Les blagues sur l’informatique #11 : parallélisme et maternité

Après une longue pause, voici le retour des blagues (et de leurs explications, bien sûr !).
Une blague d’informaticiens que vous ne comprenez pas ? Un Tee-shirt de geek qui n’a aucun sens pour vous ? Binaire vous explique l’humour des informaticien(ne)s!

Neufs femmes ne peuvent pas faire un bébé en un mois.

Cette citation attribuée à Fred Brooks montre la limite du parallélisme : si neuf femmes en travaillant pendant un mois chacune peuvent produire, par exemple, neuf mois de travaux scientifiques, et bien pour faire un bébé … difficile de paralléliser !

En informatique aussi, le parallélisme consiste à utiliser plusieurs ordinateurs à la fois pour effectuer une tâche. Ce domaine de recherche permet d’accélérer significativement de nombreux programmes en se servant par exemple des cœurs d’un même ordinateur ou d’une grille de calcul de 5000 processeurs répartis dans des ordinateurs connectés par Internet.

Parmi les grandes réalisations, le projet scientifique national GRID 5000 a pour objectif de ne faire qu’une seule machine avec 5000 processeurs mis en réseau sur 10 sites en France.

Machine GRID 5000
Machine GRID 5000
© Inria / Photo C. Lebedinsky

Mais on sait aussi que tout ne se parallélise pas : certains algorithmes sont tels que les calculs dépendent obligatoirement des calculs précédents, donc il faut attendre ces derniers et paralléliser ne sert à rien. On peut  essayer de changer d’algorithme, quitte à calculer plus (pour aller plus vite), mais ce n’est pas toujours possible.

Vous voulez en savoir plus ? L’article de votre boulangerie à un système d’exploitation multiprocesseur, et ce document sur la gestion de la mémoire qui devient le goulot d’étranglement, bien plus que la puissance des machines vous aideront à aller plus loin que cette blague d’informaticien.

Sylvie Boldo.

Choisis ton camp camarade !

Mozilla, c’est un petit coin de liberté dans l’océan commercial numérique. Mais il ne faut pas se tromper : de tels havres sont indispensables pour éviter que l’écosystème ne dérive. À l’occasion de l’anniversaire de Mozilla, Binaire donne la parole à Tristan Nitot.

nitot-rayclid-binaire@rayclid

Tristan nous explique pourquoi, avec les téléphones intelligents, nous sommes en train de revivre la guerre des Operating Systems et pourquoi il va falloir choisir son camp. Binaire a choisi, le camp de Tristan, celui de Mozilla…

Joyeux anniversaire Mozilla !

annivGâteau d’anniversaire Firefox

Il y a quelques jours, Mozilla fêtait les 10 ans de son logiciel Firefox, et un ami me demandait si développer un navigateur Web était toujours un problème d’actualité. Après tout, expliquait-il, le futur de l’informatique se joue sur les smartphones et leurs applications, pas sur les PC ni sur le Web, une technologie qui vient de fêter ses 25 ans. La vraie question aujourd’hui, est de savoir s’il faut un iPhone de chez Apple ou un Android de chez Google, souvent fabriqué par la marque Samsung.

 tnTristan Nitot © Christophe Rabinovivi – photographe@rabinovici.fr

C’est alors que j’ai réalisé à quel point l’histoire à tendance à se répéter, dans le domaine de l’informatique comme ailleurs… En effet, dans les années 1980, l’utilisateur  d’ordinateur personnel (le fameux PC) se posait la question d’acheter une machine Windows ou un Mac. De même, les informaticiens se demandaient s’il fallait écrire des logiciels pour Windows ou pour Mac, car bien entendu, ces deux systèmes étaient incompatibles entre eux.

Dans les années 1990, avec l’arrivée des services en ligne comme AOL ou Compuserve, on se demandait aussi lequel il fallait choisir. Ils étaient bien entendu incompatibles entre eux.

Et puis à la fin des années 1990, une invention étrange appelée « Web » a changé toute la donne : peu importait Mac ou Windows, car si on avait un navigateur Web, on avait accès au Web. Le Web était dès le début « multi-plateforme », c’est à dire qu’il était prévu pour fonctionner sur tous les types d’ordinateurs. C’est même un de ses principes fondateurs. Son inventeur, Tim Berners-Lee était chercheur au CERN à Genève, et a inventé le Web pour que ses confrères scientifiques puissent partager des documents en s’affranchissant des incompatibilités entre ordinateurs.

Le Web eu un effet comparable pour les services en ligne : pourquoi se limiter à un service ou à un autre, puisque le Web était universel ? Du coup, les services en ligne se sont vites transformés en fournisseurs d’accès à Internet (et donc au Web).

Aujourd’hui, on accède aux grands services comme Facebook ou Google via un navigateur Web. Peu importe votre fournisseur d’accès à Internet ou la marque de votre PC (Mac ou Windows) ou le nom de votre navigateur Web : les développeurs écrivent des applications Web qui tournent sur tous les ordinateurs équipés d’un navigateur Web ; autrement dit, tous les ordinateurs.

Pourtant, en 2014, on voudrait nous faire croire que pour ces petits ordinateurs tactiles qui tiennent dans la poche et qu’on appelle « smartphones », le problème est différent : il va falloir choisir son camp.

Ne nous laissons pas succomber aux sirènes du marketing. Le Web a évolué ces dernières années, et il est capable de faire tourner des applications mobiles, des « apps », tout aussi performantes que des applications dites natives, c’est à dire spécifiques à un genre de téléphone.

On aimerait nous faire croire le contraire, car cela pousse les consommateurs à une fidélité forcée au fabricant de leur smartphone : une fois qu’on a acheté pour des dizaines ou des centaines d’euros d’applications, et qu’on y a stocké toutes ses données personnelles, le coût de changer de système devient très élevé. Ah! Voilà un problème qu’on n’avait pas anticipé en entrant dans la boutique de téléphonie mobile et en choisissant le smartphone sur des critères souvent esthétiques ou par recommandation de proches. On pensait se faire plaisir avec une décision anodine, et nous voilà coincé, marié presque, à une marque de smartphone !

C’est là qu’il faut avoir en mémoire les leçons de l’histoire de l’informatique… Si on n’utilise que des applications Web, il est alors facile d’utiliser ces applications sur tous types de smartphones et même d’ordinateurs, et nos données suivront.

Tout le monde a intérêt à ce que le Web devienne l’outil de référence sur smartphone comme il l’est sur PC. Tout le monde, sauf les 2 ou 3 grosses sociétés américaines qui fabriquent des smartphones, trop contentes de coincer — pardon, de fidéliser — malgré eux des centaines de millions de clients.

