement du robot. Contrairement à une approche classique en robotique rigide où l’on cherche l’anticollision (le fait de déployer le robot sans toucher les parois de l’environnement), les robots déformables peuvent venir au contact de leur environnement sans l’abimer. Dans certaines applications, il est même plutôt souhaitable que le robot puisse venir entrer en contact. Cependant il faut maitriser les intensités des efforts appliqués par ces contacts et particulièrement dans des applications en milieu fragile (comme en chirurgie par exemple). Un paramètre important dans ce contexte est que l’environnement va lui aussi déformer le robot. Il faut donc impérativement en tenir compte dans la réalisation du modèle. Quand l’environnement correspond à des tissus biologiques, il faut alors prévoir d’ajouter un modèle biomécanique de l’environnement…

Un dernier exemple de défi, plus fondamental, est lié à l’utilisation de capteurs. Si l’on imite la nature, notre système nerveux nous donne un retour d’information (vision, toucher, son, etc.) qui nous aide à contrôler nos mouvements et à appréhender notre environnement. Les ingénieurs ont donc très vite pensé à équiper les robots de capteurs qui permettent de compenser et d’adapter les modèles utilisés pour les piloter. La théorie du contrôle permet de donner un cadre mathématique à ces méthodes d’ingénierie des systèmes. Or la complexité de cette théorie dépend essentiellement du nombre de variables nécessaires à décrire l’état du système et du couplage entre ces variables… Avec une infinité (théorique) de degrés de liberté, couplés par la mécanique des milieux continus, il faudra forcément revisiter cette théorie pour l’adapter.

Bien d’autres défis sont encore à considérer comme la création de nouveaux outils de CAO (Conception Assistée par Ordinateur) pour concevoir ces robots, ou la programmation de leur fabrication en lien avec l’impression 3D. Enfin, si l’on veut un jour avoir notre Baymax, en chair et sans os, capable d’être notre infirmier personnel à domicile, il faudra aussi lui apporter une certaine forme d’autonomie voire d’intelligence… mais ceci est une autre histoire !

Christian Duriez

 

 

Il était une fois l’Internet

Elodie Darquié & Maryse Urruty préparent un spectacle dont un premier extrait sera présenté à Pas Sage en Seine en juin 2015. Elles veulent expliquer Internet aux enfants. Intrigué, Binaire a demandé à Valérie Schafer d’aller se renseigner. Elle nous invite à suivre le travail d’Elodie et Maryse.François Hollande détaillait il y a quelques jours le plan pour le numérique à l’école, qui passe notamment par des équipements mobiles à destination des collégiens, des outils et ressources pédagogiques, la formation des personnels et une réflexion sur l’enseignement de l’informatique au lycée ou celui de la programmation à l’école. Relevant d’ambitions qui, si elles peuvent être complémentaires, n’en poursuivent pas moins des objectifs et approches très différentes entre familiarisation aux environnements numériques et découverte de la science informatique, cette réflexion politique prend acte et stimule par le haut des initiatives qui prennent corps depuis plusieurs années sur le terrain. Elles sont ainsi pensées au sein des milieux scientifiques (voir les échanges au sein de ce blog ou de la Société informatique de France sur l’enseignement de l’informatique), du corps enseignant, ou encore dans le cadre d’associations et de projets qui œuvrent à développer l’appétence des jeunes pour l’informatique ou les littératies numériques (coding goûters, ateliers comme ceux de Magic Makers, association L’enfant @ l’hôpital, etc.)

Au sein de ces initiatives variées et stimulantes, celle de Maryse Urruty et Elodie Darquié a un positionnement original, à rebours de certains discours qui voient dans l’équipement, la pratique et la manipulation, la meilleure (voire la seule) façon d’éveiller la curiosité des plus jeunes au numérique. « Nous avons aussi choisi le spectacle vivant pour privilégier l’interaction avec le public. Nous voulons parler de technologies que nous percevons à travers des écrans dans un rapport direct avec les spectateurs. Passer par des personnages nous aide à créer une nouvelle relation entre le public et la technologie », explique Maryse. « En général, on traite du numérique avec des formats et une esthétique assez technologiques. Nous, nous avons choisi de parler de technologie avec un format très ancien : un récit conté », complète Elodie.

Accueillies en résidence à l’Agora de Nanterre, dans le cadre du festival Nanterre Digital, leurs premières représentations de Il était une fois l’Internet sont prévues pour octobre 2015. Au cœur du spectacle destiné aux 8-12 ans, il y a le voyage de leur héroïne Data au sein du réseau des réseaux. Ces jeunes diplômées de Science Po Toulouse ont trouvé leur inspiration dans Il était une fois la vie mais aussi dans une culture éclectique, ancrée dans son temps. Elles mentionnent en vrac : Alain Damasio, the Lego movie, Terry Pratchett, C’est pas Sorcier, Mario Kart, XKCD, Benjamin Bayart, la légende de Korra, Claude Ponti, Child of Light, la Trilogie des Fourmis. Elles ont su combiner leurs expériences et passions : celle de Maryse pour le théâtre, celle d’Élodie pour le numérique, mais aussi la médiation scientifique qu’elle a pu découvrir chez Inria. C’est d’ailleurs de cette dernière expérience et en particulier de celle du jeu Datagramme que leur est venue l’envie de développer en complément un jeu sur plateau qui œuvre comme le spectacle à matérialiser Internet. Car ce sont bien les aspects matériels et les réalités technologiques des couches basses du réseau qui sont au centre de cette découverte et des ateliers associés : il s’agit de suivre la charmante et amoureuse Data dans la boite noire, dans les coulisses de l’Internet, un parcours « dans les tuyaux » que ne renierait pas Andrew Blum.

vs.1Les moyens pour faire pénétrer les enfants dans cet univers technologique complexe de manière ludique et pédagogique sont pensés jusque dans les moindres détails. « Les images sont animées, mais subtilement, pour ne pas monopoliser l’attention des spectateurs. Nos principales sources d’inspiration sont les gif et le gif-art » explique Elodie, tandis que Maryse ajoute: « Le visuel est lent et répétitif comme un motif qui laisse la narration libre et la complète selon les besoins de chaque spectateur. Nous cherchons également à créer une ambiance sonore, entre un cocon musical et les bruits des machines ».

Il était une fois un monde merveilleux dont les routes étaient faites de lumière... On l'appelait l'Internet. © Elodie Darquié & Maryse Urruty (CC-BY-NC-ND)
Il était une fois un monde merveilleux dont les routes étaient faites de lumière… On l’appelait l’Internet.
© Elodie Darquié & Maryse Urruty (CC-BY-NC-ND)

En attendant de découvrir un extrait du spectacle à Pas Sage en Seine en juin 2015, on a envie de souhaiter tous nos vœux de succès à ce projet pour plein de raisons.

