Les folles grottes sculptées de Ra Paulette au Nouveau-Mexique

C’est au Nouveau-Mexique, non loin de Santa Fe, qu’un autodidacte original sculpte des grottes depuis trente ans. Voici son œuvre la plus folle, installée sur les terres arides d’un resort dédié au bien-être. Son nom? Windows on the Earth, rien que ça...
Les folles grottes sculptes de Ra Paulette au NouveauMexique
© Vincent Dilio

Windows on the Earth soit Fenêtres sur la Terre, c’est le nom de la gigantesque œuvre creusée par l’artiste Ra Paulette dans la falaise de grès, jusque dans ses ouvertures sur l’extérieur.

© Vincent Dilio

Il y a parfois des allers sans retour, des voyages qui se transforment en expériences, agitent tous vos sens et bouleversent vos repères, au point de faire larguer les amarres à tout jamais. En cela, le Nouveau-Mexique est une terre promise. On se souvient que Georgia O’Keeffe s’y rendit pour oublier ses amours déçues avec le photographe Alfred Stie- glitz et n’en revint jamais, trop envoûtée par les paysages à la beauté vénéneuse qu’elle ne cessa de peindre jusqu’à sa mort. On se souvient aussi de la culture New Age qui établit son berceau dans cette région du sud des États-Unis, entraînant derrière elle, dans les années 1970, une vague de hippies en quête d’essentiel. Cette recherche du bien-être continue aujourd’hui avec les aficionados de retraites dédiées au yoga et à la méditation.

Dans cette grotte, le sculpteur a multiplié les couloirs étroits et voûtés menant vers un espace central. Les volumes lui « apparaissent comme une évidence dès les premiers coups de pioche dans la roche ».

© Vincent Dilio

Nous voici donc en route, GPS branché, à avaler les interminables lignes droites de bitume de la Highway 225. Nous les citadins en mal de nature, nous les ultra dépendants de nos écrans, avides de lâcher prise et curieux de vivre enfin l’expérience que promettent ces retraites 3.0, et plus que jamais dans l’un des berceaux de la contre culture. Nous sommes donc en route vers Origin et un séjour « all inclusive » avec, en complément, boutique d’huiles essentielles et atelier céramique. Un paradis mystique en somme, qui nous a convaincus car il affichait également l’option « voyage au centre de soi-même » par le biais d’une excursion de quelques heures dans une grotte sculptée par un artiste, située au sein de la propriété.

© Vincent Dilio

« Vous êtes arrivés à destination.» Le GPS sort de son long silence alors que nous parvenons à la hauteur d’un portail façon ranch. Au loin, Jill Marie Inanna, propriétaire du site depuis 2013, nous attend. Mais avant de nous confier les clés de notre lodge, elle souhaite que notre retraite commence par le point d’orgue du site, soit la visite de cette fameuse grotte dont les reliefs sculptés nous hantent depuis que nous les avons découverts sur Instagram. Nous posons nos valises à la hâte pour effectuer les dernières centaines de mètres à pied. Ordre nous est donné de ne pas sortir du sentier, afin de ne pas nuire à la végétation qui ondule sur le sol de ce paysage désertique, formée de plantes et autres réseaux de microfonges que l’on dit reliés entre eux et connectés à la terre sur des centaines de kilomètres. Un phénomène jamais réellement vérifié jusqu’à ce jour mais qui a contribué à entretenir des légendes aussi cosmiques que comiques sur ce morceau en soi mythique des États-Unis d’Amérique.

Les couloirs sont étroits et tout en courbes, éclairés çà et là par des puits de lumière pensés par l’artiste comme des ouvertures sur le ciel, des fenêtres sur le divin.

© Vincent Dilio

Un espace monumental. Ainsi, lorsqu’un couple d’octogénaires vient à notre rencontre pour nous saluer, on les imagine en chamans prêts à nous faire goûter à divers rites sous ayahuasca, cette préparation aux effets hallucinogènes... Nous sommes fébriles. Mais John et Véra ne sont que de simples retraités new-yorkais ayant leurs habitudes ici depuis de nombreux hivers. Ils semblent d’ailleurs toujours autant émerveillés à l’idée de revoir cette œuvre singulière que nous nous apprêtons à découvrir à notre tour.

Les motifs se prolongent jusqu’aux ouvertures sur l’extérieur, comme ici ce coquillage sculpté au-dessus d’une assise invitant à la contemplation.

© Vincent Dilio

Avant cela, la consigne est stricte : nous devons nous séparer de nos téléphone et autres appareils électroniques pour nous concentrer sur l’essentiel, et ressentir les énergies de The Window on the Earth, puisque tel est son nom. Nous sommes donc enfin prêts, après avoir largué le superflu, après avoir parcouru 8250 km depuis Paris, fait deux escales, dormi dans des motels aux moquettes élimées et dessus de lits vintage; nous sommes enfin prêts à découvrir ce sanctuaire imaginé par un certain Ra Paulette quelques années auparavant.

Des motifs ornementaux comme cette fleur ornent les parois lisses de la grotte.

© Vincent Dilio

Travelling arrière sur ce Gaudi des cavernes. Si aujourd’hui il refuse toutes les interviews, on sait de Ra Paulette qu’il serait venu se perdre dans le désert du Nouveau-Mexique pour oublier les stigmates de la guerre du Vietnam. Durant dix ans, il travailla sur des chantiers de construction dans la région, employé pour ramasser les déchets, avant de commencer, au début des années 1990, à creuser dans la tendre roche locale pour y bâtir d’étranges cathédrales. Il passe quatre années à excaver sa première grotte à l’aide d’une brouette, d’une pelle et d’une simple pioche, avant d’entamer la suivante.

Aujourd’hui, on en compte treize, même si la dernière s’est effondrée. Fatalité, déclara alors l’homme qui se considère davantage archéologue que sculpteur, estimant qu’il ne fait que découvrir ce qui existait déjà auparavant. Ra Paulette vit dans un autre monde, loin des préceptes du land art, loin de tout à vrai dire, mais au plus près du divin selon lui. Son œuvre ressemble ainsi à une offrande – c’est en tout cas ce que nous nous racontons au fur et à mesure de notre déambulation le long des étroits couloirs voûtés. Soudain, un espace monumental ouvert par un puits de lumière sur le ciel apparaît : le centre de la grotte. Ce jour-là, les nuages défilaient à toute allure, dessinant un ballet d’ombres sous nos pieds. Nous avons été parcourus de frissons.