Il existe déjà un système pour smartphone qui fonctionne sur les principes du Web, il s’agit de Firefox OS. Il est pour l’instant destiné aux smartphones d’entrée de gamme car il est encore jeune, mais il monte progressivement en gamme. Malgré sa jeunesse, il pourrait bien être l’avenir du smartphone, et ceux qui ont compris les leçons de l’histoire de l’informatique le comprendront avant les autres.

Tristan Nitot, fondateur de Mozilla Europe,
« Principal Mozilla Evangelist », membre du Cnnum, @nitot

5566851825_975635bdf9_bTristan sur sa Royal Enfield Bullet 500 EFI Classic
Auteur : Fab. krohorl.free.fr/

 

Interstices fait peau neuve !

Vous ne connaissez pas )i(nterstices ? C’est une revue de culture scientifique en ligne, qui vient d’avoir 10 ans ! Vous trouverez des podcasts, des jeux, des idées reçues et des articles de tous niveaux sur les sciences du numérique. Bref, des ressources pour les scolaires et pour les autres, écrites par des chercheurs pour vous !

Vous connaissez )i(nterstices ? Eh bien, il faut y retourner car le site d’interstices vient de changer ! Pour ses 10 ans, le nouveau site est plus moderne et fait la part belle aux témoignages des lecteurs. Et en plus, les super contenus sont toujours là !

Logo Interstices

Mes préférés ? L’abécédaire et les podcasts. Et puis les jeux et les animations, et puis la nouvelle rubrique L’informatique – ou presque – dans les films, et puis…

Bref, interstices nouveau est arrivé. Binaire salue sa re-naissance en lui souhaitant autant de succès pour les 10 prochaines années !

Sylvie Boldo

Pixees, le monde numérique à portée de clic

Vous en avez marre qu’on vous rabâche les oreilles avec des notions d’informatique ou de numérique, que l’on vous dise « Ah oui, mais c’est hyper important pour le monde d’aujourd’hui », alors que vous ne comprenez même pas pourquoi ? Et bien voici un moyen efficace et intéressant de comprendre ces notions.

pixees-4Pixees, un site Inria, de la SIF (Société Informatique de France) et de Pasc@line (Association des Professionnels du Numérique) avec plus d’une vingtaine de partenaires, dédié à la médiation scientifique…

Pixees, une solution pour décoder le monde du numérique

La médiation… ?! D’accord ! On part déjà trop loin ? Et bien disons simplement que ce site regroupe toute sorte de supports pour nous initier aux notions d’algorithmes, à la représentation de l’information, à l’histoire de l’informatique, etc. C’est à travers des conférences, des vidéos, des interviews, des documentaires, des jeux, et on en passe, que nous pouvons nous documenter, et même apprendre à apprendre aux autres.

pixees-2En effet ce site a été réalisé pour toute personne du niveau le plus sobre au plus élevé. Que nous soyons parent, élève ou étudiant, professeur, ou bien simplement curieux, ce site est fait pour nous. Des méthodes sont là pour vous accompagner pas à pas, par exemple pour expliquer à l’enfant comment utiliser et s’approprier ces machines omniprésentes au quotidien dans notre société : ordinateur, tablette ou smartphone… et au-delà de l’usage,apprendre également à créer grâce à elles.

Peur de ne pas être à la hauteur ? De ne pas comprendre les articles ? Pas d’inquiétude, ils sont indexés et de multiples définitions sont là pour nous secourir en cas de problème.

Spécial profs : profitez de la culture numérique en live.

Cela tombe à pic, au moment où l’enseignement des fondements du numérique entre au collège et en primaire (on parle parfois de « codage », mais au delà de l’apprentissage de la programmation, il y a la construction d’une culture scientifique indispensable à la maîtrise du numérique).

pixees-3Selon le lieu où on se trouve en France, il y a la possibilité de faire venir dans son établissement une ou un chercheur. Pixees propose différents types d’interventions, telles que des animations et/ou des conférences, consultables sur le site et répertoriées géographiquement sur la carte de France de tous les partenaires du projet.

Vous préférez un contact direct de visu ? Cela tombe bien, car notre bureau en ligne est ouvert à partir du 8 septembre les mercredis et jeudis de 14h00 à 17h00. Vous n’aurez ensuite plus qu’à lancer la connexion en cliquant sur l’image affichée. Nous contacter par mail, téléphone, Twitter ou en remplissant un formulaire numérique est aussi possible.

Le partage et la co-construction avant tout

Pixees n’est évidemment pas réservé qu’aux enseignants, animateurs d’activité extra-scolaire ou parents. Le bureau en ligne est destiné à tous les futurs et bienvenus inconditionnels du site qui souhaiteront participer à cette aventure.

En plus, Pixees peut vous répondre en anglais, espagnol, italien, allemand et en d’autres langues, grâce à notre bureau en ligne international. Certaines ressources sont mêmes déjà traduites.

Pixees ou le mouvement perpétuel

pixees-1Ça y est, mordu de Pixees ? N’oubliez alors pas de suivre son actualité et ses évolutions de publications et d’interventions, soit sur le site la page « Nos chantiers en cours ». N’hésitez surtout pas à faire part de vos idées et remarques, afin que ce site évolue selon vos besoins.

Un dernier argument pour vous montrer que ce site est celui de toutes et tous ? L’une de nous est une jeune prof de langues, l’autre une étudiante en communication. Aider à construire et nourrir Pixees a été notre job d’été. On en a profité pour découvrir plein de choses bien utiles dans notre vie quotidienne, dans le monde numérique. Et aussi des choses «inutiles» mais passionnantes pour avoir une meilleure vision de cet univers-là.

Alice Viéville et Juliette Calvi

Un algorithme : EdgeRank de Facebook

On n’arrête pas de vous dire que les algorithmes ont de plus en plus d’importance dans votre vie quotidienne. Vous êtes capable de comprendre comment Philae a fait pour atterrir sur la comète «Tchouri», mais vous ne seriez pas capable de comprendre comment ils fonctionnent ? Allons donc ! Binaire a demandé à un ami, Rachid Guerraoui, professeur à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne, de nous expliquer l’algorithme EdgeRank qui d’une certaine façon participe à votre vie sociale. N’hésitez pas à demander à Binaire des explications sur d’autres algorithmes.

