Article

Art inuit contemporain

L’artiste inuite Pitseolak Ashoona est née dans une tente de peau, quelque part entre 1904 et 1908. C’était pendant une transhumance printanière de sa famille, qui partait de Salluit, au Nunavik, une portion du Québec arctique, et se rendait sur la berge sud de l’île de Baffin (Qikiqtaaluk).

L’artiste inuite Pitseolak Ashoona est née dans une tente de peau, quelque part entre 1904 et 1908. C’était pendant une transhumance printanière de sa famille, qui partait de Salluit, au Nunavik, une portion du Québec arctique, et se rendait sur la berge sud de l’île de Baffin (Qikiqtaaluk). Cela se passait à une époque où les Européens n’avaient encore qu’un impact minime sur le Grand Nord, et en un temps où les Inuits vivaient encore sur leurs terres ancestrales, dans une existence de subsistance semi-nomade, en pratiquant la chasse et le trappage. Le père de Pitseolak meurt au début des années 1920. Elle épouse alors Ashoona, un chasseur accompli. Elle continue de vivre selon le mode de vie traditionnel inuit. Elle voit aux besoins de son mari et de ses enfants. Elle confectionne les anoraks, les chaussures et les abris, tous indispensables à la vie dans l’Arctique. Longtemps après la mort de son mari, elle vit dans la relativement jeune communauté de Cape Dorset (Kinngait). C’est seulement alors qu’elle s’implique dans le programme d’art et d’artisanat mis de l’avant par James et Alma Houston. Pitseolak Ashoona est de cette toute première génération d’artistes inuits accomplis, travaillant à temps plein à leur art. Son travail s’enracine profondément dans la vie et les légendes de son enfance et de sa jeunesse. Le dessin Bâtisseurs d’inukshuk (1968), par exemple, représente trois hommes, vus de profil, en train de construire un inukshuk, ou balise de pierre, avec des mouettes virevoltant autour d’eux. Le dessin à la plume de couleur sur papier Scène de campement d’été (1974) montre une famille inuite se reposant autour de la tente, avec les enfants qui s’amusent, tandis que des voyageurs s’approchent depuis les collines avoisinantes. Le travail très salué de Pitseolak lève le voile sur un mode de vie traditionnel inuit largement disparu. En contraste, les œuvres de ses très talentueuses petites-filles Annie Pootoogook et Shuvinai Ashoona s’ancrent dans les réalités de la vie inuite contemporaine.

Les dessins d’Annie Pootoogook dépeignent la vie quotidienne ordinaire dans l’Arctique. Celle-ci est traitée aussi dans ses aspects plus troubles, que l’artiste connaît bien : aliénation, dépression, toxicomanie. Le tableau The Homecoming (le retour au bercail,– 2006), par exemple, représente les membres d’une grande famille multigénérationnelle, incluant des vieilles femmes et des nourrissons emmaillotés. Ils sont tous habillés en tenue hivernale et ils attendent dans ce qui semble être une gare d’autocars déserte. On entrevoit, par la fenêtre, des camions sur un terrain enneigé. Dans Memory of My Life Breaking Bottles (2001–2002), un personnage passablement austère fracasse des bouteilles sur le mur extérieur d’une maison. La rage contenue dans Memory of My Life Breaking Bottles (souvenirs de ma vie en train de casser des bouteilles) provient des frustrations découlant de la lutte de l’artiste contre l’alcoolisme et de l’impression décourageante de vivre dans le désespoir, sans but et sans soutien.

Le travail de Shuvinai Ashoona, par contraste, oscille entre des paysages de l’Arctique intriqués et complexes, presque abstraits, des versions surréalistes de la vie contemporaine, et des éléments de mythologie fantasmagorique – ces deux derniers se manifestant souvent de concert. Dans Untitled (Angel Bringing Tools) (sans titre – un ange apportant des outils, 2006–2007), une figure ailée de couleur jaune tenant dans ses bras un jeu d’outils inuits traditionnels se tient au premier plan. En arrière-plan, sont posés, sur un rocher, un aigle les ailes grandes ouvertes et un hibou blanc. Fantomatique et onctueux, Untitled (End of Worlds) (sans titre – la fin des mondes, 2011) nous montre un petit cercueil avec un corps visible à l’intérieur. Ce petit cercueil se déplace sur des roulettes, qui sont les globes de tous les différents mondes. Le petit cercueil roule sur le fond océanique, et des poissons nagent au-dessus de lui. Ashoona s’est associée à des expositions communes et à des travaux collaboratifs avec l’artiste visuelle Shary Boyle, qui travaille à Toronto. Ceci montre, si nécessaire, à quel point les artistes inuits des plus jeunes générations sont intimement intégrés dans le vaste monde des arts canadiens et internationaux. Le titre turlupiné et rigolo InaGodadavida (2015) est une allusion à une chanson culte de 1968 de l’orchestre d’acid-rock Iron Butterfly. Le tableau collectif InaGodadavida combine l’engouement d’Ashoona et de Boyle pour le fantastique et le psychédélique. On a une pieuvre flottante, une rivière noire, une planète rouge, un ciel étoilé, et une femme énorme avec la sphère obscure de la tête d’un bébé lui émergeant d’entre les jambes. Le travail d’Ashoona n’est ni nostalgique ni désespéré. Il met de l’avant l’idée que la vision du monde puissante et chamanique des Inuits a tout simplement sa place à prendre dans la vie du XXIe siècle.