D’abord, il pose la question difficile des matérialités, des matériels, des infrastructures et considère les environnements numériques dans leur globalité et non uniquement par leur face visible et la manipulation. Il communique aux enfants le goût pour les infrastructures. (Et pour les parents, nous conseillons un autre artiste, le génial John Oliver, hilarant et passionnant quand il vous parle de Neutralité de l’Internet ou encore d’infrastructures).

Et puis, le projet est ambitieux. Il combine le spectacle vivant, des ateliers et du jeu. Un  « Guide du Routeur” est distribué aux spectateurs. Ce livret explicite les références du conte et les recontextualise par exemple en parlant des datacenters ou du routage, via une Pirate box (un dispositif créant un petit réseau wifi autour de lui pour partager librement des fichiers).

Enfin Maryse et Elodie nous offrent une merveilleuse réponse en récit et images aux questions que se pose la recherche sur les Temps et temporalités du Web, que résume en quelques mots Maryse : « Le conte c’est un genre qui va chercher du côté de l’enfance, du merveilleux et du fantastique. Il nous a permis de façonner un univers complet dans lequel nous pouvions recréer des interactions entre les personnages, et un nouveau rapport au temps. L’histoire du spectacle ne dure en réalité qu’une milliseconde, mais dans notre monde imaginaire, nous prenons le temps de vivre chacune des péripéties de Data, notre héroïne, à une vitesse compréhensible par nos spectateurs ».

Une parenthèse de poésie, un peu de « slow science », une cyberflânerie ; que tout cela est  bienvenu !

Valérie Schafer, ISCC, CNRS/Paris-Sorbonne/UPMC

Note : L’activité pédagogique qui recrée le voyage de Data s’appuiera sur des ordinateurs offerts par le collectif Emmabuntüs et l’association « Les Amis d’Emmabuntüs ». Elodie et Maryse collaborent  également avec l’Electrolab, le plus grand  hackerspace d’Europe basé à Nanterre, où elles fabriquent une partie de leur scénographie et de leur matériel pédagogique.

Comment le numérique a transformé l’informatique

Dans le cadre des « Entretiens autour de l’informatique », Serge Abiteboul et Marie Jung ont rencontré Yves Caseau, responsable de l’Agence Digitale du Groupe Axa. Son objectif : moderniser les méthodes de travail des équipes chargées de concevoir les applications mobiles et les sites web. Nous nous sommes habitués à voir l’informatique construire un nouveau monde, le monde numérique. Yves Caseau raconte à Binaire comment, dans un retour de service éblouissant, ce monde numérique a véritablement transformé l’informatique.

Yves Caseau, photo © M. Jung
Yves Caseau, photo © M. Jung

Une autre manière de développer du logiciel

B : Quels sont les changements récents les plus importants dans le développement de logiciel ?

YC : Le premier élément de changement important, c’est la manière de coder. Avant pour un problème complexe, on se lançait dans une analyse poussée et le développement d’un logiciel monolithique. Les jeunes actuels commencent par chercher avec Google si un bout de programme existe déjà quelque part qui résout une partie du problème. Du coup, avant on essayait d’avoir les développeurs les plus compétents. Maintenant, on préfère avoir des profils capables de manipuler avec brio des bouts de codes, de les combiner, et de vérifier ce qu’ils font, sans nécessairement comprendre leurs mécanismes intimes. C’est le rêve de l’approche composant où on réutilise sans arrêt des fragments.

Des rythmes de développement effrénés

B : Du coup, cela raccourci les cycles de développement ?

YC. Oui, c’est le deuxième changement important. Les géants du web comme Google, Amazon ou Facebook sont des experts en la matière. Google modifie 50 % de ses modules tous les mois. Du code est fabriqué sans arrêt. Et la façon dont le code est fait importe autant que le résultat. Quand je travaillais chez Bouygues Telecom sur les « box », nous avions à faire face à des composants matériels instables et incomplets.  Ce n’est pas une question de compétence, nous avions d’excellents fournisseurs, mais le rythme d’adaptation du silicium pour suivre les évolutions des protocoles tels que HDMI était infernal. La partie logicielle devait cacher les limites du matériel et s’adapter au rythme très rapide de mises à disposition du matériel. Pour réussir dans ce monde de l’électronique grand-public, il est vital de savoir reconstruire son logiciel tous les jours.

The lean startup, Eric Ries
The lean startup, Eric Ries

 

Avec les clients au centre des préoccupations

B : Pour raccourcir les cycles de développement, vous essayez de faire passer vos équipes au « lean startup ». Qu’est-ce que ce signifie ?

YC : C’est une manière de faire des applications en mode « centré client » et « incrémental ». Cela revient à sortir un produit minimal le plus vite possible, le mettre entre les mains des clients, regarder comment ils l’utilisent, et adapter le produit pour en proposer une nouvelle version rapidement. Ce type d’agilité n’est pas naturel pour des grands groupes. J’essaie de mettre cela en place dans les projets que je dirige. C’est une centaine de personnes qui travaillent ensemble avec des profils très différents : spécialistes du marketing, développeurs, designers. Nous essayons de mélanger tout ça.Le livre d’Octo Les géant du web m’a beaucoup inspiré. Avec l’informatique agile, le logiciel est vivant, il bouge sans arrêt tout en étant au cœur du processus de valeur de l’entreprise et en mettant le client au centre de ses préoccupations.

Les Géants du Web : Culture – Pratiques, Octo Technology
Les Géants du Web : Culture – Pratiques, Octo Technology

Redécouvrir l’amour du code

B : Cela sonne comme le début d’une nouvelle ère ?

YC : On se retrouve comme à la belle époque de l’informatique. Il faut aimer le code ! Au début de l’informatique, les développeurs vivaient dans leur code et ils aimaient ça. Puis on a changé de modèle. Quelqu’un écrivait des spécifications d’une application (N.D.L.R. une description détaillée de ce qu’il fallait réaliser), et des développeurs, peut-être à l’autre bout du monde, écrivaient les programmes. Ce modèle, très à la mode entre 1980 et 2000, est un modèle qui se meurt. En éloignant le concepteur de l’application du développeur, on avait perdu l’artisanat du développement de code. Aujourd’hui, avec le développement agile, on a retrouvé la proximité, le contact, l’amour du code.