En préambule, si vous n’êtes pas familier de Facebook, ce réseau social qui est aussi le deuxième site web le plus visité au monde (après Google), nous vous conseillons d’aller lire la page de wikipedia qui l’explique en détail ou d’aller prendre 10 minutes pour consulter cette vidéo.

edgerank-binaire-rayclid© Ray Clid

Si vous êtes adepte du réseau social Facebook, vous aurez sans doute remarqué que toutes les activités concernant vos « amis » n’apparaissent pas dans votre fil d’actualité. Mais comment Facebook fait-il le tri? Pourquoi Facebook decide t-il d’afficher telle actualité plutôt que telle autre ? Ces décisions sont prises par un algorithme,  un parmi ceux qui régissent notre vie quotidienne aujourd’hui.

Cet algorithme s’appelle EdgeRank. Le principe de cet algorithme n’est pas sorcier. Si on omet certains détails, en particulier de mise en oeuvre et d’optimisation, on peut l’expliquer de manière assez simple.

Avant de décrire son fonctionnement néanmoins, quelques éléments de contexte.

A la base, Facebook avait pour objectif de connecter les étudiants de l’Université de Harvard. Aujourd’hui, Facebook connecte près d’un milliard d’utilisateurs. Facebook permet à chacun de partager en temps réel toutes sortes d’informations avec ses “amis”: des notes décrivant ses états d’âme ou ses activités quotidiennes, des photos, de la musique, des recommandations pour des livres, des liens vers des articles de journaux, etc.

En gros, chaque utilisateur possède deux espaces: un espace qu’il utilise pour décrire les informations qu’il souhaite partager, ses posts, et un espace dans lequel il voit défiler les posts partagés par ses amis.  Ce second espace est parfois appelé fil d’actualité.    L’algorithme EdgeRank fait une sélection radicale parmi tous les posts des amis d’un utilisateur Bob pour en afficher en moyenne 10% sur le fil d’actualité de Bob. D’une part EdgeRank fait cela pour ne pas inonder Bob d’informations qui disparaîtraient en une fraction de seconde à cause de leur trop grand nombre.  D’autre part EdgeRank filtre les informations afin que Bob trouve son fil d’actualité suffisamment intéressant pour rester connecté et être actif à son tour.  Plus il y a de personnes connectées et plus Facebook peut monnayer son support publicitaire. edgePour chaque utilisateur Bob, EdgeRank  détermine le score des posts partagés par les amis de Bob : plus le score d’un post p est élevé et plus B devrait trouver p intéressant.  EdgeRank affiche les posts dont les scores pour Bob sont les plus élevés.

En première approximation, le score pour un utilisateur Bob, d’un post p émis par une utilisatrice Alice, correspond au produit de trois variables:  a * t * f.

  • La variable a désigne l’affinité d’Alice par rapport à Bob. Plus Bob  à l’habitude d’aimer ou de commenter des informations postées par Alice, voire d’envoyer des messages à Alice, et plus a sera grand.
  •  La variable t représente le poids du post. Une longue note, une photo ou une vidéo ont plus de poids qu’un petit commentaire par exemple.
  • La variable f représente la fraîcheur du poste: plus un post est ancien, plus diminue. Donc la priorité est donnée aux posts les plus récents.

Il est important de remarquer ici que la notion de score est relative. Le score d’un post p posté par Alice peut être différent pour deux amis d’Alice, Bob et Jack. Cela peut s’expliquer par le fait que Bob soit un admirateur d’Alice mais pas Jack. Par ailleurs, la  notion d’affinité, sous-jacente au calcul d’un score, est asymétrique. Le fait que Bob  soit un admirateur d’Alice n’implique pas l’inverse. Ainsi, il se peut que les posts d’Alice soient systématiquement affichés sur le fil d’actualité de Bob et jamais l’inverse.

En fait, EdgeRank ne fait pas simplement un produit, mais une somme de produits.  A chaque post p est associé un ensemble de liens. Le premier lien est celui de la création de p: il est généré par l’utilisateur Alice qui a partagé p.  A chaque fois qu’un autre ami Jack d’Alice souligne qu’il aime p ou le commente, un nouveau lien est généré par Jack : toujours concernant le post p. Si Jack est aussi un ami de Bob, il y a des chances que le lien qu’il vient de créer augmente le score du post p et le fasse apparaître sur le fil d’actualité de Bob.

Plus un post p est “liké” ou commenté par des amis de Bob et plus p a de chances d’apparaitre sur le fil d’actualités de Bob. Cela explique parfois pourquoi on voit apparaître un « vieux » post sur son fil d’actualité.

Chacun des liens sur p a donc un score qui correspond à un produit de variables a * t * f. Le score de p est la somme des scores des liens.

Le nom de l’algorithme, EdgeRank, souligne le fait qu’il ordonne en fait des liens (vers des posts).

(*) Pour en savoir plus une vidéo wandida

 

Comment semer quelques graines de sciences

Graines de sciences est une Université d’automne pour les professeurs des écoles, organisée par la fondation « La main à la pâte ». On y  propose aux enseignants une formation sur des sujets scientifiques avec des ateliers qui les font participer de manière active. Depuis deux ans, cette formation inclut des ateliers sur les sciences du numérique, que l’éducation nationale aura à intégrer rapidement dans la formation des professeurs des écoles. Deux collègues du monde de la recherche en informatique témoignent.

Les enseignants ont partagé leur expérience et les liens qu’ils peuvent tisser, entre ces grains de science et les enseignements qu’ils donnent déjà. Ils ont montrés comment ils peuvent adapter les contenus scientifiques qu’on leur propose pour les transmettre dans leurs classes. Bref, ils ont déjà ouvert la porte aux sciences du numérique dans leurs classes, mais parfois sans vraiment le savoir ! Petit retour sur ces liens qui ne demandent qu’à voir le jour…
On parle ici de trois ateliers. Un atelier de robotique, un atelier d’informatique avec entre autres des activités débranchées et un atelier Scratch. Pour ce dernier, allons lire les retours de plus en plus nombreux que l’on peut trouver sur jecode.org (hélas encore trop limité à quelques enfants, puisque cantonné au domaine extra-scolaire). Ce billet va témoigner des ateliers « robotique » et « informatique ».

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Les enseignants, inspirés, proposent des messages autour de nos contenus

Chaque atelier dure environ trois heures et concerne un groupe de dix enseignants. Le rôle des acteurs du monde de la recherche ? Faire de notre mieux pour leur expliquer nos sciences et discuter avec eux de ce qu’ils peuvent en retirer pour leurs classes. La limite ? Nous ne sommes pas en mesure de leur expliquer comment enseigner et comment faire passer des messages scientifiques dans les classes. Ce sont les enseignants les experts à ce niveau. Et cette démarche participative fait de Graines de sciences un enchantement.

