S’il ne s’agit plus du décor le plus imposant du cinéma, Alfred Hitchcock surprend encore par l’ingéniosité de son décor avec Fenêtre sur Cour. Basé sur l'architecture des immeubles de Greenwich Village, il est en effet sublimé par l’intérêt qu’il noue avec la caméra.
Fenêtre sur Cour (1954) d’Alfred Hitchcock
L. B. « Jeff » Jefferies (James Stewart) est un photographe de presse dont l’appartement donne sur une cour et plusieurs appartement. Coincé chez lui à cause de sa jambe cassée, il s’ennuie malgré les visites de Lisa Fremont (Grace Kelly). Lors d’une canicule, son voisinage décide de vivre fenêtres ouvertes. Jeff en profite pour satisfaire son désir de voyeurisme jusqu'à ce qu’il soupçonne un de ses voisins d’avoir assassiné sa femme.
La spécificité du décor se dévoile en un lieu unique : une arrière-cour donnant sur plusieurs bâtiments dont les fenêtres nous laissent entrapercevoir la vie de ses occupants. Construit intégralement en studio, le plateau a notamment nécessité 1860 m² d’imitations de briques et 12 tonnes d’acier de construction, le tout devant être praticable et utilisable par les acteurs. Ayant coûté près du double du cachet des acteurs, le décor semble alors devenir la véritable star du film. C’est en effet l’une des priorités d’Alfred Hitchcock qui précisera qu'un « un directeur artistique doit avoir une large connaissance et compréhension de l’architecture ».
Le film pose le point de vue de Jeff, bloqué dans son appartement, observant les scènes se dérouler devant lui. Ainsi, chaque appartement devient un véritable écran de cinéma ouvrant chacun sur un film différent allant du mélodrame des romances compliquées de mademoiselle Coeur Solitaire, l’histoire personnelle d’un pianiste compositeur ou bien du spectacle de danse de mademoiselle Torso. Ce jeu d’écrans est possible grâce à l'ingénieuse architecture des appartements, volontairement très étroits, forçant ses occupants à se mouvoir très près de leur fenêtre.
Pour l’élaboration de cette maison de poupée à taille humaine, Hitchcock a demandé à toute son équipe de lui fournir quantité de clichés d'arrière-cours et de vues des bâtiments dans lesquels ils habitaient. C’est cette attention portée au détail qui permet autant de crédibilité dans ce décor et son intrigue.
Le bâtiment est intelligemment utilisé et permet de nombreux jeux avec la caméra. Le spectateur, restant du point de vue de Jeff, immobile, voit son regard obstrué de temps à autre par un coin de fenêtre, un mur en briques ou bien un volet roulant. Ainsi, le suspens est permis et accentué non pas par la mise en scène, ne modifiant pas le point de vue de la caméra, mais par l’architecture elle-même, créatrice de frustration.
Le regard est ainsi naturellement orienté et aiguillé dans ce tableau mouvant par les détails qu'il propose grâce au travail des chefs décorateurs Sam Comer et Ray Moyer. Que ce soit la couleur des murs, leur texture, la garde robe des habitants et la disposition des espaces, tout est mis en œuvre pour symboliser rapidement et efficacement chaque lieu et chaque personnage.
Ces procédés ont un seul objectif, mettre la caméra au centre de l’action. Ainsi, cette dernière se permet, à l’image de l’appareil photo de Jeff, de zoomer, défiler et traverser chaque cadre et chaque espace privé. Ce plateau agit comme une peinture dont on regarderait au travers, faisant de ce décor une œuvre qui ne peut être réellement appréciée qu’au cinéma.
D'autres films proposent une approche originale de l'espace, permettant d'autres types de dialogues avec le spectateur.