On maitrise le code avec des pratiques qui reviennent à la mode comme le pair programming (N.D.L.R. le développement d’un programme en binôme sur le même ordinateur). Les développeurs ont besoin d’une unité de lieu, de contact constant. Cela dit, l’agence digitale d’Axa travaille avec des développeurs basés à Barcelone. Nous faisons de l’agile distribué, autrement dit nous travaillons comme si nous étions dans la même pièce. Les réunions quotidiennes se font via Skype, debout pour éviter qu’elles trainent en longueur. Faire de l’agile à distance est compliqué. Ce n’est bien sûr pas comparable à l’alchimie d’une équipe qui vit ensemble, mais c’est possible.

B : Qu’est-ce que ces changements impliquent pour les développeurs ?

YC : Le changement quotidien des applications revalorise le travail des développeurs. Ils sont invités à apporter plus d’eux-mêmes dans le produit, mais ce n’est pas toujours évident. Dans le fonctionnement de l’Agence Digitale, nous avons créé un budget « exploration » pour les développeurs, mais il faut faire attention à ne pas le voir absorber pas les besoins opérationnels courants.

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B : Quel est le profil type du développeur que vous recherchez ?

YC : Le profil type du développeur dans les startups modernes, c’est celui de l’étudiant américain, moitié codeur, moitié généraliste. Je pense, qu’il y a eu un retournement dans les compétences recherchées. À la fin des années 90, la startup idéale de la Silicon Valley était très technique, avec par exemple des développeurs Russes ou Israéliens. À l’heure actuelle, les startups sont moins techniques car elles sont passées du B2B au B2C (N.D.L.R, de la vente vers d’autres entreprise à la vente au grand public), et font appel à un ensemble plus large de compétences. Leurs développeurs ont moins besoin d’être des informaticiens brillants. Il faut par contre qu’ils comprennent bien les aspects métiers de l’application, l’expérience client, qu’ils puissent imaginer ce qui plaira.

B : Vous devez quand même innover en permanence ; comment faites-vous ?

YC : Il est difficile de concurrencer les plus grands qui innovent sans arrêt. Pour innover en permanence dans un monde très concurrentiel, nous ne pouvons pas nous permettre de le faire seul. Nous sommes emmenés à faire de l’innovation ouverte (open innovation en anglais) au sens logiciel du terme, c’est-à-dire en nous appuyant sur une plateforme ouverte à nos partenaires et des API (*). Développer seul est épuisant, la seule façon d’y arriver est de participer à un écosystème, avec des sociétés qui ont choisi de développer des logiciels ensemble.

Le Big data s’installe au cœur de l’informatique

B : Vous n’avez pas mentionné le sujet à la mode, le Big Data ?

YC : Ce qui se passe autour de la donnée à l’heure actuelle est un changement que je pressens mais que je ne vis pas encore contrairement aux changements que j’ai déjà mentionnés. Coder et construire des algorithmes nécessitent maintenant de « penser données ». Pour résoudre des problèmes, avant, on cherchait des algorithmes très complexes sur peu de données. Aujourd’hui, on revisite certains problèmes en se focalisant sur des algorithmes simples, mais s’appuyant sur des données massives. On découvre de nouveaux problèmes sans arrêt, où la valeur est plus dans la donnée que dans l’algorithme. Quand Google achète une startup à l’heure actuelle, il s’intéresse surtout aux données qu’elle possède.

B : Quelles conséquences ce recentrage sur les données aura sur Axa ?

YC : Dans le futur, je vois Axa faire du machine learning à haute dose. La mission d’Axa est de protéger ses clients dans des domaines comme la santé ou la maison. Cela signifie donner des conseils personnalisés à nos assurés. Si vous avez 50 ans et que vous allez faire du ski, Axa pourra analyser les risques que vous courrez selon votre profil et partager l’information avec vous en allant jusqu’au coaching. Pour l’instant, notre application de coaching pour la santé est simple. Les conseils qu’elle propose sont limités, avec une personnalisation rudimentaire. Mais nous pensons qu’elle marchera nettement mieux avec un réseau social et un moteur de recommandations.

Toutes nos passions reflètent les étoiles, Victor Hugo
Toutes nos passions reflètent les étoiles, Victor Hugo

Les objets connectés

B : Vous croyez aussi aux objets connectés ?

YC : Je suis arrivé chez Axa au moment où tout le monde ne parlait que de ça, mais la plupart du temps le problème est envisagé à l’envers à partir des données sans se demander si le client a envie d’en générer et d’en partager. Pour le grand public, il n’y a qu’un petit nombre de cas où ces objets sont vraiment sympas, comme la balance Withings que j’adore. J’ai un cimetière d’objets connectés chez moi qui n’ont pas tenu leur promesse.

B : Pourquoi ne tiennent-ils pas leur promesse ?

YC : Les objets connectés ne deviennent vraiment intéressants que quand ils sont contextualisés, qu’ils fournissent la bonne information à la bonne personne au bon moment. Je suis fan du tracker Pulse de Whithings et j’en ai offert quelques uns autour de moi. Ma fille a adoré jouer avec pendant 15 jours, puis elle a trouvé l’objet limité. Par certain côté, son smartphone avait une meilleure connaissance d’elle rien qu’en étant connecté à son agenda.

B : N’y a-t-il pas un risque avec l’utilisation de toutes ces données ? Dans le cadre d’une assurance par exemple, qui me garantit qu’elles ne seront pas utilisées contre moi, par exemple pour décider l’augmentation du prix de ma police d’assurance ?

YC : Je pense qu’il y aura à la fois des barrières légales et sociétales pour garantir que n’importe quelle donnée ne sera pas récupérée, utilisée à mauvais escient. Il est indispensable que de telles barrières soient établies.

B : Après des années dans la R&D autour de l’informatique, vous avez l’air d’aimer toujours autant ce que vous faites ? Qu’est-ce qui vous passionne vraiment aujourd’hui ?

