Entretien

Roschdy Zem : “Être supporter du PSG, c'est comme être le héros de la série Le Prisonnier

À l'affiche d'Elyas de Florent Emilio-Siri, Roschdy Zem revient au cinéma d'action et se donne corps et âme dans son personnage de bodyguard au passé douloureux. GQ l'a rencontré.
Roschdy Zem  “Être supporter du PSG c'est comme être le hros de la srie Le Prisonnier”
Roschdy Zem au Festival de Cannes, en mai 2019.© Valery Hache/AFP

Roschdy Zem ne se laisse aucun répit. Que ce soit dans sa carrière ou dans les interviews qu'il donne. Le jour où nous le rencontrons, l'acteur, césarisé en 2020 pour sa prestation remarquable dans Roubaix, une lumière d'Arnaud Desplechin, enchaîne les entretiens depuis le début de la matinée. Des vidéos, des photos, des poignées de main à foison. Le rythme est soutenu et n'offre aucun moment pour souffler. Nous sommes les derniers à le rencontrer, il est plus de 18 heures. On s'attend à croiser le chemin d'une star fatiguée par sa journée, peu bavarde et pas forcément prête à répondre à nos questions les plus farfelues, il nous offre finalement tout le contraire.

Le comédien semble très heureux de défendre Elyas, le nouveau film d'action de Florent Emilio-Siri — dont on adore toujours autant le biopic sur Claude François qu'il a réalisé en 2012. De retour à un cinéma d'action qu'il avait quelque peu délaissé ces dernières années pour tourner avec, entre autres, Rebecca Zlotowski (Les Enfants des autres) et Louis Garrel (L'Innocent) et mener à bien ses projets de réalisateur, Roschdy Zem brille ici dans la peau d'un mystérieux ex-membre d'une unité des forces spéciales. Traumatisé par ses combats en Afghanistan et la perte d'un être cher, le soldat est engagé en garde du corps d'une femme et de sa fille venues des Émirats arabes unis pour fuir un homme puissant. Pour sa mission, Elyas doit apprendre à gérer le sentiment de paranoïa avec lequel il vit et les menaces réelles auxquelles il est confronté.

Avec ce film d'action hanté et sous influences, à mi-chemin entre le cinéma d'action des années 70 et les introspections tourmentées de l'œuvre de Paul Schrader, Roschdy Zem prouve qu'il peut encore être un acteur crédible dans l'action, prendre des coups et les rendre (il a d'ailleurs fait ses cascades pour l'occasion). Pour GQ, il a évoqué la création de ce long-métrage, les défis qui se sont présentés à lui dans la préparation du rôle et la place que ce personnage tient dans sa carrière foisonnante. Et, puisqu'il est aussi supporter du PSG depuis plus de 30 ans, on a évidemment parlé de football.

C’est la première fois qu’on vous voit dans un film d’action depuis un certain nombre d'années…
Oui, c’est vrai. Si on considère À bout pourtant comme un film d’action, ça fait presque quinze ans.

Qu’est-ce qui a fait que c’était le moment pour vous de retrouver ce genre ?
Ce n’est pas vraiment moi qui ai décidé. C’est le résultat d'une combinaison de réflexions entre un producteur, un metteur en scène et moi-même. Je m’étais aussi dit que ça faisait longtemps que je n’avais pas fait ça, et qu’il était peut-être temps avant qu’il ne soit trop tard pour le faire. Il y a des gens qui ont œuvré pour que ce projet naisse avec moi.

Vous êtes depuis toujours un grand amateur de cinéma hollywoodien et de cinéma d’action. Qui sont les acteurs qui vous ont inspiré dans votre jeunesse ?
Je ne sais pas s’ils m’inspiraient mais j'ai toujours admiré Steve McQueen, Charles Bronson, Bruce Lee ou Jean-Paul Belmondo. Cette catégorie d’acteurs qui ont représenté mes premiers héros de cinéma.