Les ateliers commencent par un tour de table, histoire de voir les attentes ou les appréhensions sur nos sciences et ce qui va se dérouler pendant l’atelier. Dans la majorité des cas, avec un peu d’inquiétude, la réponse est « Je suis curieux de voir comment on pourra expliquer le numérique aux élèves avec le contenu de cet atelier ». Mais vous verrez, une fois les ateliers faits : ils adorent et en redemandent. Le plus dur est donc de les amener à faire le premier pas.

Pourtant ils ont conscience de l’ampleur que prend le numérique dans la vie des élèves et de la façon dont les enseignants peuvent les accompagner, pour que chacune et chacun ait les mêmes chances. Eh oui, ils en témoignent « Je les vois se servir de plus en plus de téléphones, ordis, tablettes, etc. mais ils sont utilisateurs et consommateurs… peut-on les aider à être acteurs et producteurs ? ». Gageons que, sans aller jusqu’à en faire des « acteurs ou producteurs », on pourra aider les enseignants à faire que les élèves deviennent des utilisateurs éclairés. Ce sera déjà pas mal. Enfin, une attente plus rare concerne la vie privée face à cette manipulation quotidienne et presque continue, sans réserve et sans précaution, d’outils qui les exposent publiquement.

Dans ces ateliers, nous avons souvent demandé aux enseignants de jouer le rôle des élèves, histoire de reprendre des activités que nous connaissons et les appliquer directement avec eux. C’est une façon aussi de leur demander leur avis sur la façon de faire passer tel ou tel message. Nos contenus ont de nombreuses sources comme dessine moi un robot ou inirobot, la mallette « Sciences manuelles du numérique » initiée par Martin Quinson, l’ouvrage « Computer Science Unplugged » traduit en Français grâce à interstices, ou encore le site pixees qui contient une foule de ressources pour expliquer les sciences du numérique.

Ah oui ! Nous vous avons promis de montrer des liens entre ces contenus et ce que les enseignants font déjà dans les classes. Alors allons-y !

Les Thymio sauront-ils s’orienter dans ce labyrinthe ?

Prenons l’exemple de la robotique avec le jeu du robot idiot. Ce petit exercice est très amusant et carrément facile à mettre en place avec un groupe d’enfants (de tous âges 🙂 ). Il s’agit de donner des instructions à un robot joué par l’animateur ou un autre enfant, et ce dernier va bien sûr oublier toute forme d’intelligence ou d’intuition pour appliquer scrupuleusement la liste d’instructions. Cette liste doit permettre d’atteindre un objectif (par exemple « sortir de la pièce ») et sera réduite à 3 instructions possibles comme « avance de X pas », « tourne d’un quart de tour à droite » et « tourne d’un quart de tour à gauche ». Cette activité, permet aussi de détendre un peu l’ambiance vu les « gamelles » que se prend le robot-animateur. Et cela montre combien on doit être précis dans ses instructions parce qu’il ne faut pas compter sur la machine pour être intelligente à la place de celui qui la programme. Nous voilà entrain de montrer le lien avec les sciences du numérique et là… Paf ! Une participante nous dit « Mais attends… moi je fais déjà un truc similaire avec ‘la carte au trésor’ ! ». Elle nous explique donc qu’il s’agit de découper un espace selon une grille, de fixer un point de départ et un objectif (le trésor) sur la grille et de trouver la séquence d’instructions qui permet d’atteindre le trésor. Tiens… un premier lien vient tranquillement de se tisser… et très facilement avec ça. A partir de là, cette enseignante sait qu’elle pourra parler d’algorithme au sens d’un enchaînement d’instructions qui permet d’atteindre un objectif. Mais elle peut aller encore plus loin sans difficulté. Par exemple, il lui est possible de modifier volontairement une instruction dans la liste… Ses élèves verront alors le résultat totalement faux sur le déplacement, et elle pourra expliquer qu’il y a un bug, avec plus ou moins de détails et d’explications, selon le niveau de la classe, et l’objectif pédagogique du moment.

Le réglage des couleurs du Thymio

Puisqu’on parle de robots, profitons-en pour voir quelques liens, avec la programmation de Thymio II qui faisait partie de l’atelier « robotique ». En voyant les possibilités de réglages du Thymio, comme par exemple la couleur de ses Leds, certains participants ont immédiatement réagi avec bonheur en disant que c’était un support idéal pour illustrer la palette et le mélange des couleurs. Et cette réaction se retrouve également quand il s’agit de faire jouer quelques notes à notre petit robot ludo-éducatif.

Magic Makers et les machines de Rube Goldberg

Puisque ces Thymio sont équipés de capteurs, les participants ont vu un lien très prometteur avec une activité qui se pratique souvent en classe. Ils ont suggéré que ces robots seraient de parfaits maillons dans la chaîne d’une machine de Rube Goldberg. Ces machines délirantes mettent en pratique la notion de réaction en chaîne et permettent d’étudier les transformations et transmissions de mouvements sur des séquences plus ou moins longues. D’après nos participants, il serait donc très intéressant d’ajouter un Thymio dans la séquence, avec une programmation adéquate de ses capteurs pour qu’il joue son rôle et permette à la séquence de continuer. D’ailleurs, cette idée des machines de Rube Goldberg est déjà employée par Magic Makers dans ses ateliers en famille grâce à des robots Légo équipés de capteurs.

À leur grande surprise, les enseignants ont également vu des liens assez frappants entre ce qu’ils font déjà en classe et les contenus de l’atelier « informatique ». Il faut dire que le titre de l’atelier était « Informatique, algorithmique et cryptographie ». De quoi mettre la trouille à tout le monde ! En fin de compte, c’est plutôt une bonne chose. À leur entrée dans l’atelier, dans les yeux de certains participants, on pouvait voir la définition du mot « dubitatif ». Mais doucement, au bout de quelques minutes, quand l’algorithmique s’est faite avec 16 jetons, la correction d’erreur avec des cartes et un tour de magie, ou bien la cryptographie avec des boites en carton et des petits cadenas… l’’appropriation à des fins pédagogiques est devenue une évidence.

Atelier titré ‘Informatique, algorithmique et cryptographie’ plus de peur que de mal en fin de compte..

