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Paul Alliès

Professeur Emérite à l'Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).

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Billet de blog 18 juin 2020

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De Gaulle et le coup d’Etat du 13 mai 1958

La célébration de l’Appel du 18 juin 1940 ne saurait faire oublier l’implication du Général dans un autre événement, déterminant pour l’avènement de la V° république. Et il s’agissait bien d’un coup d’Etat.

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Le 12 mai 1958 à Paris, l'Assemblée Nationale investit Pierre Pflimlin (MRP) à la tête d'un gouvernement de coalition avec des socialistes, des radicaux et des démocrates-chretiens. A Alger le Gouvernement Général est occupé et mis à sac par les partisans de l'Algérie Française, couverts par l'armée. Deux jours plus tard le général De Gaulle se déclare "prêt à assurer les pouvoirs de la République". La V° du nom va naître de ce qui est un coup d'Etat dans la parfaite tradition bonapartiste.

Aujourd'hui, ces circonstances gênent ou sont minimisées. La crise des institutions est telle, l'engouement de Macron pour De Gaulle est si grand qu'on préfère oublier cet avènement par la force d'un régime qui nous régit toujours. Pourtant comme l'a jugé Serge Berstein, "le 13 mai, c'est un 6 février 34 qui aurait réussi"; ce qui n'est pas rien. Ce coup d'Etat a en effet repris la même division du travail entre les ligues d'extrême-droite et la droite parlementaire dans les années Trente quand celle-ci faisait appel à celles-là pour déstabiliser le pouvoir quand la gauche le détenait. L'occultation de cette réalité tient pour beaucoup à la manière dont De Gaulle a ensuite promu une république autoritaire, le faisant passer pour un acteur consensuel capable de juguler les pulsions fascisantes de l'armée coloniale. Il aurait en quelque sorte, sauvé l'essentiel, vu "l'effondrement naturel de la IV° République", thèse gaulliste récurrente.

Et pourtant: les réseaux gaullistes ont bien été déterminant dans ce coup d'Etat. Celui des partisans de l'Empire colonial (Foccart, Guichard); celui des "Républicains sociaux" (Michel Debré) qui mènent campagne permanente depuis juin 57 à la fois pour l'Algérie française et pour une révision constitutionnelle; celui des néo-bonapartistes ( Sanguinetti) qui préparent une action subversive contre la IV° République. Ils s'appuient sur les associations d'anciens combattants mais aussi la presse populaire de Dassault (Jours de France) pour exiger de René Coty un appel à De Gaulle (2.500 ouvriers des usines Simca à Poissy ont été enjoints par leur « syndicat maison » de signer une lettre en ce sens au président de la République).

Le souci des gaullistes est de contrôler les ultras d'extrême-droite (Le Pen) issus du poujadisme et restés très actifs en Algérie notamment dans les milieux de l'encadrement militaire. Ils ont renoué avec les complots, les idées et les hommes de La Cagoule de 1935 qui veulent toujours instaurer "un Etat chrétien, corporatif et décentralisé". Ils ont pour cela bel et bien mis au point le scénario qui va se réaliser le 13 Mai à Alger avec la prise du Gouvernement Général et la création d'un Comité de Salut Public. Ils prévoyaient d'investir la manufacture d'armes de St Etienne et la ville de Lyon; et pariaient sur un "soulèvement communiste" qui aurait permis la levée en masse des Français d'Algérie et leur débarquement en métropole grâce à l'encadrement des régiments de parachutistes.

L'armée était donc à la charnière de tous ces réseaux activistes, gaullistes et ultras. Elle laisse se dérouler la prise du bâtiment du Gouvernement, le général Salan lui donnant même une dimension officielle et nationale en appelant à manifester solennellement dans tout le pays. Il soutient l'idée d'un Gouvernement de Salut public avec De Gaulle à sa tête et l'appui de tous les réseaux de "défense de l'Algérie Française", y compris ceux d'extrême-droite. L'"opération Résurrection" est conçue par les généraux Petit, Salan, Jouhaud, Massu, Ely, Dulac. C'est le complot par excellence qui va de la révocation des préfets (violemment à Oran) et à la prise de contrôle de la préfecture d'Ajaccio par les paras (ce qui est fait le 24 mai). L'aboutissement devait être l'arrivée de Salan et des troupes factieuses à Paris débouchant sur un appel au général De Gaulle. Celui-ci a bel et bien donné son accord "en dernière extrémité" à ce plan le 29 mai pour le reprendre aussitôt, inquiet sans doute d'un risque de guerre civile suite à la mobilisation de rue du Parti communiste et de la gauche (nonobstant les tractations de Guy Mollet). Mais reste une tâche indélébile: le premier communiqué de De Gaulle en date du 15 mai ne contient pas un seul mot pour condamner les émeutiers ni le passage des chefs militaires dans l'illégalité.

Ce 13 mai fut donc bien un coup d'Etat, utilisé par De Gaulle pour obtenir une dévolution légale du pouvoir qui sera définitive avec le référendum de septembre sur l'approbation de la Constitution de la V° République. Le 2 décembre 1852, Louis-Napoléon l'avait bien résumé: "Je ne suis sorti de la légalité que pour entrer dans le droit". Le droit d'un régime plébiscitaire, autoritaire, présidentialiste, ce que fut et reste la V° République: un "coup d'Etat permanent" si bien dénoncé par Mitterrand, si vite oublié ensuite. Il continue quoiqu'on en veuille, dans les présentes célébrations du 18 juin. On ne pourra jamais faire l'économie d'un retour sur ce passé pour inventer une nouvelle République démocratique.

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