Reduction de mémoire et d’énergie par les règles de l’harmonie musicale

En cette période de crise où chacun se demande s’il doit vraiment remplacer son iPod et autre gadget par une version encore plus performante, nous recommandons à nos lecteurs d’avoir encore un peu de patience. Un reporteur de Binaire a eu vent du dernier  projet d’un de nos plus grands inventeurs, Albert Robida. A suivre…

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Un grimpeur, en récompense pour avoir réussi l’ascension du Cervin, s’offre l’écoute de Sarastro dans “La flute enchantée
(phono-opéragraphe d’Albert Robida version bêta 1.2.)

Un nouvel appareil révolutionnaire est sur le point d’être introduit sur le marché : le phono-opéragraphe récemment breveté (FR5775A1) par Albert Robida, chercheur visionnaire à l’université de technologie de Compiègne et auto-entrepreneur. Il est si léger que même les montagnards qui pèsent leur sac au gramme près se laisseront tenter.

Le phono-opéragraphe est spécialisé dans la musique d’opéra et, grâce à l’usage des structures de données auto-ajustables de Sleator et Tarjan, s’adapte dynamiquement à l’enregistrement choisi par l’utilisateur. Sa méthodologie technologique permet de re-générer son et musique par une approche calculatoire utilisant les règles de l’harmonie musicale afin de reconstituer le son à partir d’un contenu mémoire minime, quasiment au niveau plancher prédit par la théorie de l’information de Shannon.  L’énergie dépensée par le processeur est minimisée grâce à une exploitation rigoureuse des bruits ambiants, avec un algorithme qui “mine” les sons alentour pour extraire et amplifier les composantes musicales du milieu naturel où elles sont habituellement inaudibles, ce qui permet de les  réutiliser en les incorporant à l’enregistrement, économisant ainsi sur la quantité de son que l’appareil doit créer ex nihilho.

C’est dans le registre de soprano colorature que l’enregistrement audio est le plus compact, et donc le plus léger, comme il est logique. Mais même les sopranos lyriques restent très raisonnables en montagne. Ainsi, Carmen, la Traviata, et morceaux similaires le rendent d’un poids nettement inférieur à 50g : il bat largement tous ses concurrents. Les performances sont un peu moins impressionnantes avec les altos et ténors, et il faut faire attention à ne pas prendre trop de morceaux avec basse, ni surtout de basse profonde ; cela réduit l’intérêt en pratique. Heureusement, on annonce déjà que la prochaine génération, inspirée par le point de vue d’Alan Perlis (et son célèbre principe “La constante d’une personne est la variable d’une autre”), aura un poids variable en fonction du morceau qu’on est en train d’écouter, avec mises au point de l’algorithme en fonction des préférences musicales du grimpeur (à condition toutefois qu’il soit mélomane.)

Albert Robida conjecture que la place mémoire nécessaire pour mémoriser un morceau de musique est une fonction monotone décroissante de sa beauté selon le canon classique.

Le prix de lancement est prévu autour de 45,99 euros.

Claire Mathieu, ENS, Paris

Françoise en Inde

Le sujet de la formation à l’informatique a été beaucoup débattu en France récemment. Mais en dehors de l’hexagone ? On se pose les mêmes questions ? D’autres pays auraient-ils eut l’audace de prendre de l’avance sur nous ? Binaire a proposé à Françoise Tort, chercheuse à l’ENS Cachan et co-responsable en France du concours CASTOR informatique, d’interroger des collègues à l’étranger. Leurs réponses apportent beaucoup à nos débats parfois trop franchouillards.
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Tour d’horizon de l’enseignement de l’informatique… Après la Bavière, Israël, Françoise nous emmène en Inde.

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Note sur le système scolaire indien : L’Inde est divisée en 28 États et 7 «territoires fédéraux ». Les politiques et les programmes scolaires sont suggérés par le gouvernement central, les états provinciaux ayant une liberté dans leur application. Le système scolaire comprend quatre cycles : primaire (6 à 10 ans), primaire supérieur (11 et 12 ans), secondaire (13 à 15 ans) et secondaire supérieur (17 et 18 ans). Le cursus est commun à tous les élèves jusqu’à la fin du secondaire, ils choisissent des spécialités les deux dernières années. Les élèves apprennent trois langues (l’anglais, le hindi et leur langue maternelle). Il y a trois types d’établissements : deux sont coordonnés au niveau national, respectivement par le CBSE et par l’ICSE, qui publient des programmes pour les enseignements et les examens, le troisième correspond aux établissements d’états (locaux).


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Entretien avec Pradeep Kumar Misra, professeur associé au département B.Ed / M.Ed. à la faculté de sciences de l’éducation de l’université M.J.P. Rohilkhand, à Bareilly, dans l’état de l’Uttar Pradesh. Il forme de futurs enseignants. Ses travaux de recherche portent sur les technologies éducatives, la formation des enseignants et la formation tout au long de la vie

Depuis 10 ans, TIC et informatique sont enseignées dès le primaire

Il semble y avoir un consensus partagé par les gouvernements indiens (central et d’états) et les organismes en charge des questions d’éducation sur la promotion de l’informatique dans l’éducation secondaire. Signalons dans ce sens l’appel du gouvernement central pour  « une Inde numérique » ou, encore, les programmes de différents gouvernements d’état pour fournir gratuitement des ordinateurs et des tablettes aux élèves. Depuis environ 10 ans, les écoles indiennes proposent des cours d’informatique : certaines l’introduisent dès la première année du primaire, d’autres, plus tard, vers la moitié du primaire. L’informatique est au programme obligatoire pour le primaire et est proposée en option pour le secondaire. Cette matière prend environ 2h30 à 3 heures par semaine, incluant pratique et théorie, et plus pour ceux qui le prennent en option à partir du lycée. Comme les autres matières, l’enseignement peut être en Hindi, en anglais ou dans la langue maternelle.