Cet atelier s’est tenu sous la forme d’une histoire… l’histoire de quelques uns des personnages qui ont contribué à nos sciences du numérique. Et cette histoire était régulièrement ponctuée d’activités débranchées, permettant de garder un rythme animé et de faire participer les enseignants de manière active. Voilà déjà un premier lien avec ce qui est enseigné par les participants puisqu’il s’agit d’un angle différent sur la façon d’aborder les cours d’histoire. Beaucoup sont repartis avec la ferme intention d’en savoir plus sur la vie de tel ou tel personnage. D’ailleurs, il nous semble que c’est Ada Lovelace qui a eu le plus de succès dans ce domaine.

Les sciences du numérique : du raisonnement avant tout !

Le jeu de Nim était la première activité de cet atelier. Très rapidement les participants ont pu faire le lien qui nous paraît le plus important avec leurs enseignements : « les sciences du numérique c’est du raisonnement ». Du raisonnement dans la mesure où il s’agit, par exemple, d’établir une stratégie gagnante pour un jeu (et on peut transposer facilement « stratégie gagnante pour un jeu » en « algorithme »). Mais aussi parce qu’il s’agit de bien étudier les conditions d’un problème avant de lui proposer une solution (« est-ce que je peux gagner si je commence ? » ou bien « est-ce que je peux gagner si le nombre de jetons au départ n’est pas un multiple de 4 ? »). Cet apprentissage et l’angle apporté par les sciences du numérique est donc capital non seulement en tant que matière, mais devrait aussi trouver son reflet dans la mise au point du programme et dans tous les domaines enseignés à l’école.

Le nombre cible : de l’algorithmique sans le savoir.

Après le jeu de Nim, et pour approfondir un peu la question des algorithmes, nous avons joué à trouver nos prénoms dans une liste. Une longue liste, contenant 105 prénoms, est affichée à l’écran pendant 3 secondes. Elle n’est pas triée. Après 3 secondes d’affichage, presque aucun participant ne sait dire si son prénom est dans la liste ou pas… Puis la même liste est affichée, mais triée cette fois, toujours pendant 3 secondes. Et là, par contre, presque tous les participants sont capables de dire si leur prénom est dans la liste ou pas. Ce petit jeu permet d’introduire l’algorithme de la dichotomie. On leur affiche ensuite une liste réduite dans laquelle on cherche un prénom pour illustrer le fait qu’à la première itération on enlève la moitié des données, ce qui simplifie le problème, puis on enlève encore la moitié de la moitié à la deuxième itération, puis… ainsi de suite. Et là… re-Paf ! Un participant nous dit « Mais attends, je viens de comprendre comment je devrais parler du nombre cible et de la file numérique avec mes élèves ! ». Euh… le nombre quoi, tu dis ? ? Nous demandons alors quelques détails et il nous explique le principe de ce jeu qui consiste à trouver un nombre entre 1 et 100, inscrit derrière le tableau. Bien sûr, sans stratégie, ça prend des heures. Alors on change le problème et il faut maintenant choisir un nombre X et poser la question « plus grand ou plus petit que X ? », ce qui renseigne le joueur et l’oriente dans sa recherche du nombre cible. Et là ça marche mieux mais c’est encore hésitant. On explique aux élèves qu’en prenant X au milieu de ce qui reste à explorer à chaque fois, alors c’est plus efficace. Ce participant nous dit enfin « Donc tu vois, je faisais déjà de la dichotomie sans le savoir ! ». En vérité, il faisait déjà de l’algorithmique sans le savoir. Et il est désormais mieux équipé pour expliquer pourquoi le fait de prendre le nombre « du milieu » c’est imbattable. Il n’aura pas forcément besoin de parler de complexité algorithmique, mais le terrain sera préparé pour les sciences du numérique.

Photo @Marik. Le drap : « Après l’atelier il faut passer à la pratique ! »

Certains participants sont même allés bien plus loin que trouver des liens avec ce qu’ils enseignent déjà. En particulier, une participante venait pour la deuxième fois et avait déjà ajouté des sciences du numérique dans sa classe après son premier Graines de science. Quel réconfort de l’écouter nous raconter comment elle a utilisé Computer Science Unplugged ou bien des activités débranchées auprès de ses élèves. Mais surtout, quel bonheur de discuter des activités présentées cette année et des modifications qu’on peut leur apporter. Par exemple, concernant le réseau de tri de Computer Science Unplugged, elle envisage de modifier le tracé de façon à le faire bugger volontairement et laisser ses élèves le réparer. Mais elle veut aller encore plus loin en utilisant cette activité au service de son enseignement existant. Comment ? Eh bien par exemple en leur demandant de trier des fractions (eh oui, comparer les fractions c’est en plein dans le programme). Et voici le drap qui va lui servir de support avec le réseau dessiné dessus. Tout est déjà prêt, et ses idées aussi !

Voilà pourquoi et comment ces Graines de sciences sont un enchantement…

Florent Masseglia et Didier Roy.

Concours Castor informatique 2014

C’est le début du Castor Informatique ! Concours castorAfin de faire découvrir aux jeunes l’informatique et les sciences du numérique, et après le grand succès de la troisième édition 2013 (plus de 170 000 élèves dont 48% de filles et près de 1200 collèges ou lycées français ont participé), une nouvelle édition commence aujourd’hui : les épreuves 2014 se déroulent du 12 au 19 novembre 2014.

« Le concours comporte quatre niveaux (6e-5e / 4e-3e / 2nd / 1ère-Term). Il couvre divers aspects de l’informatique : information et représentation, pensée algorithmique, utilisation des applications, structures de données, jeux de logique, informatique et société. Ce concours international est déjà organisé dans 21 pays qui partagent une banque commune d’exercices. Environ 734 000 élèves ont participé à l’épreuve 2013 dans le monde.

Les points à retenir :

  • Entièrement gratuit,
  • Organisé en salle informatique sous la supervision d’un enseignant,
  • 45 minutes pour 15 à 18 questions,
  • Quatre niveaux : 6e-5e / 4e-3e / 2nd / 1ère-Term,
  • Du 12 au 19 novembre 2014, l’enseignant choisit le moment de la semaine qui lui convient,
  • Participation individuelle ou par binôme,
  • Aucune connaissance préalable en informatique n’est requise.

Nouveauté 2014 : La version 2014 sera entièrement composée de sujets interactifs, pour lesquels il faut trouver une stratégie de résolution, et le score sera affiché en temps réel. Il n’y aura donc plus aucune question à choix multiple.

