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Jared Leto (30 Seconds to Mars) : "Nous n'avions jamais pensé sortir un premier album, donc finir le sixième est dément"

Avec un sixième album en approche, Jared Leto écrit une nouvelle page avec son groupe 30 Seconds to Mars. Entretien exclusif avec un artiste aux mille facettes.
Jared Leto porte une chemise et un gilet Gucci.
Jared Leto porte une chemise et un gilet Gucci.© Zhong Lin/GQ France 

Jared Leto débarque au studio looké jusqu’au bout des ongles, accessoirisé et bijouté. Ses yeux fardés cachent sans doute sa fatigue, car nous sommes en pleine Fashion Week de Paris, l’aire de jeu privilégiée des stars en promotion d'album ou de film. Comme beaucoup de célébrités, il comprend l’influence de la mode et le pouvoir évocateur du vêtement. Durant le règne d’Alessandro Michele chez Gucci, il assume le rôle de muse pour le créateur dont il comprend l'univers fantasmagorique, parfois inénarrable comme lors de leur apparition commune sur le tapis rouge au Met Gala de l’année dernière, déguisés en jumeaux.

D’entrée de jeu, l'acteur/chanteur/musicien/producteur/réalisateur nous assure qu'il fait confiance au processus créatif, attitude rare à laquelle les célébrités trop entourées ne s'adonnent pas avec aisance. Pendant des heures, nous le maquillons, lui demandons de faire des grimaces, de gesticuler et d’exprimer toutes les émotions qu’il a en lui car il vient d’achever le dernier album de son groupe, 30 Seconds to Mars, dont le co-fondateur et batteur n’est autre que son frère Shannon Leto. Il profite également de son stopover à Paris pour réaliser le clip de “Stuck”, premier single de l’album. Nous nous sommes revus pour parler musique, mode et photographie.

Jared Leto porte une veste de costume Givenchy et un collier Tiffany & Co.© Zhong Lin/GQ France

Bonjour Jared, je ne peux commencer cette conversation sans vous parler du Met Gala il y a quelques jours. Vous étiez déguisé en Choupette [le chat Sacré de Birmanie ayant appartenu à Karl Lagerfeld, le regretté directeur artistique des maisons Chanel et Fendi, décédé en 2019, qui est célébré cette année par le Metropolitan Museum of Art, ndlr].
J’ai complètement récupéré. La soirée était géniale, je me suis beaucoup amusé. C'est une bonne chose d'en faire partie car beaucoup de gens oublient que le but du Met Gala est de collecter des fonds pour le musée. Nous participons tous, et c’est pour cette raison que nous faisons des choses loufoques, mais créatives. C’est toujours un honneur d'être invité, donc je suis toujours heureux d'y aller. C'est aussi l'occasion de faire quelque chose de créatif.

Vous savez, je suis une personne créative. J'apprécie tout ça. J'aime faire certaines choses et les partager avec le monde. Cette année était spéciale parce que je connaissais Karl [Lagerfeld] et je l'interpréterai dans le biopic. Je devais être là et j'ai choisi ce costume parce qu’en réfléchissant, c'est la vie de quelqu'un qui est décédé récemment que nous célébrons. Je voulais simplement faire quelque chose qui avait du cœur et cela a fait sourire les gens. J’imagine que si Karl était là et avait vu une Choupette géante, il aurait ri et adoré. Donc, c'est l'intention. Lorsque j'ai eu l'idée, j'ai pensé que c'était tellement ridicule que je devais le faire.

C’était du génie et j’ai trouvé ça très amusant. J’ai visionné le clip de “Stuck”, et il y a un goût si prononcé pour la mode que ce clip s’apparente à une série de mode pour un magazine, ce qui est finalement ce que vous êtes…
C'est intéressant que vous disiez ça parce que le clip est une lettre d'amour aux photographes de mode avec lesquels j'ai grandi, que j’admire et dont le travail m'a beaucoup influencé... des personnages comme Richard Avedon, Irving Penn, Helmut Newton et Robert Mapplethorpe. C'est une lettre d'amour à la mode, au design, à l'art et aux personnes qui célébraient notre monde. Nous avons tourné le clip ici pendant deux jours et même si vous ne voyez pas Paris dans la vidéo, je pense que vous [en] ressentez [l'énergie].