Utiliser des applications et programmer, et plus en option…

Alors que dans les autres matières, il y a un programme officiel et des manuels scolaires prescrits, la situation est plus ambiguë pour l’enseignement de l’informatique. Il n’y a pas de programme formel pour le primaire. Pour le secondaire, chacun des conseils éducatifs (CBSE, ICSE, et d’état), propose son propre programme sous des dénominations différentes (« computer education », « computer science », « computer application », « ICT literacy »). [note : ICT pour « Information and Communication Technologies », TIC en français)].

Les contenus des enseignements obligatoires portent sur les utilisations d’applicatifs et sont centrés sur les savoir-faire : sur des logiciels et applications web au niveau collège et en programmation (Java, C++, Python) au niveau lycée. Dans la mesure où les établissements ont une certaine latitude dans l’application des programmes et le choix des manuels, il y a de fait une grande variété des contenus offerts.

Une promesse de réussite future

Il y a de nombreux arguments favorables à un enseignement de l’informatique en Inde. Un argument assez largement répandu est que les enfants sont en présence de nombreux ordinateurs dans la vie courante, qu’ils apprennent à utiliser souvent par eux-mêmes, avec leurs amis ou les membres de leur famille et que parfois cela les amènent à adopter de mauvaises pratiques et habitudes, des utilisations incorrectes et peu sûres ; autant d’écueils qu’éviterait une formation cadrée à l’école.

Une autre opinion répandue dans notre société est que, quelles que soient les carrières choisies par les jeunes, avoir des compétences de base en informatique leur sera toujours utile sur le long terme. La réussite de professionnels de l’informatique indiens connus à travers le monde (comme Satya Nadella, directeur général de Microsoft, ou Sundar Pichai, vice-président de Google, et bien d’autres) motive très certainement les parents et les étudiants indiens à choisir les écoles qui offrent des cours d’informatique. Beaucoup d’écoles privées offrent des cours en informatique pour gagner une réputation de modernité et attirer plus d’élèves.

Cependant, les élèves sont plutôt divisés quant à l’intérêt des cours d’informatique. Ceux qui choisissent l’option pensent que c’est amusant à apprendre, un nouveau monde à explorer et une bonne préparation pour leur poursuite d’étude. Ils y voient un outil de réussite sociale, le moyen de passer auprès de ses amis pour le « doué en informatique ». Mais la majorité des élèves y voit juste une matière obligatoire, donnant du travail supplémentaire, et un obstacle de plus à franchir pour obtenir leur diplôme.

Un vivier d’enseignants qualifiés

Les enseignants de l’école publique sont recrutés par les agences gouvernementales (centrale et fédérales), le recrutement dans le privé est indépendant. Les enseignants intervenant aux niveaux primaires n’ont pas forcément de diplômes dans cette discipline. En revanche, c’est bien le cas des enseignants du secondaire, qui ont un diplôme de niveau licence ou maîtrise en informatique ou en technologie de l’information (B.Tech in Computer Science/IT ; M.Sc. in Computer Science ; Masters in Computer Applications), et un diplôme professionnel en éducation, obtenu en un an.

Pour le moment, il ne me semble pas y avoir de pénurie d’enseignants qualifiés. Un nombre important d’étudiants indiens sont diplômés en informatique et il leur suffit d’obtenir le diplôme en éducation pour prétendre à un poste d’enseignant. De plus, le gouvernement et les agences privées proposent des formations continues. Toutefois, il me semble que les diplômés en informatique sont plutôt enclins à poursuivre une carrière dans l’industrie, avec des promesses de bons salaires. Devenir enseignant me paraît être un second meilleur choix,  pour ceux qui veulent éviter de connaître le chômage.

Les femmes restent sous-représentées en informatique

L’engagement des filles et des femmes en informatique a évolué en Inde dans les dernières années. Il est sûr que l’informatique permet aux filles de rompre les barrières liées au genre. Une étude réalisée en 2010 suggérait que c’est « une discipline appréciée des étudiantes, parce qu’elle demande des efforts intellectuels plutôt que physiques, et leur permet de travailler en intérieur. » Mais la même étude remarquait  que « les femmes restent sous-représentées dans les domaines des technologies de l’information, probablement du fait de contraintes sociales qui réduisent leur liberté d’étudier, leur accès aux ressources et leurs opportunités ». Une autre étude suggère qu’il y a des questions spécifiques à résoudre concernant les questions de genre en éducation et qu’il faudrait étudier les voies par lesquelles les TIC conduisent à des résultats d’apprentissage égalitaire entre filles et garçons.  Un nombre significatif de jeunes filles quittent le système scolaire après la puberté, et il faudrait explorer le potentiel offert par les outils numériques pour former ces adolescentes déscolarisées.

Ne pas en rester là et approfondir encore les contenus

40% des indiens, soit 430 millions de personnes, ont moins de 18 ans. Cela fait de l’Inde le pays abritant la plus grande population d’enfants au monde. La promesse faite par le gouvernement que « chaque village devra être connecté par une bande passante, et l’éducation pourra être offerte aux enfants des écoles même les plus reculées » (voir par exemple) montre que dans un avenir proche les cours d’informatique à l’école seront nécessaires et souhaités. En résumé, l’informatique est apparue comme une composante vitale de l’enseignement scolaire indien mais il nous reste encore à faire de plus gros efforts pour définir et mettre en œuvre un programme et des contenus d’enseignement détaillés, offrant un bon équilibre entre connaissances théoriques et pratiques, et développant de nouvelle méthodes pédagogiques, mais par dessus tout aidant les enfants « to grow virtual but remain socially grounded ».