Si vous n’avez plus l’âge, vous pouvez vous amuser à tester les exercices des années précédentes depuis 2010 ! Comme nous l’a expliqué Susan McGregor récemment sur Binaire : Explorez la pensée informatique. Vous pouvez le faire !

Sylvie Boldo

Le grand plan numérique. Une bonne nouvelle ou pas ?

Communiqué de la SIF du 7 novembre 2014

Le grand plan numérique annoncé par le Président de la République semble bien être, sous réserve d’en connaître les détails, le plan que nous attendions, enfin à la hauteur des enjeux. Dans son allocution du 6 novembre, le Président de la République souligne en particulier qu’en « informatique, […] sans qu’il y ait besoin d’ordinateur, on peut apprendre », il parle bien ici de « contenu » et de science et non d’usage. Quand nos collègues britanniques, allemands, belges, néerlandais, polonais, israéliens, américains… enseignent déjà l’informatique à tous les niveaux depuis de nombreuses années, la France semblait encore se poser des questions d’un autre siècle, qui nous condamnaient à devenir de simple consommateurs de sciences et de techniques inventées ailleurs. Ce plan est susceptible de tout changer !

L’Académie des sciences, la Société informatique de France, le Conseil national du numérique, le Conseil supérieur des programmes, et beaucoup d’autres acteurs du secteur proposent d’enseigner l’informatique à l’École primaire, au Collège et dans toutes les séries du Lycée, chaque niveau ayant, bien entendu, ses objectifs et sa pédagogie propres. Un tel plan pourrait véritablement former les futures générations d’élèves au monde qui les attend, au monde qu’ils vont pouvoir contribuer à construire. Cela dit la route est longue et il faut mobiliser toutes les énergies autour du ministère de l’Éducation nationale pour ce plan ambitieux dont deux points importants doivent dès maintenant être pris en compte :

1. Enseigner l’informatique demande, comme pour toute matière, du savoir et de la prise de recul sur ce que l’on enseigne afin de faire émerger les concepts unificateurs et non les détails d’un algorithme, d’un langage ou d’une machine. Si dans une phase de transition il faut s’appuyer, pour des questions de moyens et d’efficacité, sur des professeurs d’autres disciplines déjà en poste, il est nécessaire, comme dans d’autres pays, de recruter très vite des enseignants en informatique.

2. Si l’informatique est une science et une technique comme une autre, son enseignement doit être fortement basé sur la notion de projets collaboratifs, en collaboration avec les autres disciplines. Cela nous semble essentiel pour que les élèves s’engagent avec enthousiasme dans cette nouvelle discipline et ne la voient pas simplement comme un alourdissement des programmes. La mise en pratique d’un plan ambitieux passe par un effort considérable de formation des professeurs des écoles, et par la présence dans les collèges et les lycées de professeurs d’informatique avec un niveau bac plus quatre ou cinq (comme c’est le cas dans les autres disciplines) et une formation à la pédagogie de l’enseignement de l’informatique. Cela s’imposera vite comme une évidence.

Car il constitue une chance considérable pour notre pays, le plan numérique est une excellente nouvelle.

Pour les Conseils d’administration et scientifique de la SIF

Colin de la Higuera, Président de la SIF

Journaliste et informaticienne

Un nouvel « entretien de la SIF ». Claire Mathieu et Serge Abiteboul interviewent Susan McGregor qui est professeur à l’Université de Columbia et directeur adjoint du Centre Tow pour le journalisme numérique. En plus d’être une journaliste, Susan est aussi informaticienne. Donc, c’est vraiment la personne à interroger sur l’impact de l’informatique sur le journalisme.

Cet entretien parait simultanément sur Binaire et sur 01net. Traduction Serge Abiteboul. Version originale.

smgProfesseur McGregor © Susan McGregor

B : Susan, qui êtes-vous?
S : Je suis professeur à l’Ecole d’études supérieures de journalisme de Columbia et directeur adjoint du Centre Tow pour le journalisme numérique. Je me suis intéressée depuis longtemps à l’écriture d’essais et je me suis impliquée dans le journalisme à l’université, mais ma formation universitaire est en informatique, sur la visualisation de l’information, et les technologies de l’éducation. Avant de rejoindre Colombia, j’ai été Programmeur senior de l’équipe News Graphics au Wall Street Journal pendant quatre ans, et encore avant ça, dans une start-up spécialisée dans la photographie d’événements en temps réel. Bien que j’aie toujours travaillé comme programmeur, ça a toujours été comme programmeur dans des équipes de design. Les équipes de design peuvent être un défi si vous venez de l’informatique, car il existe une tension entre programmation et conception. Les priorités de la programmation vont vers des composants modulaires, réutilisables et des solutions générales, alors que les conceptions doivent toujours être le plus spécifiques possibles pour une situation donnée. Mon intérêt pour la visualisation et pour la facilité d’utilisation a commencé au cours d’une année de césure entre l’école secondaire et l’université, dont j’ai passé une partie à travailler sur des tâches administratives dans une grande entreprise. J’ai pu observer comment mes collègues (qui ne connaissaient rien à la technique) étaient extrêmement frustrés avec leurs ordinateurs. Grâce à un cours d’informatique suivi au lycée, je pouvais voir les endroits où la conception du logiciel reflétait juste la technologie sous-jacente. Des choix d’interface – qui étaient essentiellement des choix de communication – étaient guidés par la technologie alors qu’ils auraient dû l’être par les besoins de l’utilisateur ou dans l’intérêt des tâches réalisées.

La littératie informatique est essentielle pour les journalistes …

B : Selon vous, qu’est-ce qu’un journaliste devrait savoir en informatique aujourd’hui ?
S : La culture informatique est essentielle pour les journalistes ; l’informatique est devenue tellement importante pour le journalisme pour des tas de raisons, que nous avons commencé à proposer un double diplôme en informatique et journalisme à Columbia.

Tout d’abord, les journalistes ont besoin de comprendre la vie privée et la sécurité numérique, parce qu’ils ont l’obligation de protéger leurs sources. Il leur faut comprendre comment les métadonnées des courriels et des communications téléphoniques peuvent être utilisées pour identifier ces sources. Ensuite – et c’est sans doute l’aspect le plus connu – nous allons trouver la place dans les rédactions pour des personnes avec des compétences techniques pour construire les outils, les plates-formes et les visualisations qui sont essentiels dans le monde de l’édition numérique en pleine évolution. Et puis, des concepts de l’informatique comme les algorithmes et l’apprentissage automatique se retrouvent maintenant dans presque tous les produits, les services, les industries, et influencent de nombreux secteurs des intérêts du public. Par exemple, les offres de cartes de crédit et de prêts hypothécaires sont accordées selon des algorithmes ; la compréhension de leurs biais potentiels est donc critique pour être capable d’évaluer leurs impacts sur ​​les droits civils. Afin de rendre compte avec précision et efficacité de la technologie en général, plus de journalistes ont besoin de comprendre comment ces systèmes fonctionnent et ce qu’ils peuvent faire. À l’heure actuelle, la technologie est souvent couverte plus du point de vue des consommateurs que d’un point de vue scientifique.