YC : J’ai une mère qui vit seule dans sa maison à 80 ans. Comme beaucoup d’entre nous, je me sens donc très concerné par le devenir des personnes âgées. Nous sommes en train de développer un mini réseau social destiné aux séniors isolés et à leurs proches. Appelée « AreYouOk ? », cette application sortira d’abord au Japon. Je pense qu���il y a beaucoup de choses à faire pour les adultes dépendants. Notre application se servira des signaux d’objets connectés comme des téléphones portables avec ses senseurs comme l’accéléromètre, des montres. Il est assez simple de détecter un incident, une chute. Bientôt, nous pourrons aussi détecter une baisse de tonus, qui peut être le symptôme d’un problème de santé sérieux. Il suffit d’analyser les déplacements, leur vitesse… Dans les années qui viennent, nous allons pouvoir améliorer considérablement la manière de vivre des personnes âgées. C’est le genre de chose qui me donne vraiment envie chaque matin d’aller travailler…

Propos recueillis par Serge Abiteboul et Marie Jung

(*) API : Une interface de programmation, API pour Application Programming Interface, est une façade par laquelle un logiciel offre des services à d’autres logiciels. Elle consiste en une description détaillée qui explique comme des programmes consommateurs peuvent utiliser les fonctionnalités d’un programme fournisseur, par exemple un service Web ou une bibliothèque de programmes.

Complexité ? Même pas mal !

En informatique, des mots de la vie courante prennent un sens particulier, précis, peut-être inattendu. Nous allons expliquer ici  « complexité ». Thierry Viéville.

Visualisation de graphe de trs grande taille
© INRIA / Projet VASY- Univ de Eindhoven

Le terme  complexité a un sens très précis en informatique, en fait plusieurs sens.

il y a la théorie de la complexité qui étudie la quantité de ressources (par exemple en temps, en espace, en communication) nécessaire pour la résolution de problèmes au moyen de l’exécution d’un algorithme. Ainsi, on dira par exemple d’un algorithme qu’il a une “complexité en temps élevée” non pas parce qu’il est compliqué à comprendre, mais parce qu’il demande un grand nombre d’opérations pour une instance du problème.

Certains problèmes peuvent être résolus extraordinairement vite. Par exemple, chercher un mot dans un dictionnaire d’un milliard de mots peut se faire en … un petit nombre d’opérations élémentaires ! D’autres ont une complexité qui explose avec la taille des données. Par exemple, pour remplir au maximum un sac à dos, sans dépasser une borne fixée, avec des objets de poids différents, cela peut nécessiter d’explorer plus d’un milliard de configurations pour une trentaine d’objets. Pour bien comprendre un problème, il est important d’étudier la complexité des algorithmes qui permettent de le résoudre, voire de découvrir des bornes théoriques qui montrent qu’il est impossible de le résoudre avec des ressources trop limitées.

Une autre notion importante est la mesure de complexité d’un message ou d’une information. C’est la forme “algorithmique” de la mesure de l’information, dite de Kolmogorov. Un message est complexe si le plus petit programme qui génère ce message est obligatoirement de grande taille. Il y aussi une forme “probabiliste”, de Shannon, qui fonde une théorie de l’information plus mathématique. Il est important de connaitre la complexité d’un message quand on veut le transmettre, le compresser ou le chiffrer. Il est aussi amusant de savoir que parmi tous les messages sans fin (de longueur infinie) très peu peuvent être générés par un algorithme. Une infinité non-dénombrable d’entre eux sont complètement imprédictibles.

On voit donc que la notion de complexité s’applique à la fois aux données et aux traitements sur ces données. Elle permet de comprendre les limites de ce que l’on peut faire avec des algorithmes. Avec elle, l’informatique propose des fondements théoriques qui permettent de mieux comprendre les programmes informatiques et les données numériques.

L’article original est à consulter sur le site de pixees.fr. Éléments recueillis grâce à Sylvie Boldo,  Florent Masseglia et Pierre Bernhard.

Nos ordinateurs ont-ils la mémoire courte ?

Quelles images, quels sons, quels écrits de notre société numérique restera‐t‐il, quand  les archéologues du futur, dans quelques siècles, chercheront à reconstituer nos données, désormais de moins en moins « ancrées » dans la matière ? Notre civilisation est-elle encore capable de produire de la mémoire ? Une réponse, positive, est donnée à travers ce reportage vidéo de 52 mn de Zed distribution Télévision.

Depuis que s’est développée l’informatique de masse, nos informations et tout notre patrimoine collectif est codé en binaire sur des supports dont la pérennité semble dérisoire par rapport à la mémoire de papier de nos bibliothèques ou à ce que l’antiquité nous a laissé gravé dans la pierre. Or, nous allons laisser aux enfants de nos enfants pour des siècles et des siècles, un héritage culturel, mais aussi un monstrueux héritage de déchets radioactifs. Il faut arriver à faire que toute cette mémoire ne se perde pas.

Le film chez Zed
Le film chez Zed distribution télévision

En réaction à ce problème majeur, ce reportage montre comment des chercheurs se livrent à une véritable course, une course contre l’oubli. Au-delà des solutions par recopie de nos données à travers la vis sans fin des mutations technologiques de notre monde numérique dans des centres de données, c’est en revenant vers l’encre et le papier que des données qui doivent traverser le temps sont archivées, à côté de véritables message gravés dans la géologie de notre sol, sur du quartz. On se tourne aussi vers un support bien plus fragile mais prodigieusement miniaturisé et pérenne : l’ADN.

Standards pour le codage des données ? Mécanismes de codes correcteurs d’erreurs et de duplication des données pour les rendre robustes aux altérations ? Prise en compte du fait que ces données sont mouvantes pour garder aussi la mémoire de l’histoire de l’évolution de ces données ? Outils informatiques efficaces pour exploiter et garder ce qui est noyé dans la masse des informations humaines ? Ce sont ces questions que le reportage nous offre en partage.

Se pose alors, au-delà de ce reportage, le problème de la pertinence des données, dans une société où la mémoire collective explose. Quelle information pertinente devons-nous collecter ? Que devons nous conserver pour ne pas nous noyer dans un océan de mémoire ? De quel droit à l’oubli disposons-nous face à cette hypermnésie ? Ce qu’il restera se fera-t-il à l’insu de notre plein gré ou thésauriserons-nous ce que nous pensons être de plus précieux ? Et qui peut dire ce qu’il faut garder dans cette arche de Noé de la mémoire humaine ?

Serge Abiteboul, Thierry Viéville.

Le sens de la ville numérique

Dans le cadre des « Entretiens autour de l’informatique », Binaire a choisi de parler d’architecture. Spécialiste de l’histoire des technologies de l’architecture du 18e à la ville numérique, Antoine Picon nous apporte le recul indispensable pour adresser un sujet complexe. Entre deux séjours aux Etats-Unis où il enseigne, il a rencontré Serge Abiteboul et Claire Mathieu.

Antoine Picon
Antoine Picon

L’informatique a révolutionné l’architecture

B : Vous êtes à la fois ingénieur et architecte, et vous avez une thèse d’histoire. Qui êtes vous vraiment ? Entre les sciences et les lettres, où vous situez vous ?