Pour en savoir plus

  • Le programme proposé sur le site de l’ICSE pour l’enseignement intitulé « utilisation des ordinateurs » pour le niveau fin de collège début de lycée (computer application – classes IX and X)
  • Des documents d’accompagnement disponibles sur le site du CBSE pour les enseignements : de TIC en fin de collège début de lycée – ICT, class IX et class X) et le programme d’informatique au lycée (Computer Science class XI)

Coder : entre vice et plaisir

Le phalanger volant (glider) proposé comme emblème de la communauté des hackers.

Dans la définition (anglaise) sur Wikipedia de « Hacker » on découvre que ce mot peut désigner

  1. Celui qui cherche et exploite les faiblesses d’un système informatique,
  2. Celui qui innove dans le domaine de l’électronique ou de l’informatique, et
  3. Celui (ou celle) qui combine l’excellence, la ruse, et l’exploration dans ses activités.

 

 

Dans la page française, c’est un brin plus sobre :

  1. Hacker, spécialiste de la sécurité informatique
    ou
  2. Hacker, personne qui aime comprendre le fonctionnement interne d’un système, en particulier des ordinateurs et réseaux informatiques.
Le bitesize de la BBC inclut des jeux et un guide du nouveau parcours de formation des enfants au code. ©BBC

Sur ces bases, il est possible d’imaginer que nombreux sont ceux qui pensent que le hacker développe de façon positive son imagination, code, invente, crée. Qu’il reflète le plaisir exprimé par le jeune Max, 10 ans, choisi par la BBC dans le cadre de l’effort national qui fait que depuis le 1er septembre 2014 c’est depuis l’âge de 5 ans qu’on enseigne la programmation aux jeunes Britanniques.

Le lecteur averti de cet article aura cependant noté que parmi les 3 définitions en anglais et les 2 en français l’une pouvait permettre une interprétation malicieuse. C’est celle qu’a choisi –semble-t-il- un homologue français de la BBC, qui fait dire à un personnage « hacker, c’est un escroc du net ».

Ou le choix entre proposer que coder soit un plaisir… ou un vice.
Colin de la Higuera.

Science participative & informatique

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© @Maev59

 

Par certains aspects la science informatique du XXIème siècle est participative ou du moins, elle permet à d’autres disciplines de le devenir. De quoi s’agit-il en fait ? Pour mieux comprendre cette démarche, nous vous proposons de considérer trois exemples précis.

 

 

1. Le Crowdsourcing ou comment utiliser une foule de cerveaux humains

Des travaux scientifiques expérimentaux et ludiques permettent de confier des tâches que des machines ont du mal à réaliser, au village humain relié par Internet, au service de la recherche scientifique ou de la culture. Cela se fait à une échelle techniquement inaccessible à une équipe de recherche, même la mieux dotée du monde.

  • Ainsi, Fold.it est un jeu de puzzle sur le repliement des protéines. Les scientifiques ont su réduire à un jeu combinatoire le problème très compliqué de trouver un niveau d’énergie optimal au repliement d’une protéine. Ils profitent des capacités naturelles du cerveau humain pour aider à résoudre ce type de problème exploratoire, avec à la clé un vrai résultat scientifique. Un autre exemple dans la même veine en lien avec les maladies génétiques est par exemple Phylo.

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    © http://fold.it
  • La capacité naturelle de reconnaissance des formes du cerveau humain est utilisée par exemple pour classer des galaxies dans Galaxyzoo avec la participation d’un très grand nombre d’astronomes amateurs. Ce travail collectif massif peut même prendre une forme involontaire comme avec Recaptcha quand nous devons saisir des caractères lus sur une image pour prouver que nous sommes une personne et non un algorithme sur une page web. Le micro-travail de cette multitude de personnes sert aussi à la numérisation de qualité de nos bibliothèques : la photo des textes à numériser est découpée en petites images qui sont proposées dans les formulaires de façon à ce qu’un humain lise le texte de l’image et le rentre au clavier.

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    © recapcha.net

On est donc devant une nouvelle approche : ce n’est plus uniquement grâce à la puissance des calculs et à la création de nouveaux algorithmes qu’émergent des travaux scientifiques (ex : comme ce fut le cas pour la reconstruction des régions codantes du génome humain). C’est grâce à la capacité de faire coopérer des milliers de cerveaux humains sur certains problèmes précis (exploratoires ou de reconnaissance) qui dépassent justement la capacité des calculs numériques. L’écueil serait évidemment d’en déduire que toute la science se ferait par-la-foule. On ne va évidemment pas faire voter la foule sur la véracité d’un théorème mathématiques, par exemplr.

Quel est le rôle du public ici ? Celui d’accepter de «prêter son intelligence » souvent dans le cadre d’un jeu. En fait-t-on pour autant un spécialiste de l’ADN ou d’astronomie ou l’aide-t-on à augmenter sa culture scientifique sur ces sujets ? Pas lors de cette activité. On lui offre simplement l’occasion de découvrir que l’expérimentation numérique de phénomènes scientifiques peut-être amusante. Cela peut simplement lui donner le goût des sciences.

2. L’utilisateur devenant co-validateur

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© braintv.org

Quand on mesure en situation réelle l’activité cérébrale profonde d’un patient, ou que l’on robotise un environnement quotidien pour augmenter le bien-être face à un handicap, il est juste insensé d’imaginer travailler sans associer l’utilisateur final en tant que validateur de ces volets du travail de recherche. C’est le cas des travaux exemplaires de Jean-Philippe Lachaux qui a mis au point BrainTV, un système permettant au patient d’observer lui-même son activité cérébrale ou l’équipe de David Guiraud qui affirme le rôle essentiel du patient dans ses recherches permettant de restaurer la marche chez le paralytique grâce à une puce électronique reliée à ses muscles (ceci grâce aux progrès de la simulation numérique).

Une telle démarche se retrouve à un autre niveau dans l’Interaction Homme-Machine, quand Wendy Mackay explique que l’enjeu n’est pas de mettre « l’humain dans la boucle [de la machine] » mais bien la machine dans la boucle des activités humaines. L’utilisateur numérique devient co-validateur du progrès du numérique.

