Charles III arrive à l'abbaye de Westminster pour son couronnement, le 6 mai 2023 (AFP / Andrew Matthews)

Retour à Londres, pour un couronnement presque sans-faute

 

Après cinq ans de reportages au Royaume-Uni, entre chaos post-Brexit, scandales politiques et brouilles royales, j'ai quitté le bureau de l'AFP à Londres en août 2022. Quelques jours plus tard, Elizabeth II s'éteignait, à l'issue de 70 ans de règne.  A regret, j'étais condamnée à suivre à distance le plus gros évènement de la royauté depuis des décennies. 

Quelques mois plus tard, la chance me souriait à nouveau. Le bureau me proposait de revenir pour aider à couvrir le couronnement de Charles III.  Une chance historique : le dernier couronnement a eu lieu en 1953 et qui sait quand se tiendra le prochain… 

Pour un évènement aussi important, l'AFP met les petits plats dans les grands: des dizaines de dépêches, images et infographies diffusées en amont, et plus de 60 journalistes (JRI, photographes, journalistes texte) mobilisés à Londres, Edimbourg, Glasgow, Belfast, mais aussi à Sydney ou dans l'archipel de Vanuatu, dans le Pacifique, où le père de Charles, était considéré comme un Dieu. 

Le jour J, le 6 mai, certains de mes collègues sont aux côtés des fans de la monarchie qui campent depuis des jours pour ne pas rater une miette de la procession. D’autres assisteront à l'arrestation de membres du groupe anti-monarchie "Republic", qui voulaient manifester au passage du roi - déclenchant une vive polémique, toujours vivace au moment où j'écris.

 

Des membres du groupe anti-monarchie Republic manifestent près de Westminster Abbey, au matin du 6 mai 2023 (AFP / Sebastien Bozon)

 

Quant à moi, le bureau de Londres m’a désignée pour prendre la seule chaise réservée à l’AFP à l'intérieur de l'abbaye.  Celle-ci doit débuter à 11h, mais consigne est donnée d'arriver à 7h précises avec une tenue "appropriée pour l'occasion". Mais comment s’habille-t-on pour un couronnement ? Peut-on porter du noir ? Doit-on avoir les cheveux couverts ? Buckingham Palace m’aiguille: "robe ou costume-cravate, chapeau en option".

Ces conseils en tête, j'étais allée avant de partir dans un grand magasin. "C’est pour quelle occasion ?" m'avait demandé la vendeuse.  "Hum… du genre un peu chic", avais-je répondu, avant de repartir avec une robe couleur ocre, qui se révélera assortie à la mitre de l’archevêque de Canterbury. 

Samedi 6 mai, je mets deux alarmes à 5h du matin : pas question de risquer la panne d’oreiller.  J’arrive bien trop en avance, à 6h15, au point de rendez-vous donné à la presse. M’y rejoignent une petite trentaine de confrères endimanchés, de la BBC au Scotsman, en passant par la presse canadienne. Plusieurs sont en jaquette, une consoeur arrive en baskets rapidement troquées pour des escarpins.

Nous pénétrons dans l'imposant monument près de deux heures plus tard, peu avant 8h, après les contrôles de sécurité de rigueur. Des dizaines d’invités sont déjà installés. Leurs sièges se font face de chaque côté de l’allée centrale, un peu comme pour un défilé de mode. Je croise d’ailleurs Edward Enninful, rédacteur en chef du Vogue britannique. 

 

Le Prince Harry, loin de son frère William, héritier de la couronne, et de son père Charles, a un échange avec la princesse Anne, en marge de la cérémonie du couronnement (AFP / Richard Pohle)

 

Des dignitaires étrangers en costumes traditionnels côtoient des Écossais en kilts et la soprano sud-africaine Pretty Yende dans une spectaculaire robe jaune. Même les hommes d’église ont revêtu leurs plus beaux vêtements liturgiques. Chacun est sur son 31. Un chic qui tranche avec les ponchos en plastique des fans de la monarchie qui patientent dehors sous la pluie.

Avec les autres journalistes, nous prenons place dans le transept nord. Je repère la place réservée à la responsable presse du palais de Buckingham, en me disant qu’elle doit sûrement avoir la meilleure vue, et m’assois stratégiquement juste à côté.

La vue est en fait en partie obstruée par un pilier : mes collègues restés au bureau verront certainement mieux les détails à la télévision. Mais il y a des écrans placés sur plusieurs piliers, dont un juste devant nous, pour ne rien rater. Et tout l'intérêt de se trouver dans l'abbaye, c'est de ressentir l'ambiance, capter les à-côtés --- et pouvoir réagir vite en cas d’imprévu qui ne serait pas capté par les caméras. 

 

Le prince Louis, assis entre sa soeur Charlotte et sa mère, Princess Kate, surpris en train de bailler durant la cérémonie du couronnement de son grand-père (AFP / Yui Mok)

 

De ma place, je surprends le prince Louis, 5 ans, à bâiller. Et je peux observer le prince Harry, qui semble d’humeur badine, bien qu’isolé au troisième rang, partiellement dissimulé par le chapeau à plumes de sa tante, la princesse Anne. Seul, sans son épouse Meghan et ses enfants restés en Californie, le deuxième fils de Charles sait que tous les regards sont tournés vers lui et qu’il doit faire bonne figure, lui qui a osé critiquer la famille royale sur Netflix et dans un livre à succès, "Le Suppléant".