Depuis que j’ai rejoint Columbia, j’ai pris de plus en plus conscience des tensions entre les scientifiques et les journalistes. Les scientifiques veulent que leurs travaux soient racontés mais ils sont rarement satisfaits du résultat. Les journalistes ont besoin de plus en plus de faire comprendre la science, mais de leur côté, les scientifiques devraient également faire plus d’efforts pour communiquer avec les non-spécialistes. Les articles scientifiques sont écrits pour un public scientifique ; fournir des textes complémentaires orientés vers une véritable transmission des savoirs pourrait améliorer à la fois la qualité et la portée du journalisme scientifique.

B : Comment voyez-vous l’avenir du journalisme en tenant compte de l’évolution de la place de l’informatique dans la société?
S : Le journalisme est de plus en plus collaboratif, avec les citoyens journalistes, le crowd sourcing de l’information, et plus d’interactions en direct avec le public. On a pu observer un grand changement ces quinze dernières années ! Ça   va continuer, même si je pense que nous allons aussi  assister à un retour vers des formes plus classiques, avec des travaux journalistiques plus approfondis. Internet a généré  beaucoup plus de contenu que ce dont nous disposions avant, mais pas nécessairement plus de journalisme original. Même si vous pensez qu’il n’est pas nécessaire d’avoir de talent particulier ou de formation pour être un journaliste, vous ne pouvez pas empêcher que la réalisation d’un reportage original demande du temps. Trouver des sources prend du temps ; mener des interviews prend du temps. Et si des ordinateurs peuvent réaliser des calculs incroyables, le genre de réflexions nécessaires pour trouver et raconter des histoires qui en valent la peine est encore quelque chose que les gens font mieux que les ordinateurs.

smg2Clip de journal, ©FBI

B : En tant que journaliste, que pensez-vous du traitement du langage naturel pour l’extraction de connaissances à partir de texte?
S : De ce que je comprends de ces sujets particuliers, la perspective la plus prometteuse pour les journalistes est le collationnement et la découverte de connaissances. Il y a encore quelques années seulement, les agences de presse avaient souvent des documentalistes, et vous commenciez une nouvelle histoire ou une nouvelle investigation en examinant un classeur de « clips ». Tout cela a disparu parce que la plupart des archives sont devenues numériques, et parce qu’il n’y a généralement plus de département dédié à l’indexation des articles. Mais si le TNL (traitement naturel de la langue) et la résolution d’entités pouvaient nous aider à relier de façon significative la couverture d’un sujet à travers le temps et ses aspects, ils pourraient remplacer très différemment le classeur. Beaucoup d’organes de presse disposent de dizaines d’années d’archives mais ne disposent pas de moyens réellement efficaces pour exploiter tout ça, pour avoir vraiment  accès à toute cette connaissance.

Le volume de contenus augmente, mais le volume d’informations originales pas nécessairement.

B : Vous utilisez souvent (dans la version anglaise) le terme « reporting » ?  Que signifie ce mot pour vous ?
S : L’équivalent scientifique de « reporting » c’est la conduite d’une expérience ou d’observations ; il s’agit de générer de nouveaux résultats, de nouvelles observations. L’idée de « reporting » implique l’observation directe, les interviews, la collecte de données, la production de médias et l’analyse. Aujourd’hui, on trouve souvent des variantes du même élément d’information à plein d’endroits, mais ils ont tous la même origine ; le volume de contenus augmente, mais le volume d’informations originales pas nécessairement. Par exemple, quand j’ai couvert l’élection présidentielle en 2008, j’ai appris que pratiquement tous les organes de presse obtenaient leurs données électorales de l’Associated Press. Beaucoup de ces organes de presse produisent leurs propres cartes et graphiques le jour du scrutin, mais ils travaillent tous à partir des mêmes données au même moment. Il peut vous sembler que vous avez de la diversité, mais la matière brute est la même pour tous. Aujourd’hui, vous avez souvent plusieurs organes de presse couvrant un sujet quand, de façon réaliste, un ou deux suffiraient. Dans ces cas, je pense que les autres devraient concentrer leurs efforts sur des thèmes sous-représentés. Voilà ce dont nous avons vraiment besoin : des reportages plus originaux et moins de répétitions.

B : Vous pourriez probablement dire aussi ça pour la science. Dès que quelqu’un a une idée intéressante, tout le monde se précipite et la répète. Maintenant, en tant que journaliste, que pensez-vous de l’analyse du « big data » (des data masses) ?
S : « Big Data » est un terme assez mal défini, englobant tout, depuis des statistiques à l’apprentissage automatique, suivant la personne que vous interrogez. Les données utilisées en journalisme de données sont presque toujours de taille relativement petites. Le journalisme de données (« data journalism »), cependant, occupe une place de plus en plus importante dans notre domaine. Aux États-Unis, nous avons maintenant des entreprises fondées exclusivement sur le journalisme de données. La popularité de ce genre de journalisme provient en partie, je pense, du fait que l’idéal américain de journalisme est « l’objectivité » ; nous avons une notion profondément ancrée dans notre culture avec ses origines dans la science, que les chiffres et les données sont objectifs, qu’ils incarnent une vérité impartiale et apolitique. Mais d’où viennent  les données ? Les données sont la réponse aux questions d’une interview. Eh bien, quelles étaient les motivations de la personne qui a choisi ces questions ? Il faut être critique vis à vis de tout cela. Le scepticisme est une composante nécessaire du journalisme, une notion essentielle de cette  profession. À un certain niveau, vous ne devez jamais croire complètement quelque source que ce soit et un tel scepticisme doit s’étendre aux données. La corroboration des données et leur contexte sont des points essentiels.