Haut sans manche, Prada. Boucle d'oreille, Givenchy.© Zhong Lin/GQ France
Haut sans manche, Prada. Pantalon, Givenchy.© Zhong Lin/GQ France

Pourquoi avez-vous choisi cette chanson pour réaliser ce premier clip ainsi ?
J’ai voulu me concentrer sur des personnages car je suis fasciné par les gens et j’aime les étudier. Je réalise la plupart de nos clips et je me suis trouvé de plus en plus attiré par les gens plutôt que par les lieux… Pourtant, j'ai tourné des clips dans l'Arctique, en Chine, partout dans le monde... Cette fois-ci, je voulais être très concret, presque simple car c’est une étude du mouvement et de l'individualité. L'esprit et l’énergie du casting expriment le sentiment de rébellion de la chanson.

Il y a quelque chose d'assez libérateur aussi... Je me demande comment Jared Leto, l'acteur, influence-t-il Jared Leto, le musicien ?
Jared Leto, l'acteur, a beaucoup d'expérience sur les plateaux de tournage, donc c'est très utile quand je tourne un clip ou quand je produis du contenu. Lorsque tu es acteur, tu dois avoir une certaine discipline et cette discipline que j’ai, cette éducation, c’est apprendre à travailler très dur en restant concentré, et cela m’a très bien servi.

Certainement... j’ai redécouvert en écoutant “Stuck” à quel point votre rythme est si varié qu’il est presque impossible à vraiment catégoriser. Comment le définiriez-vous ?
J’évite de trop le définir parce que nous devons nous assurer de laisser la porte ouverte à toutes les possibilités. Cette fois-ci, nous voulions vraiment faire un recueil de chansons qui parlent de l'époque que nous vivons, dans un album moderne, et non pas seulement ressasser notre propre passé.  C’est vraiment un nouveau départ. Et pour nous, c'est comme si nous étions un tout nouveau groupe. C'est donc très amusant et excitant d’en être arrivé ainsi à notre sixième album.

En quoi était-ce différent de travailler sur l’album ?
C’était différent parce que cet album est né pendant le Covid. C'était évidemment une période vraiment difficile pour tant de gens à travers le monde. Et c'était aussi, pour mon frère et moi, l'occasion d'être physiquement au même endroit pour la première fois de notre vie depuis longtemps. Cela nous a donné une base solide et nous avons commencé à écrire durant cette période. Bien sûr, au début, il y avait plusieurs chansons sur l'isolement et la solitude, mais ensuite nous avons exploré d'autres idées, d'autres thèmes.

Blouson, Louis Vuitton. © Zhong Lin/GQ France

Vous parlez du Covid qui, pour moi et beaucoup d’autres, était un moment étrange... est-ce que vous avez ressenti la même chose avec votre frère lors de la réalisation de cet album ?
Non, mon frère a beaucoup grandi en tant que producteur et a vraiment joué un rôle important, en poussant les sensations, la production et le son de l'album vers un nouveau territoire. Il a toujours écouté toutes sortes de musique et cette diversité dans notre rythme dont vous parliez a vraiment été utile lorsque nous avons réalisé cet album. Il a vraiment continué à faire des choses incroyablement excitantes en tant que producteur. C'était super à voir.

Et qu’avez-vous découvert sur vous-même pendant ces moments de création ?
J'ai découvert de nouvelles choses sur ma voix. J'ai chanté d'une manière que je ne connaissais pas auparavant. Et je pense que c'était le résultat d’une exploration de nouveaux territoires, de travailler avec de nouveaux rythmes et de nouvelles structures. Cela a poussé ma voix vers de nouveaux endroits, et c'était génial. C'est une chose excitante à découvrir après avoir chanté aussi longtemps pendant tant d'années, donc j’en suis vraiment heureux.

Faire un album, c’est prendre son pied et ensuite partager ces émotions avec son public. Que voudriez-vous que les gens ressentent en écoutant l'album ?
J'espère qu'ils se sentent aussi excités que nous pendant que nous le réalisions. J'espère qu'ils ressentent un sentiment de libération, mais aussi de la réflexion, quelque chose qui vous fait réfléchir, qui vous provoque et qui vous émeut. Quand vous faites de la musique, vous voulez qu'elle affecte et “infecte” les gens et qu'ils en aient vraiment une expérience viscérale et gutturale.

Vous avez mentionné avoir un intérêt pour les gens, les personnages. Quelle est la personne dont l'opinion compte le plus pour vous et pourquoi ?
Mon frère. Son opinion compte le plus lorsque nous créons de la musique. C'est bien d'avoir quelqu'un comme ça avec moi. Mais, je pense aussi que l'opinion la plus importante pour moi est probablement la mienne. Je dois écouter cette voix intérieure… mais je me trompe souvent, surtout quand je suis [en plein processus] créatif. Vous savez, la plupart du temps, se tromper est la meilleure réponse. C'est la seule façon de trouver le prochain meilleur pas en avant.

