Joe Kidd (John Sturges, 1972)

Un ancien chasseur de primes recruté par un gros propriétaire pour capturer un bandit mexicain se retourne contre son employeur dont les méthodes sont sanguinaires.

Fan de Clint Eastwood depuis ma tendre enfance, je n’avais jamais vu Joe Kidd tant sa réputation est médiocre malgré un réalisateur honorable, un genre qui est celui de prédilection de la star et la présence de l’excellent Robert Duvall. En fait, ce n’est pas si mal. Certes, les motivations des personnages dans la dernière partie manquent de clarté. Certes, Eastwood recycle son personnage de cow-boy laconique dans des séquences ne brillant pas toujours par leur inventivité (le début dans la prison). Son laconisme peine d’ailleurs à rendre sensible la prise de conscience de son personnage. Mais il est alors au sommet de son charisme et de sa prestance donc peu importe. Le scénario signé Elmore Léonard est intéressant, opposant Clint à des proto-fascistes un an avant Magnum Force. Le rythme est vif, les scènes d’action sont pas mal et John Sturges n’a pas perdu le sens de l’espace ainsi qu’en témoignent l’exploitation des trois dimensions de l’église dans le segment central aussi bien que la beauté de ses paysages, dotés d’un relief qui fait défaut à ceux d’Alméria. Enfin, le dénouement avec la locomotive qui rentre dans le saloon ne manque pas de sel et le pastiche morriconien de Lalo Schiffrin n’est pas désagréable.

Sex shop (Claude Berri, 1972)

Pour augmenter son chiffre d’affaire, un libraire convertit sa boutique en sex-shop.

A l’heure de la pornographie généralisée, l’exotisme moqueur de la peinture du milieu libertin a fait long feu même si les seconds rôles (Jean-Pierre Marielle, Jean Tissier, Claude Piéplu…) sont savoureux. En revanche, le regard sur le couple ne manque ni de tendresse ni de justesse. En prime, Serge Gainsbourg a composé pour l’occasion deux de ses plus belles chansons.

La juste route (Ferenc Török, 2017)

En 1945 en Hongrie, des notables d’un village sont affolés par le retour de deux Juifs.

La juste méfiance suscitée par les films contemporains en noir et blanc, surtout très léché comme ici, ne doit pas empêcher de reconnaître la qualité de cette oeuvre où c’est sans surplomb ni caricature que les auteurs opposent les villageois envahis par la mauvaise conscience à la dignité des survivants. Ce contrepoint sublime et émouvant, de même que la variété des réactions des villageois, évite la délectation dans la misanthropie qui caractérise tant d’oeuvres françaises sur la même période.

Le cinéma de papa (Claude Berri, 1971)

La jeunesse de Claude Berri, qui voulait percer dans le cinéma, encouragé par son père fourreur du faubourg Poissonnière.

Eu égard à son caractère extraordinairement personnel (Claude Berri a écrit ce film avec son père et les deux auraient joué leur propre rôle si ce dernier n’était pas subitement décédé juste avant le tournage), Le cinéma de papa déçoit quelque peu. Le rythme est enlevé, le regard est gorgé de tendresse et de pudeur, ça sonne généralement juste (sauf dans l’exubérance comique qui fait parfois légèrement forcée) et la voix-off est bien écrite, bref l’ensemble est joli, mais la mise en scène manque d’ampleur et de mouvement et les deux comédiens principaux -Claude Berri pourtant dans son propre rôle et Yves Robert- sont trop limités. Le milieu des fourreurs juifs parisiens eût pu donner lieu à une évocation plus chaleureuse et pittoresque. Je ne pense pas que Berri fuyait le pittoresque, ainsi qu’en témoignent les scènes au café, même si son focus principal concernait les rapports entre lui et son père, rapports qui ne sont pas non plus montrés avec toute la profondeur espérée. On reste au stade de la chronique, juste, parfois drôle ou touchante, mais pas franchement bouleversante. En définitive, Le cinéma de papa est un bon film mais sa matière s’avère nettement plus surprenante et émouvante dans sa forme littéraire, dans Autoportrait, les très bons mémoires de Claude Berri.

