Elle nous accueille chez elle, dans un salon dominé par une immense affiche de « La Dolce Vita » en version française : la douceur de vivre. Et de fait, on se sent bien, ici, en sa compagnie, avec ce drôle de chat noir à trois pattes qui déambule à travers la pièce. Paris a mis ses habits d’été, Monica semble sortir d’un songe. Elle est belle comme promis, attentionnée comme on le dit. Amoureuse? Aussi… Fine mouche, échappant à toute étiquette, y compris celles auxquelles sa carrière de top model aurait pu l’assigner, l’actrice s’impose de film en film, élégante et libre. À la veille de son départ pour Londres, où elle rejoint le tournage du nouveau « Beetlejuice » de Tim Burton, et à quelques jours de la sortie d’une version remastérisée d’ « Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre », où elle campe une inoubliable reine d’Égypte, elle nous raconte ses nombreuses vies.

ELLE. Est-ce que vous vous souvenez de votre premier shooting pour ELLE ?

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© Nico Bustos

Monica Bellucci. C’était avec Oliviero Toscani: le début d’une histoire dont je n’aurais jamais cru qu’elle durerait trente ans! J’ai commencé à travailler alors que j’étais encore au lycée, en Italie. Mon école me permettait de manquer les cours deux semaines par an, j’allais à Milan et Paris, puis je retournais dans mon village, en Ombrie, retrouver mon quotidien de province. Ce passage d’un monde onirique à ma vraie vie – la famille, l’école, les amis – me donnait une forme d’équilibre qui me plaisait beaucoup et est resté le mien jusqu’à aujourd’hui. J’ai toujours eu besoin d’avoir les pieds sur terre, or ce milieu peut vous éloigner de l’essentiel.

ELLE. Il vous est parfois arrivé d’éprouver cet éloignement ?
M.B. Oui, avant d’avoir mes enfants, j’adorais ce que je faisais, mais j’enchaînais films, promos, festivals… À un moment donné, j’ai ressenti la nécessité de m’ancrer, de vivre quelque chose d’encore plus fort.

ELLE. Savez-vous combien vous avez fait de couvertures de ELLE ?
M.B. Non…

ELLE. Trente-deux ! Quelle jeune fille étiez-vous à l’époque ?
M.B. Trente-deux… incroyable. Je crois que l’énergie est la même, on naît tous avec une énergie particulière, la question est de savoir comment la garder quand la vie nous saute dessus ! J’ai quelque chose qui me lie à cette flamme des débuts, même si, avec les années, on gagne en expérience, on acquiert une saine distance… Jeune, on a cette innocence, cette inconscience, qui nous permet d’escalader des montagnes, et c’est tant mieux. Avec le recul, je remercie mes parents d’avoir compris mon besoin de liberté. Entre 14 et 18 ans, un âge un peu particulier, j’ai été très libre, et c’était important pour moi qui voulais grandir vite.

Les films réalisés par des femmes apprennent aux hommes à nous regarder comme on aimerait l'être.

ELLE. Comment regardez-vous les premiers pas de votre fille Deva, 18 ans, mannequin et comédienne, qui a aussi fait, pour la première fois, la couverture de ELLE ?
M.B. Cela me rend heureuse de la voir heureuse. Elle est passionnée, elle commence à avoir un beau parcours dans le monde de la mode et se fraie un chemin dans celui du cinéma. En ce moment, elle tourne une série adaptée du « Guépard », le roman de Lampedusa, déjà magistralement porté à l’écran par Visconti. Elle a passé des essais et reprend le rôle de Claudia Cardinale, Angelica. Elle vient aussi de finir le film de la réalisatrice italienne Laura Luchetti, tiré du roman de Cesare Pavese « Le Bel Èté ».

ELLE. Comment réagissez-vous à la polémique venue des États-Unis, et qui a beaucoup fait parler durant le Festival de Cannes, sur les « enfants de », les « nepo babies » ?
M.B. Deva dit toujours : « Il y a des familles de médecins, d’avocats, d’artisans… et des familles d’artistes.» Deva respire cinéma, vit cinéma depuis toujours : à la maison, on parle de films, de plateaux, de tournages… Elle fera peut-être autre chose plus tard, qui sait ? Mais quand on est « enfant de », vous savez, la barre se place encore plus haut.