Débardeur, Louis Vuitton. Collier, Givenchy. Bracelet, Tiffany & Co.© Zhong Lin/GQ France

Pourriez-vous me donner un exemple ?
Vous savez, dans une chanson, vous pouvez essayer un accord musical et ça peut être une catastrophe si vous ne l'entendez pas ou que vous ne savez pas… car il y a deux types de personnes, celles qui ne savent pas et celles qui ne savent pas qu’elles ne savent pas.

Je vois exactement ce que vous voulez dire. Ma prochaine question peut sembler aléatoire mais vous croyez en la loi de l’attraction ?
Oui. Je pense qu'il y a une certaine quantité de choses qui se passe dans nos vies. Nous sommes tous composés de fractions de nous-mêmes qui elles-mêmes ont vécu des expériences qui n'étaient pas forcément positives. Et ces leçons que vous pourriez entendre d’une voix négative dans votre tête peuvent vous empêcher de vous réaliser, de viser plus haut et plus fort. Cela peut parfois nous empêcher de quitter notre maison ou même de dire oui à une opportunité… cela peut nous retenir.

Je voudrais revenir à votre rapport à la mode. Vous en êtes complètement amoureux et ça se voit. Pouvez-vous me dire comment vous avez développé cette appétence pour la création ?
J'aime les gens créatifs et le savoir-faire. J'ai vraiment fait un voyage incroyable avec Alessandro [Alessandro Michele fut le directeur artistique de la maison italienne Gucci de 2015 à 2022, ndlr] qui est un ami cher. C'était une balade incroyable… Je me souviens avoir assisté à des défilés de mode à Paris il y a de nombreuses années et de ne pas vraiment m'y intéresser. Et puis j'ai vu un défilé couture alors que je connaissais rien à ces fantaisies, et j'ai été frappé par le talent artistique, le savoir-faire et la qualité.

Je suis vraiment dans tous les domaines, que ce soit la photographie, la mode, le cinéma ou la musique, donc je respecte les gens qui ont la capacité de changer notre façon de voir les choses, de surprendre, de ravir, de travailler dur et de nous inspirer. Hier par exemple, j'ai visité l’exposition de Richard Avedon [au MET] qui est un des photographes qui a inspiré la vidéo. C'était tout simplement incroyable de voir son travail qui s'étend sur des décennies, comprendre à quel point cette personne avait un impact et que s’il ne l'avait-il pas fait, s’il n’avait pas travaillé dur et s’il n’avait pas pris la décision de pointer son objectif sur certains sujets, nous aurions perdu quelque chose d'assez beau.

Je pense que la musique est, d'une manière similaire, un enregistrement d'une période d’un temps spécifique, témoin à la fois de la vie d'un artiste et de la culture dans laquelle l'artiste vit. C'est un tissu très spécial de la société et quelque chose d’absolu. C’est un privilège de faire partie de cela et je suis excité à l’idée de sortir ce sixième album. Nous n'aurions jamais pensé sortir un sixième album, donc c'est un rêve absolu…

© Zhong Lin/GQ France

Ah oui, vraiment ?
Nous n'avions jamais pensé sortir un premier album, donc finir le sixième est dément. Nous sommes remplis de gratitude et d'espoir pour l'avenir et les nouvelles dates de concert. D’ailleurs nous serons à Paris, à Bercy, même si je sais que ça s'appelle autrement aujourd’hui... La dernière fois que nous nous sommes représentés sur scène à Paris, c’était pendant le festival Rock en Seine en 2018 avant de faire Bercy. Une expérience incroyable.

Veste de costume, Givenchy. Débardeur, MM6 Maison Margiela. Collier, Tiffany & Co.© Zhong Lin/GQ France

CRÉDITS PRODUCTION

Journaliste : Pierre A. M'Pelé
Photographe : Zhong Lin
Styliste : Anna Pesonen
Hair : Jacob Kajrup chez MA+ Group
Make-up : Masae Ito chez MA+ Group
Photo Manager : Daephen Foo
Creative Producer : Vincent Wong
Set Designer : Sophear Van chez Art + Commerce
Assistants stylistes : Pierre Dufait et Luana Lamaison
Assistant set designer : Victor Leverrier
Assistants lumière : Yuan Ling, Wang et Olivia Tran
Production : Radikal Prod
Coordinatrice de Production : Clara Alapont
Directrice de production : Maï Saikusa