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© apisense.com

Bien entendu l’usage même que nous faisons du numérique est soigneusement étudié. Cela peut être fait en toute transparence et la plateforme Apisense, par exemple, sollicite une communauté d’utilisateurs volontaires, en les associant à la démarche et en partageant avec eux objectifs et résultats.

Que se passe-t-il ici ? Au lieu de séparer l’objet et l’acteur des recherches, on fait le choix de profiter des interactions qu’il peut y avoir entre eux.  Là encore, sans transférer de compétences professionnelles, la science devient participative.

3. La contribution du public aux collectes de données

Le muséum d’histoire naturelle, cet institut de recherche qui étudie notre environnement naturel,  propose depuis des années au public de faire des mesures de comptage de populations dans la nature pour évaluer l’évolution de la biodiversité. Une démarche rigoureuse qui permet d’accorder un bon degré de confiance à la collecte de ces données. Ce sont les chercheurs qui décident ce qu’il y a lieu à mesurer et surtout comment exploiter ces données. Conçue dès le départ comme une démarche de médiation scientifique, un effet retour sur la prise de conscience des problèmes environnementaux a été obtenu grâce à cette démarche de partage de pratiques scientifiques et à la découverte de connaissances naturelles (activités scolaires générées). On fait de la science « pour de vrai » disent les enfants.

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© plantnet.net

De même, le projet Pl@ntNet, met à disposition sur sa plateforme un logiciel interactif pour identifier les plantes que l’on rencontre sur le terrain et partager les observations effectuées. Que se passe-t-il ici ? Le public est recruté comme « un assistant du chercheur » pour démultiplier son action. Son avis est bien entendu écouté au delà de son travail de terrain. Et le fait de pouvoir le faire participer à une véritable étude expérimentale est une profonde marque de reconnaissance et de respect. La généralisation à d’autres disciplines n’est pas forcément possible. En effet, en science informatique par exemple, le fait que les élèves de France soient privés de son enseignement, empêche de proposer ce type de démarche en lien avec une science qui ne leur est pas familière.

D’autres partenariats institution-citoyen existent. En Île de France, 1% du budget de la recherche a été consacré à voir dans quelle mesure développer des projets de recherche à deux voix : scientifique & citoyenne, avec une méthode contractuelle d’appel d’offre rigoureuse et paritaire (scientifiques/société). Les résultats sont encore à évaluer.

Pour conclure

Ces trois familles d’exemples de démarches ne se réduisent pas les unes aux autres, n’appartiennent pas aux mêmes paradigmes, ne positionnent pas les acteurs dans les mêmes rôles.  Bref : il n’y a pas de recherche participative, il y a des recherches participatives.

Thierry Viéville

Le pacs des humanités et du numérique

On parle d’humanités numériques  autour de la proposition du Conseil National du Numérique d’un « bac HN ». Un chercheur en humanités aujourd’hui consulte des documents sur Internet, produit des sources numériques, les indexe, classe ses informations dans des bases de données, invente de nouveaux corpus de sources, tweete, blog, prépare des Mooc, discute à distance avec ses collègues, ses étudiants, etc. Les humanités sont devenues numériques. Une historienne et un informaticien nous parlent du sujet. L’article complet peut être trouvé sur HAL.

histoire-numeriqueLes humanités numériques se définissent au départ par des outils numériques au service de la recherche en sciences humaines et sociales, des outils pédagogiques pour enseigner dans ces domaines. Mais, le sujet dépasse largement le cadre de ces seuls outils. Tous les savoirs se transforment au contact de la pensée informatique, les disciplines évoluent, les frontières bougent. C’est toute la complexité des humanités numériques.

Les humanités. Le terme est imprécis. Prenons-le dans un sens très général, en y incluant l’histoire, la linguistique, la littérature, les arts et le design, mais aussi la géographie, l’économie, la sociologie, la philosophie, le droit, la théologie et les sciences des religions.

Le numérique et l’informatique. Il nous faut ici considérer l’articulation entre le monde numérique et la science qui en est au cœur, l’informatique. Par exemple, le Web, si essentiel dans les humanités numériques, est une des plus belles réalisations de l’informatique. Mais il tient aussi d’une philosophie humaniste : la mise à disposition pour tous, le partage. L’informatique est à la fois une science et une technique, qui propose des outils et développe de nouvelles formes de pensée ; elle a donné naissance au monde numérique, avec ses usages et ses cultures propres.

Des outils et une pensée

Le point de départ des humanités numériques est la représentation de l’information et des connaissances sous forme numérique. Les premières applications furent la numérisation de textes (notamment à partir d’OCR, « optical character recognition »), mais aussi de photos, de films, de la musique, de cartes géographiques, de plans d’architecture, etc. Les scientifiques (en SHS ou pas) ont vite compris l’intérêt de réunir des données de natures différentes, de les organiser dans des bases de données. Les bases de données ont été combinées à deux grandes inventions de l’informatique, l’hypertexte et le réseau Internet, pour conduire aux « bibliothèques numériques ». Par exemple, le Projet Perseus  de l’université Tufts s’est attaqué à la construction d’une bibliothèque numérique qui rassemble des textes du monde méditerranéen en grec, latin et arabe. Les textes numérisés, indexés, disponibles sur la Toile, sont facilement accessibles à tous. A l’heure du Web, les étudiants, mais aussi les amateurs, les journalistes, tout le monde a accès à des sources d’informations considérables.histoire-numerique-clio