ELLE. Est-ce que le cinéma se réforme ? Sentez-vous le regard sur les femmes évoluer, y compris sur vous-même ?
M.B. Oui, à petits pas. On ne peut nier qu’un changement s’opère. Á titre personnel, je travaille de plus en plus avec des réalisatrices. Je démarrerai le tournage du nouveau film de Marjane Satrapi en septembre. J’ai tourné « Mafia Mamma », de Catherine Hardwicke, une comédie américaine sur la mafia, qui va bientôt sortir en France, avec l’exceptionnelle Toni Collette. J’ai aussi travaillé avec Alice Rohrwacher, Maria Sole Tognazzi et Kaouther Ben Hania pour ne citer qu’elles… Elles ont une autre manière de regarder, de raconter, d’explorer des sujets puissants, et invisibles jusqu’ici. Voyez « Mes rendez-vous avec Léo», de Sophie Hyde, avec Emma Thompson [l’histoire d’une enseignante à la retraite qui, à la mort de son mari, s’offre les services d’un jeune escort boy, ndlr]. Quel film génial! On y raconte la beauté différemment. Avec une autre approche de la féminité, de la sensualité. On se regarde enfin, pas comme un homme nous regarderait. Et, dans le même temps, on apprend aux hommes à nous regarder comme on aimerait l’être. Moi, je crois au cinéma, je crois que le cinéma peut changer les choses, je crois qu’on peut sortir différent d’un film.

ELLE. Avez-vous parfois eu l’impression d’être réduite, objectifiée par les regards que l’on posait sur vous ?
M.B. Avoir un certain physique est à double tranchant : on crée la curiosité et la distance. Mais plutôt que de me retrouver bloquée, encombrée, entravée par ce physique, j’ai choisi d’en jouer et de faire avec. J’ai donc utilisé mon corps pour accéder à des rôles puissants : Malèna Scordia dans « Malèna » de Giuseppe Tornatore, Alex dans « Irréversible » de Gaspar Noé. Plutôt que de cacher ce corps, de le déprécier, je l’ai utilisé pour donner vie à ces personnages dont je savais qu’ils pourraient m’emmener plus loin.

ELLE. Vous tournez à Londres la suite de « Beetlejuice », film mythique de Tim Burton. Vous pouvez nous en dire plus ?
M.B. Ce que je peux dire… c’est que je suis très heureuse d’avoir rencontré l’homme, tout d’abord. C’est une de ces rencontres qui arrivent rarement dans une vie… Je connais l’homme, je l’aime, et maintenant je vais rencontrer le réalisateur, c’est une autre aventure qui commence. Moi, j’aime Tim. Et je respecte énormément Tim Burton.

ELLE. Qu’y a-t-il de gothique en vous ?

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© Nico Bustos

M.B. Disons que j’aime ce monde onirique où les monstres sont gentils, comme si l’on pouvait transformer nos aspects les plus sombres en quelque chose de lumineux, pardonner. Les films de Tim Burton parlent beaucoup de ça.

ELLE. Et pour les vacances, vous partez dans un château hanté ?
M.B. Je pars… quelque part ! Vous savez, je vis à Paris, j’ai un passeport italien, et je travaille avec des réalisateurs un peu partout dans le monde, je n’appartiens à aucune famille de cinéma. Mais je fais attention à ne pas trop voler de temps à mes filles. Léonie a 13 ans, elle a encore besoin de moi, et moi d’elle, et même si Deva travaille et voyage beaucoup, j’ai besoin de la voir dans les yeux. Alors je ne pars jamais longtemps. Je vais, je reviens.

ELLE. Vous diriez que c’est un bel âge de la vie ?
M.B. Nous, les femmes, sommes parfois éduquées dans la peur. Il ne faut pas avoir peur, il faut savoir aller vers la vie.

« Astérix et Obélix : mission Cléopâtre », d’Alain Chabat, avec Monica Bellucci, Gérard Depardieu, Christian Clavier, Jamel Debbouze, Édouard Baer… (1 h47). En salle le 5 juillet.