Chien de la casse (Jean-Baptiste Durand, 2023)

Dans un village du sud, l’amitié entre deux désœuvrés est ébranlée par la relation du plus jeune avec une fille…

Dans un cinéma français dominé par Pierre Niney, Virginie Elfira et autres Vincent Lacoste, Raphaël Quenard est évidemment une révélation de tout premier ordre. Son charisme écrasant et sa gouaille pleine d’inventions, au service d’une vision réaliste mais surprenante des jeunes de villages, fascinent. Le revers est que face à lui, le mono-expression Anthony Bajon peine à rendre crédible son personnage, surtout que ce dernier est chargé de porter les articulations les plus artificielles du scénario. Le format large magnifie les paysages des Causses (est-ce les Causses?) et donne une dimension westernienne à ce récit de maturation qui a l’originalité et le bon goût de se terminer positivement. Bref, Chien de la casse est un premier film imparfait mais mieux que prometteur.

Brassard noir dans la neige (Kenji Misumi, 1967)

L’épouse d’un patron est bouleversée quand elle apprend que son mari a une liaison avec leur servante.

Mélodrame authentique, structuré autour d’une avalanche de coïncidences dramatiques digne de Matarazzo. Dans le récit, le plus intéressant est la peinture de la passion amoureuse, irrépressible, mais celle-ci se retrouve diluée dans les multiples rebondissements. Le découpage transfigure ce canevas de différentes façons: l’utilisation esthétisante du décor enneigé mais aussi les plans sur l’excellente Ayako Wakao qui, occasionnellement, nuancent et enrichissent avec finesse son personnage donc la dramaturgie (je pense à son visage lorsque meurt l’enfant). Bref, Brassard noir dans la neige est un bon mélo qui aurait gagné à davantage d’unité.

Le lit conjugal (Marco Ferreri, 1963)

Un quadragénaire est épuisé par sa jeune épouse

Son début peut laisser croire que Le lit conjugal, coécrit par Pasquale Festa Campanile et interprété par Ugo Tognazzi, s’apparente à la comédie italienne. Mais assez vite, la lourdeur de la charge (anticléricale et antimatriarcale), le goût pour le grotesque et, bien plus significatif et préjudiciable, l’arbitraire d’un récit incompréhensible qui entend assimiler les humains à des insectes, réduisent l’oeuvre à du Ferreri pur jus. Malheureusement.

La légende de Zatoïchi : voyage meurtrier (Kenji Misumi, 1964)

Le guerrier aveugle Zatoïchi recueille le bébé d’une femme assassinée pour le conduire à son père. En chemin, il rencontre une voleuse qui l’aide à s’occuper de l’enfant.

Je découvre le cinéaste Kenji Misumi et la série Zatoïchi avec ce film. J’ai l’impression d’avoir vu un archétype de film industriel: bien ouvragé, sympathique dans son esprit, dénué de tout génie qui ferait sortir l’oeuvre des rails de la convention. La fin est assez amère puisque le héros rejette la fille mais on se doute que c’est pour que la série puisse continuer. Le manichéisme de la caractérisation des personnages est dénué de nuance et le récit souffre de la répétitivité des situations, tant dramatiques -les confrontations avec les méchants- que plus légères -les confrontations avec les couches du bébé.

Cependant, la rapidité des séquences d’actions -où Zatoïchi est représenté comme un superhéros- séduit et la dernière d’entre elles, avec les torches, fait montre d’une plaisante inventivité graphique. Le rythme est enlevé, ce qui, malgré la relative pauvreté narrative susmentionnée, permet de ne pas s’ennuyer. La dimension mélodramatique s’intègre naturellement au film de sabres, sans appesantissement. Le découpage est clair et, parfois, met en valeur l’ampleur d’un paysage. Bref, la facture est classique et en définitive, j’ai passé un bon moment.

Thomas Gordeïev  (Marc Donskoï, 1959)

En Russie tsariste, un fils de bourgeois prend conscience de l’injustice sociale.