Antoine Picon (AP) : Je m’intéresse à la culture numérique, à la ville, à l’architecture. Je suis plutôt un historien et spécialiste des techniques de la ville, d’architecture, mais avec quand même à la base une formation de scientifique. J’ai plutôt choisi les humanités – j’ai toujours eu envie d’écrire – mais avec une certaine sensibilité scientifique. Je m’intéresse aux sciences et techniques d’un côté, à la ville et à l’architecture de l’autre.

B : En quoi le numérique a-t-il changé le métier d’architecte ?

AP : C’est un peu compliqué. Il y a d’abord eu l’influence, depuis les années 50, d’une perspective « calculatoire» sur l’architecture. Puis, depuis les années 90, la profession s’est informatisée. A l’école d’architecture de Harvard (aux USA), il y a peut-être plus d’ordinateurs qu’au département de physique ! L’informatique a complètement transformé la profession. Aujourd’hui, par exemple, on ne dessine quasiment plus à la main ; on fait presque tout avec l’informatique.

B : Mais, l’ordinateur reste un outil. Est-ce que cela change fondamentalement ce qu’on construit ? Est-ce véritablement révolutionnaire ?

AP : Ça l’est de trois façons. Premièrement, il y a des géométries de formes nouvelles, qui étaient très difficiles à concevoir avec des outils traditionnels. Cela a changé toute une série d’objets. Ainsi, on assiste actuellement à un retour de l’ornemental en architecture, grâce à la possibilité de jouer sur des « patterns ». Deuxièmement, cela modifie aussi des aspects plus profonds du métier. Les choses sont plus faciles au quotidien car en pratique on peut modifier et mettre à jour nos projets beaucoup plus facilement, mais du coup cela remet en question le « pourquoi », la finalité de ces modifications, qui devient une considération beaucoup plus importante. Enfin, les structures professionnelles changent. On voit l’émergence de pratiques transcontinentales, de nouvelles collaborations, ce qui finit par donner une prime aux grosses agences, d’où un effet de concentration ; la taille des agences croît partout dans le monde. Tout cela transforme véritablement le métier d’architecte.

Actuellement, avec les « BIM » (Building Information Models), on va vers la constitution d’outils qui permettent de rentrer toutes les données constitutives du projet dans une base de données ; mais alors se pose la questions de déterminer qui possède cette information et qui a lieu de modifier quoi. Ce ne sont plus les architectes tout seuls, mais les architectes avec leurs clients, qui se disent que c’est peut-être maintenant l’occasion pour eux de reprendre la main. Bien sûr, l’architecture ne se produit pas dans le vide : il y a des ingénieurs, tout un contexte, et l’informatique a transformé les interactions.

Par ailleurs l’informatique est quand même liée à une culture, la culture numérique, qui induit des changements sociétaux, anthropologiques, politiques, dont l’architecture est partie prenante. Ville et architecture sont affectées. L’intérêt du numérique, pour moi, c’est que l’informatique est l’un des vecteurs d’un changement social et culturel beaucoup plus général.

Le rapport avec la matière

B : Pouvez-vous être plus concret ?

AP : Cela a commencé dès les années 50, quand la cybernétique a reposé la question : qu’est ce qu’un sujet humain ? L’architecture travaille à partir d’une certaine vision de l’homme. Qu’est ce que c’est que construire pour un homme à l’âge de l’information ? Dans les années 50, y a eu le courant des « méga-structures ». Dans ce courant, la pensée dominante était la pensée des connections. Tout est dans les connections. L’architecture est pensée en liaison avec les modèles du cerveau. Maintenant, le postmodernisme est hanté par l’idée de revenir à un vocabulaire traditionnel tel que colonnes, fronton, etc.

B : Où trouve-t-on ce type d’architecture ?

AP : Dans une série de projets par exemple dans l’architecture « corporate » aux USA par exemple. Un peu plus tard, le centre Pompidou est décrit par ses auteurs entre autres comme croisement entre le British Museum et un Times Square informatisé. Il montre comment technologie et société fonctionnent ensemble.

Centre Pompidou, Paris, Wikipedia
Centre Pompidou, Paris, Wikipedia

B : Est-ce au niveau fantasmatique ou réel ?

AP : Il y a des deux. Le rapport de l’architecture à la science. Les architectes travaillent sur la métaphore et arrivent parfois à saisir des choses essentielles sur la signification des choses.

Le Corbusier, dans les années 20, faisait des constructions qui se prétendaient industrielles, mais maintenant encore la Villa Savoye paraît bien plus moderne que l’automobile des années 20. Il avait une incroyable capacité à se saisir de et à donner forme à l’imaginaire de l’époque. Il y a eu un travail similaire autour de la montée en puissance des réseaux.

Villa Savoy, Le Corbusier, Yo Gomi @ Flickr
Villa Savoy, Le Corbusier, Yo Gomi @ Flickr

L’ordinateur, lorsqu’il est apparu, était vu comme une machine à calculer, puis on s’est rendu compte qu’il pouvait simuler le raisonnement, et aujourd’hui, on se dit qu’on peut s’en servir pour ressentir le monde. Les architectes travaillent sur la façon dont les gens sont en contact avec le monde physique, et cela est en mutation. Par exemple, zoomer et dé-zoomer, ce sont des actions qui nous paraissent actuellement complètement naturelles, parce que nous vivons dans une culture numérique. Les architectes travaillent sur cette question de sensibilité, du rapport que nous entretenons avec la matière. Ils essaient de capturer l’évolution de la matérialité due au numérique et de comprendre comment cela joue.

C’est une chose que font les sciences en collaboration avec la culture, proposer une interprétation de ce que sont l’homme, le monde physique, et la relation entre eux. Par exemple, lors de la Renaissance, la compréhension de la perspective a changé le rapport des hommes au monde. Aujourd’hui, l’informatique réforme encore plus puissamment le rapport entre l’homme et le monde. L’informatique change l’audition, les distances, la mobilité, la gestuelle. On observe une place croissante du pouce dans les cartographies cérébrales. L’informatique modifie notre rapport au corps physique.

NOX/Lars Spuybroek, HtwoOexpo appelé également Water Pavilion, Neeltje Jans, Pays-Bas, 1993-1997, vue intérieure
NOX/Lars Spuybroek, HtwoOexpo appelé également Water Pavilion, Neeltje Jans, Pays-Bas, 1993-1997, vue intérieure

La ville intelligente est un nouvel idéal urbain

B : Est-ce ce changement qu’on voit dans les villes intelligentes ?

