Le va-et-vient des camions qui délestent les sols des chantiers métropolitains se poursuit à Kanesatake. Une présence qui dérange. La Sûreté du Québec (SQ) enquête pour faire la lumière sur une altercation sur un des sites qui accueille la matière, et le ministère de l’Environnement a dû annuler une inspection jugée trop risquée.

En moins d’une heure, La Presse a recensé, jeudi dernier, près d’une dizaine de camions qui, après avoir traversé la municipalité d’Oka, sont entrés à Kanesatake pour y décharger des bennes remplies de sols provenant de chantiers des environs de Montréal. Selon les images que La Presse a captées avec un drone, des activités de remblayage se déroulent sur plus de cinq terrains qui longent la rivière des Outaouais.

Or, les camions de l’entreprise lavaloise Nexus – montrée du doigt depuis des semaines pour vider leurs cargaisons près du cours d’eau – ont disparu de la route 344 qui traverse Kanesatake.

Ce sont maintenant des véhicules arborant le logo du Groupe A1 qui s’y succèdent et se rendent sur les mêmes sites pour lesquels le Conseil de bande n’a octroyé aucun permis. Le Groupe A1 n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue.

Mais peu importe l’entreprise, la situation continue de plomber le climat déjà tendu au sein de la communauté mohawk, constate le chef Serge Simon. Il cite l’exemple d’un commerce en construction qui a été incendié il y a deux semaines.

« C’est la 25e bâtisse qui brûle depuis 2004. Je ne dis pas que c’est directement lié aux activités de remblai, mais l’inaction des gouvernements dans ce dossier envoie le message que les gens peuvent faire ce qu’ils veulent sur le territoire. »

Une vision que partage son adversaire politique, le grand chef Victor Bonspille. « Les gouvernements québécois, fédéral et leurs ministères de l’Environnement ne font rien pour régler la situation. Ils viennent, ils tentent de faire quelque chose et ils se sauvent la queue entre les jambes. »

Inspection annulée

Le ministère de l’Environnement du Québec a refusé de dire à La Presse si ses inspecteurs avaient visité les sites où les sols sont déversés sans l’autorisation du Conseil de bande. « Aucun commentaire additionnel concernant les vérifications et enquêtes en cours ne sera émis pour ne pas nuire au processus », a écrit par courriel un porte-parole du ministère, précisant être en communication avec la Sûreté du Québec et le Conseil.

Le ministère a par ailleurs confirmé avoir été forcé d’annuler à la dernière minute une inspection à cause de l’escalade des tensions et des risques de sécurité. Le 7 mai dernier, des inspecteurs environnementaux devaient se rendre à Kanesatake, accompagnés de la SQ et de représentants du Conseil de bande.

« Tout juste avant de se rendre sur les lieux visés, le ministère a été informé d’une altercation sur les lieux visés par l’inspection. Ainsi, le ministère a décidé d’annuler l’inspection après en avoir discuté avec la SQ », raconte le ministère.

La Presse a diffusé une vidéo de cette bagarre au début du mois. On y voit le propriétaire d’un site et un employé s’en prendre à deux chefs mohawks – Brent Etienne et Serge Simon – qui s’étaient rendus sur un site. Les deux représentants du Conseil de bande ont confirmé à La Presse avoir, depuis, formellement porté plainte auprès de la SQ pour que le corps policier enquête sur les évènements.

« Rien à cacher »

Le transporteur Grands travaux de Montréal (GTM) fait partie de la poignée d’entreprises toujours actives sur le territoire. Ses camions font une trentaine de voyages par jour pour disposer de sols à Kanesatake. Le vice-président de l’entreprise montréalaise, Giovanni Di Minno, a accepté de discuter de la situation.

« Je n’ai rien à cacher ni à me reprocher », dit-il, assurant que tout est conforme. Il explique que les sols transportés à Kanesatake sont non seulement testés afin de s’assurer qu’ils ne soient pas contaminés, mais également enregistrés auprès de Traces Québec.

Traces Québec est un système qui permet de suivre par GPS les déplacements des sols, de leur lieu d’excavation jusqu’à leur destination finale. Mis en place par le gouvernement du Québec, l’outil vise à contrer les déversements illégaux.

M. Di Minno présente son entreprise comme un intermédiaire qui n’assure que le transport jusqu’à « son client » qui, lui, est responsable du remblai en territoire mohawk. La totalité des quelque 600 m3 de sols que transporte GTM finit sur des sites gérés par Translogic, une entreprise d’excavation de Mirabel.

Son président, Jean-François Henley, assure lui aussi qu’il « n’y a rien de contaminé » dans le remblai et que tout est conforme aux normes québécoises. C’est par ailleurs sa cliente, propriétaire des terrains, qui est en communication avec le Conseil de bande pour obtenir les autorisations. « Moi, je fais seulement affaire avec la propriétaire du site et [le transporteur] GTM. »

Dans le cadre de ses activités, aucun remblai n’est fait sur les rives de la rivière des Outaouais : « Il y a un site où on arrive à 75 pieds de l’eau, donc on attend les recommandations avant de poursuivre. »

Au sujet de l’opposition à l’égard des activités des remblais à Kanesatake, il dit : « Je pense qu’on met actuellement tout le monde dans le même paquet. Il y a peut-être des gens qui ont fait des choses qu’ils ne devaient pas faire… mais ça, je ne le sais pas. »