Cinéma

Vice-Versa 2 : pourquoi la référence à Apple dans le film Pixar est une idée géniale

Une scène-clé de Vice-Versa 2, la suite très attendue du chef d'œuvre de Pixar, cite l'une des publicités les plus célèbres de la marque à la pomme.
ViceVersa 2  Pixar vientil de rendre le meilleur hommage à Apple
© Pixar

Attention : cet article contient des spoilers sur Vice-Versa 2.

L'histoire de Pixar est intimement liée à celle d'Apple. C'est ce que Vice-Versa 2, le nouveau-né du studio d'animation, tend à rappeller. En 1986, Steve Jobs, évincé quelques mois plus tôt de la société qu'il a créée avec Steve Wozniak et Ronald Wayne en 1976, décide de débourser dix millions de dollars pour racheter la division “graphisme par ordinateur” de Lucasfilm. Au sein de cette nouvelle entreprise qui développe à l'origine du matériel informatique haut de gamme, notamment pour la médecine, une branche liée à l'animation prend vie. Alors que les ventes d'ordinateur ne fleurissent pas, l'animation s'associe avec d'autres grandes entreprises pour réaliser des publicités et éponger les dettes de Pixar.

Au début des années 90, le studio d'animation conclut un partenariat avec l'un de ses plus solides collaborateurs, Disney, pour produire trois longs-métrages contre un chèque de 26 millions de dollars. En 1995, après un développement tourmenté, Toy Story arrive sur les écrans avec le succès phénoménal qu'on lui connaît. Le film de John Lasseter représente alors une révolution sans précédent pour le domaine de l'animation — il est le premier film d'animation en 3D intégralement créé par ordinateur. C'est le début d'une fabuleuse aventure cinématographique, que beaucoup tenteront de recréer sans parvenir à maintenir une telle créativité sur une aussi longue durée — bonjour, Dreamworks. Après avoir fait cavalier seul pendant plus d'une décennie, produisant au passage quelques-uns des longs-métrages les plus acclamés des années 2000 (des Indestructibles au Monde de Nemo, en passant par Ratatouille), Pixar est finalement racheté par Disney en 2006 contre la modique somme de 7,4 milliards de dollars. Steve Jobs reste alors le principal actionnaire individuel de l'entreprise en possédant 6% de son capital.

Depuis cette fusion controversée, le studio d'animation a fréquemment été critiqué ces dernières années pour son supposé déclin artistique, donnant naissance à toujours plus de suites pour ses films à succès au lieu de produire de nouveaux grands films originaux. Mais, et on peut s'en réjouir, Pixar n'a jamais manqué de faire référence à son passé et à celui auquel il est, par extension, rattaché via la figure de Steve Jobs. De nombreux clins d'œil à Apple existent dans les productions du studio d'animation. On se souvient du slogan “Scare Different” dans Monstres & Cie, en référence au mythique “Think Different” d'Apple, mais aussi, de façon plus évidente, à l'iPod qu'utilise Wall-E dans le film éponyme pour regarder des classiques du cinéma.

Les œillades au géant de l'informatique se sont fait plus discret dans les derniers longs-métrages de Pixar mais Vice-Versa 2 vient peut-être de signer l'un des plus beaux hommages à la marque. Au milieu du film, Anxiété a pris le contrôle des émotions de Riley, l'héroïne du premier Vice-Versa qui est devenue adolescente. Alors qu'elle doit surmonter la profonde tristesse que signifie le départ de ses deux meilleures amies vers un autre lycée, elle s'investit complètement dans sa passion, le hockey sur glace. Elle souhaite devenir une grande championne capable de rejoindre la prestigieuse équipe des Firehawks. Elle a un week-end pour prouver à la coach qu'elle en a les moyens. Depuis son esprit, Anxiété la pousse dans ses retranchements et cherche l'arme fatale qui lui permettra d'impressionner son monde. De plus en plus de sentiments négatifs surgissent dans l'esprit de Riley, sans que Joie et toute sa bande ne puissent s'interposer pour rappeler à l'adolescente qu'elle est une bonne personne.