Pour moi, c’est également un point clé des données et de l’analyse des données dans le cadre du journalisme : l’analyse de données seulement n’est pas du journalisme. Vous devez d’abord comprendre, puis présenter la signification des données d’une manière qui est pertinente et significative pour votre auditoire. Prenez les prix des denrées alimentaires, par exemple. Nous avons des données de qualité sur ce sujet. Et si j’écris un article disant que les pommes Gala se vendaient 43 dollars le baril hier ? C’est un fait ��� et en ce sens il « est vrai ». Mais à moins que je n’inclue aussi le coût du baril la semaine dernière, le mois dernier ou l’année dernière, cette information n’a aucun sens. Est-ce que 43 dollars le baril c’est beaucoup ou c’est peu? Et si je n’inclus pas les perspectives d’un expert qui explique pourquoi les pommes Gala se sont vendues pour 43 dollars le baril hier, on ne peut rien faire de cette information. Pour bien faire, le journalisme doit fournir des informations avec lesquelles les gens puissent prendre de meilleures décisions pour ce qui est de leur vie. Sans de telles explications, c’est des statistiques, pas du journalisme.

La communication, l’éducation et la technologie informatique

smg3Découverte de cranes d’homo sapiens à Herto, Ethiopie, ©Bradshaw Foundation

B : Parfois nous sommes frustrés que les journalistes parlent si peu des progrès essentiels en informatique et beaucoup, en comparaison, de ​​la découverte de quelques os en Afrique, par exemple.
S : Les êtres humains sont des créatures visuelles. Des os en Afrique, vous pouvez prendre des photos. Mais les découvertes de la recherche en informatique sont rarement visuelles. La vision est parmi tous les sens humains, celui qui a la bande passante la plus élevée.  Nous savons que les lecteurs sont attirés par les images à l’intérieur d’un texte. J’ai cette hypothèse « jouet » que des visualisations peuvent être utilisées, essentiellement, pour transformer des concepts en mémoire épisodique – par exemple, des images iconiques, ou de la propagande politique et des caricatures peuvent être utilisées. Et parce que les visuels peuvent être absorbés en un clin d’œil et mémorisés (relativement) facilement, des idées accompagnées de visuels associés sont bien plus facilement disséminées. C’est une des raisons pour lesquelles j’utilise des visuels dans mon travail sur la sécurité numérique et ce depuis toujours.

smg41smg42http vs. https, visualisés. © Matteo Farinella & Susan McGregor

B : En parlant de théorie de l’éducation, que pensez-vous des Flots (*)?
S : Je doute que les Flots persistent dans leur forme actuelle, parce qu’en ce moment on se contente essentiellement de répliquer sur le Web le modèle de l’université classique. Je pense par contre que les techniques et les technologies que l’on développe en ce moment vont influencer les méthodes d’enseignement, et qu’il y aura une augmentation de l’apprentissage informel auto-organisé. Les vidéos en ligne ont et continueront à transformer l’éducation. Des exercices interactifs avec des évaluations intégrées continueront à être importants. Les salles de classe seront moins le lieu où on donne des cours et plus des endroits où on pose des questions. Bien sûr, tout cela dépend de l’accès universel à des connexions Internet de bonne qualité, ce qui n’est pas encore une réalité, même pour de nombreuses parties des États-Unis.

La littératie informatique est essentielle pour tous.

B : Que pensez-vous de l’enseignement de l’informatique à l’école primaire ?
S : La pensée informatique est une littératie indispensable pour le 21e siècle. Je ne sais pas si cette idée est très nouvelle : L’approche des «  objets à penser » de Seymour Papert avec la pédagogie constructiviste et le développement du langage de programmation Logo date de près de cinquante ans. J’ai commencé à jouer avec Logo à l’école primaire, quand j’avais huit ans. L’idée de considérer la pensée informatique comme une littératie nécessaire est incontestable pour moi. Je peux même imaginer la programmation élémentaire utilisée comme une méthode pour enseigner les maths. Parce que j’enseigne à des journalistes adultes, je fais l’inverse : j’utilise le récit pour enseigner la programmation.

Par exemple, quand j’enseigne à mes étudiants Javascript, je l’enseigne comme une « langue », pas comme de l’ « informatique. » Voilà, je montre un parallèle entre l’écriture d’une langue naturelle et l’écriture d’un programme. Par exemple, en journalisme, nous avons cette convention sur l’introduction d’un nouveau personnage. Quand on parle de quelqu’un pour la première fois dans un article, on l’introduit, comme : « M. Smith, un plombier de l’Indiana, de 34 ans. » Eh bien, c’est ce qu’on appelle une déclaration de variable en programmation ! Sinon, si plus tard, vous parlez de Smith sans l’avoir introduit, les gens ne savent pas de qui vous parlez. La façon dont les ordinateurs « lisent » des programmes, en particulier des programmes très simples, est très semblable à la façon dont les humains lisent du texte. Vous pouvez étendre l’analogie : l’idée d’un lien hypertexte tient de la bibliothèque externe, et ainsi de suite. La grammaire de base de la plupart des langages de programmation est vraiment très simple comparée à la grammaire d’une langue naturelle : vous avez des conditionnelles, des boucles, des fonctions – c’est à peu près tout.

smg6Exemple de diapositives d’une présentation Enseigner JavaScript comme une langue naturelle à BrooklynJS, Février 2014.

B : Une dernière question: que pensez-vous du blog Binaire? Avez-vous des conseils à nous donner ?
S : Le temps de chargement des pages est trop long. Pour la plupart des organes de presse, une part croissante des visiteurs vient du mobile. Le système doit savoir qu’un lecteur a une faible bande passante et s’y adapter.

B : Et est-ce qu’il y a autre chose que vous aimeriez ajouter?
S : En ce qui concerne la programmation et la technologie informatiques, et le public qui n’y connaît rien, je voudrais dire : vous pouvez le faire ! Douglas Rushkoff a fait un grand parallèle entre la programmation et la conduite d’une voiture : il faut probablement le même niveau d’effort pour atteindre une compétence de base dans les deux cas. Mais alors que nous voyons des gens – toute sorte de gens – conduire, tout le temps, l’informatique et la programmation sont par contre invisibles, et les personnes qui jouissent du plus de visibilité dans ces domaines ont tendance à se ressembler. Pourtant, on peut dire que programmer et conduire sont aussi essentiels l’un que l’autre dans le monde d’aujourd’hui. Si vous voulez être en mesure de choisir votre destination, vous devez apprendre à conduire une voiture. Eh bien, de nos jours, si vous voulez être en mesure de vous diriger dans le monde, vous devez apprendre la pensée informatique.

Explorez la pensée informatique. Vous pouvez le faire !

Susan McGregor, Université de Columbia

(*) En anglais, Mooc, cours en ligne massifs. En français, Flot, formation en ligne ouverte.