Il y a encore aujourd’hui des acteurs qui vous plaisent à Hollywood ?
Oui, il y en a beaucoup. Je suis très impressionné par la carrière de Leonardo DiCaprio, par exemple. Par rapport à son statut de star, il fait des choix audacieux. Il n’est jamais dans la facilité. C’est un acteur sur lequel il faut prendre exemple parce qu’il a une carrure où il pourrait se permettre d’aller vers des projets plus tranquilles, mais je trouve qu’à chaque fois il fait des choix assez osés. Aussi bien dans ses rôles que dans les choix des metteurs en scène avec lesquels il collabore.

C’est ce qui vous motive en tant qu’acteur, de ne jamais être là où on vous attend ?
Je crois que le plus important pour moi est surtout de ne pas rester passif. C’est l’impression que DiCaprio me donne. Au lieu d’être là à attendre tranquillement dans sa villa que les projets arrivent, on dirait qu’il les initie. Il a ce pouvoir en tant que star. On n’est pas dans la chance, on est dans la démarche d’un acteur qui dit à tout le monde : “Je m’appelle Leonardo DiCaprio, je suis un acteur connu dans le monde entier, je vais en profiter pour m’enrichir de documents et d’œuvres littéraires pour les apporter ensuite à des réalisateurs comme Alejandro Iñárritu, Martin Scorsese.” C’est le propre d’une star, je pense.

Récemment, vous avez été invité dans l’émission Quotidien et vous avez dit une phrase très intéressante : “Je doute tout le temps, c’est mon moteur”. Qu’est-ce qui fait pour vous que le doute est un principe aussi fertile dans votre métier ?
Ça me rend vivant, tout simplement. En ce moment, je tourne un film et j’ai souvent le trac au moment de tourner une scène. Je me retrouve au milieu de nombreux figurants, je sens qu’on attend beaucoup de moi, et ça me met dans un état d’anxiété assez intense. Mais cette anxiété, plutôt que de me paralyser, elle m’habite et je l’utilise pour la scène. Au lieu de la rejeter, je m’en sers. Et en cela, je me sens organique. Je sais qu’il émane de moi quelque chose de sincère. Peut-être que c’est faux dans l’intention mais cela reste sincère en terme de proposition.

Vous êtes passé à plusieurs reprises derrière la caméra. Pour Elyas, vous avez collaboré avec Florent Emilio-Siri, qui est un cinéaste connu pour la virtuosité de sa mise en scène et son grand intérêt pour la technique. Est-ce que le fait d’être acteur, mais aussi désormais réalisateur, vous rend plus attentif au travail de la mise en scène ?
Carrément ! Actuellement, je tourne avec Martin Bourboulon [le réalisateur des deux films Les Trois Mousquetaires en 2023, ndlr] et je compatis tellement avec lui quand je le vois devoir diriger une équipe de 200 personnes avec des centaines de figurants en plus. Je vois la machine que c’est, la logistique que c’est. J’ai eu à diriger cela quand j’ai réalisé Chocolat. Je pose un regard sur lui pour lui dire “je suis avec toi, mon gars !” [Rires] Je sais ce qu’on ressent, ce qu’on attend de lui. Dans ces moments-là, il faut se sentir soutenu parce que tout le monde l’attend. On n’a pas le droit de boiter. Ça crée forcément une complicité.

Vous évoquiez précédemment l’anxiété qu’on peut ressentir en tant qu’acteur, est-elle la même lorsqu’on est réalisateur ?
Oui mais c’est encore autre chose. Quand on est réalisateur, on se sent responsable d’un objet économique. Ça vient s’ajouter dans l’addition d’anxiétés. Lorsqu’une journée se passe mal et qu’on dépasse, c’est de la faute du réalisateur. Quand une scène n’est pas suffisamment aboutie et qu’un acteur n’est pas parvenu à provoquer l’émotion qu’on attendait de lui, c’est de la faute du réalisateur. Réaliser un film, c’est énormément de frustrations. Le montage est ensuite le suc de ce que vous avez réussi mais il y a beaucoup de déchets. Et ce déchet-là, il est terrible pour le metteur en scène.

Où trouve-t-on alors l’épanouissement ? Dans le fait de montrer le résultat fini au public ?
Oui, et encore c’est dur à ce moment-là… Le film ne nous appartient plus. Je crois que le plus épanouissant reste le tournage.

