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Comptes rendus et notes critiques

HAMERY (Roxane), Des écrans pour grandir. Films et séances cinématographiques pour la jeunesse (1910-1970)

Paris, Association française de recherche sur l’histoire du cinéma, 2022, 422 p.
Jérôme Krop
p. 274-276
Référence(s) :

HAMERY (Roxane), Des écrans pour grandir. Films et séances cinématographiques pour la jeunesse (1910-1970), Paris, Association française de recherche sur l’histoire du cinéma, 2022, 422 p.

Texte intégral

1Après la publication de Ténèbres empoisonnées ? Cinéma, jeunesse et délinquance de la Libération aux années 1960, qui s’intéressait déjà au rapport du cinéma à la jeunesse dans la société française, Roxane Hamery, professeure d’histoire du cinéma à l’université Rennes 2, nous propose un ouvrage de synthèse consacré à l’essor, de la Belle époque à la fin des Trente Glorieuses, de films destinés aux enfants et aux adolescents et aux modalités d’organisation de séances cinématographiques pour ce jeune public.

2Si le projet d’un cinéma pour l’enfance et la jeunesse repose, dès les années 1910, sur le consensus établi autour de la nécessité de préserver le public juvénile, les mesures de prophylaxie morale qui accompagne son essor ne sont pour l’auteur que le corollaire des actions éducatives qui se développent dès cette époque. L’image devient alors un élément central de la culture juvénile dans le prolongement de l’expansion de la littérature et de la presse destinées à une jeunesse plus lettrée et disposant de plus de temps libre que les générations précédentes. Si le premier contact des plus jeunes avec le cinéma reste encore souvent fortuit dans les années 1910, ils deviennent très vite une cible pour les premiers entrepreneurs de spectacles cinématographiques, à l’image de Méliès. Les films moralisateurs prolongeant l’entreprise d’instruction publique de la Troisième République restent marginaux.

3Les années 1920 voient la naissance des mouvements cinéphiliques de légitimation du cinéma en tant qu’art mais celui-ci n’accorde pas encore une place spécifique au jeune public. Aussi cette question mobilise les éducateurs qui entendent se saisir du cinéma. Dans un premier temps, Roxane Hamery nous guide à travers cet univers en expansion des premières projections destinées aux enfants organisées dès les années 1910 par les patronages et les salles familiales dans les milieux catholiques jusqu’à l’émergence dans les années 1930 des premiers ciné-clubs dédiés. L’évocation de figures pionnières donne chair à ce milieu de passionnés de cinéma et d’éducation, entre activité philanthropique et engagement social et politique, sous l’influence du mouvement de l’éducation nouvelle.

4La Seconde Guerre mondiale marque ensuite une rupture décisive dans le passage du cinéma au statut d’objet culturel dans un contexte de diffusion des progrès de la psychologie de l’enfant. Le modèle du ciné-club s’impose massivement jusqu’à la fin des années 1960. Au sein d’une seconde génération d’activistes voués au cinéma de la jeunesse, le rôle de Jean Michel, premier président de la Fédération française des ciné-clubs de jeunes fait l’objet d’un chapitre très intéressant montrant l’ampleur de la diffusion des écrits de ce penseur de l’usage éducatif du cinéma dans le monde de l’éducation populaire. Le rôle de l’état comme soutien institutionnel à la production et à la diffusion des films, à la formation des animateurs des ciné-clubs de jeune se renforce, non sans ambiguïtés.

5Dans le contexte d’intense réforme éducative des années 1950 et 1960, alors que les débats sur les méthodes pédagogiques se développent, le cinéma apparaît un temps susceptible de devenir une discipline scolaire à part entière, au risque de nuire à l’attrait du cinéma et à la spontanéité de la cinéphilie juvénile. L’action de l’État est centrée sur le soutien à un tissu associatif qui se développe autour d’une part de la Société française du cinéma pour la jeunesse (SFCJ) et de l’Association nationale du cinéma pour l’enfance et la jeunesse (ANCEJ) dont certains cadres sont issus du scoutisme et la Jeunesse ouvrière chrétienne et d’autre part autour du Comité français du cinéma pour la jeunesse (CFCJ) plus proche de la Ligue de l’enseignement. Les ciné-clubs de jeunes entendent aider les enfants et les adolescents à construire une culture cinématographique les conduisant à aborder une sélection choisie de la filmographie adulte, le CFCJ affichant l’ambition de protéger la jeunesse sur le plan moral de l’influence du cinéma commercial. Toutefois, les recherches visant à mieux comprendre comment les enfants appréhendent le cinéma constituent la part la plus originale des activités de ce comité présidé par Henri Wallon.

6Roxane Hamery nous montre dans la dernière partie comment le modèle de diffusion culturelle du cinéma auprès de la jeunesse évolue dans un contexte de passage de l’éducation populaire à l’action culturelle dans les années 1960-1970. Une véritable réflexion pédagogique sur la formation aux images et aux techniques audiovisuelles se développe tandis que la jeunesse apparaît comme un nouveau marché cinématographique. Les films d’animation gagnent néanmoins en France leur lettre de noblesse, comme le montre l’émergence progressive de grands classiques dont Le Roi et l’oiseau de Paul Grimault est l’archétype. Enfin, bien qu’il apparaisse en décalage par rapport à la thématique cinématographique de l’ouvrage, un dernier chapitre aborde l’essor dans les années 1970 d’une large programmation télévisuelle destinée aux enfants, particulièrement après l’éclatement de l’ORTF en 1974. Ce chapitre évoque notamment des débats très contrastés que la généralisation de l’accès à la télévision suscite alors dans les milieux pédagogiques. En définitive, même si nous pouvons regretter que les usages pédagogiques du cinéma à l’école ne soient pas évoqués, ce livre pose les jalons d’une histoire sociale et culturelle du cinéma destiné à la, de l’entre-deux-guerres à la fin des Trente glorieuses.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jérôme Krop, « HAMERY (Roxane), Des écrans pour grandir. Films et séances cinématographiques pour la jeunesse (1910-1970) »Histoire de l’éducation, 161 | 2024, 274-276.

Référence électronique

Jérôme Krop, « HAMERY (Roxane), Des écrans pour grandir. Films et séances cinématographiques pour la jeunesse (1910-1970) »Histoire de l’éducation [En ligne], 161 | 2024, mis en ligne le 01 juillet 2024, consulté le 04 juillet 2024. URL : http://journals.openedition.org/histoire-education/9957 ; DOI : https://doi.org/10.4000/11wtr

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Auteur

Jérôme Krop

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