AP : Nous allons vers une révolution urbaine tout à fait considérable. La ville intelligente est un nouvel idéal urbain. Les technologies numériques dans la ville, ce n’est pas récent, mais il y a eu une prise de conscience qu’on est peut-être à la veille d’une mutation. La ville est comme une mine à creuser pour en extraire le nouvel or moderne : les data. Et puis il y a des « civic hackers » qui essaient de promouvoir l’idée d’une plate-forme collaborative, toute une floraison d’initiatives sur le modèle de Wikipedia. Tout cela s’accompagne d’une prise de conscience par les élus municipaux.

Preston Scott Cohen, musée d'art de Tel Aviv, vue informatique de la rampe centrale
Preston Scott Cohen, musée d’art de Tel Aviv, vue informatique de la rampe centrale

Dans mon interprétation, je distingue trois dimensions à ce changement. Premièrement, l’information est événementielle (pensez à Paris Plage, aux festivals, et aussi à tous les micro-événements). On va passer d’une ville envisagée comme ensemble de flux à une ville d’événements, de scénarios. Deuxièmement, il y aura une composition entre intelligences humaine et artificielle. Nous vivons déjà entourés d’algorithmes. Ainsi, ceux qui gouvernent les cartes bancaires peuvent décider de bloquer la carte en cas de comportement suspect. Il faut peut-être concevoir l’intelligence de la ville d’une façon plus littérale. Il y a actuellement une montée des droits des animaux. Peut-être qu’un jour il faudra reconnaître les droits et devoirs des algorithmes ! Cependant, reconnaissons que pour les hommes le fait d’avoir un corps fait une énorme différence. Si on admet un peu de futurisme, la ville ne sera plus seulement occupée par des hommes mais peut-être aussi par des cyborgs ! Troisièmement, le numérique est profondément spatialisé. Au début, l’informatique s’est construite comme non spatiale mais aujourd’hui, les informations relatives à l’espace et au lieu ont de plus en plus d’importance. La civilisation du numérique n’a d’ailleurs pas empêché la croissance extravagante des prix de l’immobilier dans certaines zones.

B : Une révolution, vraiment ? Chez nous, dans nos logements, dans nos bureaux, nous ne voyons pas vraiment la révolution…

AP : Les incidences sur l’espace physique ne sont pas immédiates. Ainsi de l’électricité. Au début, elle n’a rien changé à la forme physique des villes, mais lorsqu’elle a permis les ascenseurs, l’éclairage électrique (donc des bâtiments plus épais), l’architecture a changé. Les villes de l’avenir ne seront pas forcément comme celles qu’on connait.

Dans les bidonvilles indiens les gens ont maintenant des smart phones. Le fait d’être connecté est devenue vital, même dans les bidonvilles, autant ou plus que les égouts. Il y a d’autres formes d’intelligence qui se développent. À terme, cela posera des problèmes de gouvernance. Les procédures démocratiques traditionnelles risquent de rencontrer leurs limites dans une vile où tous sont connectés à tous. Je crois que la démocratie et la politique vont évoluer. Nous avons maintenant une occasion historique de permettre aux individus de s’exprimer. Comment construire du collectif à partir de l’individuel ? Actuellement, pour moi un des grands laboratoires de la ville de l’avenir, c’est l’enseignement supérieur avec les MOOCs. Ça va bouger très vite, et ce n’est pas forcément rassurant.

Centre opérationnel de Rio de Janeiro, conçu par IBM
Centre opérationnel de Rio de Janeiro, conçu par IBM

Toutes les transformations ne sont pas forcément visibles, internet par exemple. « Spatial » ne signifie pas forcément des formes spectaculaires, mais l’informatique change notre perception de l’espace urbain. L’architecture n’a pas nécessairement comme fonction de sauver le monde mais de lui donner un sens. Les enjeux sur l’urbain sont beaucoup plus massifs que sur l’architecture.

Antoine Picon, Harvard Graduate School of Design

 

Au risque de devenir parano

Black hat contre white hat … Contre les démons du cyberespace, des anges sont là pour nous défendre.  Nous ne plongeons pas dans un roman de Dan Brown mais dans un article de Serge Abiteboul et Marie Jung. Ils ont rencontré, à la Pépinière 27, Erwan Keraudy, PDG de Cybelangel, une startup dans le domaine de la sécurité informatique.

©Ray Clid
©Ray Clid

Pour les entreprises, le Web est source de tous les dangers. Le plus classique d’entre eux : une personne mal intentionnée s’introduit dans leurs bases de données et dérobe des masses d’information sur leurs clients, par exemple, leur numéro de carte bancaire. Le plus embarrassant : un pirate obtient toutes les informations sur leur système de téléconférence et invite des concurrents à leurs réunions techniques ou à leurs conseils stratégiques. Le plus flippant : un escroc découvre les plans d’agences bancaires avec les emplacements des systèmes de sécurité.

© Cybelangel
© Cybelangel

Surveiller ce que disent et font les pirates

cybel2Improbable ? Pas du tout. Ce sont des exemples d’informations que Cybelangel a trouvées en fouillant le Web pour ses clients. Créée en 2013, cette startup aide les entreprises à détecter leurs problèmes de sécurité. Mais au lieu de s’intéresser à leur système informatique, Cybelangel surveille les informations accessibles sur le Web.

Le premier champ d’activité pour Cybelangel est la partie sombre du Web, en particulier les sites criminels où tout se vend, par exemple, les informations confidentielles dérobées dans les bases de données d’une entreprise. Dès qu’un de ses clients est concerné, Cybelangel lance une alerte pour le prévenir. L’imagination des crackers (voir glossaire en fin d’article) est sans limite. Ces sites sont parfois hébergés dans des paradis pour pirates comme la Russie ; ils ne sont le plus souvent ni cryptés, ni protégés par mot de passe, pour ne pas attirer l’attention de la police. Nous sommes dans la high tech, mais cela n’empêche pas d’utiliser les techniques les plus éculées comme la « boîte aux lettres morte ». Une boite aux lettres morte est un lieu où on s’échange des messages sans se rencontrer. Rien de plus simple à mettre en place sur le Web. Et bien sûr, Cybelangel surveille aussi ce qui se dit sur un outil très prisé des hacktivists, comme des islamistes du net : Twitter. (Les islamistes se servent par exemple de Twitter pour se vanter de leurs exploits et communiquent les url où trouver plus de détails, des sites Web évidemment à surveiller.)