Florent Emilio-Siri raconte que vous étiez sa muse pendant le tournage. Qu’est-ce que l’on ressent quand on devient la muse d’un film aussi violent et brut ? C’est flatteur pour vous ?
Dans la bouche de Florent, oui. Je sais ce que ce genre de film représente pour lui. Je sais aussi la passion qu’il a pour ce genre de cinéma. Ça va d'Akira Kurosawa à Sergio Leone, en passant par John Cassavetes. C’est un vrai cinéphile, incontestablement. Donc je vois ce que cela signifie d’être pour lui sa muse dans un film comme celui-là. Je sais que c’est bienveillant !

Roschdy Zem et Jeanne Michel dans Elyas.© 2024–RECIFILMS–STUDIOCANAL–FRANCE2CINEMA

Vous vous êtes beaucoup investi pour Elyas, notamment sur le plan physique puisque vous avez réalisé vos cascades. Quel a été le plus grand défi sur le tournage ?
Je crois que c’est la scène du camping-car. C’est une scène qu’on a d’abord tourné en un seul plan. On s’était donné ça pour défi avec Florent et le chef-cascadeur Jérôme Gaspard pour que ça paraisse plus vrai, plus riche et pour jouer avec ma fatigue réelle après le combat. C’était très grisant d’y penser, d’imaginer rentrer dans cette caravane, sachant qu’il allait se passer ce qui allait se passer. Ça me mettait dans un état d’excitation parce que j’avais la peur d’échouer. Cette peur de l’échec me boostait. L’attaque de la tour sous les trombes d’eau était un autre grand moment de tournage pour moi. Je crois que c’était mon esprit d’adolescent qui resurgissait à ce moment-là. J’ai effectué quelque chose que je n’imaginais même pas dans mes fantasmes les plus fous.

Vous parlez de fantasmes, y a-t-il des genres de cinéma que vous souhaiteriez encore explorer ?
Il y a plein de choses que je n’ai pas encore faites. Tout reste à faire. Je ne sais pas si j’ai envie de le faire mais je n’ai jamais fait de comédie musicale, par exemple. J’ai récemment vu le nouveau film de Jacques Audiard, Emilia Pérez, et pour le coup voir un film comme ça donne envie d’en faire une. Mais les comédies musicales qui m’emportent sont assez rares. Emilia Pérez est l’alpha de la comédie musicale, c’est à la croisée d’autres genres.

D’où vient le gimmick que vous avez avec le marlin pendant tout le film ?
Ça a été pensé en plusieurs étapes. Au début, Florent avait imaginé un personnage qui avait un couteau et le faisait tourner autour de ses doigts. On avait vu des images et je trouvais que c’était une bonne idée. J’ai essayé et j’ai vu que ça allait me prendre trois ans à maitriser le geste donc j’ai abandonné. Puis, après plusieurs déclinaisons, Florent est arrivé à cet outil qui n’est même pas létal et totalement anodin, le marlin, qui sert à défaire les nœuds de pêcheur. Le claquement de l’objet créait un gimmick à la fois sonore et visuel qui nous semblait très intéressant. Ça permettait de donner une caractérisation au personnage, ça le singularisait. Et ça fait partie des codes du film d’action de donner un détail au personnage.

Ça reste quelque chose de rare de voir des acteurs s’impliquer physiquement dans leur rôle. On fait généralement appel à des cascadeurs ou des doublures. Qu’est-ce qui a animé en vous ce désir ?
Il y a d’abord ce que vous évoquez, cette rareté. Puis j’ai toujours aimé me dépenser physiquement. Depuis plusieurs années, je fais un cinéma qui ne me demande pas ça mais j’ai toujours eu une part de physique dans mes rôles. Même si le personnage est censé être un branleur qui se laisse aller. Même pour jouer un branleur qui se laisse aller, je pense qu’il faut une préparation physique. Je crois que pour jouer la fatigue, il faut être très en forme. Ça vous permet d’avoir l’attitude idoine et de la tenir, surtout. Je ne suis pas du camp de ceux qui pensent que pour jouer un personnage qui n’a pas dormi de la nuit, il ne faut pas que je dorme de la nuit. Ma méthode est totalement à l'opposé de cela.