Au terme d'une course effrénée, ils finissent par atterrir dans un espace anciennement rattaché aux bons souvenirs où des travailleurs, installés dans des boxes séparés, doivent fournir à Anxiété des projections catastrophiques du futur de Riley si elle venait à rater son stage de hockey. Depuis un grand écran, Anxiété met la pression aux travailleurs pour produire toujours plus d'images. Les pensées alarmistes inondent tellement l'esprit de l'adolescente qu'elle ne trouve même plus le sommeil. Joie, Dégoût, Peur et Colère arrivent sur place et découvrent ce lieu dystopique qui évoque immédiatement celui exposé dans la très célèbre publicité d'Apple, “1984”.

Réalisée par Ridley Scott pour le lancement du premier ordinateur Macintosh d'Apple, le 128K, cette vidéo d'une minute est considérée comme l'un des chefs d'œuvre de la publicité télévisuelle — et ce malgré les nombreux remous qu'elle a provoqués chez Apple en interne. Sa première diffusion s'est déroulée durant la 18e finale du Super Bowl le 22 janvier 1984, devant plus de 90 millions de téléspectateurs. On y voit une héroïne sans nom, incarnée par l'athlète britannique Anya Major, courir dans un décor froid où des hommes écoutent religieusement un discours projeté sur un immense écran. Armée d'un marteau et poursuivie par des gardes, elle s'élance et jette l'outil dans l'écran, qui projette une couleur blanche vive face au public obnubilé. S'ensuit un court texte : “Le 24 janvier, Apple Computer va introduire Macintosh. Et vous verrez pourquoi 1984 ne ressemblera pas à 1984”, en référence au monument de la littérature dystopique publié par George Orwell en 1949.

Vice-Versa 2 s'inspire fortement de ce spot publicitaire. Si le film d'animation remplace l'univers brutaliste et glacial de l'imaginaire de Ridley Scott par des images plus colorées (des notes oranges sanguines similaires à la couleur d'Anxiété), on y retrouve cette même logique d'un monde mental embrumé par le projet d'un personnage en capacité de soumettre un groupe au service d'un grand projet. Quand l'héroïne de “1984” lançait un marteau dans l'écran en signe de protestation contre l'uniformisation de la pensée, c'est un travailleur anonyme dans Vice-Versa 2 qui jette une chaise pour signifier le début d'une révolte et la fin d'une aliénation qui enfonce progressivement Riley dans les tréfonds de l'angoisse.

Un extrait de la bande-annonce de Vice-Versa 2.Capture d'écran YouTube/Pixar

Pixar n'a jamais eu peur de citer des références inattendues dans des films qu'on considère — à tort — prioritairement destinés aux enfants. Du moins, le studio ne cherche pas à simplifier au maximum les discours de ses films et fait confiance au public pour comprendre le sens de ce qu'ils souhaitent raconter. Que le spectateur intègre ou non la symbolique de certains clins d'œil. Vice-Versa 2 ne déroge pas à la règle. Pour certains, ce sera un film sur les tourments de la puberté ; pour d'autres, un récit sur la conscience, à l'approche de l'adolescence, du temps qui passe et de ce que ce phénomène signifie (l'effacement de certains êtres aimés, l'arrivée de nouveaux et le basculement vers un monde en flottaison qui se déleste lentement des îlots identitaires rassurants de l'enfance).

La référence à “1984” ouvre également la porte pour une autre lecture : Vice-Versa 2 pourrait aussi être perçu comme un appel à un imaginaire libéré des pressions contemporaines, du culte de la performance qui saisit de plus en plus tôt les jeunes générations et les pousse vers une forme de conditionnement, quitte à négliger leur santé mentale ou physique. Le film réalisé par Kelsey Mann pourrait bien être l'un des premiers blockbusters à évoquer aussi ouvertement cette question, et à répondre aux angoisses avec une inventivité et une émotion infaillibles. Comme Pixar a toujours su le faire.

Vice-Versa 2 est à découvrir au cinéma dès le 19 juin.