© Marie Jung
© Marie Jung

Scanner l’ensemble du Web, même profond

Cybelangel, qui scanne depuis longtemps le Web visible, a récemment ouvert un nouveau front : le « Deep net », le Web profond. A côté du Web public connu des moteurs de recherche et indexé par eux, fleurit le Web sur lequel on navigue moins facilement, notamment parce qu’il est protégé par des mots de passe ou parce qu’il propose des requêtes. Cyberangel s’intéresse à une autre facette du Deep net, les ordinateurs et autres systèmes informatiques connectés qui disposent d’une adresse IP – une adresse sur Internet – mais qui ne sont pas référencés sur le Web. Cybelangel essaie de découvrir ces systèmes, de les scanner et de trouver toutes les informations qui sont accessibles alors qu’elles ne devraient pas l’être. C’est un travail de titan (même en ipv4… et les spécialistes auront une petite pensée pour les difficultés introduites par ipv6 et ses, approximativement, 3.4×1038 adresses IP (*)).

Est-ce vraiment utile de scanner tous ces sites invisibles ? Sans aucun doute. C’est par exemple par ce biais que Cybelangel a découvert des contrats des confidentiels que les avocats d’un de ses clients étaient en train de finaliser. Ces documents n’ont pas forcément été exposés dans des buts criminels, mais ils n’en sont pas moins accessibles. Il suffit qu’un prestataire externe de l’entreprise, ici un avocat, ou l’un des dirigeants travaille de chez lui et installe quelques fichiers sur son « Nas » privé pour que le mal soit fait. Et un Nas s’achète à la Fnac, ce n’est rien de plus qu’un système de stockage accessible du réseau. Vous en avez peut-être un chez vous, sur votre votre box d’accès à internet ou votre box télé. Qui se soucie de savoir si son Nas est sécurisé ? Et s’il ne l’est pas, ce qui est fréquent, tout ce qui y est stocké est alors accessible au monde entier : musique, films, photos de vacances ou fichiers confidentiels de son employeur ! Et ces fichiers risquent fort de se retrouver en vente sur le Dark Web… et d’être utilisés, par la suite, à des fins criminelles.

© Marie Jung
© Marie Jung

Analyser de gigantesque volume de données

Cybelangel se définit comme une startup spécialisée dans « la recherche d’information contextualisée ». Ses clusters de machines surveillent le Web en permanence pour ses clients qui fournissent le « contexte », définissant ainsi ce que les machines doivent chercher. Les machines surveillent (scannent en permanence), des sites qui disparaissent souvent (fermés par des autorités) pour renaitre immédiatement ailleurs. Cybelangel doit scanner très vite et récupérer des tonnes de données, tout ceci sans trop se faire repérer – les sites malveillants aiment encore moins que les autres être fouillés. Une fois que ces données ont été obtenues, il faut les analyser ! Nous sommes dans la fouille de très gros volumes de données (du big data). Une aiguille dans une botte de foin. Il faut croiser ces données avec les données, peut-être confidentielles, fournies par les clients. Une des techniques évidemment à l’honneur est l’apprentissage automatique (machine learning) pour pouvoir réaliser des analyses statistiques sur de tels volumes de données.

Lors de l’interview, nous n’obtiendrons aucun chiffre : ni sur le nombre de sites, ni sur le nombre de machines, ni sur la quantité de données stockée par Cybelangel. Nous n’obtiendrons pas de réponse sur le nom des clients, seulement que ce sont souvent des entreprises du CAC40. Nous n’espérions pas vraiment obtenir de réponses à ces questions. Dans ce business, le secret est nécessaire.

Quand on visite Cybelangel, on peut rencontrer des scientifiques, des techniciens à la pointe des avancées en informatique en termes de sécurité et de cryptographie. On peut vous présenter des cryptanalystes qui font tourner leurs algorithmes sur les masses de données à leur disposition, cherchant à y découvrir non pas l’information populaire, la dernière tendance du Web, mais quelques octets au fond d’un disque qui représentent une menace potentielle pour un client.

© Cybelangel
© Cybelangel

Une menace de plus en plus étendue

On ne ressort pas indemne d’une rencontre avec Cybelangel. Les PME qui n’ont pas les moyens de se protéger en se payant un spécialiste de sécurité, ou en devenant clients de boîte comme Cybelangel, sont-elles des proies faciles ? Et nous ? Sommes-nous suffisamment petits pour ne pas intéresser des pirates ?

Le monde hyper-connecté avec notamment l’internet des objets étend sans cesse le champ des possibilités malveillantes. Il est maintenant possible, à distance, de prendre le contrôle d’une usine, éteindre un réseau de distribution d’électricité intelligent (smart grid) ou détourner un tanker. On trouve toutes sortes d’attaquants (voir figure) : ceux qui se battent contre la chasse au dauphin, les associations criminelles qui font chanter de grandes entreprises, les groupes religieux qui transposent le terrorisme sur Internet, mais aussi des gouvernements qui cherchent de nouvelles dimensions à leurs combats.

Faut-il devenir parano ? Nous préférons croire que la société va apprendre à nous protéger. Reste à savoir si nous pouvons l’espérer.

Serge Abiteboul, Marie Jung

 © Marie Jung
© Marie Jung

 

Glossaire (à partir de Wikipédia)

  • Hacker, spécialiste de la sécurité informatique, personne qui aime comprendre le fonctionnement interne d’un système, en particulier des ordinateurs et réseaux informatiques.
  • Cracker, un pirate informatique spécialisé dans le cassage des protections de sécurité.
  • Un white hat (en français : « chapeau blanc ») est un hacker éthique ou un expert en sécurité informatique qui réalise par exemple des tests d’intrusion et d’autres méthodes de test afin de détecter des failles dans la sécurité des systèmes d’information d’une organisation. Par définition, les « white hats » avertissent les organisations menacées lors de la découverte de vulnérabilités. Ils s’opposent aux black hats, qui sont des hackers mal intentionnés.
  • L’hacktivisme est une utilisation subversive des ordinateurs et des réseaux d’ordinateurs dans un but politique.
  • Le Web profond, en anglais deep Web, est la partie de la Toile accessible en ligne, mais non indexée par des moteurs de recherche classiques.

(*) L’article publié incluait une typo ; il parlait d’URL au lieu d’adresse IP. Merci aux lecteurs qui l’ont détectée.

Opération (R)Enseignement

Comme nombre d’entre nous, OpenClassrooms a assisté au vote de la loi sur le renseignement cette semaine à l’Assemblée. Donnons leur la parole ici, reprenant leur texte car ils ont une explication à partager et … une vraie solution à nous proposer. Serge Abiteboul et toute l’équipe de Binaire.