Si la bibliothèque numérique peut être vue comme un des piliers des humanités numériques, le « réseau numérique » en est certainement un autre. Le travail des chercheurs repose depuis toujours sur l’existence de réseaux. On échangeait des lettres. On voyageait pour consulter une bibliothèque ; on en profitait pour rencontrer ses homologues locaux. Ces échanges, ces rencontres physiques participaient à produire et enrichir les connaissances. Pour les scientifiques (en sciences humaines ou pas), le réseau numérique transforme le travailler ensemble. On peut partager des textes, les annoter ensemble, les commenter, voire corédiger des contenus très riches en s’éloignant du texte linéaire bien défini aux auteurs bien précisés. Pour citer un exemple riche en symbole, le projet  « Mapping the republic of letters », lancé par Stanford, a permis de mettre en commun des recherches pour étudier comment, depuis la Renaissance, les lettrés européens partageaient leurs connaissances à travers des textes et des rencontres. Un réseau social numérique pour expliquer un réseau social « classique » ! Ce passage au travail en réseau s’accompagne de changements fondamentaux dans nos rapports aux connaissances. Un univers des fragments se substitue aux contributions monolithes. Les outils de recherche, les sites de corédaction encouragent cet effet, qui s’accompagne aussi de l’affaiblissement de la contribution de l’auteur individuel devant les contributions du groupe.

Jusque-là nous avons surtout parlé d’information, évoquons maintenant les connaissances. À une petite échelle, on introduit des connaissances pour expliquer un document, des éléments qui le composent, des services Web. C’est la base du Web sémantique. Des balisages permettent par exemple de préciser le sens des mots d’un texte, de faire des ponts entre des ressources distinctes avec le linked data. Un des premiers exemples très populaire de balisage de texte est le « Text encoding initiative », initié en 1987. Le but du balisage était de permettre de trouver plus facilement de l’information dans de larges collections de textes de bibliothèques. Avec les ontologies, un pas supplémentaire est franchi pour atteindre le monde des connaissances structurées, classifiées, organisées. Par exemple, l’ontologie Yago a été construite à partir de la version anglaise de l’encyclopédie textuelle Wikipédia, en utilisant un logiciel développé à l’Institut Max Planck. En 2011, Yago avait déjà 2 millions d’entités et plus de 20 millions de relations entre ces entités.

La machine peut aider à obtenir toujours plus de connaissances. Il est intéressant de remarquer que le calcul de connaissances « quantitatives » est à l’origine de ce qui est souvent cité comme le premier travail en humanité numérique : Roberto Busa, un jésuite italien, a imaginé dans les années quarante et réalisé ensuite, l’analyse linguistique basée sur l’informatique des œuvres complètes de Thomas d’Aquin. Les techniques d’analyse de texte qu’il a utilisées (indexation, contexte, concordance, co-occurrence, etc.) sont utilisées aujourd’hui dans de nombreuses disciplines notamment en histoire ou en littérature. Peut-être les plus paradigmatiques exemples de cette analyse de données (notamment de par leurs masses) viennent de Google trends. Google trends permet d’avoir accès à la fréquence d’un mot dans les requêtes au moteur de recherche Google (près de 10 milliards de requêtes par jour en 2014). Il a donné lieu à de nombreuses études comme la détection d’épidémie.

Dans les sciences physiques et les sciences de la vie, la modélisation numérique tient une place considérable. En simplifiant, le chercheur propose un modèle du phénomène complexe étudié, et le simule ensuite numériquement pour voir si les comportements résultants correspondent à ceux observés dans la réalité. Parmi les plus grands challenges actuels, on notera par exemple Le « Blue brain project » lancé à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne qui vise ni plus ni moins que de simuler numériquement le cerveau humain. La modélisation et la simulation tiennent une place grandissante en SHS. La sociologie est en particulier un candidat évident. Il est possible de s’appuyer sur la modélisation (extrêmement simplifiée) des comportements d’un très grand nombre d’acteurs (agent dans une terminologie informatique populaire) et de leurs interactions avec leur environnement.6340497bb01b04f0d7b4e00ca32ff638 La puissance de calcul de clusters d’ordinateurs permet ensuite de réaliser des simulations. La comparaison des résultats avec la réalité permet de « paramétrer » le modèle, voire de le modifier, pour mieux coller à la réalité observée. Nous retrouvons par exemple l’étude  de Paola Tubaro et Antonio Casilli sur les émeutes de Londres. Ils ont cherché à savoir si la censure des médias sociaux proposée par David Cameron avait un effet sur le développement d’émeutes. A l’aide d’une simulation numérique, ils ont montré que la censure participait à augmenter le niveau général de violence.

Et nous conclurons ce tour d’horizon rapide des humanités numériques par l’archivage, un domaine véritablement bouleversé par le numérique. On peut mentionner par exemple Europeana , une bibliothèque numérique européenne lancée en novembre 2008 par la Commission européenne qui compte déjà plus de 26 millions d’objets numériques, textes, images, vidéos, fin 2013. Les États européens (à travers leurs bibliothèques nationales, leurs services d’archivages, leurs musées, etc.) numérisent leurs contenus pour assurer leur conservation, et les mettent en commun. De telles initiatives permettent d’imaginer par exemple que dans moins de 50 ans des historiens trouveront numériquement toutes les informations dont ils ont besoin, passant d’une archive à une autre simplement en changeant de fenêtre sur leur écran.

Avec le numérique, nous sommes passés pour l’information disponible d’une culture de rareté, à une culture d’abondance. Devant le déluge informationnel, il n’est pas simple de choisir ce qu’il faut conserver, un vrai challenge pour les archivistes. Les institutions comme les Archives Nationales, la BNF (Bibliothèque Nationale de France) et l’INA (Institut National de l’Audiovisuel), et des outils anciens comme le dépôt légal se sont transformés. Que seront devenues les pages du Web d’aujourd’hui dans 50 ans quand des chercheurs voudront les consulter ? Des fondations comme Internet Archive  aux Etats-Unis ou Internet Memory  plus près de nous, s’attaquent au problème avec les grandes institutions d’archivage.