Contre-plongées, gros plans, mouvements de caméra ostentatoires…J’ai eu l’impression que le formalisme de Marc Donskoï, qui réalisa dans les années 30-40 de grands films lumineux de simplicité (tel En gagnant mon pain déjà adapté de Gorki), s’était mis au goût du jour kalatozovo-ouroussevskien; sans pour autant donner dans le lyrisme tourbillonnant. Cette virtuosité donne lieu à des plans magnifiques, notamment de rivières, mais instaure également une barrière formelle qui nuit à l’immédiateté du propos humaniste.

Cinquième colonne (Saboteur, Alfred Hitchcock, 1942)

Un ouvrier américain faussement accusé de sabotage cherche à prouver son innocence en infiltrant un réseau d’espions.

La première partie est vraiment bien: les rencontres du fugitif avec différents marginaux (aveugle, monstres de cirque) qui choisissent de l’aider envers et contre les apparences insufflent un discret parfum de transcendance chrétienne à une cavale par ailleurs menée avec un impeccable sens du rythme et une jubilatoire profusion d’inventions. La suite qui confronte le héros à un grotesque cercle d’espions mondains, même si elle comporte plusieurs plans extraordinaires, a fait ressortir ma hitchcockophobie: grandes déclarations qui sonnent faux (le ton tranche d’avec la fantaisie tintinesque de Correspondant 17: entretemps l’Amérique est entrée dans la guerre), invraisemblances en pagaille, gratuité des péripéties, découpage parfois guidé par le goût du clin d’oeil plus que par la logique (la fusillade dans le cinéma), romance qui prend de la place mais qui reste au stade de la convention…On est aux antipodes de la densité -et de la poésie- d’Espions sur la Tamise, chef d’oeuvre de Fritz Lang au sujet analogue. Mais impossible de faire la fine bouche devant le remarquable finale sur la statue de la Liberté. Cinquième colonne est un film insatisfaisant mais brillant.

Plus qu’hier, moins que demain (Laurent Achard, 1999)

Après un an d’absence, une jeune femme, porteuse d’un secret, passe un week-end dans sa famille.

Il est difficile, et vain, de résumer un récit qui fourmille de personnages, d’intrigues et où l’essentiel ne se dévoile que petit à petit, au détour de sympathiques scènes de genre (fête d’entreprise, pique-nique…). Disons que ce récit s’articule, en grande partie mais pas uniquement, autour du passé qui resurgit. Mais cet aspect traumatique, assez commun dans le cinéma d’auteur français, est contrebalancé par des trouées solaires à la Renoir où rivières et forêts sont superbement filmées. Au sein d’un ensemble naturaliste qui ne manque pas de justesse, c’est progressivement, avec un sens de la pudeur mais aussi du réalisme concret (le jeu autour de la bague) purement cinématographiques, qu’affleure la dimension mélodramatique qui culmine dans une confrontation rappelant l’amour maladif chez Jean Grémillon. A commencer par Mireille Roussel et Pascal Cervo, les acteurs sont tous très bons. Ainsi, quoiqu’il s’inscrive clairement dans une filiation cinéphilique française, ce premier long-métrage de Laurent Achard, remarquablement abouti, donne une impression de singularité grâce à la maîtrise de la mise en scène qui sous-tend un regard dénué de diabolisation comme de complaisance; inceste et racisme sont pourtant des thèmes abordés ici, qui auraient pu donner lieu à un film infiniment plus lourd.

L’oiseau de Paradis (Delmer Daves, 1951)

Visitant un ami d’université sur son île du Pacifique sud, un jeune homme tombe amoureux de la soeur de ce dernier.

Nouvelle adaptation de la pièce déjà filmée par King Vidor en 1932. Malgré que le sujet de la différence entre les cultures ait pu inspirer Delmer Daves dans ses westerns, il est ici traité avec un respect pour l’altérité qui sombre dans le relativisme (manque de recul critique par rapport à la pratique du sacrifice humain). L’histoire d’amour est peu crédible, manquant de la sensualité que Delmer Daves a pu insuffler à ses meilleurs films. Mais les images en Technicolor sont jolies, quoique plus sombres que ce à quoi on pourrait s’attendre, et l’éruption volcanique finale est spectaculaire.

Etat second (Fearless, Peter Weir, 1993)

Un survivant d’un crash aérien qui se pense invulnérable noue une relation avec la mère d’un enfant mort dans l’accident.