Dans la nef, l’assemblée est très diverse : Charles III a sacrifié une partie de l’aristocratie pour la méritocratie, conviant de nombreux responsables associatifs et membres de la société civile. On imagine le déplaisir de nombreux Lords qui n’ont pas reçu le précieux carton d’invitation. 

Chaque invité a reçu un livret détaillant le déroulé de la cérémonie. Car un couronnement, c’est un peu comme un match de cricket : c’est long, et on ne comprend pas toujours ce qui se passe. Nous avons quelques heures à tuer et prenons notre mal en patience. Après tout, Charles a bien dû patienter quelques décennies, lui. 

Je dois résister à la tentation du selfie à l’abbaye : interdiction nous a été faite de prendre des photos ou de tweeter. Je peux envoyer de courts messages à mes collègues restés au bureau pour leur décrire un peu l’atmosphère, ou l’odeur des arrangements floraux soigneusement sélectionnés par le roi, grand passionné de nature. Je dois aussi ronger mon frein de journaliste d'agence, car ce n’est qu'après la cérémonie que je pourrais écrire mon papier.  En attendant, dans les rangs de la presse, quelques ventres gargouillent et certains lève-tôt se partagent discrètement des bonbons. 

A 9h, la musique démarre pour faire patienter l’assemblée. Il faudra encore attendre deux heures avant que Charles et Camilla fassent leur entrée.

 

Charles III, la couronne de St Edward sur la tête et les deux sceptres du souverain en main, pendant la cérémonie du 6 mai (AFP / Richard Pohle)

 

Ce qui frappe immédiatement, c’est le visage grave du monarque. Au moment où il remonte l’allée centrale, le public s’inclinant à son passage, à quoi pense-t-il ? Peut-être à Elizabeth II, dont les funérailles se sont déroulées il y a moins de huit mois ? 

Charles n’avait que quatre ans lorsqu’il a assisté au couronnement de sa mère, à 27 ans, propulsée sur le trône  après la mort brutale de George VI. Le nouveau monarque a lui déjà 74 ans, est cinq fois grand-père,  et a eu amplement le temps de se préparer à la tâche qui l’attend. Pourtant, il semble songeur, ému, presque accablé par le poids de sa fonction. Ses premiers mots sont pour affirmer qu’il est là "non pour être servi mais pour servir". 

Peut-être une façon de justifier l’utilité de sa fonction à un moment où elle est davantage remise en question. Car si la majorité des Britanniques restent favorables à la monarchie, les jeunes y sont pour la plupart indifférents, voire hostiles. Et le coût de la cérémonie, au moins 100 millions de livres sterling, en grande partie à la charge du contribuable,  ne va pas arranger les choses, en pleine inflation.

En voyant Camilla à ses côtés dans l’abbaye, impossible de ne pas penser au chemin parcouru : en septembre 1997 se déroulaient dans cette même abbaye les obsèques de Lady Di, et Camilla Parker-Bowles était l’une des femmes les plus haïes du pays, accusée d’avoir brisé le mariage de Charles et Diana. Huit ans plus tard, Camilla épousait Charles, et ce samedi, un quart de siècle après la mort de Diana, elle est couronnée reine. 

Quelques touches de modernité ont été apportées, avec l’implication de femmes évêques, l'ajout d'un gospel, ou la présence de responsables juif, musulman, bouddhiste, hindou et sikh, afin de refléter la diversité d’une société qui a beaucoup changé depuis 1953. Même le Premier ministre Rishi Sunak, qui est hindou, lit devant l’audience un passage de l’Epître aux Colossiens. 

Mais malgré ces nouveautés, la cérémonie semble surgie du passé et par moments assez irréelle. On présente ainsi à Charles des éperons, symboles de chevalerie, ou encore des "bracelets de la sincérité et de la sagesse", tandis que retentissent à plusieurs reprises des trompettes ornées d’oriflammes dignes de l'époque médiévale. 

C’est un spectacle parfaitement orchestré, avec des chants magnifiques résonnant sur les hauts murs de pierre.  Et quand l’assemblée de plus de 2.300 invités proclame d’une seule voix "God save the king",  le temps se fige. 

 

Charles III et la reine Camilla dans le carosse, lors de leur retour au palais de Buckingham après la cérémonie (AFP / Odd Andersen)

 

Fraîchement couronné, le roi quitte l’abbaye en carrosse, et moi à pied, sous une pluie battante, en me dépêchant pour écrire rapidement ma dépêche. Je me dis que Charles peut enfin se détendre : aucun grain de poussière, aucun imprévu n'est venu faire dérailler la parfaite mécanique. 

J’apprendrai plus tard que William et Kate sont arrivés en retard, entrant dans l'abbaye derrière le roi, alors qu’ils auraient dû être déjà à leur place. De cela, à l’intérieur, je n’avais rien su, tandis que mes collègues restés au bureau suivaient minutieusement le déroulé. La chaîne Sky News affirmera aussi, en s’appuyant sur un spécialiste de la lecture des lèvres, que Charles aurait dit à Camilla, en attendant William et Kate dans leur carrosse devant Westminster, "We can never be on time" (On ne peut jamais être à l'heure), avant d'ajouter, apparemment énervé: "This is boring" (On se barbe).

Allons Charles, ne soyez pas trop sévère, les choses se sont quand même plutôt bien passées ...

 

Edité par Catherine Triomphe à Paris

Pauline Froissart