C’est la fin pour le motel St-Jacques, un établissement qui était devenu l’épicentre de la violence, de l’exploitation sexuelle et des surdoses de drogue, parfois mortelles, dans le sud du quartier montréalais de Notre-Dame-de-Grâce. La police et les services sociaux ont procédé vendredi à l’évacuation des derniers résidants de l’immeuble passé sous le contrôle de la justice.

Une dizaine de femmes, dont certaines étaient exploitées sexuellement par des proxénètes, avaient déjà été secourues par les policiers le 20 juin dernier. Vendredi, c’était au tour de plusieurs autres résidants vulnérables d’être escortés à l’extérieur, pour être redirigés vers des organismes d’aide au logement et des hôtels avec l’aide du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’île-de-Montréal. Certains fréquentaient l’endroit depuis des années, profitant des chambres louées 45 $ la nuit, une rareté à Montréal.

Plus d’une vingtaine de policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) accompagnés d’intervenants du CIUSSS se sont présentés en fin de matinée à l’entrée du bâtiment défraîchi aux nombreuses fenêtres barricadées, auquel était accrochée une enseigne annonçant « TV couleur, cable video ».

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Évacuation des derniers résidants du motel St-Jacques

Des taxis et des camions de déménagement faisaient des allers-retours, transportant les résidants et leurs effets personnels ailleurs. Un organisme communautaire avait accepté d’entreposer des biens pour les plus mal pris.

« C’est un motel qui est connu depuis bon nombre d’années », a expliqué le commandant du poste de quartier 9, Stéphane Desroches, rencontré sur place. Le SPVM avait plusieurs craintes concernant l’endroit, où les appels d’urgence avaient augmenté de 354 % depuis 2017. Cette année, la police y intervenait en moyenne une fois en 1,6 jour, souvent pour des conflits, des bagarres et des gestes violents, selon un rapport déposé à la cour. Le SPVM avait des craintes par rapport à des problèmes de santé mentale, d’exploitation sexuelle et de présence d’armes. En janvier, l’occupant de la chambre 33 avait été arrêté avec un fusil tronçonné et un gilet pare-balles.

Mais le plus inquiétant demeurait la consommation de crack et d’opioïdes, qui faisait de l’établissement un véritable problème de santé publique, selon le rapport du SPVM déposé à la cour.

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Stéphane Desroches, chef du PDQ 9

« On a beaucoup de préoccupations pour les cas de surdoses », souligne le commandant Desroches. Depuis 2019, sept personnes sont décédées au motel St-Jacques, dont quatre par surdose. Treize surdoses non mortelles ont été signalées en 2023, et 5 autres pour les premiers mois de 2024, selon le rapport déposé au palais de justice.

Lorsque les policiers sont intervenus pour secourir les femmes exploitées sexuellement en juin, ils ont aussi trouvé quatre personnes inconscientes après avoir consommé.

Le rapport souligne que les cas de surdoses sont sous-estimés, car les toxicomanes qui fréquentent les lieux administrent souvent eux-mêmes de la naloxone, un puissant antidote, afin de ranimer des victimes sans l’aide des services d’urgence.

Propriétaire complice

Pour obtenir une ordonnance judiciaire permettant de fermer les lieux, la section des produits de la criminalité du SPVM a dû démontrer à un juge que le propriétaire des lieux était complice des actes de proxénétisme et de possession de drogue dans le but d’en faire le trafic, ce qui permettait de considérer son motel comme un bien infractionnel aux termes de la loi.

« Depuis plus de 20 ans, le motel St-Jacques est connu pour diverses problématiques en lien avec le trafic de stupéfiants et la prostitution », précisait le SPVM dans sa demande.

Plusieurs opérations d’infiltration menées cette année par des agents qui se faisaient passer pour des prostituées et des proxénètes ont permis de constater qu’un concierge fournissait du crack et du fentanyl aux clients qui demandaient au propriétaire la meilleure façon de s’en procurer. Le propriétaire, Jitendrakumar Patel, a aussi indiqué à un agent d’infiltration jouant le rôle d’un proxénète les coordonnées d’un dépanneur du coin où il était possible d’acheter du Viagra et du Cialis de contrebande.

M. Patel a aussi exigé des frais supplémentaires à un agent d’infiltration qui disait avoir invité plusieurs clients dans sa chambre afin d’obtenir les services sexuels d’une prostituée. L’homme d’affaires n’est toutefois accusé de rien pour l’instant.

Il est clairement au courant que de la prostitution a lieu dans son établissement et profite également des fruits de ce crime.

Extrait des documents du SPVM présenté au juge

Joint par La Presse, M. Patel n’a pas voulu discuter du dossier. « Je ne veux pas en discuter, je suis fatigué de tout ça. Je suis un homme simple, et je pense surtout aujourd’hui aux bons locataires, qui ne faisaient pas de troubles et qui ont dû partir aussi. Certains étaient là depuis 10 ou 20 ans. Je me sens mal pour eux et j’espère qu’ils iront bien », a-t-il laissé tomber.

Certains mécontents, d’autres soulagés

Au passage de La Presse vendredi, des habitués de l’endroit maugréaient contre l’intervention des autorités.

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Sandy Mesher, ancien résidant de l’hôtel

« Ils exagèrent ! C’est pas si pire que ça, il y a des gens qui avaient besoin d’un endroit où rester », s’est exclamé Sandy Mesher, un des anciens résidants de l’endroit.

Il revenait sur place pour s’assurer que les personnes âgées résidant au motel étaient prises en charge.

« Tout ce qui les intéresse, c’est de mettre les locataires dehors », a renchéri Andrew Ezard, un résidant et employé du motel, qui a été arrêté récemment parce qu’il aurait vendu des stupéfiants aux agents d’infiltration.

Mais des habitants du quartier rencontrés dans le secteur se disaient soulagés de voir les lieux évacués de leurs occupants.

« C’est une journée merveilleuse ! », a commenté Tess Anderson, une voisine habitant juste en face du motel. La dame affirme que des occupants du motel ont déjà insulté sa fille. « Ils passent leur temps à se promener et à prendre de la drogue », déplore-t-elle.

« C’est sale, sale, sale », affirme quant à lui Kamal Maradi, un chauffeur de taxi qui travaille dans le coin. « Je suis très content [que ça ferme], j’espère que ça ne rouvrira pas », dit-il.

Avec Daniel Renaud, La Presse