Sans doute le plus subtil et le plus émouvant des récits de quête spirituelle chers à Peter Weir. Original et désarçonnant mais fondamentalement cohérent et riche d’accents dostoïevskiens, il retrace un retour à l’humanité du héros via la prise de conscience de sa propre vulnérabilité et du besoin de son entourage. L’assouvissement cosmique se fait finalement grâce à l’intimité du foyer et c’est bouleversant. Avec tact et soutenu par des acteurs excellents (Jeff Bridges bien sûr mais aussi la craquante Rosie Perez), Peter Weir évoque la perte, le deuil, la compassion, l’héroïsme. L’impossibilité du deuil est notamment figurée à travers un des plus beaux ralentis de l’histoire du cinéma (un des plus discrets aussi). Cette retenue toute classique n’empêche pas le cinéaste, notamment dans les flash-backs, de cueillir le spectateur avec un lyrisme mystique qui, basé sur les cordes de Maurice Jarre, la sublime lumière d’Allen Daviau (chef opérateur de Spielberg et ça se voit) et un montage brillant, emporte le morceau malgré un côté très casse-gueule sur le papier. Etat second est le cas rare d’un titre méconnu qui est aussi le chef d’oeuvre de son auteur.

Sur le pavé de Berlin (Berlin Alexanderplatz, Phil Jutzi, 1931)

Dans les années 20 à Berlin, un homme sorti de prison essaye de rester dans le droit chemin.

L’imbitable pavé d’Alfred Döblin a été élagué pour se centrer sur sa ligne directrice: les confrontations de Franz Biberkopf à des malfrats qui le font dévier du droit chemin. Les ressorts psychologiques du héros s’en trouvent clarifiés, au risque d’un léger schématisme (préférable dans une oeuvre d’art à la confusion). Ce gain en rigueur dramatique n’empêche pas Pḧil Jutzi de faire, comme dans Mutter Krausens fahrt ins Glück, la part belle au décor berlinois, avec de longues vues quasi-documentaires tel le début qui voit Franz arriver en tramway dans son quartier. La caméra est remarquablement mobile, avec des travellings mais aussi et surtout de nombreux panoramiques sur l’extérieur pendant que les personnages continuent de parler donc que la « scène » continue de se dérouler. Ce dernier procédé, purement cinématographique, insère l’intrigue dans un environnement plus vaste de façon infiniment moins laborieuse que les accumulations d’entrefilets dans le roman originel. Enfin, Henrich George est parfaitement convaincant dans le rôle du malheureux repenti. Bref, c’est très bien.

Adieu Lady (William Wellman, 1956)

Dans un bayou, un orphelin qui vit avec son vieil oncle recueille une chienne.

Un beau noir et blanc met bien en valeur les décors naturels mais l’histoire, qui tire sur la corde sensible en mêlant (et séparant) enfant et petit chien, est des plus lénifiantes. Walter Brennan est agaçant. La musique appuie la mièvrerie, ce qui est étonnant pour un film signé Wellman.

La dernière chance (Leopold Lindtberg, 1945)

En septembre 1943, deux évadés alliés aident des réfugiés à passer de l’Italie à la Suisse.

Ce beau film suisse se distingue d’autres films contemporains sur les civils face aux ravages de la seconde guerre mondiale (un genre à part entière dans la deuxième moitié des années 40) car il préfère la sobriété aux effets de manche expressionnistes, qui gâchent Les assassins sont parmi nous ou Quelque part en Europe. Avec ses interprètes eux même anciens prisonniers de guerre, La dernière chance est un film authentiquement néo-réaliste à rapprocher de Rossellini. Le récit, porteur d’espoir, est simple et nourri par les variations de la géographie (la montagne est joliment filmée) et les rencontres; les personnages de dix nationalités différentes sont liés par les circonstances dans une fuite et un combat face à un ennemi commun. Ce réalisme de bon aloi se retrouve dans les dialogues: on y entend au moins cinq langues différentes, ce qui contribue à faire de La dernière chance le parangon le plus éclatant, et pas du tout désincarné, de film européen.