Limites de la technique. Les humanités numériques ont modifié les modes de travail et de pensée dans les sciences humaines et sociales. Il faut pourtant être conscient de leurs limites. Si les opportunités sont nombreuses, tout n’est pas possible. Certains problèmes demandent des puissances de calcul dont nous ne disposons pas ou que nous n’avons pas les moyens de mobiliser pour un problème particulier. Surtout les plus grandes avancées en humanités reposent sur l’intelligence d’humains qui découvrent la bonne question, énoncent la bonne hypothèse, proposent l’approche révolutionnaire. Si les machines peuvent aider, elles ne sont pas prêtes de fournir cela. Et puis, dans le cadre des SHS, il faut aussi savoir accepter les limites de l’objectivité. Le problème de l’analyse qualitative des données reste entier. Bruno Latour écrivait en 2010 : « Numbers, numbers, numbers. Sociology has been obsessed by the goal of becoming a quantitative science. » Les humanités numériques ne peuvent se réduire à des équations ou des algorithmes (les plus beaux soient-ils) et des nombres. Le sujet principal est l’être humain bien trop complexe pour être mis dans sa globalité en équation ou même en algorithme.

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Poppy, un robot pour populariser et démystifier les sciences du numérique.

La convergence entre sciences et humanités. Un ordinateur est une machine à tout faire (« general purpose ») ; le même système peut être utilisé que la science soit « humaine » ou « dure », et le même algorithme peut être utilisé dans les deux cas. Les méthodes, les concepts, les techniques, les outils de l’informatique rapprochent les chercheurs de toutes ces disciplines, réduisant en particulier le gouffre qui s’est créé entre les SHS et les sciences « dures ». Les principes même de la « pensée informatique » (computational thinking) sont généraux. Les convergences sont si fortes que plutôt que de parler d’humanités numériques, peut-être aurions-nous dû discourir de « sciences numériques » en général. Evidemment une telle convergence n’implique pas la confusion. Un modèle formel des sentiments dans la poésie romantique n’a rien à voir avec un modèle numérique de l’anatomie du cœur humain. Si l’informatique se met au service des sciences humaines et sociales, ce ne doit pas être pour les appauvrir mais au contraire, avec de nouveaux outils, une nouvelle pensée, pour leurs permettre de découvrir de nouveaux territoires.

Inventer un nouvel humanisme. Avec notamment Internet et le Web, le numérique a encouragé la naissance d’une nouvelle culture basée sur le partage et l’échange. Dans des développements comme les logiciels libres ou Wikipédia, les ambitions de cette culture sont claires, l’invention d’un nouvel humanisme. Il nous semble que les humanités numériques doivent participer à ce mouvement car quelle plus grande ambition humaniste que la diffusion des connaissances et de la culture à toutes et tous ?

Serge Abiteboul (INRIA & ENS Cachan), Florence Hachez-Leroy  (Université d’Artois & CRH-EHESS/CNRS)

Il a existé une culture écrite avant le linéaire B

Ceux qui, tel Michel Onfray voienttwitt-onfray-oct14 un oxymore dans le fait de rapprocher humanités et informatique, ou apprentissage de l’écriture et apprentissage de la programmation, propagent une vision singulièrement partielle de la culture écrite.

Tablette précunéiforme, ©2011 Musée du Louvre, thierry Ollivier
Tablette précunéiforme, ©2011 Musée du Louvre, Thierry Ollivier

Les premières traces écrites dont nous ayons connaissance, des tablettes qui datent de 3300 av. J.-C., sont pour la plupart des pièces de comptabilité ou d’inventaire (voir par exemple les tablettes archaiques), qui expriment des données sur lesquelles des algorithmes opèrent, notamment des algorithmes de comparaison d’entiers naturels et de listes.

Face à l’irrédentisme de ceux qui nient la dimension technique de l’écriture, réaffirmons que l’écriture est antérieure au linéaire B, que les humanités et les sciences ont beaucoup à s’apprendre et qu’imaginer un professeur de sciences et un professeur de lettres travaillant ensemble n’est une bizarrerie que dans leur tête.

Gilles Dowek

Françoise en Israël

Le sujet de la formation à l’informatique a été beaucoup débattu en France récemment. Mais en dehors de l’hexagone ? On se pose les mêmes questions ? D’autres pays auraient-ils eut l’audace de prendre de l’avance sur nous ? Binaire a proposé à Françoise Tort, chercheuse à l’ENS Cachan et co-responsable en France du concours CASTOR informatique, d’interroger des collègues à l’étranger. Leurs réponses apportent beaucoup à nos débats parfois trop franchouillards.

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Tour d’horizon de l’enseignement de l’informatique… Après la Bavière, Françoise nous emmène en Israël.

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Note sur le système scolaire Israélien : Le système scolaire Israélien est centralisé. Le ministère de l’Éducation détermine la politique de l’éducation à tous les niveaux, de la maternelle à l’enseignement supérieur, et met en œuvre cette politique, avec l’aide de comités professionnels. La scolarité est divisée en trois périodes : six années d’école élémentaire, trois années de collège et trois années de lycée. Les dix premières années d’enseignement sont obligatoires. Chaque matière est divisée en modules d’environ 90 heures ; certaines matières offrent différents niveaux de spécialisation, les plus courants sont un  programme en trois modules pour un enseignement général et en cinq modules pour un enseignement approfondi.

judith-gal-ezer-1Entretien avec Judith Gal-Ezer, professeure au département de mathématique et d’informatique de l’Open Université d’Israël (OUI), chercheuse en didactique de l’informatique, présidente du comité des programmes pour l’informatique du ministère de l’éducation Israélien, membre du CSTA (Association internationale des enseignants d’informatique, fondée par l’ACM).