C’est de l’anti-Actors Studio ?
C’est une autre forme d’Actors Studio, j’ai envie de dire. On s’implique différemment. C’est parce que je suis en forme que je peux faire appel à mes émotions, sous n'importe quelle forme.

Roschdy Zem dans Elyas.© RECIFILMS–STUDIOCANAL–FRANCE2CINEMA

Quand on voit votre personnage, on pense à Denzel Washington dans Man on Fire ou à Robert de Niro dans Taxi Driver. Florent Emilio-Siri vous a-t-il guidé vers un certain type de personnage ?
Non, j’ai bien vu qu’il y avait beaucoup de références, à Léon, à Rambo… Le film est truffé de clins d’œil. Les références sont intéressantes pour s’en inspirer et essayer de créer quelque chose mais une fois qu’on est sur le plateau, je ne pense pas à Denzel Washington ou à Sylvester Stallone. J’essaye de créer mon propre personnage. Ce sont des acteurs dont je vois leur carrière dans les grandes lignes mais je ne les vois pas dans les films qu’on vient d’évoquer. Ce n’est pas assez présent dans mon esprit pour que je m’en inspire. En règle générale, j’évite de m’inspirer des acteurs, quand bien même je les admirerais.

Changement de sujet radical, on vous sait supporter du Paris Saint-Germain depuis toujours. Kylian Mbappé vient tout juste de quitter le club. En tant que supporter, comment avez-vous vécu l’après-Mbappé ?
Très bien. Non mais j’aime beaucoup ce joueur. Il est resté sept ans au PSG, il a fait son temps ! Je crois qu'aucun supporter n’éprouve de la frustration à le voir partir. Ça ne remet pas en cause du tout la qualité du joueur. C’est juste qu’un joueur comme lui, avec le talent et l’aura qu’il a, c'était déjà inespéré qu'il reste aussi longtemps.

Vous ne ressentez pas son départ comme la fin d’une époque ?
Bien sûr que c’est la fin d’une époque. Après, si on tourne la page de la stratégie du “faire venir des stars un peu sur la fin” pour passer à quelque chose de plus cohérent, pourquoi pas. J’aime beaucoup l’équipe actuelle, même sans Kylian Mbappé. Avec un ou deux renforts, ça pourrait vraiment le faire. Mais ce que j’aime avant tout avec le PSG, c’est que chaque année, il se passe quelque chose. Chaque année, on y croit et chaque année, on se plante. Et franchement ça me va.

Regarder le PSG donne parfois l’impression de regarder une série en boucle…
Être supporter du PSG, c'est comme être le héros de la série Le Prisonnier ! Il ne sortira jamais de son île mais à chaque épisode on a l’impression qu’il s’en approche. J’ai plein d’amis qui supportent l’Olympique de Marseille ou d’autres équipes, et pour eux c’est évident qu’ils ne gagneront jamais la Ligue des Champions. Nous, le fait qu’on y croie, ça apporte un espoir supplémentaire, même si à la fin on se fait toujours bananer ! On ne passe jamais loin.

Il paraît que vous gardez la même place au Parc des Princes depuis plus de 30 ans. Qu’est-ce qui fait que cette place-là est si spéciale pour vous ?
Je le vois comme un rendez-vous avec mes meilleurs amis, avec mon fils et avec les enfants de mes meilleurs amis. Et on l’a depuis 30 ans. C’est mon exutoire, mon moment privilégié, un échange. Ce n’est pas que le sport en lui-même, ce n’est pas que le PSG. C’est vraiment quelque chose qui nous ressemble et qui se termine autour d’un bon gueuleton. Il y en a qui trouvent un plaisir dans la chasse, moi c’est au Parc.

Au cinéma aussi, vous avez une place de prédilection dans la salle ?
Pas du tout ! Par contre, j’aime bien la place à droite, celle où il n’y a personne, près du couloir.

Elyas est à découvrir dès maintenant au cinéma.