Opération (R)EnseignementElle a été largement critiquée dans la presse étrangère et comparée au Patriot Act post-11 septembre des États-Unis. Ce même Patriot Act dont les Américains souhaiteraient aujourd’hui sortir.

Au-delà de la loi elle-même, deux points ont particulièrement retenu notre attention :

  • les députés ne maîtrisent pas suffisamment les impacts technologiques de cette loi et ses répercussions sur l’écosystème numérique
  • les citoyens ne perçoivent pas les enjeux de cette loi

les gens ne comprennent pas ce que cette loi implique

Ces deux sujets ont un point commun : les gens ne comprennent pas ce que cette loi implique. « Pourquoi devrais-je m’en préoccuper ? », « En quoi est-ce que ça me concerne ? », « Quelles peuvent en être les dérives ? »

Lorsque tant de personnes ne comprennent pas, cela renvoie à la mission de rendre la connaissance accessible à tous, et pas seulement à une élite. Parce que nous croyons fermement que l’éducation est le plus fort levier pour améliorer notre niveau de vie à tous. La solution existe : elle passe par plus de partage, plus de transmission des savoirs. À commencer par celui qui vient d’être le plus violemment attaqué : la protection de notre vie privée.

Pour tout savoir sur la proposition éducative d’Openclassrooms c’est par ICI.

Écouter pour voir un objet vibrer

Pixees nous propose en partage:

ecouter-pour-voirComment visualiser les déformations microscopiques d’un objet en vibration ? Les techniques actuelles sont souvent complexes et coûteuses.

Rien de tel qu’un dessin animé pour mieux comprendre les travaux de chercheurs du projet ECHANGE ; ils ont croisé leurs compétences en acoustique, mathématique et informatique pour trouver une nouvelle méthode peu coûteuse et plus rapide : l’holographie acoustique compressée. On écoute le son produit par l’objet pour mieux le voir vibrer…

une production d’Inria.

durée : 7 min 25

date de production : 2014

Wandercraft et son exosquelette

Faire marcher les paraplégiques sans béquille, sans implants, sans joystick. C’est ce que cherche à réaliser la startup Wandercraft avec son exosquelette. Créée en 2012, Wandercraft emploie 14 personnes essentiellement des ingénieurs et des docteurs. Marie Jung a rencontré pour nous Alexandra Rehbinder, responsable développement de la startup.

Un seul impératif pour utiliser cet exosquelette : avoir conservé l’usage de son buste. C’est l’inclinaison du buste vers l’avant ou sur le côté qui indique s’il faut se mettre en marche ou bien tourner. L’un des avantages du dispositif est de laisser totalement libre les bras de celui qui le porte. Utile pour se déplacer avec un objet à la main, ouvrir une porte ou se tenir à une rambarde.

Des algorithmes pour stabiliser la marche

Concrètement, l’exosquelette ressemble un peu à un robot qui marche… avec une personne à l’intérieur. L’équipe de Wandercraft a d’ailleurs commencé par travailler sur un robot bipède pour simuler la marche (voir la vidéo ci-dessous). L’exosquelette intègre en plus les contraintes de la personne qui le porte pour le stabiliser. Quand il détecte un déséquilibre causé par des mouvements du buste, il le compense par des pas. Autrement dit, avancer évite de tomber, ce que l’on expérimente régulièrement quand on perd l’équilibre. La trajectoire idéale est modélisée, et la personne est stabilisée en rapprochant les pas le plus possible de cette trajectoire.

https://www.youtube.com/watch?v=-7U7NdyPXes&feature=youtu.be

De base, l’exosquelette embarque un ensemble de fonctions basiques comme marcher, changer de direction ou monter un perron. Il est ensuite possible d’étendre ses fonctionnalités avec des algorithmes supplémentaires. La startup pourra ainsi faire bénéficier aux patients des derniers algorithmes développés. La première version ne fonctionnera par exemple que sur un sol plat et la vitesse se réglera une fois pour toute avant de commencer à avancer. Les versions suivantes permettront de marcher plus ou moins vite selon l’angle d’inclinaison du buste du marcheur. Un boîtier sera nécessaire uniquement pour préciser si on part d’une position assise et qu’il faut d’abord se lever.

Le dispositif  n’a pas encore été testé sur des patients. Le prototype est encore en cours de fabrication (voir la vidéo ci-dessous pour une présentation d’un premier prototype)  et les premiers essais cliniques interviendront mi-2016. La première version de l’exosquelette de jambe sera destinée aux centres de soin, réglable pour s’adapter à chaque personne. D’autres versions viendront ensuite pour les particuliers.

La concurrence

Certains exosquelettes sont destinés à améliorer les performances physiques de ceux qui les portent, pour porter des charges plus lourdes notamment. D’autres cherchent à palier un handicap, les pistes technologiques suivies sont alors nombreuses.

D’abord, il y a ceux qui utilisent l’information du cerveau. Mais ces exosquelettes neuronaux nécessitent un apprentissage pour savoir quelle zone du cerveau activer. Pour Wandercraft, cette approche en est encore à un stade trop précoce pour être utilisée.

Ensuite, les exosquelettes avec des béquilles. L’handicapé avance sans qu’il n’y ait jamais de stabilisation. Toujours selon Wandercraft, l’inconvénient est que cela nécessite beaucoup d’effort dans les bras, ce que tout le monde ne peut pas faire. Et l’autonomie gagnée par rapport à un fauteuil roulant est discutable puisque l’on perd l’usage de ses mains tout en avançant plus lentement.

Enfin, certains exosquelettes utilisent des joysticks pour guider la marche. Là encore, l’analyse de Wandercraft est négative : cela nécessite pas mal de puissance moteur et, au final, la marche résultante est trop lente pour traverser une rue.


https://player.vimeo.com/video/125367459

Plus d’autonomie pour les personnes paraplégiques

Le but de Wandercraft est d’apporter le plus d’autonomie possible à ses utilisateurs. La startup compte proposer un exosquelette à un prix abordable (entre 30 000 et 50 000 euros visés) et avec une batterie de trois heures d’autonomie, ce qui correspond à une journée moyenne de marche d’une personne. Cela n’est possible qu’en s’appuyant sur les progrès techniques les plus récents.

https://www.youtube.com/watch?v=wBlwmc78was&feature=youtu.be

Après une levée de fonds de 700 000 euros en juin 2013, Wandercraft vient de lancer une campagne de crowdfunding sur la plateforme Anaxago pour récupérer 1,5 millions d’euros. Il vous reste trois semaines pour investir dans le projet.

Marie Jung