Environ 300 heures centrées sur la résolution de problèmes algorithmiques

Depuis 1995, l’informatique est enseignée dans les lycées israéliens, au même titre que les autres disciplines scientifiques (physique, biologie, chimie). Ce sont des enseignements optionnels, comme pour les autres disciplines.  Il existe deux programmes d’enseignement : l’un comporte 3 modules et est adapté aux élèves qui ont un intérêt général pour la matière. L’autre comporte 5 modules et est destiné aux élèves qui souhaitent avoir une connaissance plus approfondie de la matière. Un module correspond à 90 heures de cours étalé sur un semestre, soit 3 heures par semaine. Dans la mesure où la plupart des élèves suivent le programme le plus court, un effort est fait pour que ce programme couvre le plus possible toute la discipline.

Le programme est centré sur les concepts clés et les fondements de la science informatique, il met l’accent  sur la notion de problèmes algorithmiques et leurs solutions et leur implémentation dans un langage de programmation. Un second paradigme de programmation, les structures de données et la calculabilité sont également abordés.  Ce programme a fait l’objet de mises à jour régulières depuis sa création, la plus importante ayant été l’introduction de la pensée orientée objet.

« Semer les graines » qui aideront les jeunes dans tous les domaines.

Je pense que l’objectif de l’enseignement de l’informatique à l’école n’est pas de « produire » de futurs professionnels qui trouveront des emplois dans l’industrie. Il s’agit plutôt de « semer des graines » en initiant les élèves aux fondements de la discipline. Une exposition dès l’école à ce domaine aide les jeunes à choisir plus tard des carrières dans l’industrie ou dans la recherche.

La résolution de problèmes est au cœur de l’informatique. Son apprentissage et sa pratique demandent aux élèves de savoir spécifier les problèmes clairement et sans ambiguïté, de décrire une solution algorithmique qui soit « robuste » (convenant même dans des situations limites), « correcte » (qui donne le bonne solution) et efficace (dont la complexité est connue). A chaque étape de ce processus, les élèves acquièrent des compétences de base qui leur seront utiles dans tous les domaines qu’ils choisiront d’étudier.

L’informatique a également des liens avec l’ensemble des autres domaines scientifiques et aussi humanistes.  La quasi-totalité des percées scientifiques d’aujourd’hui sont rendues possibles grâce à la puissance de l’informatique et au travail des informaticiens. Enfin, l’invention des ordinateurs au 20ème siècle a radicalement changé la façon dont nous vivons et travaillons. Il est difficile de prédire l’avenir, mais on peut dire sans se tromper que les personnes qui ne comprennent pas l’informatique seront exclues de ses avantages potentiels.

Un centre national de formation des enseignants

Quand le programme a été conçu, il y a maintenant 20 ans, la commission responsable de sa conception avait été très claire sur le fait que les enseignants certifiés pour enseigner l’informatique devraient être diplômés d’un premier cycle universitaire (bachelor’s degree) dans cette discipline en plus du diplôme de formation à l’enseignement. Cette exigence fut officiellement adoptée dès le début.

De plus, un centre national de formation pour les enseignants d’informatique a été créé. Il assure la formation continue des enseignants en poste et les aide à entretenir une communauté professionnelle dynamique. Il propose une conférence annuelle, des cours et ateliers sur des questions propres au programme du lycée, des documents et du matériel pédagogiques, et une revue pour les enseignants.

Un effort nécessaire pour encourager les jeunes

Le nombre des élèves choisissant l’informatique a augmenté régulièrement jusqu’en 2004, il a ensuite diminué. Depuis lors, la part des élèves diplômés ayant choisi cette option se stabilise à  environ 15%.

Dans une recherche récente, nous avons montré que les élèves qui ont été initiés à l’informatique au lycée, et en particulier ceux qui suivaient le programme long de 5 modules,  étaient plus susceptibles de poursuivre des études dans l’un des domaines de l’informatique dans l’enseignement supérieur. Ceci est d’autant plus vrai pour les jeunes filles.

Concernant les filles justement, environ 40% des étudiants qui choisissent l’informatique au lycée sont des filles, mais elles ne représentent que 30% des étudiants ayant choisi le programme long de 5 modules. Il y a encore du travail à réaliser pour encourager les jeunes filles à se former à l’informatique.

Un programme pour le collège en préparation

Il y a 20 ans, alors que nous développions un programme pour le lycée, il nous apparaissait évident qu’un programme pour le collège était nécessaire. Or, depuis 2 ans, un programme pour les collèges est en cours de développement et déjà en œuvre dans plusieurs établissements. Les principales difficultés rencontrées sont liées à l’affectation et la formation des enseignants.

4 facteurs de succès essentiels

Je pense que la réussite de l’enseignement d’informatique en Israël repose essentiellement sur :

  • le programme bien établi et régulièrement mis à jour ;
  • l’obligation officielle d’un diplôme en informatique pour la certification des enseignants ;
  • une offre, par les universités, de programmes préparatoires pour les futurs enseignants et de formation continue pour les enseignants titulaires ;
  • une communauté de chercheurs très dynamiques ;

Et j’ajouterai : un corps d’enseignants bien établi et motivé.

 


Pour en savoir plus 

– Une description du  programme de l’enseignement de l’informatique au secondaire en Israël publiée en 1995.

– Une proposition de programme pour le collège en Israël publié en 2012, à accès restreint

 

 

Jules Ferry 3.0

Le 3 octobre 2014, le Conseil national du numérique (CNNum) a publié ses recommandations pour bâtir une école créative et juste dans un monde numérique. Le titre du rapport est Jules Ferry 3.0 – rencontre improbable entre l’un des pères fondateurs de l’identité républicaine et le Web 3.0, le Web des connaissances. Serge Abiteboul, qui est membre du CNNum et a participé à l’écriture du rapport, et Gilles Dowek, qui a été auditionné dans le cadre de sa préparation, considèrent pour Binaire un des aspects abordés par ce rapport : l’enseignement de l’informatique.

