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Lorraine Mathias Poussel, médecin du sport au CHRU de Nancy : « La douleur est là pour nous préserver »

Le Pr Mathias Poussel est médecin du sport au CHRU de Nancy. La douleur chez les athlètes de haut niveau est son quotidien. Une souffrance qui se dompte, se gère, s’apprivoise, mais doit demeurer une alarme qu’il ne faut jamais ignorer ou tenter de museler. En la bâillonnant, le risque est de mettre clairement sa santé en danger.
Thierry Fedrigo - 06 juil. 2024 à 05:00 - Temps de lecture :
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Photo Eric Thiébaut

 Photo Eric Thiébaut

C’est quoi la douleur et à quoi sert-elle ?

 C’est, déjà, un symptôme qui est hypersubjectif. On n’est pas tous égaux devant la douleur. On ne la ressent pas de manière identique. Disons qu’on a tous un seuil à la douleur et cette douleur est là comme un signal d’alarme. Donc, c’est plutôt un signal physiologique qui doit être à propos, c’est une espèce de roue de secours, qui est là aussi pour nous préserver. Notre corps nous dit : « Si un moment ou un autre tu as un mal, c’est qu’il y a vraisemblablement quelque chose qui est en train de souffrir. Donc, lève le pied. » On n’a jamais mal pour rien.

Le Pr Mathias Poussel est spécialiste en médecine du sport et accompagne certains sportifs de haut niveau. Photo Cédric Jacquot

Le Pr Mathias Poussel est spécialiste en médecine du sport et accompagne certains sportifs de haut niveau. Photo Cédric Jacquot

Le rôle de nocicepteurs

C’est uniquement subjectif d’un point de vue psychologique ou c’est simplement qu’on est on n’est pas tous constitué de la même manière ?

Il y a un peu des deux. Mais, il y a quand même un gros support neurologique, c’est une perception. Par contre, ce n’est pas juste dans la tête. On a des capteurs de la douleur, ce qu’on appelle des nocicepteurs, qui sont un peu partout en nous. Ils sont capables de détecter des messages divers et variés. Si je me frappe le doigt avec un marteau, ça va me faire mal parce qu’en écrasant le doigt, je vais stimuler ou activer des nocicepteurs sensibles à l’écrasement ou au côté mécanique du terme. Si je me brûle, j’activerai des capteurs sensibles à la chaleur.

Ces capteurs sont là pour nous alerter ?

Ces capteurs ne sont pas là justes pour nous embêter, pour nous faire avoir mal. Ils sont là comme un système de sauvegarde. Cela veut dire que, si par mégarde, au moment du barbecue, vous mettiez la main sur la grille et que vous n’aviez pas de douleur, vous laisseriez la main sur la grille et elle serait brûlée.

Certains ne disposent pas de ce système d’alerte ?

C’est très très rare, mais on a des pathologies dans lesquelles ces capteurs sont malades ou inexistants. Et puis, à l’inverse, il y a des personnes chez lesquelles ces capteurs sont hypersensibles. Vous les effleurez et ils vont vous dire qu’ils ont mal. Il y a toute la gamme.

Photo DR

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« Un sportif accepte la douleur »

En tant que médecin du sport, votre travail n’est-il pas de repousser ce seuil de la douleur chez le sportif de haut niveau ?

Nous, on est d’abord là pour préserver la santé du sportif et l’accompagner dans la performance. Ce que je veux dire, c’est qu’un sportif, à plus forte raison un sportif de haut niveau qui s’entraîne avec assiduité, va doucement mieux tolérer la douleur à force d’avoir un petit peu mal. Il va encaisser et sa sensibilité à la douleur va diminuer. À force d’entraînement et de travail, un bon sportif développe ainsi une aptitude à tolérer, plus que les autres, la douleur ou à monter son seuil de la douleur. Après, en tant que médecin du sport, la douleur est rarement une doléance à laquelle on est confrontée, en dehors d’un traumatisme aigu.

La douleur fait donc partie intégrante de la pratique sportive ?

En tout cas, un sportif va vous dire « oui, j’ai mal », mais c’est rarement sa plainte. Il l’accepte assez volontiers mentalement. Il sait que la douleur fait partie du jeu. Les seules fois où ça peut nous mettre en difficulté, où ça questionne, c’est que, malgré tout, dans certains sports, cette douleur peut être « très très douloureuse », inconfortable, et être ressentie comme quelque chose de négatif. Dans ces circonstances, on est confronté à une situation où le sportif, pour éviter cette douleur, va s’entraîner bien sûr, mais peut être aussi être amené à consommer des substances antalgiques ou anti-inflammatoires. Et là, cela peut devenir potentiellement dangereux.

Les sportifs, notamment dans les épreuves d'endurance, repoussent le seuil de la douleur. Photo ER

Les sportifs, notamment dans les épreuves d'endurance, repoussent le seuil de la douleur. Photo ER

Dangereux parce qu’on fait taire la douleur, mais pas son origine ?

C’est dangereux pour deux raisons. D’abord, si vous avez mal, ce n’est pas pour rien. Si vous prenez un médicament qui vous enlève la douleur, c’est peut-être ça qui va faire que vous allez vous blesser. Si la douleur est là, c’est aussi pour que vous ralentissiez afin d’éviter la blessure. La seconde raison, c’est l’automédication. Celui qui est en quête de performance, il peut se dire qu’il va gagner 2-3 minutes s’il n’a pas mal au 60e kilomètre, par exemple. Donc, on sait qu’il y a de l’autoconsommation de médicaments antalgiques et anti-inflammatoires, en particulier dans des épreuves d’endurance.

Ce qui pose problème ?

Déjà, on ne sait pas toujours de ce qu’on ingère. Dans ce qui est présenté comme du paracétamol, il peut y avoir un corticoïde, par exemple, qui va vous rendre positif à un contrôle antidopage. D’autre part, ces substances-là, au sens large, sont certes peut-être des antalgiques, mais elles ont potentiellement des effets néfastes. Si vous prenez un « Doliprane » pour un mal de tête, le risque est minime. Par contre, si vous êtes en train de courir 110 kilomètres, qu’il fait chaud, que vous ne buvez pas assez, alors là, peut-être que le petit médicament qui en temps normal à peu d’effets secondaires, va entraîner un pépin de santé parce que le rein, le foie, les muscles… ne vont pas l’encaisser. On est donc hypervigilant avec certains sports. On proscrit les antalgiques et les anti-inflammatoires parce qu’ils mettent le sportif potentiellement en danger.

Quelle est la méthode pour dompter sa douleur ?

Il faut, évidemment, s’entraîner, travailler, se soumettre aussi à une préparation mentale. Ensuite, vous pouvez passer un petit peu au-delà de la douleur, mais pas de façon inconsidérée. Il faut toujours rester à l’écoute de sa douleur. Et il faut arriver à se connaître suffisamment pour être capable de déceler une douleur inhabituelle. Sinon, on va plus être dans des stratégies de prévention. Il faut surveiller de près son hydratation. C’est très important d’un point de vue physiologique. Mal hydraté, un organe va vous faire mal peut-être plus tôt avant d’arriver à une défaillance. Il faut donc être vigilant sur l’hydratation et l’alimentation. Veiller à son équipement. Après, si vous en êtes à vous poser la question de prendre un médicament, c’est peut-être le signal qui vous dit de vous arrêter.