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EXCLUSIF. Edouard Philippe : "L'idée que je puisse tout envoyer balader sur un coup de tête, ce n'est juste pas moi"

Sonné par la crise des Gilets jaunes, malmené par la Macronie, Édouard Philippe encaisse les coups mais met en garde : "Les critiques, je sais très bien qui les formule."

Christine Ollivier , Mis à jour le
Edouard Philippe face à des Gilets jaunes vendredi à Limoges.
Edouard Philippe face à des Gilets jaunes vendredi à Limoges. © Thomas Samson/AFP

Ambiance rock samedi dans le bureau d’Édouard Philippe . Dans un palais de Matignon silencieux, week-end oblige, on entend la musique à travers la porte. Ce fan de Springsteen pousse même la chansonnette. Ses amis décrivaient un homme marqué, éprouvé par un mois de crise avec les Gilets jaunes. Ses détracteurs, un Premier ministre affaibli, voire en bout de course. Certes, les cernes trahissent sa fatigue. Mais quand il nous reçoit dans son bureau, en jean et sans cravate, Édouard Philippe ne donne pas l’image d’un homme à terre.

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Il se laisse même aller à quelques imitations de Sarkozy ou de Chirac. Cet amateur de noble art a sans doute quelques bleus, mais il n’est pas K.‑O. "La politique, c’est comme la boxe, dit-il d’ailleurs. Quand vous montez sur le ring, vous savez que vous allez prendre des coups. J’en prends. Je peux en donner aussi. J’aime ça." En voilà certains prévenus, et ce d’autant plus qu’il ajoute : "Les critiques, je sais très bien qui les formule et à quelles fins, poursuit-il. Je ne suis pas aveugle."

Les reproches des macronistes

Au plus fort de la crise, ses proches l'ont vu franchement agacé. Trop "droit dans ses bottes", trop "techno", trop arc-bouté sur la ­rigueur budgétaire, pas assez à l'écoute : au sein d'une majorité affolée, les critiques pleuvaient, d'autant plus féroces qu'Édouard Philippe n'est pas un des leurs puisqu'il a refusé d'adhérer à La République en marche.

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Édouard est très susceptible et on le sentait exaspéré

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Un proche d'Emmanuel Macron détaille les reproches : des interventions médiatiques "ratées", un "manque d'empathie", un "discours ultra-techno plein de 'déciles' et de 'moratoires'". Et de citer comme un cas d'école le jour où l'exécutif a décidé de renoncer aux taxes sur les carburants : "Il fait une demi-heure sur la rigueur budgétaire, soit la moitié de son discours, au moment où on annonce qu'on fait tout péter!"

Philippe dément vouloir "tout envoyer balader"

"Les 'y a qu'à faut qu'on', ça l'a exaspéré, témoigne un ministre. Édouard, c'est Juppé qui ferait de la boxe : il considère que, quand c'est difficile, il faut être solide ; que, quand ça fait mal, il faut donner des coups. Pas étaler ses états d'âme." À l'égard de François Bayrou, qui ne l'a guère ménagé, certains ont décelé une rage froide, qu'il se garde bien d'exprimer. D'autres n'ont pas ces pudeurs : "Ces mecs qui font de la politique depuis trente ans, qui n'ont pas réussi grand-chose et qui viennent vous expliquer ce qu'il faut faire au lieu de se taire, c'est insupportable", lâche un ami de Philippe. Seulement voilà : "Bayrou se lève tous les matins en se disant qu'il peut être Premier ministre, résume un proche de Macron. Il n'a rien fait pour aider Édouard Philippe."

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Du coup, au moment du vote au Parlement, le 5 décembre, après les premières mesures destinées à répondre à la colère, les partisans du chef du gouvernement ont craint de le voir quitter le navire. "Édouard est très susceptible et on le sentait exaspéré, témoigne un proche. Avant le vote, on est plusieurs à s'être dit que, s'il lui manquait trop de voix, il était capable de claquer la porte." La majorité a été au rendez-vous. Mais l'intéressé dément toute tentation de Venise. "L'idée que je sois exaspéré et que je puisse tout envoyer balader sur un coup de tête, ce n'est juste pas moi, affirme-t‑il. Je ne suis jamais exaspéré. Je réfléchis toujours avant de prendre mes décisions."

Agacé par Faure et les critiques sur son anniversaire

Il n'avoue qu'un seul moment d'énervement sur le banc du gouvernement : lorsque le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, lui a reproché d'être dans l'hémicycle pour répondre à une motion de censure - pourtant déposée par la gauche - plutôt qu'à Strasbourg frappé par une attaque terroriste. "Ce jour-là, j'ai trouvé ses propos misérables", lâche-t‑il. À l'évidence, il n'a pas digéré non plus les commentaires acerbes autour de sa fête d'anniversaire, au soir de la journée de violences du 1er décembre. Il n'a pas voulu annuler, est passé chez lui en coup de vent souffler ses 48 bougies avant de retourner à Matignon. Trop dur? Haussement d'épaules : "Ça ne me fait ni chaud ni froid. Il y a des Français qui vivent des choses autrement plus dures." Ne lui parlez pas non plus de Matignon comme d'un enfer. "C'est exigeant, intense, mais c'est formidable, dit-il. Que des gens tapent de tous les côtés, c'est normal. Ça ne me surprend pas et ça ne me touche pas beaucoup."

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Il faut aider Édouard, il faut faire bloc autour de lui

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À ses yeux, l'essentiel n'est pas là. "Pour être Premier ministre, il faut avoir la confiance du président, le soutien de la majorité et être en ligne avec ce qu'on fait", énumère-t‑il. Juppéiste, orthodoxe, soucieux des deniers publics, se sent-il alors tout à fait à l'aise quand il doit laisser filer le déficit et lâcher 10 milliards d'euros pour le pouvoir d'achat? "Par définition, je suis à l'aise avec ce que je fais, répond-il. Ce qu'on fait, c'est un choc fiscal sur le travail et une accélération dans la mise en œuvre de choix qui avaient déjà été décidés." Néanmoins, il prévient : "Je n'ai pas renoncé à être attentif à la question de la dette. C'est aussi une urgence, pour nous et pour nos enfants."

L'hommage de l'Elysée

À l'en croire, la crise n'a fait qu'"intensifier" sa relation avec Emmanuel Macron. Pas l'ombre d'un "malentendu" entre eux. "On se parle beaucoup, on se dit les choses", assure-t‑il. Sur leurs échanges, il ne s'épanchera pas plus : "Je ne dis jamais à personne, personne, le contenu de mes discussions avec le Président." "Macron n'a jamais considéré que le Premier ministre pouvait le trahir", dit-on comme en écho à l'Élysée, où l'on rend hommage à un homme qui a "formidablement bien encaissé la charge". S'il a "retrouvé son humour British" cette semaine, selon des proches qui ont dîné avec lui mercredi soir, Philippe a accusé le coup physiquement la semaine dernière. "Il faut aider Édouard, il faut faire bloc autour de lui", a alors glissé le chef de l'État à un de ses interlocuteurs. La veille, le Premier ministre avait pu échanger avec son mentor Alain Juppé lors d'un dîner organisé par l'ancien ministre Benoist Apparu.

Après quelques jours de ­vacances, Édouard Philippe est décidé à relancer très vite le train des réformes : "Il faut qu'on répare le pays. C'est l'objectif que je me suis fixé." Les réformes des prochains mois seront au menu d'un séminaire gouvernemental le 9 janvier.

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