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Jules Ferry, Wikipédia

Notre idéal éducatif est tout tracé. L’éducation du peuple aujourd’hui a une dimension personnelle. Son objectif est de donner à chacun sa chance non pas en servant à chacun la même soupe amère au nom d’une égalité mal comprise mais en permettant à chacun d’accéder à l’éducation adaptée à sa demande, Jules Ferry, 1870

Programme ou tu seras programmé ! Douglas Rushkoff, 2012

L’École traverse une crise existentielle : elle paraît bien désarmée face à la révolution numérique et peine, par exemple, à intégrer un enseignement de l’informatique dans ses programmes. Pour essayer de contribuer à cette nécessaire transformation de l’École, le Conseil National  du Numérique évoque, dans un rapport publié ce 3 octobre, les mânes de  l’idéal républicain et  réaffirme la nécessité de l’École gratuite et obligatoire pour tous : « L’enseignement de l’informatique de l’école primaire au lycée. C’est une réponse à l’attente sociale d’une politique de l’égalité : permettre à tous les élèves d’avoir une « clé » pour comprendre le monde numérique, participer à la vie sociale et se préparer à de nouveaux mondes professionnels. »

Le défi est immense : il faut « Construire l’école solidaire et créative d’un monde numérique » et il faut agir rapidement, comme le soulignait déjà le rapport publié l’année dernière par l’Académie des Science, « Il est urgent de ne plus attendre ».
Le rapport du CNNUM est organisé en 7 chapitres qui structurent ses recommandations :
1.    Enseigner l’informatique : une exigence
2.    Installer la littératie de l’âge numérique
3.    Oser le bac Humanités Numériques
4.    Vivre l’école en réseau
5.    Relier la recherche et l’éducation
6.    Accompagner l’explosion des usages éditoriaux
7.    Accepter les nouvelles industries de la formation

Ce rapport est riche et touffu et nous en conseillons la lecture à tous ceux qui s’intéressent aux questions d’éducation. Nous nous limitons dans ce post au premier chapitre, consacré à l’enseignement de l’informatique, parce qu’il nous semble particulièrement important pour le futur de notre pays et parce qu’il rejoint un combat que nous menons depuis plusieurs années.

Cette exigence d’enseigner l’informatique, qui revient dans de nombreux rapports, en France comme à l’étranger, est en train de s’imposer. Le rapport va plus loin en proposant trois mesures simples et concrètes pour lancer son installation :

  • A l’école primaire : offrir aux professeurs la formation en informatique qui les aidera à répondre aux attentes de leurs élèves.
  • Au collège : démarrer un enseignement d’informatique d’un an, en classe troisième,  sur le temps de la technologie, centré sur la programmation et de l’algorithmique.
  • Au lycée : offrir à tous les élèves la possibilité de choisir l’option Informatique et Science du Numérique en terminale.

Le rapport insiste sur un indispensable renouvellement des méthodes pédagogiques qui doit accompagner un enseignement de l’informatique. Ce nouvel enseignement doit, par exemple, être l’occasion de développer un enseignement par projet, aujourd’hui encore trop limité dans nos Écoles. En plaidant pour que ces projets soient le plus souvent possible proposés en collaboration avec d’autres disciplines, le rapport suggère aussi d’estomper les murs qui séparent trop souvent les disciplines.

Le rapport insiste également sur l’aspect qui nous semble le plus important pour faire de cette métamorphose de l’École une réussite : la formation des professeurs. Pour le collège et le lycée, il rappelle la nécessité de développer un corps de professeurs d’informatique ayant reçu une formation solide dans la discipline, de niveau bac+5, car c’est le niveau requis en mathématiques, en physique, en anglais ou en latin. Le rapport propose des chiffres précis. Par exemple, enseigner l’informatique au collège demande 3500 postes. Et l’expérience a montré que l’on était bien loin de fournir un tel nombre d’enseignants en «  transformant » simplement des enseignants d’autres disciplines en informaticiens. Il est donc urgent  pour l’Éducation nationale de recruter des informaticiens.  Des pistes sont suggérées dans le rapport pour trouver les candidats dont notre système éducatif a besoin.

Si l’enseignement de l’informatique est l’objet du premier chapitre, il est présent à plusieurs autres endroits du rapport. Il permet par exemple d’établir une littératie numérique sur des bases solides. Il se marie à l’enseignement des  humanités, pour construire le Bac Humanités numériques, etc. La proposition de ce Bac Humanités numériques va à l’encontre de l’idée reçue que l’informatique est une affaire qui   concerne uniquement les scientifiques, voire les ingénieurs. L’enseignement de l’informatique doit au contraire s’adresser à toutes et  tous, et peut-être au lycée, en priorité aux littéraires qui, plus que les autres élèves, risquent de rater leur dernière chance d’apprendre un peu d’informatique.

Le CNNum s’est autosaisi de ce sujet de l’éducation au numérique. Il a longuement écouté des spécialistes de la question, beaucoup de professeurs et d’intervenants de l’éducation populaire. C’est ce long travail coopératif qui a abouti à ces propositions. Ces propositions ne constituent qu’un début, et gageons qu’on reprochera au CNNum de ne pas être allé assez loin. Mais ces propositions ont le mérite d’être réalisables à la rentrée prochaine.

Ces propositions demanderont certes de l’énergie et on peut parier que la tâche paraîtra certainement insurmontable au Ministère de l’Éducation nationale. Elle le serait sans doute si ce ministère agissait seul, mais c’est un effort collectif qu’il s’agit d’organiser, avec les élèves qui jouent là leur avenir, les familles qui sont en demande,  les professeurs, sur les épaules desquels repose la responsabilité de la réussite de ce projet, les entreprises qui ont besoin d’employés compétents, et la société dans son ensemble, qui vivra plus harmonieusement avec des citoyens à même de comprendre le monde numérique dans lequel ils évoluent.

Nous sommes tous concernés et c’est collectivement que le pays doit saisir cette occasion.

Serge Abiteboul et Gilles Dowek